Intervention de Roger Genet

Commission des affaires sociales — Réunion du 4 mai 2016 : 1ère réunion
Audition de M. Roger Genet candidat pressenti à la direction générale de l'agence nationale de la sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail

Roger Genet :

Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs, de vos questions.

Sur la question des territoires, même si je n'ai pas encore, par définition, de lettre de mission, je n'ai entendu de la part d'aucun des ministères concernés de demande relative aux choix d'implantation géographique. Mon prédécesseur a conduit une action visant la restructuration des laboratoires et le dispositif actuel est certainement perfectible, sur le plan de la stratégie scientifique. Mais il n'est pas question de se couper des territoires, puisque le lien avec les champs d'action et les collectivités est absolument essentiel. On voit bien dans les contrats de plan Etat-région pour la partie recherche combien le partenariat avec les collectivités territoriales est crucial. Aucune orientation ne m'a été donnée pour recentrer le dispositif à Maisons-Alfort et je tiens à vous rassurer sur ce point-là ! Certaines synergies avec d'autres opérateurs, qui assument des missions d'appui aux politiques publiques, comme Ifremer dans le Nord, peuvent être recherchées dans le domaine de la sécurité sanitaire. Nous le ferons avec mes collègues, mais dans le sens du renforcement du dialogue, de la concertation et du partenariat localement, tant avec les collectivités qu'avec les associations professionnelles et les ONG, ainsi que les associations de protection de la nature.

Sur la communication des agences sanitaires qui n'est pas toujours optimale, une meilleure cohérence a été recherchée au niveau interministériel depuis ces cinq dernières années. Celle-ci a consisté à regrouper des acteurs, en supprimant des personnalités morales, mais aussi avec des instances de coordination. Les instances du ministère de la santé sont ainsi nombreuses : la direction générale de la santé organise une réunion hebdomadaire sur la sécurité sanitaire et un comité des agences regroupe, tous les mois, les différentes agences sanitaires avec la direction générale de la santé. Ce genre d'instance permet de se coordonner au mieux pour que le message porté soit le plus cohérent possible. La communication est une question complexe pour l'Agence. La décision publique revient aux ministères qui sont les gestionnaires du risque. L'Anses n'a pas à communiquer sur les délivrances ou les retraits d'autorisation en elles-mêmes, mais sur le socle scientifique qui en est la source. Certes, les messages ne sont pas toujours très simples et passent par différents vecteurs de communication. L'Agence ne doit pas être perçue comme décisionnaire de la politique sanitaire par nos concitoyens et n'a pas, par conséquent, à se substituer à la communication des ministères qui le sont. Elle peut cependant communiquer sur ce que l'on sait, sur le socle de connaissances en vigueur, afin d'éclairer sur les modalités d'un avis portant sur des sujets émaillés d'une grande incertitude. L'Agence peut enfin intervenir dans la controverse et dans le débat public, à l'instar des organismes de recherche, en apportant des éléments qui objectivent les questions faisant l'objet du débat. Néanmoins, l'Agence a beaucoup gagné en visibilité ces dernières années et une marge de progression subsiste, en touchant désormais des publics larges. Il faut cependant aller au-devant d'eux, mais l'Agence ne peut le faire seule. Mon objectif est que l'Agence obtienne le maximum de visibilité et de reconnaissance dans les champs qui sont les siens, sans se substituer à une communication qui ne lui appartiendrait pas. Cet exercice n'est pas toujours facile.

S'agissant des moyens, au gré de mon rôle de gestionnaire de programmes, j'ai pu prendre la mesure des contraintes, s'agissant notamment de la répartition des moyens entre les différents organismes qui relèvent de ma responsabilité. Je tiens à souligner qu'aucune agence sanitaire n'est impliquée dans les programmes dont j'assure la direction en tant que directeur général de la recherche. Il n'y a donc pas de conflit d'intérêt. Bien sûr, notre budget connaît une forte tension. Il s'élève à 136 millions d'euros, en budget rectificatif, qui se répartissent en quelque 90 millions d'euros de subventions pour charges de service public, le restant provenant de ressources externes, soit de programmes de la Commission européenne ou de financement de la recherche, soit des taxes affectées ou des redevances notamment sur les dossiers d'autorisation. Le financement de l'Agence est ainsi équilibré. Il nous faut l'ajuster aux moyens que l'État acceptera de nous consentir. Plus l'État a confiance et a besoin de leurs services, plus il aura tendance à sanctuariser le budget des agences sanitaires, dans un contexte contraint dont nous mesurons tous la réalité. Comme directeur, j'ai déjà eu la responsabilité de plusieurs établissements. Il ne s'agit pas de faire pression pour obtenir davantage de moyens de l'État, mais de hiérarchiser les actions à conduire. Il faut faire des choix en fonction du budget qu'on arrive à lever. C'est vrai en matière d'investissement et de ressources humaines, ainsi qu'en termes d'appel à projet pour l'Agence. Il faut garder un équilibre sur ces différentes sources pour qu'elle soit la plus efficace possible. Vu les champs couverts, quelle serait la cible budgétaire optimale ? Cette question est sans fin. Nous ferons avec les moyens qui nous seront octroyés et la confiance réciproque nous permettra d'obtenir le plus de moyens disponibles pour assumer nos missions. Il faut être un gestionnaire éclairé et opérer les choix une fois les moyens connus. Une relation de confiance, et non une pression, doit exister entre les opérateurs publics et les ministères sur les moyens consacrés. C'est dans cet esprit que j'ai gérer les sept milliards d'euros du budget de la recherche.

Sur des questions comme le glyphosate et la nutrition, je veux vous assurer ma vigilance totale. Je ne suis ni pour ni contre le glyphosate a priori, car cette question renvoie à celle des formulations. Le glyphosate n'est pas interdit en Allemagne, mais un certain nombre de formulations le sont. Laissez-nous jouer notre rôle d'expertise et d'analyse produit par produit pour rendre un avis le plus informé possible ! La décision publique incombe, quant à elle, au ministre. Quel est le risque pour la santé humaine ? Cette question est analogue à celle des néocotinoïdes qui avaient été présentés, au moment de leur introduction, comme un bénéficie en matière de santé humaine sans avoir conscience de l'impact sur les insectes. Quel est le bénéfice-risque ? Il nous faut vous éclairer sur les conséquences de tel ou tel produit sur la santé humaine et l'impact de leurs éventuels produits de remplacement.

La question des normes est essentielle, mais elle concerne la crédibilité de la France et de l'Union européenne. Comment peut-on peser lors des négociations internationales ? Prenons l'exemple du poulet lavé avec des solutions chlorées. Pourquoi l'Europe ne l'autorise-t-elle pas alors que cela se pratique aux Etats-Unis ? La question porte-t-elle vraiment sur la toxicité des dérivés chlorés, tandis que nous mettons du chlore dans nos piscines et nos eaux de boissons. La question sous-jacente est celle de la traçabilité de la chaîne alimentaire davantage que celle de la toxicité aigüe ou chronique de tel ou tel traitement. Nos partenaires doivent comprendre que notre analyse est fondée sur des règles qui sont opposables. La crédibilité de notre expertise doit nous fournir un appui lors des négociations internationales où il s'agit de faire valoir le point de la France et de l'Europe. De ce point de vue, l'Agence peut contribuer à fournir au Gouvernement un certain nombre d'arguments, mais celle-ci n'a pas vocation à être déterminante quant à la signature d'un accord sur le libre-échange. Il nous faudra être très vigilant sur les conséquences de tels accords s'ils venaient à être signés.

Sur la question du nucléaire, je ne suis pas en mesure de vous répondre, non pas que je ne la connaisse pas du fait de mes expériences professionnelles passées. Mais celle-ci ne relève pas du tout du champ de l'Anses, mais de celui de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'IRSN est considéré comme une agence sanitaire. Ainsi, toute question relative à l'exposition aux radioéléments lui incombe. L'Anses n'a pas à l'être, même si elle pourrait être invitée à rendre un avis sur ses conséquences indirectes. L'iode ne présente pas de toxicité ni aigüe ni chronique. La détermination du champ dans lequel l'iode doit être distribué répond à d'autres impératifs et ne relève pas des compétences du directeur général de l'Anses.

Sur l'innovation, il n'est pas exclu que des travaux de recherche des laboratoires peuvent susciter un transfert, en termes de méthode analytique. Dans ce cas-là, il faut le faire. Le ministère de la recherche a mis en place des moyens mutualisés d'accompagnement des laboratoires vers le transfert industriel. Je ne sais pas s'il y a des cas à l'Anses, mais il faudrait s'assurer que le succès de certaines innovations, comme dans le domaine de la spectrométrie de masse dont une société reconnue, basée à Nantes, est issue d'un laboratoire universitaire, ne devienne la source de conflits d'intérêt pour l'agence, s'agissant notamment de la rétribution des inventeurs dans les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPCST), donnant lieu à prise d'intérêt. Une telle situation poserait ainsi problème à l'Agence. Le cadre doit en être précisé. Enfin, ce n'est pas la mission première d'une agence sanitaire, même si la valorisation est importante.

La nutrivigilance doit être au coeur de nos préoccupations. Celle-ci est en effet un facteur de discrimination sociale majeure. L'Agence doit résister aux lobbies que vous avez évoqués, comme à tous les autres. L'Agence a un rôle à jouer dans le cadre du plan national nutrition santé. J'y serai d'ailleurs très attentif. La Réunion est un territoire extrêmement marqué par tous les risques environnementaux. C'est pour cela que s'y sont tenues les assises régionales du risque en 2011, auxquelles j'ai participé en ma qualité de président de l'Alliance ALLenvi. Cette question des risques me paraît être au coeur des préoccupations de l'Agence.

Comment influencer l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) ? En étant présent. En effet, j'ai été extrêmement présent ces quatre dernières années au niveau européen. J'ai d'ailleurs été à l'initiative de la création d'un groupe de contacts, le Research Policy Group, qui rassemble les directeurs généraux de la recherche et de l'innovation à l'échelle européenne et s'est réuni trois fois au cours de ces dix-huit derniers mois. Il est crucial pour la France d'être présente au niveau communautaire et d'être ainsi très proche des autres agences européennes, afin de peser collectivement. Il nous faut également connaître le fonctionnement des groupes de travail ou de contact de l'Efsa. D'ailleurs, l'Efsa fonctionne différemment de l'Anses en ce que ses comités rendent directement des avis, alors que la décision finale incombe, en dernier lieu, au directeur général de l'Anses. Il faut également être pertinent au plan scientifique et montrer que nos décisions sont fondées pour devenir un vecteur d'influence.

Enfin, s'agissant des perturbateurs endocriniens, l'Anses assure le financement d'un appel à projets. Dans le cadre de l'Agence nationale de la recherche, un appel à projet très large a été émis dans le domaine environnemental qui permet le financement d'un projet sur les perturbateurs endocriniens. Je le dis d'autant plus en tant qu'ancien directeur de l'Irstea, celui-ci ayant beaucoup travaillé sur l'exo-toxicologie. Il y a des appels à projets spécifiques dans le cadre de la stratégie des perturbateurs endocriniens. L'Anses conduit elle-même des analyses sur certains d'entre eux et a émis un avis sur les critères de classification des perturbateurs. D'ailleurs, il ne vous a pas échappé que l'Inserm a sorti, le 25 avril dernier, dans le cadre d'une étude lancée par la Commission européenne, un article sur la caractérisation des critères qui permettent de classer les perturbateurs endocriniens qui rejoint, en très grande partie, l'avis formulé par l'Anses il y a deux ans. Par ailleurs, sans attendre, l'Anses a d'ores et déjà formulé des demandes de retrait sur certaines substances qui se sont révélées par la suite être des perturbateurs endocriniens, au moins pour deux d'entre eux. Je traiterai cette question avec beaucoup d'intérêt qui se trouve également au coeur de mon parcours professionnel. C'est bel et bien une question majeure. Le ministère de l'écologie avait indiqué qu'il lancerait une étude menée par l'Inra et à laquelle l'Anses est associée. De nombreux travaux sont en cours et le débat demeure au niveau communautaire. Il importe ainsi que l'Anses y joue pleinement son rôle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion