Intervention de François Pillet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 3 mai 2016 à 17h45
Réformer le système de répression des abus de marché — Examen du rapport pour avis

Photo de François PilletFrançois Pillet, rapporteur pour avis :

Ce rapport est surtout technique et rédactionnel. J'ai dû travailler dans des délais très courts.

Notre commission est saisie pour avis de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, réformant le système de répression des abus de marché, dont l'examen au fond a été renvoyé à la commission des finances. Elle est destinée à répondre aux exigences de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015, dont les ramifications sont nombreuses. Le Conseil a en effet censuré la possibilité de cumul de sanctions dans la mesure où, prononcées par le juge pénal comme par l'Autorité des marchés financiers (AMF), elles relèvent en appel de la compétence de l'ordre judiciaire, ce qui méconnaît le principe de nécessité des délits et des peines. Ce texte vise à substituer sans tarder de nouvelles dispositions à celles qui ont été abrogées par le Conseil constitutionnel, avec une date d'effet différée au 1er septembre 2016.

Ce texte instaure, parmi les diverses solutions débattues depuis mars 2015 pour supprimer le cumul sans remettre en cause les compétences du juge pénal et de l'AMF, un principe d'exclusivité des poursuites par l'une ou l'autre des deux autorités compétentes, dans le cadre d'un mécanisme procédural de dialogue entre elles et sous l'arbitrage du procureur général près la cour d'appel de Paris. Ce texte intéresse ainsi plus largement les conditions d'organisation de la compétence du juge judiciaire. De plus, ce mécanisme pourra servir de modèle pour résoudre, le moment venu, dans d'autres champs que la législation boursière, d'autres difficultés susceptibles de résulter de décisions du Conseil constitutionnel ou même d'une juridiction européenne.

Le principe juridictionnel « non bis in idem », qui veut que l'on ne puisse être poursuivi, jugé et puni deux fois pour les mêmes faits, est consacré par l'article 6 de notre code de procédure pénale. Toutefois, le droit français comporte de nombreux régimes prévoyant, pour la même personne et pour les mêmes faits, le cumul de sanctions pénales et de sanctions administratives. Alors que le recours contre la sanction pénale relève toujours de l'ordre judiciaire, le recours contre la sanction administrative relève en principe, mais pas dans tous les cas, de l'ordre administratif. À cet égard, outre les appels formés devant la cour d'appel de Paris à l'encontre des condamnations pénales prononcées en matière d'abus de marché par le tribunal correctionnel de Paris, les recours formés contre les sanctions prononcées par l'AMF pour abus de marché relèvent, selon le cas, du Conseil d'État ou de la cour d'appel de Paris. Quelle complexité ! Un non-professionnel peut donc être cumulativement condamné à des sanctions de nature pécuniaire par l'AMF et par le juge pénal, relevant toutes deux, en appel, de la compétence de la cour d'appel de Paris. C'est le principe d'un tel cumul de sanctions pour les mêmes faits au sein d'un même ordre de juridiction que le Conseil constitutionnel a censuré le 18 mars 2015. Le critère du même ordre de juridiction retenu par le Conseil me paraît ténu, notamment au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Au-delà de la réponse urgente à apporter à la décision du 18 mars 2015, j'estime que le risque constitutionnel existe aussi dans d'autres domaines connaissant un cumul de sanctions pénales et administratives relevant du même ordre de juridiction. Deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur le sujet devraient être traitées dans les prochaines semaines, relevant de la matière fiscale et concernant les droits de succession et l'impôt sur la fortune. En outre, au-delà même de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le droit français prévoyant le cumul de sanctions pénales et administratives présente une fragilité au regard du droit de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, dans une moindre mesure, au regard du droit de l'Union européenne. La France risque fort d'être condamnée...

Ainsi, dans la perspective de l'examen de la présente proposition de loi en séance publique, je vous propose d'examiner les autres cas de cumul problématique de sanctions pénales et administratives au sein d'un même ordre de juridiction. Nous verrons quelle sera la réaction du Gouvernement.

Il faut également étudier la question de l'unification du traitement juridictionnel des recours formés contre des sanctions prononcées par l'AMF à l'encontre des professionnels et des non-professionnels, relevant pour les premiers du Conseil d'État et pour les seconds de la cour d'appel de Paris. En effet, une telle disparité est une source potentielle de discordances jurisprudentielles.

Aussi je vous demande, mes chers collègues, de me donner mandat aux fins de présenter, en séance, des amendements pour proposer de régler ces deux questions. Voilà pourquoi nous devons statuer en urgence sur ce texte.

Mon premier amendement réécrit l'article 1er de la proposition de loi, sans changer son objectif, qui est d'organiser l'aiguillage entre AMF et juridiction pénale, et le deuxième est son symétrique. Ces deux amendements de clarification sont assez consensuels : Bercy, l'AMF, le procureur national financier l'approuvent semble-t-il, seule la chancellerie opposant un point mineur. Le rapporteur général de la commission des finances déposera des amendements identiques.

De quoi s'agit-il avec mon troisième amendement ? À la suite de la « loi Macron », le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle la possibilité pour l'Autorité de la concurrence d'utiliser les « fadettes ». Or le texte qui autorise l'AMF à le faire est très similaire à celui qui a été censuré. Il y a donc une insécurité qu'il faut corriger. Nous le faisons en prévoyant des garanties supplémentaires, avec l'intervention du juge des libertés et de la détention pour autoriser les demandes de communication des données de connexion formulées par l'AMF.

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