Intervention de Bernard Cazeneuve

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 3 mai 2016 à 17h45
Prorogation de l'état d'urgence — Audition de M. Bernard Cazeneuve ministre de l'intérieur

Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur :

Chaque manifestation sur le territoire national est précédée d'un important travail de renseignement. Nous disposons d'informations sur les individus présentant des profils à risques. Cependant, nous sommes dans un État de droit. Quand ils ont déjà commis des infractions lors de rassemblements, qu'ils arrivent avec des projectiles, nous pouvons procéder à leur interpellation avant le début de la manifestation. C'est ainsi que nous avons interpellé un certain nombre d'individus à Marseille, avant la manifestation du 1er mai : ils étaient armés de boules de pétanque sciées en deux, dans lesquelles avaient été placées des lames. Cela n'a pas empêché des manifestants de venir protester devant le commissariat pour dénoncer une répression excessive. Je suis très soucieux de ne susciter aucune action, de ne donner aucune consigne allant à l'encontre des principes constitutionnels.

Faut-il restreindre davantage ? L'état d'urgence n'est pas un dispositif de convenance politique. Je ne suis pas d'accord avec les thèses développées par les participants à Nuit debout, et les violences qui s'y produisent me mobilisent des nuits entières, mais mon rôle est de garantir la liberté d'expression et d'éviter la violence. Si j'interdis et que je perds devant le tribunal administratif, l'autorité de l'État s'en trouvera atteinte. Nous ne sommes pas dans un régime expéditif ! Pour autant, je peux restreindre, et je le fais. J'ai notamment demandé au Préfet de Police de Paris dont je salue l'excellence de prendre contact avec les organisateurs du mouvement pour leur faire comprendre que nous ne pouvions mobiliser indéfiniment des forces toute la nuit, et que les débats devraient s'arrêter à 22 heures. J'ai interdit les déambulations et les cortèges à partir de la place de la République, en raison des risques de nuisances et de troubles à l'ordre public.

Mais pas question d'interdire en ignorant les principes de droit. Le ministère de l'Intérieur est aussi celui des libertés publiques, et je les maintiendrai, quoi qu'on dise. Je prends toutes dispositions pour contenir les débordements graves, en tenant, par éthique de la responsabilité, un discours d'apaisement, qui ne tende pas la situation. La démocratie, la République, imposent de se battre pour que ceux qui ne pensent pas comme vous puissent s'exprimer - à condition de ne pas nuire à l'ordre public. C'est un équilibre difficile à maintenir, avec des forces de sécurité qui sont mises à rude épreuve.

Avons-nous assez de troupes ? Sans vouloir faire de polémique, je signale que, face à la menace terroriste, à la crise migratoire et à la radicalisation violente, les 13 000 emplois et les treize unités de force mobiles supprimés ces dernières années manquent cruellement. Aussi nous sommes-nous mobilisés pour reconstituer ces forces, et d'abord les unités de force mobiles, avec 3 000 nouveaux postes sur les 9 000 qui ont été décidés. Voilà plus de quinze mois que ces menaces imposent aux gendarmes et aux policiers un très haut niveau de mobilisation : ils sont fatigués, et l'Euro 2016 approche. Il serait bon que tous comprennent que ce sont des fonctionnaires comme les autres et qu'ils doivent aussi pouvoir récupérer. S'il le faut, je prendrai donc des mesures de restriction sans hésiter. Je m'efforce en effet de respecter un équilibre de fermeté et de responsabilité.

La Belgique aurait-elle pu éviter les attentats ? Je ne peux répondre à cette question. Dans ce pays, le déclenchement de l'état d'urgence ou le renforcement de l'équivalent du plan Vigipirate dépend de l'avis d'une autorité indépendante.

Les mesures prises suffiront-elles après l'état d'urgence ? L'objectif du Gouvernement est de sortir de l'état d'urgence, et les lois Savary, Urvoas et du 13 novembre 2014 y contribuent. D'ores et déjà, les mesures de police administrative ne sont pas toutes mobilisées. Celles qui concernent les rassemblements le sont, et elles sont parfaitement défendables devant le juge administratif car elles respectent le principe de proportionnalité.

En matière de contentieux des perquisitions, nous avons reçu 70 requêtes en annulation, qui ont donné lieu à seize décisions, dont huit annulations ; 177 demandes d'indemnisation pour préjudices matériels et moraux, sur lesquels nous attendons toujours l'avis du Conseil d'État, mais dont 93 ont été rejetées, 69 sont en instance et 15 ont fait l'objet d'un accord - 141 portent sur des dégâts matériels, 23 sur des préjudices moraux et 13 sur d'autres motifs.

Sécuriser l'Euro 2016 est un casse-tête. Notre coopération avec l'association des villes pour l'Euro 2016, présidée par M. Juppé, est très bonne. Nous sécuriserons les villes et l'entrée des fan zones, dont l'intérieur sera surveillé par les forces municipales. L'intérieur des stades relèvera de l'UEFA, et nous interviendrons à l'extérieur. Nous définissons, en liaison avec les municipalités, le nombre d'unités de forces mobiles qu'il faudra mobiliser dans chaque ville, et j'ai décidé d'une répartition des forces spécialisées - BRI, Raid et GIGN - qui optimisera la couverture du territoire national. Ce sont des principes de précaution maximale. Et je tais notre travail de renseignement - mais je suis prêt à recevoir une délégation de votre commission pour l'informer avec la confidentialité souhaitable. Pour autant, une sécurité maximale ne suffit pas à exclure qu'il arrive quelque chose : encore une fois, les policiers et les gendarmes seront en première ligne.

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