Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 4 mai 2016 à 9h30
Réformer le système de répression des abus de marché — Répression des infractions financières - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur :

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale réforme le système de répression des abus de marché, c'est-à-dire des délits d'initié, de la diffusion de fausses informations et de la manipulation de cours ou d'indice. Elle rejoint largement les propositions de loi identiques que Claude Raynal et moi-même avions déposées le 7 octobre dernier. Nous avions fait précéder le dépôt de ces textes de nombreuses auditions pour consulter l'ensemble des acteurs : les représentants des petits porteurs, des avocats, mais aussi le procureur de la République financier, le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), la Chancellerie, Bercy, etc. Pour préparer ce rapport, j'ai à nouveau rencontré le président de l'AMF et le procureur de la République financier.

La réforme du système de répression des abus de marché présente un certain caractère d'urgence, car les dispositions permettant aujourd'hui de sanctionner ces agissements ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 mars 2015, à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dans l'affaire EADS, et seront abrogées le 1er septembre prochain, s'agissant du moins des délits d'initiés. C'est pourquoi cette réforme a été dissociée du projet de loi « Sapin II » dans lequel il était prévu qu'elle trouve sa place.

Le Conseil constitutionnel reproche à notre système actuel d'autoriser le cumul des poursuites devant l'AMF et devant le juge pénal, dans des conditions contraires au principe de nécessité des peines. Avant cela, dans un arrêt Grande Stevens de 2014, la Cour européenne des droits de l'homme avait condamné l'Italie, qui a un système identique au nôtre, au nom du principe ne bis in idem. Les conséquences de cet arrêt pour la France nous ont beaucoup occupés, Claude Raynal et moi-même, dans le cadre de la mission d'information sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers que nous avons menée l'an dernier. Cette question a également agité toute la place de Paris : professionnels, avocats, universitaires, juridictions, régulateurs...

L'important travail qui a ainsi été réalisé a ouvert de nombreuses pistes de réforme et en a écarté presque autant, en particulier la dépénalisation, pour des raisons d'exemplarité, la suppression de la répression administrative, pour des raisons d'efficacité, la création d'une juridiction spéciale etc. La solution qui a recueilli le plus large assentiment est celle d'un aiguillage des poursuites fondé sur une concertation entre l'AMF et le parquet national financier. C'est celle que retient la présente proposition de loi et que retenaient également nos propres propositions de loi. Restait à définir la nature et les modalités de cet aiguillage.

Le parquet national financier défendait l'idée d'un monopole du parquet dans l'appréciation des poursuites pénales. Il proposait ainsi que le procureur puisse à tout moment et, en tout état de cause, avant l'ouverture de poursuites par l'AMF, « évoquer » une affaire pour engager les poursuites au pénal et « réquisitionner » les services de l'AMF. Le groupe de travail de l'AMF proposait quant à lui que cette répartition se fasse sur la base de critères objectifs, en particulier le montant du gain réalisé : en deçà d'un certain montant l'affaire aurait été automatiquement orientée vers l'AMF.

D'une part, la solution du parquet national financier me semble attentatoire à l'indépendance de l'AMF et peu équilibrée ; de l'autre, la solution de l'AMF présente des difficultés car, dans certaines affaires, il n'y a pas de gain quantifiable et la gravité n'est pas nécessairement question de montant. Une appréciation au cas par cas nous semblait donc préférable. D'où les propositions de loi que nous avons déposées avec Claude Raynal, prévoyant que la décision d'orientation des poursuites découle en première intention d'une concertation entre l'AMF et le parquet national financier. Aucune des deux autorités ne pourrait ainsi engager de poursuites sans que l'autre n'y consente. C'est ce schéma qui est retenu dans la proposition de loi votée par l'Assemblée nationale.

En cas de désaccord persistant, où chacun revendiquerait la possibilité de poursuivre une affaire, nous avions préconisé la création d'une instance neutre, composée à parité de magistrats du Conseil d'État et de la Cour de cassation, sur le modèle du tribunal des conflits. Cette proposition avait le mérite d'évacuer le problème de la séparation des pouvoirs, et d'avancer sur les aspects du dispositif de répression des abus de marché. Nous pensions en effet que la question de l'arbitrage présentait des enjeux pratiques assez mineurs, même si elle suscitait d'importantes crispations institutionnelles. À l'inverse, la fin du cumul des sanctions pénales et administratives exigeait des adaptations importantes de notre droit.

Depuis, la réflexion juridique a avancé. Le Conseil d'État, interrogé par le Gouvernement, a indiqué qu'il n'y avait pas d'obstacle constitutionnel à prévoir le caractère prioritaire de la voie pénale sur la voie administrative et à subordonner l'engagement de poursuites devant la commission des sanctions de l'AMF à l'accord du parquet. La présente proposition de loi consacre cette solution en confiant le rôle d'arbitre au procureur général près la Cour d'appel de Paris qui pourrait ainsi autoriser le parquet national financier à passer outre l'opposition de l'AMF en engageant des poursuites, et réciproquement.

Compte tenu de ces éléments et du consentement de l'AMF comme du parquet national financier, je vous propose de nous rallier au principe d'un arbitrage par le procureur général, en adoptant cependant un amendement pour préciser la procédure de concertation et d'arbitrage afin d'en garantir la transparence, l'efficacité et la rapidité. Pour l'instant, la détermination des modalités de cette procédure est renvoyée à un décret, ce que je ne trouve pas très satisfaisant, d'autant que sont en cause à la fois des éléments de procédure pénale et les relations entre une autorité publique indépendante et l'autorité judiciaire.

Au-delà de la question juridique du cumul de poursuites, la réforme du système de répression des abus de marché doit également être l'occasion d'améliorer celui-ci. À cet égard, il faut constater une heureuse convergence : la transposition de la directive européenne et du règlement relatif aux abus de marché - le paquet MAD-MAR - doit intervenir avant le 3 juillet prochain. Je rappelle, pour m'en féliciter, que c'est à l'initiative de notre commission et particulièrement de notre collègue Richard Yung, qui rapportait la loi Ddadue de 2014, que le Parlement a refusé au Gouvernement l'autorisation de réaliser cette transposition par voie d'ordonnance. Nous avions alors estimé que nous ne pouvions nous dessaisir de la transposition de ces textes qui conduisent à la refonte des dispositions incriminant les abus de marché, sur le plan tant pénal qu'administratif et qui fixent aux États membres des plafonds minimum de sanction. En outre, il nous semblait nécessaire que cette transposition aille de pair avec la réforme du système de cumul des poursuites. La présente proposition de loi nous donne raison. La fin du cumul implique en effet que la voie pénale soit à la fois plus rapide et plus sévère, car actuellement les amendes sont faibles - 140 000 euros en moyenne contre plus d'un million pour l'AMF - et les peines de prison restent théoriques et parfois très tardives. Au pire, il s'agit de peines avec sursis.

Si elle ne correspond pas tout à fait à ce nous proposions, la nouvelle échelle des sanctions me semble globalement satisfaisante. Les peines sont revues largement à la hausse, ce qui est le corollaire indispensable de la fin du cumul des poursuites et de l'aiguillage : il ne serait pas acceptable que les cas les plus graves, comme des délits en bande organisée, soient orientés vers une voie moins répressive. En conséquence, la proposition de loi prévoit de remonter à cinq ans, contre deux actuellement, les peines d'emprisonnement pour tous les abus de marché. Elle aligne également les sanctions pécuniaires sur celles prévues pour la voie administrative, soit 100 millions d'euros. Je proposerai de revenir à ce que nos propositions de loi prévoyaient, en créant une circonstance aggravante si les faits sont commis en bande organisée, avec dix ans de prison à la clef.

Par ailleurs, la transposition du paquet MAD-MAR crée deux incriminations spécifiques nouvelles : celle d'incitation ou recommandation à l'utilisation d'informations privilégiées, et celle de divulgation illicite d'informations privilégiées, autrefois intégrée au délit d'initié. Les autres incriminations sont maintenues même si leur définition est adaptée aux textes européens. Ces mesures correspondent globalement à ce que nous préconisions dans nos propositions de loi. Cependant, si le texte de l'Assemblée nationale permet une plus grande sévérité de la justice, il est plus lacunaire s'agissant de la rapidité de la réponse pénale. L'AMF est de ce point de vue beaucoup plus réactive. La crédibilité de cet aiguillage repose sur la capacité de la justice à traiter rapidement les affaires qu'elle sera amenée à juger.

L'amélioration passe tout d'abord par une meilleure coopération entre l'AMF et le parquet au stade de l'enquête. Je vous présenterai un amendement pour faire en sorte que les deux autorités s'informent mutuellement de l'ouverture d'une enquête et coordonnent leurs investigations, comme le prévoyaient nos propositions de loi. Je vous proposerai également d'autoriser le parquet national financier à réaliser des écoutes téléphoniques en cas de bande organisée, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention et sans attendre l'ouverture d'une information judiciaire. J'ai consulté hier notre collègue rapporteur pour avis de la commission des lois, qui n'y voit pas d'objection.

Cependant, tout ne dépend pas de la loi : il faut aussi changer les habitudes de la justice pénale et recourir plus souvent à la citation directe devant le tribunal correctionnel ou au plaider coupable. Le procureur de la République financier comme le président du Tribunal de grande instance de Paris y sont prêts, comme ils l'ont déclaré publiquement. Je ne peux que m'en féliciter. Par souci de symétrie, je vous proposerai d'élargir aux abus de marché la possibilité pour l'AMF de conclure des accords transactionnels.

L'objectif de la présente réforme doit être double : une AMF confortée comme régulateur avec les moyens et l'expertise nécessaires, mais également garante du bon fonctionnement des marchés financiers ; une juridiction pénale renforcée et crédibilisée par des procédures plus rapides et des sanctions plus sévères.

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