Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la traite des êtres humains compte parmi les activités criminelles les plus développées et les plus rentables à l’échelle mondiale, puisqu’elle représente 3 milliards d’euros pour l’Europe.
Parmi les victimes, 79 % sont exploitées sexuellement, 18 % sont soumises au travail forcé et 3 % à d’autres formes d’exploitation. Surtout, 25 % d’entre elles sont des enfants ! En Europe, la traite à des fins d’exploitation sexuelle est de loin la plus répandue.
Considérant la personne comme une marchandise, les trafiquants violent les droits humains, et exploitent la vulnérabilité des personnes, liée à leur âge, à leur appartenance à une minorité, à leur situation économique ou à leur sexe.
Force est de le constater, les premières victimes de la traite sont bien les femmes et les enfants ! Comment tolérer qu’un tel phénomène, fondé sur toutes les formes de domination, perdure dans nos sociétés modernes ?
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, au sein de laquelle j’ai l’honneur de représenter la Haute Assemblée, a rédigé un rapport sur ce sujet en mars 2014. Il y est souligné que de nombreux efforts ont été engagés pendant la dernière décennie pour lutter contre ce fléau dans les États parties. Pourtant, le chemin est encore long !
Il ne peut y avoir de lutte efficace contre ce trafic transnational sans une harmonisation des normes juridiques et une coopération internationale policière et judiciaire de très haut niveau.
La convention de Varsovie du 16 mai 2005 est le premier instrument international juridiquement contraignant établissant que la traite constitue une violation des droits de la personne humaine. Sa ratification par les États parties est donc essentielle : le dernier d’entre eux y a procédé le 2 mai.
La convention d’Istanbul de mai 2011 vise à compléter celle de Varsovie : elle tend à obliger les États la ratifiant à introduire des mesures concrètes et à allouer des ressources pour créer un espace de « tolérance zéro » en matière de violences faites aux femmes.
La protection et la prévention sont deux axes majeurs de cette convention. Aujourd’hui, vingt et un États, dont douze membres de l’Union européenne, l’ont ratifiée. Si les choses progressent, la situation demeure néanmoins nettement insatisfaisante et les associations ne cessent d’alerter les pouvoirs publics européens à ce sujet.
En mai 2013, j’ai eu l’honneur d’être la rapporteur pour avis de la délégation aux droits des femmes du Sénat du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.
J’avais alors formulé plusieurs recommandations visant à modifier et à adapter le droit français, pour une meilleure lutte contre la traite. Il s’agissait bien sûr de favoriser une unité des normes et des actions dans les pays européens, garante d’un combat efficace contre les réseaux.
Cette loi, finalement promulguée le 5 août 2013, comporte des mesures allant dans le sens des recommandations effectuées : notre droit pénal, déjà bien pourvu auparavant, a été complété et l’infraction de réduction en esclavage a été définie. Cela a permis de lever, pour les policiers et les magistrats, l’une des difficultés qu’ils rencontrent pour qualifier la nature du délit.
De même, la contrainte, l’abus de vulnérabilité, l’abus d’autorité, qui n’étaient jusque-là que des circonstances aggravantes, sont devenus avec cette loi des moyens alternatifs constitutifs de l’infraction. Avec cette loi, notre droit interne est entré en conformité avec les textes internationaux.
La France dispose, avec l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, l’OCRTEH, de services spécialisés dans la lutte contre ce phénomène qui comptent parmi les plus performants d’Europe. Le Gouvernement a renforcé son action en ce sens en créant, dès le début du mandat présidentiel, la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains.
La MIPROF a été chargée de préparer un premier plan d’action national de lutte contre la traite des êtres humains, en lien notamment avec les associations. Je soutiens la proposition de la délégation aux droits des femmes de la rattacher au Premier ministre.
La prostitution n’est pas l’unique forme de traite des êtres humains, mais elle est la plus répandue. Ainsi, 79 % des personnes prostituées sont victimes de celle-ci. La lutte contre le système prostitutionnel constitue donc bien un vecteur du combat contre la traite des êtres humains, comme nous l’avons souligné au cours des deux ans et demi de vifs débats ayant finalement abouti à l’adoption, en avril dernier, d’un texte visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, élément essentiel pour que la France ne soit plus un pays de destination des victimes de la traite des êtres humains. Je signale au passage que, pour la première fois, un client a été pénalisé ce week-end. Dans mon département, deux réseaux de traite chinois ont été démantelés et ses organisateurs condamnés à des peines de prison importantes.
Selon les chiffres de l’OCRTEH, en 2014, 97 % des personnes prostituées de rue étaient d’origine étrangère. En sanctionnant les clients, dont l’argent alimente le système prostitutionnel et, par voie de conséquence, les réseaux, la nouvelle loi a mis en place un dispositif juridique essentiel, qui permettra de tarir la demande.
Cette loi s’accompagne bien sûr de mesures spécifiques destinées à aider les victimes à s’engager dans un parcours de sortie, d’insertion sociale et professionnelle, financées par un fonds dédié de 4, 8 millions d’euros. La confiscation des biens des proxénètes viendra abonder ce fonds, qui servira à la prévention, à l’information et à l’accompagnement des victimes. Tout cela ne pourra être efficace que si les moyens de la police, de la justice et des services sociaux sont renforcés, ce à quoi s’est engagé le Gouvernement.
Enfin, je souhaiterais aborder un autre aspect de la question de la traite, ma collègue Hélène Conway-Mouret n’ayant pu être présente aujourd'hui.
La crise migratoire actuelle favorise l’expansion des réseaux, et donc de leurs profits. Ils exploitent en effet des populations généralement jeunes, vulnérables et en situation clandestine. Dans les camps accueillant les réfugiés, le risque de traite des êtres humains est bien réel : des membres de la délégation aux droits des femmes se sont rendus à Calais et y ont constaté que France Terre d’asile avait mis en place une structure dédiée à la lutte contre ce phénomène.
Il est de notre responsabilité de protéger ces personnes. La situation de clandestinité dans laquelle se trouvent les migrants contribue à renforcer l’emprise des réseaux.
La délégation aux droits des femmes du Sénat recommande, dans son rapport consacré aux femmes victimes de la traite, la création de cinquante postes de médiateur culturel prévus par le plan d’action national.
Par ailleurs, notre système d’accueil ne dispose pas d’un système de recherche systématique des victimes de la traite parmi les demandeurs d’asile : c’est une lacune à laquelle il faut remédier. Le questionnaire de l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, doit donc prévoir des questions relatives à toutes les situations de vulnérabilité, y compris celle de soumission à des réseaux.
La traite des êtres humains constitue plus que jamais un fléau que nos sociétés modernes doivent éradiquer. Son argent sert à financer les activités terroristes de Daech et Boko Haram. À l’heure de la mondialisation, le combat doit être mené au niveau international, grâce à la coopération de tous les États. La collecte de données fiables, la coordination de tous les services de police, mais aussi des cadres législatifs : ce sont des outils que nous devons mettre en place pour mener une lutte efficace. Nous ne pouvons plus accepter cette forme de violence, cette marchandisation des corps, cette expression de la domination économique, sociale et sexuelle.
Permettez-moi de rappeler que mardi prochain, le 10 mai, se déroulera, dans le jardin du Luxembourg, la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions : 1848 a été l’année de l’abolition de l’esclavage ; je forme le vœu que le début du XXIe siècle voie l’abolition de toutes les formes de l’esclavage moderne.