Cela étant, l’intervention militaire, si je puis dire, n’est qu’un moyen, et non une fin. La fin, c’est la recherche d’une solution politique, et nous y travaillons d’arrache-pied.
Là encore, je crois pouvoir dire que nous avons beaucoup progressé au cours des dernières semaines.
De nombreuses médiations sont en cours, notamment avec la Russie. J’ai rencontré, voilà quelques jours, Sergueï Lavrov à Moscou et j’ai longuement discuté avec lui. Si le début de notre entretien a été « franc », comme on dit dans le langage diplomatique, car nous sommes en désaccord sur la partie militaire de l’intervention, la poursuite du dialogue nous a permis de constater une totale convergence de vues sur la sortie politique de cette crise, à laquelle réfléchissent une multitude d’acteurs, les Russes, donc, mais aussi l’Union africaine, pour ne citer qu’elle.
En définitive, quels sont, aujourd’hui, les paramètres d’une solution politique, sur lesquels un consensus est en train de se dégager ?
Il s’agit, tout d’abord, du départ de Kadhafi et son abandon du pouvoir. Quant à savoir s’il devra quitter ou non physiquement la Libye, nous laisserons aux Libyens eux-mêmes le soin de régler la question.
Mais le principe est posé : il faut que Kadhafi annonce très clairement qu’il renonce à toute responsabilité politique et militaire. Comment certains osent-ils soutenir qu’il n’est actuellement qu’un « guide suprême » sans aucune fonction officielle ? Il suffit de voir ce qui se passe à la télévision pour comprendre qu’en réalité il reste le patron et le chef des armées !
Son départ du pouvoir est donc le premier point sur lequel il y a un consensus international fort.
Concomitamment, il faut un cessez-le-feu, mais un vrai. Se contenter de demander le gel des positions sur le terrain risquerait d’aboutir à une sorte de partition de la Libye entre l’Ouest et l’Est. Or il n’y aura pas de cessez-le-feu sans retrait des forces de Kadhafi des casernes à l’extérieur des villes agressées. Il reviendra à la communauté internationale, sous l’égide des Nations unies, de contrôler l’effectivité de ce cessez-le-feu.
Il conviendra, ensuite, de favoriser la constitution d’un gouvernement provisoire – différentes solutions sont actuellement à l’étude –, appelé à engager un dialogue national, ou plutôt, puisque le vocabulaire d’aujourd'hui s’est enrichi de nouveaux anglicismes, un dialogue « inclusif ». Peu importe, finalement, la manière dont on s’exprime, l’essentiel est que ce dialogue soit largement ouvert à plusieurs participants. Je pense au Conseil national de transition, naturellement, mais aussi aux autorités traditionnelles, car, pour beaucoup, les chefs de tribu conservent encore un poids considérable dans la société libyenne. Je n’oublie pas, bien évidemment, tous ceux qui, à Tripoli, d’abord, n’ont pas de sang sur les mains et, ensuite, ont compris que Kadhafi n’avait pas d’avenir. Il est bien évident que ces responsables doivent être associés au processus politique. Nous travaillons en permanence pour y parvenir.
J’étais à Addis-Abeba, il y a trois jours, au siège de l’Union africaine, qui a un rôle déterminant à jouer dans ce domaine. Je me suis longuement entretenu à ce sujet avec le commissaire chargé de la paix et de la sécurité au sein de l’Union africaine, M. Ramtane Lamamra, ainsi qu’avec le Premier ministre éthiopien, M. Meles Zenawi, dont l’influence en termes de médiation est très importante au sein de l’Union africaine.
Le jour suivant, à Nouakchott, j’ai rencontré le Président de la Mauritanie, M. Ould Abdel Aziz ; nous sommes tombés d’accord pour accentuer la pression de nos pays en vue de hâter ce processus.
Je le répète, la question n’est plus de savoir si Kadhafi doit partir ; il s’agit de savoir quand et comment !
Je ne pécherai pas par optimisme en vous soumettant, d’ores et déjà, un calendrier. Je pense cependant que nous pouvons parvenir à ce résultat, à condition, bien sûr, de ne pas envoyer de contre-signaux, et de ne pas déclarer que nous allons abandonner la pression militaire. Il faut agir sur les deux plans à la fois. Nous parlerons de toutes ces questions à Istanbul, lors de la réunion du groupe de contact, le 15 juillet prochain.
J’ai suggéré qu’après cette date une nouvelle réunion du groupe de contact se tienne en Afrique. Pourquoi pas à Addis-Abeba, au siège de l’Union africaine ? Ce serait l’occasion d’impliquer fortement cette organisation dans le processus.
Je souhaitais développer ces deux points, car ils permettent de répondre à plusieurs des questions que vous avez bien voulu me poser, mesdames, messieurs les sénateurs.
J’ajouterai deux éléments, avant d’aborder les réponses plus précises, ou plus ponctuelles.
Tout d’abord, l’aide humanitaire constitue bien évidemment, dans ce contexte, un enjeu important, et l’Union européenne joue un rôle capital. Ainsi, le bureau d’aide humanitaire de la Commission européenne, l’ECHO, a déjà versé 70 millions d’euros à la Libye.
L’aide bilatérale de la France, à la fois financière et médicale, est également très importante, et a contribué au traitement du problème des réfugiés à la frontière de la Tunisie et de la Libye au moment du déclenchement des événements.
L’Union européenne a aussi mis sur pied une opération militaire d’accompagnement de l’aide humanitaire, EUFOR. Il a cependant été convenu que cette aide ne serait déclenchée qu’à la demande des Nations unies, qui n’ont pas, jusqu’à présent, formulé cette demande.
J’ajoute par ailleurs, au chapitre des considérations générales, que nous travaillons également sur ce que l’on appelle, en langage diplomatique, « le jour d’après », c’est-à-dire le moment qui succédera à l’abandon du pouvoir par Kadhafi et à la mise en place du cessez-le-feu.
Des inquiétudes ont été exprimées, ici ou là, sur la capacité du Conseil national de transition ou du gouvernement provisoire à assurer la sécurité et l’ordre dans la Libye nouvelle. Nous ne partageons pas ce scepticisme.
Le CNT contrôle déjà un certain nombre de régions qui ne connaissent pas une situation d’anarchie. Par ailleurs, l’ONU et les principales puissances européennes préparent aussi l’avènement de cette future Libye.
Une force de stabilisation internationale qui, de notre point de vue, devrait être une force de l’ONU, sera très vraisemblablement dépêchée sur place. La France a déjà envoyé plusieurs missions en vue de commencer à préparer, en collaboration avec le CNT, le fonctionnement du gouvernement provisoire.
Je vais à présent répondre aux questions des différents orateurs.
Mme Demessine récuse le droit d’ingérence ? C’est son droit ! Toutefois, madame la sénatrice, à votre place, je me sentirais très seul sur la scène internationale, car ce principe a été voté à l’unanimité par les États membres de l’Organisation des Nations unies en 2005Il fait donc désormais partie du droit international.