Mes chers collègues, nous recevons ce matin, à la demande du Gouvernement, Monsieur François Bourdillon, dont la nomination est proposée pour la direction générale de l'agence nationale de santé publique (ANSP).
Je rappelle que l'article L. 1451-1 du code de la santé publique prévoit l'audition préalable par les commissions concernées, avant leur nomination ou leur reconduction, des présidents ou directeurs d'une dizaine d'agence sanitaires.
Comme vous le savez, l'article 166 de la loi de modernisation de notre système de santé prévoit la création de l'agence nationale de santé publique issue du regroupement de l'Institut de veille sanitaire (InVs), de l'Institut national pour la prévention et l'éducation à la santé (Inpes) et de l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus). Cet établissement assurera ainsi une triple mission de surveillance, de prévention et d'alerte et de réponse aux urgences sanitaires.
L'agence est officiellement effective depuis le 1er mai, en application d'une ordonnance du 14 avril dernier. L'exercice de ses missions, son organisation et ses relations avec les autres services de l'État ont été précisés par un décret du 27 avril. Aux termes de ce décret, le directeur général est nommé pour une durée de trois ans renouvelable. Il propose chaque année au conseil d'administration les orientations stratégiques, prépare ses délibérations et en assure l'exécution, communique au ministre chargé de la santé les avis et recommandations de l'agence et recrute et gère le personnel de l'établissement. Il organise en particulier l'engagement, la formation et l'équipement des réservistes sanitaires. Enfin, il adresse chaque année au Parlement le rapport d'activité de l'agence.
Comme l'ont montré nos débats sur la loi santé, notre commission a accueilli très favorablement cette simplification du paysage des opérateurs sanitaires de l'État. Nous sommes convaincus que la fusion permettra une plus grande efficience et une meilleure visibilité nationale et internationale.
Je vais sans plus attendre passer la parole à M. Bourdillon afin qu'il puisse nous présenter sa conception de la fonction de directeur général de l'ANSP et répondre à une première série de questions.
En tant que directeur général de l'InVS et directeur par intérim de l'Inpes, vous avez mené, Monsieur Bourdillon, à compter du mois de septembre 2014 les travaux préparatoires à l'installation du nouvel établissement. Votre rapport de préfiguration a été rendu public le 2 juin 2015. Peut-être pourriez-vous donc d'abord nous donner quelques éléments de calendrier sur l'installation de l'agence. Où en est-on aujourd'hui ?
Pouvez-vous ensuite nous préciser les orientations stratégiques que vous comptez proposer au conseil d'administration pour les prochaines années ?
Vous indiquiez dans votre rapport de préfiguration que les sensibles réductions d'emploi intervenues au cours des cinq dernières années ont nécessité « des retraits d'activités scientifiques en plus des gains réels opérés sur les fonctions support. Le nouvel établissement porte donc des ambitions et des espoirs pour les personnes, mais également, de fait, des doutes et des interrogations». Comment évaluez-vous la situation aujourd'hui ?
S'agissant des missions diverses qui seront assurées par l'agence, celles auparavant exercées par l'Eprus sont assez spécifiques, avec des enjeux de sécurité et de confidentialité des données. Avez-vous pris des mesures particulières pour garantir le maintien d'une capacité de réaction rapide en cas d'alerte ?
Enfin, comment voyez-vous par ailleurs les relations de l'ANSP avec son ministère de tutelle ? Avez-vous pu obtenir l'assurance que les moyens budgétaires de l'ANSP seront à la hauteur des nombreuses missions qui lui sont imparties? Vous avez la parole.
Je vous remercie de m'accueillir pour cette audition concernant l'agence nationale de santé publique dont la marque est « Santé publique France ».
Je suis médecin, spécialiste de santé publique, issu du CHU de la Pitié-Salpêtrière, où j'ai été praticien hospitalier, chef du « pôle santé publique, évaluation et produits de santé ». En août 2014, j'ai pris la direction de l'InVS. J'ai ensuite pris l'intérim de la direction générale de l'Inpes, avant que la ministre en charge de la santé m'adresse en septembre 2014 une lettre de préfiguration pour fusionner les trois établissements publics auquel s'est ajouté un an plus tard le groupement d'intérêt public « Addictions, Drogues Info Service » (Adalis), qui dépendait de l'Inpes.
Le calendrier de préfiguration, qui s'étale sur vingt mois, permet de bénéficier d'un temps à la fois long et précieux pour réaliser une conduite du changement et créer une agence ambitieuse. Notre méthode a consisté à effectuer tout d'abord un diagnostic de l'existant. Deux cent personnes se sont mobilisées pour réfléchir sur les besoins d'une grande agence. Il nous paraissait important de permettre un dialogue social et que tous les spécialistes de santé publique des agences concernées puissent s'exprimer. Sans ce travail de fond qui a duré plusieurs mois, je n'aurais pas pu établir le rapport de préfiguration. Celui-ci est aussi l'expression de la connaissance de nos meilleurs épidémiologistes et préventologues. Je ne cache pas que le projet de fusion a inquiété le personnel. J'ai fait une assemblée générale des personnels tous les deux mois, organisé des petites-déjeuners de préfiguration pour expliquer les choses. Nous avons également passé un protocole d'accord avec les organisations syndicales et négocié avec le Gouvernement sur la nécessaire stabilité dont nous avions besoin aux plans budgétaire et financier puisque la réalisation d'une fusion coûte au départ toujours de l'argent.
Le rapport de préfiguration a été l'élément structurant sur lequel nous nous sommes appuyés. C'est un moment où l'on exprime des valeurs, des principes, où l'on donne sa vision et où l'on définit les missions de la future agence.
La troisième étape a été celle de la programmation. La ligne de conduite que nous avons donnée à la direction générale a été celle de la lisibilité, essentielle pour comprendre les actions menées par l'agence. Nous voulions également de la transversalité, ce qui implique qu'il faut expliquer pourquoi une continuité est nécessaire entre l'épidémiologie, la prévention et la promotion de la santé.
La dernière étape, qui s'est déroulée au mois dernier, a été de créer un organigramme unique, regroupant l'ensemble des agents. Je concède ici que l'effet du temps a joué puisque nous sommes arrivés à avoir une seule ligne de commandement et aucun licenciement.
L'ANSP a été créée le 1er mai. Il reste deux phases importantes. La première est celle du regroupement des agents sur le site unique de Saint-Maurice. Il aura lieu le 1er janvier 2017. Le projet immobilier prévoit la construction d'un troisième bâtiment en 2018. La transversalité implique que les agents soient le plus proche possible les uns des autres.
J'espère pouvoir disposer d'un conseil d'administration dès le mois de juillet. Les nominations devront se faire rapidement. Dans l'intervalle, c'est le directeur général de la santé qui assure cette fonction. J'ai retenu quatre orientations stratégiques que je pourrais proposer au conseil d'administration, sachant qu'il pourrait y en avoir beaucoup d'autres. Je retiens d'abord la fixation des axes stratégiques et des priorités. J'ai donné un certain nombre d'orientations dans le rapport de préfiguration mais les orientations qui seront définies sont le fruit d'une alchimie entre les attentes politiques, la prise en compte des besoins dans le domaine de la santé publique, qui nous oblige à les prioriser les maladies entre elles, ainsi que de la prise en compte de ce que nous appelons l' « évitabilité », c'est-à-dire les éléments sur lesquels nous pouvons espérer agir pour réaliser des gains en matière de santé, comme le tabac qui est le premier déterminant de santé.
Le deuxième axe stratégique porte sur l'un de nos points faibles en France, à savoir la prévention et la promotion de la santé. Nous avons très longtemps joué la carte de l'offre de soins et disposons de très peu de formations en prévention, et donc de très peu de professionnels dans ce domaine. Il nous faut construire avec beaucoup d'ambition une politique de prévention qui s'appuie sur des moyens modernes. Nous devons passer la révolution numérique. Cela coûte moins cher et est parfois plus efficace.
Pour l'Eprus, un apport très clair de la fusion est l'utilisation des outils de l'épidémiologie pour l'analyse des besoins.
Le dernier point important pour le conseil d'administration est de comprendre l'articulation entre le niveau national et le niveau régional. Nous avons besoin de disposer d'une colonne vertébrale avec la surveillance à l'échelle nationale. Les outils utilisés en région doivent être harmonisés et cohérents. Il nous reste encore beaucoup à faire dans ce domaine en distinguant l'expertise que nous pourrons avoir au niveau national et ce qui pourrait être décliné en région.
Tout le monde s'accorde pour dire que la création de l'agence doit permettre de répondre aux modèles internationaux. Tous les grands pays ont des agences nationales de santé publique. Nous allons nous aligner sur le standard international. Nous étions dans le millefeuille, avec une construction qui était établie au fil des crises.
S'agissant des fonctions support et des économies d'échelle, nous avons besoin de masse critique. Je prends l'exemple des systèmes informatiques : ce que nous faisons au sein de l'ANSP, c'est du « big data », c'est-à-dire du multisources, avec des grandes masses de données, le système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie (Sniram) étant la première d'entre elles. Mais il faut savoir que toutes les données des urgences hospitalières arrivent chaque jour à l'InVS, ce qui représente 50 000 lignes de données. Or nous nous sommes retrouvés il y a vingt mois avec trois systèmes informatiques complètement différents, qu'il nous a fallu fusionner dans une logique de complémentarité, ce qui implique d'avoir des informaticiens de très haut niveau.
Une réforme nous a été imposée par le ministère du budget, celle de la gestion budgétaire et comptable. Elle nous a permis de ne pas devoir choisir entre les trois systèmes existants alors, qui tous fonctionnaient très bien. Mais le nouveau système est particulièrement chancelant. Il nécessite d'être construit tout en faisant l'objet d'une acculturation.
La logique d'intégration de supports auprès des métiers est extrêmement importante. Il nous faut deux à trois ans pour réaliser des économies d'échelle. La principale difficulté que nous avons dans ce champ est que les métiers sont souvent occupés par des personnes en contrat à durée déterminée (CDD) quand celles qui exercent des fonctions support comme la comptabilité par exemple sont souvent en contrat à durée indéterminée (CDI), ce qui ne facilite pas la gestion sur le plan du droit du travail. Nous avons des efforts à faire dans ce domaine.
S'agissant de l'Eprus, dont je n'ai la charge que depuis deux jours, se pose d'abord la question de la confidentialité, avec les stocks stratégiques, le secret défense, le secret de la sécurité civile, le secret industriel et commercial, alors que nous avons prévu un conseil d'administration ouvert vers la société et comprenant notamment des représentants d'associations et de professionnels de santé. L'option qui a été retenue est de prévoir que le conseil d'administration puisse se réunir en formation restreinte pour prendre des décisions qui concernent la défense nationale et la sécurité civile. L'ordonnance et le décret précisent la composition du conseil d'administration restreint qui réunira un représentant du ministère de la santé et des affaires sociales, un représentant du ministère de la défense, un représentant du ministère du budget et un représentant de l'assurance maladie, laquelle est le principal financeur. Les données seront soumises au secret professionnel.
Le maintien de la réactivité dont a fait preuve l'Eprus est très important. En cas de situation sanitaire exceptionnelle, les réservistes doivent pouvoir être mobilisés dans les vingt-quatre heures. Nous avons pris un certain nombre de décisions en ce sens. Dans la nouvelle organisation de l'ANSP, nous avons une direction appelée « Alertes et crises ». Celle-ci regroupe l'établissement pharmaceutique de l'Eprus, l'unité des réservistes et l'unité « alerte » de l'InVS. Son directeur sera celui qui a été jusqu'à présent le directeur général adjoint de l'Eprus. Nous avons également prévu toutes les délégations de signature permettant de donner de la réactivité, quel que soit le moment de la semaine ou de l'année. Nous avons conservé le même système d'astreintes. Enfin, pour préserver l'identité de l'Eprus, qui est forte, nous avons décidé de garder l'appellation d'Eprus pour dénommer les équipes de réservistes. Il s'agira des « équipes de préparation et de réponse aux urgences sanitaires ». Leur uniforme comportera la mention conjointe d'Eprus et de l'ANSP.
S'agissant des relations entre la direction générale de la santé et l'ANSP, la première est une direction stratégique qui a réellement besoin d'une agence d'expertise nationale. En 2015-2015, nous avons reçu 83 saisines de notre direction de tutelle, ce qui témoigne de son besoin d'expertise scientifique. Il n'y a plus de scientifiques à la direction générale de la santé. Elle doit donc pouvoir s'appuyer sur un système d'agences sanitaires : l'ANSP pour l'état de santé de la population, l'agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour les produits de santé, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pour les risques et la Haute Autorité de santé (HAS) pour les pratiques de santé.
Avec la direction générale de la santé, nous avons créé de multiples espaces de dialogue : la réunion de sécurité sanitaire qui a lieu tous les mercredi matins, qui réunit l'ensemble des directeurs généraux de l'ensemble des agences sanitaires et où tous les signaux qui menacent la population sont abordés afin que nous puissions avoir des réponses coordonnées, les réunions bilatérales qui ont lieu une fois par mois, qui réunissent les directeurs de l'agence et tous les sous-directeurs de la direction générale de la santé pour aborder toutes les questions importantes, et enfin, une fois par mois, un comité inter-agences qui se réunit sur une thématique transversale. La direction générale de la santé remplit ainsi pleinement sa fonction de chef d'orchestre au niveau des agences sanitaires.
La question sensible des ressources peut être regardée de diverses façons. Je pourrais vous répondre que nous ferons les efforts exigés par notre pays en matière d'équilibre financier. Je pourrais aussi vous répondre par une comparaison des ressources de l'ANSP avec celles des autres agences au niveau international. L'ANSP dispose d'un budget d'environ 190 millions d'euros. Nous avons encore des efforts financiers à faire en matière de santé humaine. Nous sommes en période de crise et ferons donc les efforts demandés mais je ne doute pas que d'ici vingt ans nous aurons rejoint les mêmes lignes que les États-Unis, l'Allemagne ou le Royaume-Uni et que donc l'ANSM aura finalement à grossir à moyen terme.
Je rappelle que le Sénat était favorable à la fusion de l'Inpes et de l'InVS mais était plus réservé sur la fusion de l'Eprus dont il faut garantir la réactivité. Vos réponses peuvent nous rassurer mais il faudra aussi regarder la pratique.
J'ai quatre questions. Les lois successives ont mis la prévention et la promotion de la santé publique en avant, mais il s'avère très compliqué de les intégrer dans la pratique des médecins libéraux. Comment faire pour encourager leur développement ? S'agissant de la santé au travail, qui est dans l'actualité législative, on connaît les difficultés de recrutement de médecins du travail. Faut-il les remplacer par des médecins libéraux ?
C'est une solution qui n'a pas ma préférence mais alors, comment recruter de nouveaux médecins du travail ? La gestion des crises sanitaires, notamment celle de la grippe aviaire, ont été catastrophiques dans l'articulation entre le ministère de la santé et le niveau local. Comment améliorer les choses ? Enfin, comment mieux articuler la veille sanitaire au niveau national et au niveau local, surtout dans les outre-mer ?
Je suis pour ma part très sensible à la question des médecins mais aussi des pharmaciens libéraux, dont je rappelle qu'ils sont présents sur l'ensemble du territoire. Je suis convaincu qu'il faut leur apporter les bons outils pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle. Pour cela, nous avons créé à l'Inpes des comités d'interface qui élaborent avec les professionnels des instruments susceptibles d'être intégrés à leurs pratiques, notamment des kits d'utilisation sur la question du tabac. Il ne s'agit pas de dire aux professionnels comment faire leur métier mais de leur signaler que l'environnement change, que des campagnes d'information vont être menées et de les informer en amont pour mieux les mobiliser. Je pense en particulier au domaine de la vaccination qui fait l'objet d'une véritable défiance au sein de la population. Nous avons également signé une convention avec l'ordre des pharmaciens pour qu'une fois par an, les 22 000 vitrines des pharmacies affichent un message de santé publique.
Nous intervenons sur le champ de la santé au travail avec l'Anses qui évalue les risques liés au travail et l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) qui est chargé de la protection au travail. Pour notre part, nous élaborons des matrices emploi/exposition. Nous avons une vision globale, presque d'exposome, de cette population. Nous avons aussi un rôle d'investigation au travers de nos délégations régionales, les Cire, qui s'appuient sur les alertes faites par les médecins du travail. Nous avons aussi un rôle de suivi des mésothéliomes résultant d'une exposition à l'amiante. Enfin nous articulons notre travail avec celui de l'Ineris. Le directeur général du travail nous a ainsi demandé de mettre à sa disposition nos outils de suivi et des addictions afin de traiter la question des addictions sur le lieu de travail.
La question de l'articulation entre les réservistes et les professionnels libéraux en cas de crise sanitaire est complexe. Nous avons eu une épidémie de méningites dans le Beaujolais qui nous a conduits à mener une campagne de vaccination. Nous avons mobilisé des réservistes et des médecins généralistes. L'action des réservistes dans les écoles a permis une montée en charge rapide du dispositif. La mobilisation des généralistes a été plus difficile.
S'agissant de l'outre-mer je m'engage à ce que nous ne conduisions pas une seule étude sans nous interroger sur la possibilité d'en faire la déclinaison dans les outre-mer.
Quelles propositions concrètes faites-vous pour rééquilibrer les pratiques vers la prévention ? Tout le monde est d'accord sur les principes mais au moment des arbitrages budgétaires, il y a de fortes résistances. En matière de santé environnementale, nous avons été alertés par les chercheurs sur la faiblesse des moyens dont ils disposent. Quelles sont vos ressources sur ce sujet ? S'agissant de la santé au travail, je souhaite aborder la question de l'amiante et du désamiantage. On a peu de réseaux sanitaires qui peuvent être présents sur les chantiers, non seulement pour surveiller mais aussi pour jouer un rôle de pédagogue pour permettre une mutualisation des savoirs ?
S'agissant des moyens nécessaires pour rééquilibrer vers la prévention, le Parlement peut agir sur cette question lors des débats budgétaires.
Au niveau de l'agence, l'ordonnance qui a permis sa création a aussi clarifié la répartition des budgets. Ce qui relève de la prévention et de la promotion de la santé incombe à l'assurance maladie, ce qui relève de la sécurité sanitaire relève de l'Etat, et l'Eprus relève d'un financement mixte. C'est une vraie simplification car nous étions auparavant sur une règle de répartition deux-tiers assurance maladie, un tiers Etat. Ce qui faisait que quand la dotation de l'Etat baissait, celle de l'assurance maladie baissait également. C'était un problème grave pour l'Inpes dont les campagnes télévisées peuvent couter des 3 à 4 millions d'euros. Les nouvelles règles sanctuarisent la participation de l'assurance maladie et limitent l'impact d'une baisse de dotation de l'Etat.
Nous avons fait un important travail de programmation de notre activité. Nous n'avons pas une division en fonction des métiers de l'agence mais à partir de cinq axes. Ceci nous permettra de travailler en fonction des besoins de santé de la population. Pour la première fois dans notre pays, nous proposerons des budgets par sous-destination ce qui permettra de voir précisément combien est dépensé sur chaque sujet. Ce sera là un moyen d'action pour le ministère et le Parlement. Je souligne que les moyens financiers sont très vite très importants en matière de prévention et quand un épidémiologiste fait un dossier pour demander 40 000 euros, il a parfois plus de difficultés à les obtenir que lorsqu'il s'agit de financer une campagne télévisée.
La question de la santé environnementale est peu connue des milieux hospitaliers. Au sein de l'InVS, une cinquantaine de personnes travaille sur cette thématique. Nous travaillons sur les intoxications au monoxyde de carbone, sur le saturnisme, mais aussi sur l'exposition à la pollution atmosphérique dont nous estimons qu'elle est cause de 40 000 décès chaque année. Nous élaborons des matrices sur les milieux de vie et la mortalité et nous déclinons les outils de recherche de l'Inserm afin de les adapter à la surveillance. Nous développons une capacité d'interprétation que nous mettons au service des régions et des départements.
Pour moi, le principal risque environnemental à l'heure actuelle est celui lié aux sols pollués. Le directeur général de la santé nous a demandé combien d'études de sols pollués nous avons fait au cours des cinq dernières années. Il y en a une centaine. La question est maintenant aux mains des ARS et des préfectures mais je souhaite que nous nous penchions sur les suites qui ont été données à ces études.
En matière de santé au travail, nous avons également une équipe d'une cinquantaine de personnes. C'est une vraie force de frappe.
Nous n'avons pas malheureusement d'équipe dédiée à la prévention comme il en existe sur la santé environnementale et le travail.
La lecture de l'ordre du jour qui prévoit l'audition du futur directeur de la nouvelle agence de santé publique et du futur directeur général de l'Anses me conduit à penser qu'il y a encore trop d'étanchéité dans le traitement des questions. Pendant plusieurs années j'ai été rapporteure d'une mission budgétaire intitulée « veille et sécurité sanitaire ». J'ai constaté la multiplicité et le cloisonnement des approches des différents ministères agriculture, santé, travail et des différentes agences créées au fil du temps.
Nous n'avons pas de culture de la prévention pourtant elle existe en matière d'épidémies animales. Le mandat sanitaire qui permet aux préfets de mobiliser les vétérinaires libéraux fonctionne, même s'il est très mal rémunéré, parce qu'il est obligatoire. Or il n'est pas possible de faire la même chose avec les médecins. Je pense qu'il faut développer la veille et la sécurité animale et l'intégrer à la culture de la prévention que l'on veut développer. Tout cela doit relever de la santé publique même si cela froisse des cultures ou des lobbies.
Le projet de loi travail bascule la médecine du travail d'une logique de réparation à une logique de prévention et cela suscite un tollé des corporatismes. Il est normal que chacun défende sa place, mais il faut aussi des actes pour mettre en oeuvre une véritable prévention et, bien sûr, mettre les budgets en face.
J'ai parlé de la prévention en santé animale mais le même problème se pose aussi dans d'autres secteurs. Les efforts de prévention sont nettement insuffisants dans le domaine de la petite enfance, or c'est au plus jeune âge que se prennent les habitudes de santé.
Je suis extrêmement soucieux de faire en sorte que les agences de sécurité sanitaires travaillent ensemble. Nous avons tous les mois des réunions avec l'Anses. Nous avons également une excellente capacité de travail avec le ministère de l'agriculture notamment pour la gestion des crises en matière de santé animale.
A l'occasion de mon rapport sur la mission Santé du budget pour 2016, j'ai salué le maintien des moyens alloués aux agences qui sont désormais regroupées. Mais ces budgets avaient baissé au cours des années précédentes.
La nouvelle agence sera tournée vers la population et je pense que c'est une bonne chose. S'agissant de la prévention, je pense qu'elle ne peut fonctionner qu'avec la coopération des citoyens et qu'il faut donc susciter leur adhésion. Je constate notamment qu'il y a une remise en cause sans précédent de la vaccination.
Vous avez indiquez que vous travaillez avec l'ordre des pharmaciens. Travaillez-vous aussi avec les groupements de pharmaciens qui se mobilisent depuis des années sur les questions de prévention ?
Je suis convaincu que pour faire bouger les perceptions et les comportements au sein de la population, l'agence doit entrer dans le débat et faire face aux controverses sans se draper dans la science. Il n'est pas normal qu'aucun site de référence public n'arrive parmi les premiers résultats des moteurs de recherche sur les questions de santé. Surtout, il faut être transparent et ne pas donner l'impression que l'on cache des choses à la population, notamment en matière de vaccins. Pour prendre en compte ces questions, la société sera représentée au sein du conseil d'administration de l'agence et nous organiserons des colloques auxquels nous souhaitons associer les parlementaires.
Nous travaillons avec l'ordre des pharmaciens au travers de son comité d'éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française (Cespharm). C'est dans ce cadre que nous travaillons aussi avec les groupements de pharmaciens. La présidente de l'ordre estime important que les pharmaciens puissent souligner leur rôle en matière de santé publique. Elle a décidé de mettre en place un programme de formation aux messages de santé publique. C'est très important car les pharmaciens sont présents sur l'ensemble du territoire et la population leur fait confiance.
Comment entendez-vous peser au niveau européen ? Il me semble par ailleurs que les maisons de santé pluridisciplinaires peuvent être un canal efficace de diffusion de l'information.
Nous travaillons beaucoup avec l'Europe et avec l'ECDC qui est l'agence européenne basée à Stockholm. La France assure également le secrétariat général de l'instance qui regroupe les agences de santé publique des pays européens. Nous avons ainsi eu, il y a un mois, une réunion sur le virus Zika et sur la manière de protéger les populations.
Comme vous le soulignez, les maisons de santé pluridisciplinaires sont un relai important pour nous.
Je préside le groupe d'amitié France-Brésil et j'ai participé au déplacement de notre commission à La Réunion, précédé d'une visite à l'Institut Pasteur. Sur le virus Zika, comment informer les populations des risques et faire reculer les vecteurs ? Par ailleurs, sur la vaccination qui a constitué un progrès extraordinaire, il y a aujourd'hui une grande défiance. Elle est alimentée en partie par le fait qu'il n'y a que trois vaccins obligatoires pour les plus jeunes enfants. Or les parents se trouvent obligés d'acheter des vaccins avec un nombre de valence supérieurs en raison de ruptures de stocks qui paraissent plus ou moins organisées. Il est indispensable de pouvoir fournir une information objective, mais aussi d'assurer la disponibilité de vaccins qui correspondent strictement à l'obligation légale.
Zika, la dengue et le chikungunya sont les trois arbovirus qui menacent en ce moment la population. Afin d'éviter qu'une épidémie ne survienne en métropole, nous devons suivre chaque cas suspect. C'est ce que nous avons fait à Nîmes l'année dernière pour éviter la propagation de la dengue. Nous avons conduit 1 500 investigations durant l'été.
S'agissant de la vaccination, j'avais l'habitude de dire à mes étudiants que le débat est entre l'obligation et la recommandation. La plupart des pays n'ont que la recommandation. La France a les deux. Or l'obligation porte sur des maladies qui ont quasiment disparu en France et les recommandations portent parfois sur des vaccins beaucoup plus importants en matière de santé publique. Il faudra un jour sortir de l'ambiguïté et dire clairement les choses. Aujourd'hui certains arguent de l'obligation pour se limiter à elle.
La Réunion est frappée par l'épidémie d'obésité et toutes les conséquences en matière de santé publique qu'elle entraîne. Quelle est le regard de l'agence sur cette question ?
Sur la vaccination, n'est-ce pas le schéma vaccinal qui est à revoir ? Sur la médecine du travail, il y avait auparavant un tiers du temps médical qui devait être consacré à la prévention. Aujourd'hui, ce temps s'est réduit et il faut l'augmenter. Mais on ne peut dissocier prévention et réparation car certains postes de travail sont source de maladies professionnelles ou d'accidents du travail.
Sur l'obésité, nous suivons malheureusement la route des Etats-Unis où 40 % de la population est obèse. L'InVS a déjà conduit deux programmes d'étude sur cette question. Le troisième volet doit être lancé en 2017 et comprendre une déclinaison outre-mer. Je dois cependant vous indiquer que cette étude doit nous coûter, hors frais de personnel, un million d'euro et qu'en raison des restrictions budgétaires, il nous est difficile de les trouver.
Sur la vaccination, il faut sans doute interroger le schéma vaccinal. Maintenant que le CTV va être intégré à la HAS et qu'une conférence citoyenne doit se tenir, nous allons pouvoir reconstruire la politique publique en matière vaccinale.
En matière de médecine du travail, il faut distinguer exposition et prévention. Par nature, le milieu de travail est un milieu d'expositions et c'est le rôle du médecin du travail que de limiter leur effet. Il nous faut une meilleure connaissance des risques liés aux expositions et par ailleurs développer des moyens de prévention.
Mes chers collègues, nous procédons maintenant, toujours à la demande du Gouvernement, à l'audition de M. Roger Genet, candidat pressenti à la direction générale de l'agence nationale de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
L'Anses est issue de la fusion en 2010 de deux agences, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset). Cette fusion, que nous avions approuvée, dans le cadre de la loi HPST était porteuse de nombreux défis. Le premier était d'intégrer les problématiques liées au travail dans un ensemble bien plus vaste sans pour autant qu'elles soient négligées. Le second était d'établir une véritable crédibilité scientifique en matière de sécurité alimentaire et environnementale dans un contexte de forte contestation de la parole publique par les associations et les citoyens. Six ans après on peut considérer que ces deux objectifs sont atteints et que l'Anses parvient à exercer l'ensemble des compétences qui lui sont confiées avec une expertise scientifique reconnue. Il faut y voir je pense l'implication des personnels et des experts de l'agence mais aussi l'important travail fait par Marc Mortureux, son premier directeur général.
L'Anses doit néanmoins faire face à des défis constants, trouver les meilleurs experts sur de multiples sujets tout en rendant des avis dans des délais raisonnables et gérer les demandes des cinq ministères de tutelle notamment. Nous avions également souhaité ajouter la possibilité de saisine de l'Anses par le Parlement mais le Gouvernement s'y montre pour le moment défavorable.
M. Roger Genet est depuis quatre ans directeur général de la recherche et de l'innovation au ministère de l'enseignement et de la recherche. Il a auparavant exercé au Commissariat à l'énergie atomique, notamment dans la branche sciences du vivant, puis dans plusieurs organismes rattachés au ministère de l'agriculture.
Plusieurs sujets que vous serez amené à piloter à la tête de l'Anses nous intéressent particulièrement au regard de notre actualité législative récente et à venir. En effet, l'Anses a rendu un avis sur l'étiquetage nutritionnel des aliments, pensez-vous qu'elle doive s'investir plus avant sur la question de l'information des consommateurs en matière de produits alimentaires ? Par ailleurs pourriez-vous nous dire quelles sont vos orientations en matière de santé au travail ? Enfin quels sont les axes qui vous paraissent prioritaire en matière de santé environnementale ? Je rappelle que l'Anses assume depuis 2015 la responsabilité d'autoriser la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et des fertilisants. Je vous donne la parole.
Monsieur le président, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, je me réjouis que ma candidature à la direction de l'Anses qui vous est proposée par le Président de la République et le Gouvernement me donne l'occasion d'être entendu par votre commission. Celle-ci a d'ailleurs produit de nombreux travaux sur la modernisation de notre système de santé, la prévention des risques sanitaires et le rôle des agences sanitaires, mais également sur la prévention des conflits d'intérêt en matière d'expertise sanitaire. J'ai moi-même, au cours de ces dernières années, travaillé sur les sujets de l'expertise scientifique et de la déontologie des chercheurs, dans les différentes fonctions qui ont été les miennes ; j'y reviendrai dans le cadre de mon propos.
Directeur général de la recherche et de l'innovation au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche depuis mars 2012, j'ai acquis au cours des dix dernières années une assez large expérience des politiques publiques, du management et de la gestion d'établissements publics à vocation de recherche et d'expertise, dans les domaines de la santé, de l'agriculture et de l'environnement. Mais c'est sur la recherche scientifique que se fonde ma candidature à l'Anses, ainsi que tout mon parcours. Biochimiste et enzymologiste, directeur de recherche à la direction des sciences du vivant du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), c'est à la recherche scientifique et à l'enseignement que j'ai consacré les premières années de ma carrière professionnelle. Pendant plus de vingt ans, j'ai conduit des recherches sur l'utilisation des traceurs moléculaires en biologie et en médecine, la pharmacologie des hormones peptidiques et l'étude de la biosynthèse des antibiotiques microbiens, qui ont fait l'objet de plus d'une trentaine de publications dans des revues internationales. Responsable de laboratoire puis de département, je me suis également fortement impliqué tout au long de ces années dans des activités d'enseignement, notamment en qualité de Professeur à l'Institut national des sciences et techniques nucléaires et co-responsable d'un master en biochimie à l'Université Paris sud.
À l'issue de cette expérience de chercheur et d'enseignant, mon parcours s'est orienté à partir de 2005 vers les politiques publiques de recherche. Tout d'abord, conseiller pour les sciences du vivant, la santé et la bioéthique au cabinet des ministres chargés de la recherche de 2005 à 2007, je me suis impliqué personnellement sur nombre de dossiers à l'interface entre recherche et expertise scientifique : la mise en oeuvre des volets recherche des premiers plans nationaux santé-environnement et santé au travail, lancés en 2004, ou la gestion, pour la partie recherche, des crises sanitaires de grippe aviaire et de chikungunya en 2006, en lien étroit avec l'InVS, l'Afssa et les organismes de recherche concernés. J'ai rejoint le CEA en mars 2007, en tant que directeur-adjoint des sciences du vivant et directeur du centre de recherche de Fontenay-aux-Roses, dont les équipes ont notamment travaillé sur l'encéphalopathie spongiforme bovine, avant d'être nommé par le Gouvernement à la tête du Cemagref en février 2009.
Le Cemagref, aujourd'hui Irstea, est un établissement qui, par ses missions qui ont grandement évolué depuis sa création, est au coeur des politiques agro-environnementales et des enjeux de santé environnementale. Premier opérateur public de recherche sur l'eau, il est un acteur clé de la mise en oeuvre de la directive cadre européenne sur l'eau. L'action que j'ai menée au cours de mon mandat a principalement porté sur trois axes : le premier concernait la promotion de l'excellence scientifique, car je suis profondément convaincu qu'il ne peut y avoir d'expertise qui ne se fonde sur une recherche au meilleur niveau international. Le second axe entendait affirmer le lien entre recherche et appui aux politiques publiques dans trois domaines clés : la gestion de l'eau, des territoires et les écotechnologies. En effet, Irstea dispose d'une réelle capacité à mobiliser des chercheurs de premier plan en tant qu'experts scientifiques dans un large spectre de compétences. Enfin, le troisième axe avait pour ambition d'accroître la reconnaissance de l'Institut, par son intégration dans les réseaux au plans national, européen et international afin d'accroître sa reconnaissance externe et sa notoriété. C'est pour bien marquer ce positionnement que j'ai proposé le changement de nom de l'institut qui est devenu en novembre 2011, soit trente ans après sa fondation, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture, dont j'ai été le premier président exécutif en 2012. Durant toutes ces années, la mobilisation de l'expertise scientifique, une expertise transparente, indépendante et au plus haut niveau scientifique international, est devenue pour moi une question clé. Cette réflexion s'est concrétisée par la rédaction d'une « charte nationale de l'expertise scientifique », dans le cadre de la mission qui m'a été confiée conjointement avec le président-directeur général d'Ifremer, M. Jean-Yves Perrot, suite au Grenelle de l'environnement, par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cette charte a été adoptée par l'ensemble des organismes de recherche et universités en 2011. Cette réflexion globale sur un large champ de recherche et d'expertise englobant la santé, l'alimentation, l'eau, l'agriculture, la biodiversité, l'environnement et les territoires, nous a convaincu de la dispersion des multiples acteurs de ces domaines qui contrastait, notamment, avec le regroupement constaté dans le domaine de la santé. C'est de ce constat qu'est née l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi) qui regroupe l'ensemble des acteurs français de la recherche sur l'eau, l'alimentation et les territoires, une alliance constituée aujourd'hui de plus de vingt-sept membres, soit douze membres fondateurs et quinze membres associés, organismes de recherche, écoles, universités, agences sanitaires, qui m'ont fait l'honneur de m'en confier la première présidence, de février 2010 à mars 2012.
En charge de la direction générale de la recherche et de l'innovation depuis 2012, j'ai oeuvré tout au long de ces quatre années à mettre en oeuvre ce rôle d'«État stratège » dont la définition nous a été rappelée par le Président de la République, je le cite : « donner le cap, fixer les priorités, créer un environnement favorable, faire émerger et encourager les initiatives, accompagner les actions, faire réussir les acteurs ». Loin d'être dans une vision descendante de l'État, cette stratégie vise plutôt à coordonner et à responsabiliser les acteurs. C'est là l'objectif que je me suis efforcé d'atteindre : donner du sens et de la cohérence à nos politiques, donner le cap, comme le souligne d'ailleurs le sens de la stratégie nationale de recherche inscrite dans la loi pour l'enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013 portée par la ministre Geneviève Fioraso, qui nous a permis d'inscrire dans le code de la recherche les missions des chercheurs en matière d'expertise et d'appui aux politiques publiques. Ces termes-là figurent ainsi dans le code de la recherche, ce qui n'était pas le cas auparavant. Après quatre années à la tête d'une administration centrale, j'aspire donc aujourd'hui à retrouver une mission opérationnelle où l'expérience que j'ai acquise puisse être mobilisée utilement au bénéfice du service public, et c'est ainsi que j'ai « naturellement » présenté ma candidature à la direction de l'Anses. J'ai d'ailleurs interrogé M. Marc Mortureux, pour lequel j'ai beaucoup de respect, sur ma démarche.
Je connais bien l'Anses - le directeur général de la recherche et de l'innovation est d'ailleurs membre de droit de son conseil d'administration -, et j'ai suivi de près, au titre de mes différentes fonctions sa création, son évolution et les enjeux que l'Agence a eu à relever. J'ai été également été frappé par le travail accompli par Marc Mortureux, qui était le grand architecte de cette fusion, et ses équipes pour créer une agence d'excellence d'appui à la décision publique en matière de prévention des risques sanitaires, dans un véritable projet commun. L'Anses est une réussite, vous l'avez dit Monsieur le président, qui repose sur une synergie entre les équipes, - celle de l'Afssa comprenait 1300 personnes et celle de l'Afsset 150 - et une synergie aussi entre les missions d'évaluation des risques, d'évaluation des produits, des vigilances, des missions de recherche et de référence. Cela fait de l'Anses la plus grande agence de sécurité sanitaire en Europe par son champ de compétence, ce qui constitue indéniablement un progrès en matière de sécurité sanitaire sur cinq domaines clés que sont l'alimentation et la nutrition, la santé et le bien-être des animaux, la santé du végétal, la santé environnementale et enfin, la santé au travail. Ces cinq domaines recoupent d'ailleurs ceux de quatre agences européennes, à savoir l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), l'Agence européenne des produits chimiques (Echa), qui a pour mission d'assurer la mise en oeuvre de la directive Reach, l'Agence européenne des médicaments (EMA) ainsi que l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA).
Le champ de compétence de l'Agence, depuis sa création en 2010, s'est encore élargi depuis sa création, par des transferts de compétences successifs des ministères, à l'instar du transfert du laboratoire national de protection des végétaux du ministère de l'agriculture en 2011, du transfert de la délivrance des AMM des produits phytosanitaires, ainsi que celui de la phytopharmacovigilance, en 2015, en application de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt intervenu en octobre 2014, et, enfin, le pilotage de la toxicovigilance de l'InVS, en application de la loi de modernisation du système de santé au 1er janvier 2016. En outre, l'Anses aura à gérer, le 1er juillet prochain, la délivrance des autorisations de mise sur le marché des biocides du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer.
Aujourd'hui, l'Anses rassemble 1.350 personnes, dont 70 % de femmes, et onze laboratoires répartis sur tout le territoire, au plus près des activités de terrain, des lieux d'élevage ou de culture, pour recueillir des données précises indispensables pour faire progresser les connaissances scientifiques actuelles et éclairer la décision publique au travers de ses trois métiers. Ceux-ci concernent d'une part l'évaluation scientifique des risques sanitaires, d'autre part la délivrance - et aussi le retrait par conséquent - des autorisations de mise sur le marché des produits réglementés -médicaments vétérinaires et produits phyto-, et enfin la référence et la recherche, au travers de son réseau de laboratoires qui regroupent près de 700 personnes, soit 50 % des personnels de l'Agence.
Je suis persuadé que cette vision très intégrative de l'Agence fait aujourd'hui sa force et fonde sa capacité à émettre des avis et des recommandations utiles aux décideurs publics. L'ampleur du champ de compétence de l'Anses lui permet de développer une approche transversale des risques, tenant compte pour chaque type de risque de l'ensemble des sources d'exposition auxquelles un même individu peut être soumis, que ce soit au travail ou dans son environnement. Une telle réalité confère à son directeur une responsabilité toute particulière que j'entends pleinement assumer, si vous m'accordez votre confiance, qui est d'éclairer en toute indépendance le débat et la décision publique sur la base de connaissances fondées scientifiquement. Cela implique à la fois de donner une information totale, non seulement de ce que l'on sait, mais surtout des limites de la certitude scientifique, dont la connaissance est également nécessaire à la décision publique éclairée. L'actualité législative, avec notamment le projet de loi de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, et le débat sur les néonicotinoïdes nous le rappelle encore aujourd'hui. J'ai compris d'ailleurs que l'Agence serait fortement questionnée sur les points relatifs aux produits de substitution. J'attends d'ailleurs la fin des débats parlementaires sur ce point et je ne suis pas naturellement en mesure de vous répondre sur ces questions, puisque je ne suis pas encore à l'Agence, mais, dès que je serai entré en fonction, je serai en mesure de le faire.
Par ailleurs, vous me questionniez, Monsieur le président, sur mes priorités en matière de santé environnementale. Je ne vais pas vous répondre en égrenant une liste de priorités. Il n'est pas un matin où l'on n'entende à la radio évoquer des sujets qui entrent dans le champ d'expertise de l'Anses et qui sont prioritaires pour nos concitoyens : hier c'était le moustique tigre dans le sud-ouest de la France, vecteur de maladies transmissibles, lundi, les élevages de canard face à l'épizootie de grippe aviaire, la semaine dernière l'asthme et la question de la qualité de l'air et des pollens. Tous les jours, un sujet survient ! Nous pourrions parler des critères d'identification des perturbateurs endocriniens, sur lesquels l'Inserm vient de publier une étude, de l'évaluation des substances toxiques dans le cadre du règlement Reach, des travaux de veille sur le bisphénol A. C'est dire si en matière de santé environnementale les priorités sont difficiles à définir dans ce domaine dont chacun des points est essentiel à nos concitoyens !
Dès 2012, le Sénat s'est saisi de la question de l'impact des pesticides sur la santé, en particulier sur celle des agriculteurs eux-mêmes, au travers de la mission d'information présidée par Mme Sophie Primas et rapportée par Mme Nicole Bonnefoy. L'Agence rendra d'ailleurs un avis dans quelques semaines sur l'exposition des travailleurs agricoles aux pesticides, dont une part de l'expertise tient aux experts de l'Irstea. En outre, de nombreuses propositions du rapport ont d'ailleurs été reprises, telle que le dispositif de phytopharmacovigilance, confié à l'Anses dans le cadre de la loi d'avenir sur l'agriculture.
Je prends donc la pleine mesure des enjeux qui seront les miens, d'autant que le champ de compétence de l'Agence s'est élargi à la gestion de la pharmacovigilance et au pilotage de la toxicovigilance. La mise en oeuvre de ces dispositifs sera donc ma première priorité. Il faut ainsi coordonner les réseaux, au niveau national, qui seront capables de conduire ces actions. Croyez bien que je serais très attaché à ce que l'Agence exerce la même vigilance et la même rigueur en matière d'autorisation de mise sur le marché comme de retrait du marché des produits, lorsque cette démarche est justifiée par de nouvelles informations scientifiques.
L'Anses c'est aussi une réussite par son mode de gouvernance très ouvert, que l'on doit largement à mon prédécesseur, et la mise en oeuvre d'une concertation la plus large avec l'ensemble des acteurs concernés : les partenaires sociaux, les organisations professionnelles, les organisations non gouvernementales, les associations de consommateurs, ainsi que les cinq ministères de tutelle.
Elle peut être saisie par l'État, mais aussi par les acteurs de la société civile que sont les organisations non gouvernementales, les associations ainsi que les partenaires sociaux. Cette ouverture, tout comme la mise en oeuvre de la loi d'avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise et à la protection des lanceurs d'alerte, permet d'intégrer les préoccupations de tous les acteurs et citoyens et de mieux détecter les signaux faibles, et est de fait le gage que nous prendrons bien en compte tous les risques qui méritent d'être évalués par l'Agence.
En matière de santé au travail notamment, sur laquelle portait votre deuxième question, j'estime que l'Anses doit jouer un rôle clé dans la mise en oeuvre nouveau Plan Santé au travail 2016-2020, présenté par la ministre du travail et de l'emploi en décembre dernier. Ce troisième plan, qui représente un budget annuel d'environ cinq millions d'euros, met nettement l'accent sur la prévention, pour anticiper les risques professionnels et garantir la bonne santé des salariés et la qualité de vie au travail. Cette démarche implique un dialogue de qualité avec les partenaires sociaux et toutes les parties prenantes.
Je note que l'Agence a notamment été saisie par une organisation syndicale. Deux avis sont ainsi en cours : l'un sur les travailleurs exposés au bitume et l'autre sur le travail en horaires atypiques et décalés, mais l'Agence s'est également autosaisie sur les conditions de travail des égoutiers. Ce sont là des questions qui impliquent une réflexion réellement transversale des sciences humaines et sociales. En outre, vous savez sans doute que l'agence anime le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) qui permet de recueillir auprès des centres hospitaliers des informations sur certains risques professionnels sur lesquels nous pourrons ensuite décider d'engager un certain nombre de travaux.
Cette ouverture à la société civile est donc pour moi une caractéristique fondamentale de l'agence. Je souhaite poursuivre dans cette voie notamment au travers des nombreux espaces d'échange et de comités de dialogue qui ont été instaurés, mais aussi par une attention particulière aux remontées de l'ensemble des acteurs, tout en veillant au respect du rôle de chacun. En outre, je veillerai bien entendu à maintenir une relation fructueuse et constructive avec chacun des cinq ministères de tutelle, afin que l'Agence remplisse pleinement son rôle d'appui aux politiques publiques, dans le respect de son indépendance et conformément au décret qui a présidé à sa fondation.
Assurer cette indépendance et maintenir son niveau d'excellence, tels sont les points-clés me semble-t-il de la mission du directeur général de l'Anses prévue par le législateur. Pour atteindre cet objectif, mon prédécesseur a mis en place un processus d'évaluation des risques basé sur une expertise collective et contradictoire dont l'indépendance est très strictement protégée de tout risque d'influence d'intérêts particuliers, avec une très forte culture interne de remise en question permanente de ses pratiques et de refus de l'accoutumance, une traçabilité et la prise en compte des avis minoritaires. L'Agence s'est d'ailleurs dotée d'un cadre déontologique renforcé : un code de déontologie de l'expertise, adopté en novembre 2012, et un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêt. Le scandale du Mediator, les évènements qui régulièrement défrayent encore la chronique montrent à quel point que rien n'est jamais acquis et que la vigilance est de rigueur. L'indépendance de l'expertise doit en effet être une préoccupation constante et faire l'objet d'une vigilance de tous les instants.
J'ai été, avec d'autres, à l'origine de la charte nationale de l'expertise scientifique et je sais que le respect des procédures, mêmes extrêmement strictes, est un effort de tous les jours. Il ne faut jamais laisser ni un expert ni un agent interne seul face aux questions de déontologie. J'y veillerai personnellement.
En conclusion, je voudrais résumer quels seront les priorités de mon mandat si vous me faites l'honneur de m'accorder votre confiance pour diriger l'Agence, sur cinq axes. Le premier consiste à renforcer et maintenir la crédibilité de l'Agence et son indépendance, à la fois par l'excellence de son expertise et de sa recherche, la transparence de ses méthodologies et de ses processus décisionnels, et en confortant l'organisation mise en place depuis 2015 reposant sur des processus extrêmement rigoureux. C'est là une condition sine qua non pour restaurer la confiance de nos concitoyens en matière de sécurité sanitaire.
Le deuxième axe consiste à maintenir le haut niveau d'expertise scientifique, que nous avons réussi à obtenir dans le champ de l'Anses, et ceci dans le contexte budgétaire contraint que connaissent l'État et ses opérateurs. Il nous faut, d'une part, par une politique ciblée de soutien à la recherche et d'investissement, permettre aux laboratoires de l'Anses de développer leur rôle de référence de se doter de moyens technologiques au meilleur niveau. D'autre part, il importe de maintenir le très haut niveau d'expertise scientifique des collectifs d'experts, - au nombre de 800 cette année et de 1000 en 2015 - par une politique de recrutement permettant d'attirer et de renouveler les talents, dans le respect des règles extrêmement strictes mises en place pour prévenir les conflits d'intérêts.
Le troisième axe vise à définir une stratégie scientifique qui permette de mieux anticiper les risques émergents et de détecter les signaux faibles, pour orienter non seulement les travaux de l'Agence, mais également les travaux des autres opérateurs de recherche dans le cadre de la mission d'animation du réseau des organismes publics - le réseau R31 - que prévoit le décret de l'Agence. De ce point de vue, l'accès libre aux données de la recherche, à savoir l'open data, est un enjeu considérable qui doit permettre à l'Agence, qui ne dispose pas des moyens suffisants pour conduire ou financer des programmes de recherche ou d'évaluation sur l'ensemble des questions que les travaux de prospective ont identifié, pour obtenir les résultats des recherches notamment intermédiaires. La création de la nouvelle Agence nationale de santé publique sera aussi l'occasion de mieux préciser le rôle de chacun. Il est indispensable de se coordonner avec les autres agences de financement de la recherche en santé publique pour couvrir l'ensemble des champs et mieux se structurer au niveau européen. Nous avions d'ailleurs lancé une initiative pour mutualiser, sur un portail européen, l'ensemble des appels à projets dans le champ de la santé et l'Agence nationale de la recherche a ouvert ce portail. C'est là un enjeu majeur dans le champ de la santé et de l'expertise sanitaire où se trouvent de nombreux financeurs, au-delà des Ministère de la santé et de la recherche, mais aussi l'Inserm, l'Agence de biomédecine ou encore l'Anses. Les choix stratégiques qui seront opérés doivent permettre de nous donner un temps d'avance, afin d'assurer une grande réactivité de l'Agence en cas de crise. L'Agence doit être performante au quotidien et savoir se mobiliser d'urgence en cas de crise. Ce temps différent doit absolument être géré, non seulement au sein de nos propres laboratoires, mais dans leur interaction avec d'autres organismes, comme l'Inra ou encore l'Inserm. Les alliances de recherche nous donnent, me semble-t-il, ce temps de réaction rapide.
Le quatrième axe concerne le renforcement de l'ouverture de l'Agence et du dialogue avec les parties prenantes et la société, au sein des instances de l'Agence, mais aussi en contribuant au débat public sur les domaines de compétence de l'Agence en le nourrissant d'informations scientifiques de référence. Monsieur le président, votre première question portait au-delà de la question de l'étiquetage des produits alimentaires, sur l'information des consommateurs. Je considère que l'Agence doit plus et mieux communiquer vers un public le plus large possible sur la base de ses travaux scientifiques. Elle se doit d'être proactive et de proposer à ses tutelles d'être une instance d'information et de formation du public, en l'informant totalement sur les connaissances et ce qui fonde aujourd'hui la décision publique. C'est le gage de la transparence que de savoir communiquer. Le point commun des sujets sanitaires est d'être de forte incertitude et d'être marqués par un manque de connaissances scientifiques. Au-delà du principe de précaution en vigueur dans le débat public où la visibilité est extrêmement faible et dont le principe même constitutionnel est mal compris, il serait plutôt utile de débattre de la question des risques et des incertitudes qui se retrouvent dans de nombreuses occurrences de la vie quotidienne. Il n'y a pas de risque zéro.
Enfin, le cinquième axe vise à gagner en visibilité et en reconnaissance, et se développer au niveau européen et international, pour mieux peser sur les normes, les standards et référentiels, et sur les décisions prises au niveau communautaire et au niveau des échanges mondiaux. L'Agence conduit une politique très active au niveau international et représente un modèle qui intéresse beaucoup nos partenaires en Europe et au-delà. Elle a, cette année, signé deux accords avec l'Inde et l'Italie, et une cartographie européenne est en cours. Notre agence est encore récente et il est indispensable qu'elle gagne en crédibilité et en notoriété. Dans les négociations en cours sur le libre-échange avec les États-Unis, le fait de pouvoir fonder notre expertise scientifique et de garantir que les avis et les décisions formulées reposent sur le socle scientifique extrêmement fort de l'Agence, doit nous permettre de renforcer notre position. Je vous remercie de votre attention.
Votre exposé est tout à fait passionnant et intéressant. Vos prédécesseurs ont été de grands directeurs qui ont beaucoup apporté et donné du relief à leur institution. J'interviendrai sur la question de l'aménagement du territoire. Le département d'Ille-et-Vilaine, en partenariat avec l'Anses et l'Afssa précédemment, a créé des laboratoires communs et le département en a assuré la maîtrise d'ouvrage. Le département a lui-même, à cette occasion, montré l'exemple, en délocalisant de Rennes à Fougères, son propre laboratoire d'analyse agricole. Dans la foulée s'est créé un pôle de santé consacré au médicament de santé animale qui a amorcé un développement dans son giron. La réussite d'une telle initiative démontre qu'on peut réaliser de l'aménagement dès lors qu'on en a la volonté. L'exemple de l'Anses devrait ainsi être suivi par d'autres institutions qui pourraient dès lors s'installer dans les régions plutôt que de rester à Paris où les loyers sont si chers et les communications si difficiles. Cependant, un rapport présenté, il y a sept ou huit ans, par l'Inspection générale préconisait de ramener vers Maisons-Alfort ce laboratoire. Il faut également rappeler que les aides ont été importantes et que l'Anses doit au département une location qui doit s'étaler sur une quinzaine d'années. Lorsque vous serez directeur, serez-vous toujours animé des mêmes bonnes intentions de conserver dans nos territoires des laboratoires de cette importance qui leur donnent véritablement de la vitalité économique ?
Monsieur le directeur, il y a quelques années je vous aurais interrogé sur la multitude d'agences créées sur le long terme, mais vous nous avez rassurés en nous indiquant la méthode que vous aviez suivie pour en réduire le nombre et oeuvrer en faveur de plus de cohérence. Ma première question concerne le flux extrêmement rapide de l'information, notamment via le réseau internet, qui vient contrecarrer certaines positions définitives dans un secteur aussi sensible dans notre pays que l'alimentation. Ma seconde question concernera la perception depuis les territoires et par les citoyens d'agences comme la vôtre. Lorsqu'on se trouve à quelque 700 kilomètres de Paris, les agences ne sont pas perçues comme elles devraient l'être par les citoyens. Il y a là un problème de communication puisque l'Agence relaie ses messages par les grands quotidiens parisiens et semble ignorer les médias régionaux et locaux. Dans quelle mesure pouvez-vous, par des relais régionaux, voire infrarégionaux, faire en sorte que les travaux de l'Agence soient portés au plus près des citoyens ? Une telle démarche permettrait de gagner en crédibilité et d'infirmer ce qui circule sur internet.
Merci pour cet exposé aussi passionné que passionnant. Certes, celui-ci présente de réelles ambitions pour l'Agence. En tant que membre du conseil d'administration de l'Agence nationale de sécurité du médicament, qui a également nombre d'ambitions, j'ai pu constater que les budgets ont globalement été baissés, alors que les compétences des agences ne cessent de s'accroître et que le nombre des problèmes, auxquels il leur faut répondre, ne cesse de croître. Compte tenu de ces diminutions, pensez-vous possible de réaliser les objectifs que vous vous êtes, à juste titre, assignés et que nous soutenons obligatoirement ?
Ma seconde question concernera le glyphosate. La Ministre de l'écologie a marqué sa volonté de l'interdire. Un sondage de l'Ifop précise également que près de 70 % des Français sont contre le renouvellement de son autorisation. Comme j'ai entendu votre volonté d'améliorer l'expertise scientifique de l'Anses, je souhaitais connaître votre position sur cette substance nocive s'il en est, puisque l'homologue allemand de votre agence n'a pas rendu les mêmes conclusions à son sujet. A la veille de votre nomination, quelle est votre position sur cette question ?
Je souscris aux éloges de ma collègue sur votre exposé. Parmi les très nombreux sujets, j'en évoquerai deux. Le premier sujet concerne le risque d'un affaiblissement des normes suite à la conclusion d'un éventuel accord de libre-échange transatlantique, même si le Président de la République a rappelé hier que les conditions n'étaient pas remplies pour que la France donne un avis favorable à sa signature.
Je souhaite aussi évoquer la sécurité nucléaire. La France dispose d'une grande densité de centrales nucléaires sur son territoire. La sécurité nucléaire concerne à la fois les salariés de l'industrie nucléaire et la population située à proximité des centrales. L'Agence joue-t-elle un rôle dans ce domaine ? S'agissant de la distribution de pastilles d'iode, des pays voisins viennent de décider de l'étendre à l'ensemble de leur population. En France, elle n'est prévue qu'à proximité des centrales, mais j'ai cru comprendre que la ministre de l'environnement envisageait de l'élargir. Quel est votre regard sur cette question ?
Disposez-vous des moyens nécessaires pour que vos experts travaillent en toute indépendance, compte tenu de la baisse de votre budget ? Par ailleurs, vous préoccupez-vous de la déclinaison économique des recherches, c'est-à-dire de l'innovation ?
Comme élu de La Réunion, ma question portera sur l'alimentation. Depuis 2009, des échanges ont été noués avec les industriels fabriquant des aliments distribués en outre-mer et présentant une teneur plus élevée en sucre. Nous avons atteint depuis cette date le stade de l'inacceptable. Les populations domiennes ont eu le sentiment d'avoir été traitées comme des cobayes. Il a fallu attendre 2013, après plusieurs plans nutritionnels annuels et une série de dialogues à l'issue nulle, pour que le Parlement légifère, avec la loi sur la sécurité et la qualité de l'offre alimentaire outre-mer. Force est de constater que, depuis lors, les textes nécessaires à la pleine application de cette loi n'ont toujours pas été édictés. Une catastrophe humaine est d'ores et déjà annoncée. Les responsabilités qui sont les nôtres sont grandes. Serez-vous vigilant sur cette affaire dans un contexte où les lobbys n'ont jamais été aussi efficaces ? Je vous lance un SOS et donnez-moi la garantie que vous garderez vos yeux grands ouverts sur cette question de santé éminemment grave !
Monsieur le directeur, votre parcours scientifique et professionnel vous permet certainement d'assumer vos fonctions de manière pertinente et efficace. Comment comptez-vous influencer l'Agence européenne ? Je sais bien que les principales décisions relèvent de la concertation entre chefs d'états et de gouvernement ou du niveau ministériel et que certaines molécules interdites en France peuvent être autorisées dans nos pays voisins. Vous avez évoqué le cas des substances néonicotinoïdes. Comment ces substances vont-elles être interdites dans toute l'Europe, car si elles ne le sont qu'en France, une telle situation ne manquera pas de pénaliser nos agriculteurs par rapport à leurs homologues européens !
Vous avez évoqué la question des perturbateurs endocriniens. On connaît la situation bloquée au niveau de l'Union européenne, mais la France peut prendre des initiatives. Envisagez-vous, d'une part, d'encourager la recherche sur cette question, alors que les chercheurs nous alertent du manque de moyens disponibles pour la recherche dans ce domaine ? D'autre part, existe-t-il des initiatives, dans ce domaine, au sein de l'Anses ou, le cas échéant, êtes-vous prêt à les lancer ?
Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs, de vos questions.
Sur la question des territoires, même si je n'ai pas encore, par définition, de lettre de mission, je n'ai entendu de la part d'aucun des ministères concernés de demande relative aux choix d'implantation géographique. Mon prédécesseur a conduit une action visant la restructuration des laboratoires et le dispositif actuel est certainement perfectible, sur le plan de la stratégie scientifique. Mais il n'est pas question de se couper des territoires, puisque le lien avec les champs d'action et les collectivités est absolument essentiel. On voit bien dans les contrats de plan Etat-région pour la partie recherche combien le partenariat avec les collectivités territoriales est crucial. Aucune orientation ne m'a été donnée pour recentrer le dispositif à Maisons-Alfort et je tiens à vous rassurer sur ce point-là ! Certaines synergies avec d'autres opérateurs, qui assument des missions d'appui aux politiques publiques, comme Ifremer dans le Nord, peuvent être recherchées dans le domaine de la sécurité sanitaire. Nous le ferons avec mes collègues, mais dans le sens du renforcement du dialogue, de la concertation et du partenariat localement, tant avec les collectivités qu'avec les associations professionnelles et les ONG, ainsi que les associations de protection de la nature.
Sur la communication des agences sanitaires qui n'est pas toujours optimale, une meilleure cohérence a été recherchée au niveau interministériel depuis ces cinq dernières années. Celle-ci a consisté à regrouper des acteurs, en supprimant des personnalités morales, mais aussi avec des instances de coordination. Les instances du ministère de la santé sont ainsi nombreuses : la direction générale de la santé organise une réunion hebdomadaire sur la sécurité sanitaire et un comité des agences regroupe, tous les mois, les différentes agences sanitaires avec la direction générale de la santé. Ce genre d'instance permet de se coordonner au mieux pour que le message porté soit le plus cohérent possible. La communication est une question complexe pour l'Agence. La décision publique revient aux ministères qui sont les gestionnaires du risque. L'Anses n'a pas à communiquer sur les délivrances ou les retraits d'autorisation en elles-mêmes, mais sur le socle scientifique qui en est la source. Certes, les messages ne sont pas toujours très simples et passent par différents vecteurs de communication. L'Agence ne doit pas être perçue comme décisionnaire de la politique sanitaire par nos concitoyens et n'a pas, par conséquent, à se substituer à la communication des ministères qui le sont. Elle peut cependant communiquer sur ce que l'on sait, sur le socle de connaissances en vigueur, afin d'éclairer sur les modalités d'un avis portant sur des sujets émaillés d'une grande incertitude. L'Agence peut enfin intervenir dans la controverse et dans le débat public, à l'instar des organismes de recherche, en apportant des éléments qui objectivent les questions faisant l'objet du débat. Néanmoins, l'Agence a beaucoup gagné en visibilité ces dernières années et une marge de progression subsiste, en touchant désormais des publics larges. Il faut cependant aller au-devant d'eux, mais l'Agence ne peut le faire seule. Mon objectif est que l'Agence obtienne le maximum de visibilité et de reconnaissance dans les champs qui sont les siens, sans se substituer à une communication qui ne lui appartiendrait pas. Cet exercice n'est pas toujours facile.
S'agissant des moyens, au gré de mon rôle de gestionnaire de programmes, j'ai pu prendre la mesure des contraintes, s'agissant notamment de la répartition des moyens entre les différents organismes qui relèvent de ma responsabilité. Je tiens à souligner qu'aucune agence sanitaire n'est impliquée dans les programmes dont j'assure la direction en tant que directeur général de la recherche. Il n'y a donc pas de conflit d'intérêt. Bien sûr, notre budget connaît une forte tension. Il s'élève à 136 millions d'euros, en budget rectificatif, qui se répartissent en quelque 90 millions d'euros de subventions pour charges de service public, le restant provenant de ressources externes, soit de programmes de la Commission européenne ou de financement de la recherche, soit des taxes affectées ou des redevances notamment sur les dossiers d'autorisation. Le financement de l'Agence est ainsi équilibré. Il nous faut l'ajuster aux moyens que l'État acceptera de nous consentir. Plus l'État a confiance et a besoin de leurs services, plus il aura tendance à sanctuariser le budget des agences sanitaires, dans un contexte contraint dont nous mesurons tous la réalité. Comme directeur, j'ai déjà eu la responsabilité de plusieurs établissements. Il ne s'agit pas de faire pression pour obtenir davantage de moyens de l'État, mais de hiérarchiser les actions à conduire. Il faut faire des choix en fonction du budget qu'on arrive à lever. C'est vrai en matière d'investissement et de ressources humaines, ainsi qu'en termes d'appel à projet pour l'Agence. Il faut garder un équilibre sur ces différentes sources pour qu'elle soit la plus efficace possible. Vu les champs couverts, quelle serait la cible budgétaire optimale ? Cette question est sans fin. Nous ferons avec les moyens qui nous seront octroyés et la confiance réciproque nous permettra d'obtenir le plus de moyens disponibles pour assumer nos missions. Il faut être un gestionnaire éclairé et opérer les choix une fois les moyens connus. Une relation de confiance, et non une pression, doit exister entre les opérateurs publics et les ministères sur les moyens consacrés. C'est dans cet esprit que j'ai gérer les sept milliards d'euros du budget de la recherche.
Sur des questions comme le glyphosate et la nutrition, je veux vous assurer ma vigilance totale. Je ne suis ni pour ni contre le glyphosate a priori, car cette question renvoie à celle des formulations. Le glyphosate n'est pas interdit en Allemagne, mais un certain nombre de formulations le sont. Laissez-nous jouer notre rôle d'expertise et d'analyse produit par produit pour rendre un avis le plus informé possible ! La décision publique incombe, quant à elle, au ministre. Quel est le risque pour la santé humaine ? Cette question est analogue à celle des néocotinoïdes qui avaient été présentés, au moment de leur introduction, comme un bénéficie en matière de santé humaine sans avoir conscience de l'impact sur les insectes. Quel est le bénéfice-risque ? Il nous faut vous éclairer sur les conséquences de tel ou tel produit sur la santé humaine et l'impact de leurs éventuels produits de remplacement.
La question des normes est essentielle, mais elle concerne la crédibilité de la France et de l'Union européenne. Comment peut-on peser lors des négociations internationales ? Prenons l'exemple du poulet lavé avec des solutions chlorées. Pourquoi l'Europe ne l'autorise-t-elle pas alors que cela se pratique aux Etats-Unis ? La question porte-t-elle vraiment sur la toxicité des dérivés chlorés, tandis que nous mettons du chlore dans nos piscines et nos eaux de boissons. La question sous-jacente est celle de la traçabilité de la chaîne alimentaire davantage que celle de la toxicité aigüe ou chronique de tel ou tel traitement. Nos partenaires doivent comprendre que notre analyse est fondée sur des règles qui sont opposables. La crédibilité de notre expertise doit nous fournir un appui lors des négociations internationales où il s'agit de faire valoir le point de la France et de l'Europe. De ce point de vue, l'Agence peut contribuer à fournir au Gouvernement un certain nombre d'arguments, mais celle-ci n'a pas vocation à être déterminante quant à la signature d'un accord sur le libre-échange. Il nous faudra être très vigilant sur les conséquences de tels accords s'ils venaient à être signés.
Sur la question du nucléaire, je ne suis pas en mesure de vous répondre, non pas que je ne la connaisse pas du fait de mes expériences professionnelles passées. Mais celle-ci ne relève pas du tout du champ de l'Anses, mais de celui de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'IRSN est considéré comme une agence sanitaire. Ainsi, toute question relative à l'exposition aux radioéléments lui incombe. L'Anses n'a pas à l'être, même si elle pourrait être invitée à rendre un avis sur ses conséquences indirectes. L'iode ne présente pas de toxicité ni aigüe ni chronique. La détermination du champ dans lequel l'iode doit être distribué répond à d'autres impératifs et ne relève pas des compétences du directeur général de l'Anses.
Sur l'innovation, il n'est pas exclu que des travaux de recherche des laboratoires peuvent susciter un transfert, en termes de méthode analytique. Dans ce cas-là, il faut le faire. Le ministère de la recherche a mis en place des moyens mutualisés d'accompagnement des laboratoires vers le transfert industriel. Je ne sais pas s'il y a des cas à l'Anses, mais il faudrait s'assurer que le succès de certaines innovations, comme dans le domaine de la spectrométrie de masse dont une société reconnue, basée à Nantes, est issue d'un laboratoire universitaire, ne devienne la source de conflits d'intérêt pour l'agence, s'agissant notamment de la rétribution des inventeurs dans les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPCST), donnant lieu à prise d'intérêt. Une telle situation poserait ainsi problème à l'Agence. Le cadre doit en être précisé. Enfin, ce n'est pas la mission première d'une agence sanitaire, même si la valorisation est importante.
La nutrivigilance doit être au coeur de nos préoccupations. Celle-ci est en effet un facteur de discrimination sociale majeure. L'Agence doit résister aux lobbies que vous avez évoqués, comme à tous les autres. L'Agence a un rôle à jouer dans le cadre du plan national nutrition santé. J'y serai d'ailleurs très attentif. La Réunion est un territoire extrêmement marqué par tous les risques environnementaux. C'est pour cela que s'y sont tenues les assises régionales du risque en 2011, auxquelles j'ai participé en ma qualité de président de l'Alliance ALLenvi. Cette question des risques me paraît être au coeur des préoccupations de l'Agence.
Comment influencer l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) ? En étant présent. En effet, j'ai été extrêmement présent ces quatre dernières années au niveau européen. J'ai d'ailleurs été à l'initiative de la création d'un groupe de contacts, le Research Policy Group, qui rassemble les directeurs généraux de la recherche et de l'innovation à l'échelle européenne et s'est réuni trois fois au cours de ces dix-huit derniers mois. Il est crucial pour la France d'être présente au niveau communautaire et d'être ainsi très proche des autres agences européennes, afin de peser collectivement. Il nous faut également connaître le fonctionnement des groupes de travail ou de contact de l'Efsa. D'ailleurs, l'Efsa fonctionne différemment de l'Anses en ce que ses comités rendent directement des avis, alors que la décision finale incombe, en dernier lieu, au directeur général de l'Anses. Il faut également être pertinent au plan scientifique et montrer que nos décisions sont fondées pour devenir un vecteur d'influence.
Enfin, s'agissant des perturbateurs endocriniens, l'Anses assure le financement d'un appel à projets. Dans le cadre de l'Agence nationale de la recherche, un appel à projet très large a été émis dans le domaine environnemental qui permet le financement d'un projet sur les perturbateurs endocriniens. Je le dis d'autant plus en tant qu'ancien directeur de l'Irstea, celui-ci ayant beaucoup travaillé sur l'exo-toxicologie. Il y a des appels à projets spécifiques dans le cadre de la stratégie des perturbateurs endocriniens. L'Anses conduit elle-même des analyses sur certains d'entre eux et a émis un avis sur les critères de classification des perturbateurs. D'ailleurs, il ne vous a pas échappé que l'Inserm a sorti, le 25 avril dernier, dans le cadre d'une étude lancée par la Commission européenne, un article sur la caractérisation des critères qui permettent de classer les perturbateurs endocriniens qui rejoint, en très grande partie, l'avis formulé par l'Anses il y a deux ans. Par ailleurs, sans attendre, l'Anses a d'ores et déjà formulé des demandes de retrait sur certaines substances qui se sont révélées par la suite être des perturbateurs endocriniens, au moins pour deux d'entre eux. Je traiterai cette question avec beaucoup d'intérêt qui se trouve également au coeur de mon parcours professionnel. C'est bel et bien une question majeure. Le ministère de l'écologie avait indiqué qu'il lancerait une étude menée par l'Inra et à laquelle l'Anses est associée. De nombreux travaux sont en cours et le débat demeure au niveau communautaire. Il importe ainsi que l'Anses y joue pleinement son rôle.
Je vous remercie, Monsieur Genet, pour vos réponses et vous souhaite le meilleur dans vos nouvelles fonctions.