Ces deux amendements tendent à créer un outil qui, jusqu’à présent, n’a pas été envisagé dans le cadre législatif. Il s’agit de doter le régulateur, à savoir l’ARCEP, du pouvoir de contraindre les opérateurs à mutualiser leurs réseaux, lorsqu’il juge ce travail nécessaire au titre de l’aménagement du territoire, considéré comme un objectif d’intérêt général.
Le Gouvernement souscrit au constat sur lequel se fonde cette proposition. À l’heure actuelle, la couverture mobile des zones rurales demeure insuffisante, ce qui entretient la colère et la frustration d’un grand nombre de nos concitoyens. Nous avons donc la responsabilité collective d’y répondre.
Cette insuffisance de la couverture se traduit de plusieurs manières, auxquelles nous avons jusqu’à présent tenté d’apporter différents types de réponses.
Tout d’abord, il faut prendre en compte le cas des zones dites blanches, qui ne bénéficient d’aucune couverture mobile, c’est-à-dire qu’aucun opérateur n’y est présent.
Un premier recensement évalue à 268 le nombre de communes concernées. Nous attendons encore des remontées en provenance des territoires, ce qui nous laisse à penser que d’autres communes pourraient être éligibles au programme lancé par le Gouvernement en faveur de la couverture des zones blanches. C’est la raison pour laquelle je me suis engagée à étendre ce plan. Aucune des communes répondant aux critères de couverture, tels que définis par le protocole de l’ARCEP, ne doit être laissée de côté.
Très bientôt, je transmettrai à la représentation nationale toutes les informations relatives à la réouverture de ce programme, en particulier le calendrier de sa mise en œuvre.
Dans ce cadre, le Président de la République s’est engagé à ce que l’État finance la totalité des travaux de construction des pylônes, dans la limite de 100 000 euros par site.
C’est également dans ce cadre que les quatre principaux opérateurs ont proposé, au terme d’une négociation menée avec le Gouvernement et en accord avec lui, d’étendre l’accès à l’internet mobile à plus de 3 300 communes.
Ces opérateurs se sont également engagés à mettre à disposition des collectivités un guichet permettant de couvrir 800 sites considérés comme importants, pour des motifs liés à l’économie, au tourisme ou aux missions de service public devant être assurées dans les territoires.
Ensuite, il faut tenir compte des communes mal couvertes. Diverses localités ne disposent que d’un pylône, installé, en fonction d’un critère établi, au niveau du centre-bourg. Or cet équipement ne permet pas toujours de couvrir la totalité du territoire communal, et les opérateurs refusent le plus souvent d’y installer un second pylône, faute de rentabilité économique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la création du guichet des 800 sites n’est pas anodine, bien au contraire. Elle signe un changement radical de paradigme, les opérateurs de télécommunications et le Gouvernement s’accordant à penser que la libre concurrence n’a pas, à elle seule, suffi à couvrir l’ensemble des territoires, conformément aux attentes de nos concitoyens.
Bien sûr, ces attentes doivent être raisonnables. Comme moi, vous savez faire la part des choses entre les demandes excessives, tendant à assurer une couverture de 100 % partout, même en haute montagne ou dans des zones très rurales voire inhabitées, et les requêtes qui se révèlent plus légitimes.
Cela étant, j’insiste sur le changement de paradigme opéré : l’intervention publique doit venir en soutien de l’intervention privée là où la concurrence n’a pas suffi à assurer la couverture numérique des territoires.
En outre, dans diverses zones grises, un seul ou plusieurs opérateurs sont présents, mais pas les quatre. Dans ces territoires, certains consommateurs, tout en bénéficiant d’une couverture par leur opérateur, ne peuvent pas obtenir des services satisfaisants faute d’une couverture garantie par la concurrence.
En pareil cas, on peut considérer que le consommateur est contraint de choisir un opérateur, ou n’a le choix qu’entre deux offres. En tant que telle, cette situation porte atteinte à la libre concurrence, à la libre entreprise et au libre établissement des réseaux, puisque, en définitive, les clients n’ont pas le choix de leur opérateur.
Cela étant, la proposition formulée au travers de ces deux amendements identiques soulève, à ce stade, de très nombreuses questions.
Je le rappelle, les auteurs de ces amendements entendent forcer des opérateurs, qui ont derrière eux vingt ans de déploiement de réseaux, à se marier, à mettre en commun leurs réseaux et leurs propriétés privées, même lorsqu’ils ne le souhaitent pas.
Dans ces conditions, comment faire en sorte que des chantiers souhaitables pour les populations soient acceptés par les opérateurs ? Comment garantir que ce partage de réseaux soit équitable, entre l’opérateur qui accueille l’infrastructure et celui qui est accueilli par elle ? Comment s’assurer que le partage des coûts aboutisse à étendre la couverture à de nouveaux territoires et non simplement à dégager des économies pour les opérateurs ? Enfin, comment articuler le nouveau pouvoir de l’ARCEP ici suggéré avec les licences déjà octroyées, qui sont les principaux instruments juridiques – ce constat a été rappelé lors de l’examen de l’article 37 quater – déterminant les obligations de couverture, et sur la base desquelles les opérateurs se sont engagés à assurer le déploiement ?
Vous le voyez, de telles attributions ne seraient pas sans conséquence. Elles ont même potentiellement un impact économico-juridique majeur.
À ce stade, les questions soulevées me paraissent trop complexes pour qu’une décision puisse être prise.
Je demande donc le retrait de ces amendements.