La séance est ouverte à quatorze heures quarante.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
M. le président du Sénat a été informé que M. Jean Desessard a été élu président du groupe écologiste le mardi 3 mai 2016.
Par ailleurs, le groupe écologiste a présenté la candidature de Mme Corinne Bouchoux pour remplacer, en qualité de secrétaire du Sénat, M. Jean Desessard.
La prochaine conférence des présidents fixera la date de la séance au cours de laquelle il sera procédé à cette désignation.
Le projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence a été déposé sur le bureau du Sénat.
Il a été envoyé à la commission des lois qui s’est réunie ce matin.
Le texte du projet de loi, sur lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, et l’avis du Conseil d’État ont été mis en ligne sur le site internet du Sénat.
Le texte de la commission des lois le sera dans l’après-midi et son rapport vendredi.
En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de Paris, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 4 mai 2016.
Mes chers collègues, à la suite du débat sur le projet de programme de stabilité du mercredi 27 avril dernier, organisé à sa demande et à celle de la commission des finances, M. le président du Sénat a adressé le compte rendu de nos travaux en séance et le rapport d’information de la commission des finances à M. Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne chargé de l’euro et du dialogue social.
La Commission européenne sera ainsi informée des prises de position des différents groupes de la Haute Assemblée.
M. le président du Sénat a informé de cette transmission M. le Premier ministre et M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur les conclusions du rapport sur les femmes et les mineur-e-s victimes de la traite des êtres humains (rapport d’information n° 448).
La parole est à Mme la présidente de la délégation.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un honneur d’introduire ce débat sur un sujet qui a été porté, souvent avec beaucoup de passion, par l’unanimité des différentes composantes de la délégation, puisque chaque groupe politique a nommé un rapporteur pour établir le rapport d’information.
Il s’agit bien d’une question qui intéresse l’égalité, ce qui n’est pas forcément connu de tous. Ainsi, selon les chiffres de l’Organisation des Nations unies, 70 % des victimes de la traite des êtres humains sont des femmes et des jeunes filles. Pour être plus précise, je rappelle que les victimes de l’exploitation sexuelle sont à 79 % des femmes, tandis que les victimes du travail forcé sont à 83 % des hommes. La traite est donc bien une violence sexuée.
La réflexion de la délégation s’est malheureusement inscrite dans un contexte marqué par deux actualités brûlantes.
La première d’entre elles est la crise des migrants. Dans le cadre de la crise migratoire actuelle, tous les éléments sont réunis pour favoriser l’expansion des réseaux de la traite : sont concernées des populations jeunes, démunies, en situation de vulnérabilité extrême qui, logiquement, se cachent très souvent des services administratifs et policiers. Toutes les conditions sont par conséquent réunies pour que les réseaux exploitent cette situation. La traite est d’ailleurs une réalité dans les camps, à tel point que l’association France terre d’asile a dû mettre en place à Calais une structure spécifique pour la prise en charge de cette question.
La seconde actualité, également dramatique, est relative aux agissements de groupes comme Daech ou Boko Haram. Dans le référentiel de ces groupes, les femmes et les jeunes filles ne sont que des marchandises : des marchandises qui se mettent en cage, qui se violent, qui s’échangent, qui s’exploitent ; des marchandises qui servent à assouvir les faux instincts de prétendus combattants, et qui rapportent de l’argent comme toute autre forme de trafic, tel le trafic d’armes ou d’organes.
Le rapport d’information est la conclusion de six mois de travail, de septembre à mars. Ce travail a permis à la délégation d’entendre plus d’une trentaine de personnes et d’effectuer plusieurs déplacements, dont l’un, à Calais, qui a beaucoup marqué les membres de la délégation présents.
De manière symbolique, la délégation a adopté ce rapport le 9 mars 2016, le lendemain de la Journée internationale des droits des femmes, à l’unanimité, mais aussi dans la continuité, car ce rapport fait suite à de nombreux travaux, engagés notamment par Brigitte Gonthier-Maurin, sur des sujets tels que les viols de guerre ou la prostitution.
À l’occasion de nos débats et des travaux que nous avons menés sur la prostitution, nous avons clairement mis au jour la connexion entre la prostitution et les réseaux de criminalité internationale responsables des trafics de drogue, d’armes et d’organes.
Rappelons, bien qu’il s’agisse d’estimations évidemment assez prudentes, que la traite des êtres humains rapporte chaque année 32 milliards de dollars, dont 3 milliards pour la seule Europe. Loin de leur être étranger, le problème de la traite touche directement l’Europe et la France. Son ampleur est d’autant plus considérable que ce trafic s’exerce en quasi-impunité, et que, souvent, la législation non pas sur la traite, mais sur d’autres formes d’exploitation est un peu vague.
Quels sont les constats dressés par la délégation dans son rapport ?
Tout d’abord, pour ce qui concerne le cadre juridique national, la politique de lutte contre la traite d’êtres humains s’inscrit dans le cadre d’un arsenal juridique relativement récent ; celui-ci est la traduction de plusieurs instruments internationaux majeurs, comme le protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants de 2000, dite « convention de Palerme », ou la convention du Conseil de l’Europe contre la traite des êtres humains de 2005, dite « convention de Varsovie ».
Cet arsenal déjà important est en réalité encore incomplet. Il nous a notamment été signifié que la définition actuelle de la traite des êtres humains, telle qu’elle figure dans le code pénal, et bien qu’elle ait été récemment élargie à d’autres formes d’exploitation, n’intègre pas le cas des mariages forcés. Or ces mariages constituent souvent et malheureusement une porte d’entrée dans la traite.
Pour ce qui concerne la gouvernance ensuite, un outil très efficace a été mis en place en 2013. Il s’agit de la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains, la MIPROF.
Malheureusement, la logique interministérielle de cet outil est encore insuffisante. Il serait souhaitable que la mission soit rattachée au Premier ministre pour que les ministères de l’intérieur et de la justice se sentent plus impliqués, et que le ministère des affaires sociales ne traite pas, de fait, cette question à lui seul.
Par ailleurs – seconde fragilité –, malgré son champ d’action très étendu, la MIPROF ne dispose pas de crédits spécifiques pour la conduite de son action. Ainsi, elle a été chargée de préparer le premier plan d’action national contre la traite d’êtres humains pour la période 2014-2016. Alors que nous arrivons au terme de cette période, il apparaît que ce plan a été mis en œuvre de manière très partielle, parce que les moyens de cette mission sont justement insuffisants.
Enfin, le dernier point concernant la gouvernance est le rôle déterminant des associations, qui sont les seuls acteurs susceptibles de créer une relation de confiance avec les victimes. Leur rôle a été souligné dans l’ensemble de nos auditions. Les associations sont des partenaires indispensables de la lutte contre la traite qui semblent insuffisamment sollicités et qui manquent de moyens.
Le rapport a donc identifié plusieurs points de notre politique nationale de lutte contre la traite qui demeurent perfectibles.
Le premier point, souvent signalé, est le recours trop rare à la qualification de traite des êtres humains par les magistrats.
Le deuxième point est la formation insuffisante des différents professionnels susceptibles d’être en contact avec des victimes de la traite.
Le troisième point, très important et régulièrement rappelé, est l’absence d’outils adaptés au cas des mineures et mineurs victimes de la traite, et ce malgré une prise en compte réelle, mais récente de cette problématique par les pouvoirs publics, notamment par les départements.
Le quatrième point est la sensibilisation insuffisante du grand public au phénomène de la traite qui peut conduire à constater des faits sans identifier le problème de traite qu’ils révèlent.
Le cinquième point est la connaissance statistique encore très limitée du phénomène de la traite. Cela est aussi compréhensible que malheureux.
Le sixième point, enfin, est la prise en charge administrative et judiciaire des victimes variable, et parfois même divergente d’un territoire à l’autre, notamment s’agissant de la délivrance des titres de séjour.
Au vu de ces constats, la délégation a adopté vingt et une recommandations. Certaines, et nous nous en réjouissons, sont déjà obsolètes. Ainsi, nous avions recommandé l’adoption rapide de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées qui protège les victimes, et du projet de loi autorisant la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l’Organisation internationale du travail sur le travail forcé. Ces deux textes ont achevé leur parcours législatif au mois d’avril.
Pour le reste, les recommandations de la délégation sont regroupées en cinq grands axes.
Premier axe : améliorer la gouvernance de la lutte contre la traite des êtres humains. Comme je l’ai dit tout à l’heure, cela suppose, d’une part, la prise en compte de la situation spécifique des mineurs, et, d’autre part, le rattachement de la MIPROF au Premier ministre. Cela suppose aussi une meilleure utilisation et valorisation de l’expertise du secteur associatif engagé dans la lutte contre la traite sur le terrain.
Deuxième axe : compléter l’arsenal juridique en intégrant une référence explicite au cas des mariages forcés.
Troisième axe : garantir les moyens budgétaires et humains de la lutte contre la traite, en sanctuarisant les moyens des associations et en renforçant ceux de la MIPROF.
Quatrième axe : faire en sorte que la diplomatie et l’action internationale de la France contribuent encore davantage à la lutte contre ce fléau.
Dans cette perspective, la délégation appelle à maintenir la vigilance de la diplomatie française en matière de défense des droits des femmes à l’échelon international, afin de lutter contre le phénomène insidieux qu’est la tendance dite « relativiste ». Au nom de l’inclusion de toutes les cultures, celle-ci conduirait à renoncer à certains grands principes de l’égalité entre les hommes et les femmes. Sur un tout autre sujet, nous en avons par exemple observé les effets en ce qui concerne la participation aux jeux Olympiques.
La délégation recommande également une condamnation sans appel, par toutes les instances internationales et de manière systématique et récurrente, de toutes les pratiques des groupes comme Daech et Boko Haram relatives à l’esclavage des femmes et à leur exploitation sexuelle. Si l’on a tendance à s’émouvoir lorsque certains faits sont mis en avant en raison de leur actualité, l’on oublie ensuite assez rapidement la réalité de ces drames. Nous souhaitons également la dénonciation de tous les États qui participent directement ou indirectement, c'est-à-dire en fermant les yeux, aux trafics scandaleux qui contribuent à financer ces groupes barbares.
Enfin, la délégation invite le Gouvernement à poursuivre la promotion de la ratification par tous les États des conventions visant à lutter contre la traite des êtres humains dans toutes ses dimensions.
Cinquième axe : renforcer la formation des acteurs de la lutte contre la traite des êtres humains, ainsi que la sensibilisation du grand public. Il est essentiel que tous les acteurs de terrain et le grand public puissent identifier les signes caractéristiques d’une situation de traite. La délégation estime tout particulièrement nécessaire de renforcer la formation des professionnels, notamment des magistrats, des policiers, des gendarmes, des professionnels de santé, mais aussi des inspecteurs du travail et des services sociaux.
Madame la ministre, nous invitons le Gouvernement à faire de la lutte contre la traite des êtres humains une grande cause nationale, et nous souhaitons le lancement d’une campagne de sensibilisation du grand public aux différentes formes que peut prendre la traite sur notre territoire.
Pour conclure, j’espère que ce débat contribuera à une prise de conscience de ces problèmes, et que, au-delà des pouvoirs publics qui le sont déjà, il mobilisera l’opinion publique et les médias, afin de dénoncer une réalité que l’on imagine appartenir à d’autres territoires, à d’autres pays, à d’autres continents.
La traite est pourtant un phénomène européen qui se pratique parfois entre pays européens, ne nous épargne pas et qui constitue une infraction permanente à tous les principes des droits de l’homme, et donc des femmes, que nous défendons à travers le monde.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mardi prochain nous célébrerons, comme chaque 10 mai, les mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition. Hélas, la traite des êtres humains n’est pas qu’une page sombre de notre histoire, et ce phénomène ne cesse de s’amplifier.
Je salue l’initiative du Sénat et de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes d’accorder de l’attention à ce phénomène gravissime, dont les femmes et les enfants sont les premières victimes, notamment en matière d’exploitation sexuelle ou de travail forcé.
Mais nous ne pouvons pas en rester aux bonnes intentions et traiter ce phénomène sous l’angle unique de la victimisation ou par le déni. Nous devons notamment être lucides sur les liens avec la crise des migrants, crise directement causée par les guerres et la déstabilisation d’États au Moyen-Orient et en Afrique. Il s’agit d’un enjeu énorme en termes de politique étrangère et de défense. Le problème de la traite ne pourra être résolu sans tenir compte de cet environnement international complexe et de l’ensemble des flux transnationaux illicites dans lesquels il s’insère.
Certes, sur le plan juridique, le trafic de migrants et la traite des personnes sont deux phénomènes distincts. Mais en réalité, nous avons pu le constater dans la jungle de Calais, la frontière entre ces deux fléaux est poreuse.
Les migrants sont une cible facile pour les réseaux mafieux, et l’argent de la traite constitue, aux côtés de celui d’autres trafics, une ressource importante de Daech. De même, le fait que certains des terroristes du 13 novembre dernier aient pu entrer en Europe dissimulés dans le flux de réfugiés illustre les liens entre trafic d’êtres humains et terrorisme, pénalisant ainsi l’ensemble des migrants. Je l’ai d’ailleurs souligné voilà plus d’un an dans une question écrite, toujours en attente de réponse, adressée au ministre des affaires étrangères.
Les outils juridiques de lutte contre la traite sont nécessairement européens et internationaux. À cet égard, la diplomatie française a encore fort à faire pour promouvoir la ratification et la mise en œuvre effective des conventions internationales.
Certes, le droit international sur ces sujets s’est développé depuis une quinzaine d’années dans le cadre des travaux de l’Organisation des Nations unies, du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne, ou encore de l’Organisation internationale du travail. Je ne reviendrai pas sur les principaux textes internationaux déjà mentionnés par Chantal Jouanno. La coopération internationale semble toutefois avoir du mal à prendre réellement son essor, comme je le soulignai voilà deux ans déjà, lors du sommet économique eurasien qui s’est tenu à Istanbul.
Nombre de pays ont ainsi émis des réserves lors de la signature de la convention du Conseil de l’Europe de 2005 contre la traite des êtres humains. Certains, comme la Russie ou la République tchèque, n’ont pas signé ce texte ; d’autres, comme la Turquie, l’ont signé, mais pas encore ratifié. La France elle-même a laissé passer trois ans entre la signature et la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite « convention d’Istanbul », texte dont j’ai été rapporteur au Sénat.
Des lacunes perdurent aussi dans les textes internationaux. Je pense notamment à l’absence d’inclusion explicite de la question des mariages forcés dans la définition de la traite, tant dans notre droit national qu’au plan international. Il faut impérativement y remédier.
Mais l’élément fondamental pour parvenir à des résultats, outre des mesures concrètes à l’échelon national qui ont été indiquées dans notre rapport, est la coopération internationale, tant judiciaire qu’humanitaire. Elle suppose l’amélioration de la coopération policière et des services de renseignement, loin d’être suffisante.
Cette coopération internationale suppose aussi une véritable aide publique au développement, la nôtre, contrairement à celle de nos amis britanniques, étant laminée par les restrictions budgétaires. L’assistance technique est pourtant indispensable pour aider les pays d’origine et de transit à lutter contre la traite.
Je renouvelle donc mon appel à préserver les crédits de l’aide au développement sur ces questions de droits des femmes et de lutte contre les trafics d’êtres humains, en particulier dans certains pays très touchés d’Asie du Sud-Est, notamment le Népal ou le Bangladesh où notre aide est inexistante. Il s’agit d’un investissement indispensable pour enrayer des phénomènes mafieux dont les conséquences sont humanitaires, mais aussi économiques et sécuritaires. La pauvreté, l’instabilité politique et l’inégalité entre les sexes, avec le manque d’éducation des jeunes filles comme corollaire, sont des facteurs favorisant la traite.
Réciproquement, la traite est une ressource pour les mafias et un facteur très important de déstructuration des sociétés. Cette traite, comme le terrorisme, est la négation même de nos droits et valeurs les plus fondamentaux. Plus que jamais, il importe que nous luttions pour le rétablissement de ces droits et de ces valeurs partout dans le monde. Il y va de l’honneur de notre pays et du respect de ses traditions.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la traite des êtres humains est une négation absolue des valeurs républicaines de liberté, de dignité et d’égalité.
Elle nous semble pour beaucoup d’un autre siècle, révolue, reléguée aux pages les plus sombres de l’histoire de l’humanité. La traite d’êtres humains est pourtant une réalité invisible, dissimulée, que nous ne voyons pas, que nous ne voulons pas voir, ou plutôt que nous ne savons pas voir, constat on ne peut plus effrayant, alors même que les nouvelles technologies démultiplient les potentialités.
La traite des êtres humains est multiforme : exploitation sexuelle, travail, mendicité ou vol forcé, servitude pour dettes, prélèvement illégal d’organes. Elle touche tout le monde, mais surtout les femmes et les enfants.
Je ne citerai pas de nouveau les chiffres donnés tout à l’heure par Mme la présidente de la délégation. Je partage les conclusions du rapport : la traite des êtres humains s’inscrit dans la continuité des violences faites aux femmes. On retrouve en effet certains des fléaux dénoncés par la délégation : prostitution, viols, viols de guerre, violences sexuelles, mariages forcés.
Les mineurs sont également des cibles privilégiées : ils représentent 25 % des victimes de la traite des êtres humains. Ainsi, 22 000 enfants meurent-ils chaque année dans des accidents liés au travail. Les enfants souffrent d’une vulnérabilité particulière. À ce titre, ils ont besoin d’un accompagnement adapté.
Mes chers collègues, tel est le triste bilan que nous tirons de la lecture du rapport d’information élaboré par les rapporteurs de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. « Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous », disait Montesquieu. C’est la raison pour laquelle nous devons lutter tous ensemble pour cette cause.
Devant ce terrible constat, la lutte contre la traite des êtres humains doit s’appuyer, selon moi, sur trois axes fondamentaux : l’identification des victimes et des réseaux, la formation des professionnels et du grand public et le financement des politiques de lutte contre la traite des êtres humains.
La difficulté d’identifier la traite des êtres humains tend à minimiser l’importance du phénomène aux yeux du grand public et à limiter le nombre de condamnations. Si la France dispose d’un régime juridique solide en la matière, les outils statistiques aboutis font défaut. Ainsi, en l’absence de données statistiques, il est difficile de cerner l’ampleur des phénomènes étudiés et d’agir en conséquence. Rendons visibles ces anonymes !
Cette situation a été parfaitement mise en lumière par notre collègue Maryvonne Blondin dans son rapport de mai 2013 : le faible nombre d’infractions de traite des êtres humains constatées par les forces de l’ordre s’explique le plus souvent par un recours à la seule qualification de proxénétisme, celle-ci étant mieux identifiée et plus facile à établir.
Je soutiens donc la proposition des rapporteurs de mettre en place un référent dédié à la traite des êtres humains au sein des parquets les plus concernés. Cette problématique sera ainsi mise en lumière. Les professionnels seront sensibilisés à cette réalité.
Malgré tout, les statistiques enregistrent depuis quelques années une progression du nombre de condamnations prononcées pour traite des êtres humains. C’est un signe encourageant.
Viser l’incrimination pour traite des êtres humains peut être payant : elle couvre un champ plus large et un plus grand nombre de situations que le seul proxénétisme, par exemple. Cela facilite la coopération internationale, par le biais par exemple du recours au mandat d’arrêt européen.
Au sein de l’Union européenne, nous devons travailler pour adopter une politique structurelle commune en matière de traite, en particulier en termes de condamnations et de prise en charge.
L’Italie s’est dotée d’un numéro vert permettant de dénoncer les situations d’exploitation d’êtres humains constatées par les citoyens. Il faut peut-être nous inspirer de cette expérience. Un numéro vert commun à tous les États membres pourrait être le symbole d’une politique commune européenne en la matière. La Journée mondiale contre la traite des êtres humains, le 30 juillet, serait l’occasion d’en faire la promotion.
Le recours insuffisant à la qualification de traite des êtres humains s’explique également par un déficit de formation des différents professionnels, à commencer par les membres des forces de l’ordre, ceux de la police aux frontières et les magistrats.
Selon le rapport d’activité de l’OICEM, l’Organisation internationale contre l’esclavage moderne, sur 300 signalements reçus en 2013, 33 % provenaient de travailleurs sociaux, 26 % de particuliers, 20 % de personnels juridiques, mais seulement 5 % de la police et 3 % des personnels de santé, 13 % étant des autosignalements.
L’identification des victimes est complexe. Ces dernières sont sous l’emprise de l’exploiteur et ne souhaitent donc pas être identifiées. Il est impératif d’améliorer la formation initiale et continue des professionnels pour déceler ces situations. C’est le deuxième axe d’action que j’estime prioritaire.
Malgré une prise en compte croissante des problématiques liées à la traite des êtres humains, je m’inquiète de l’absence de moyens adaptés au cas des mineurs qui en sont victimes.
Les associations et les conseils départementaux en témoignent : la prise en charge des mineurs isolés étrangers souffre d’un manque criant de connaissance et d’expertise.
Je salue l’expérimentation en cours à Paris, laquelle offre une protection adaptée aux mineurs, au travers d’une plateforme d’accueil et d’orientation spécifiquement dédiée.
Alors que le Sénat vient d’examiner le projet de loi pour une République numérique, pourquoi ne pas lancer sur le site internet de France Université numérique des MOOC – massive open online courses – consacrés à la problématique de la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des mineurs, qui seraient destinés non seulement aux professionnels, mais aussi au grand public ?
Le financement est malheureusement, si je puis m’exprimer ainsi, le nerf de la guerre. C’est le troisième pilier de la lutte contre la traite des êtres humains.
Il est essentiel que les moyens budgétaires et humains nécessaires à la mise en œuvre du plan d’action national contre la traite des êtres humains soient garantis, parce qu’un accompagnement soutenu et spécifique est primordial, notamment pour appréhender la complexité et la globalité des situations des victimes, parce qu’il est impératif de mobiliser un personnel qualifié et d’offrir des structures d’accueil adaptées, parce qu’il serait intéressant, enfin, de créer une plateforme interdépartementale, voire interrégionale, pour partager les bonnes pratiques en la matière. C’est par l’émulation que nous arriverons à généraliser les systèmes les plus performants d’accompagnement des victimes mineures.
Je ne peux conclure mon intervention sans évoquer le fait migratoire que connaît l’Europe depuis de nombreux mois.
L’arrivée massive de migrants sur notre continent aboutit, dans certains cas, à l’exploitation de ces personnes. Leur vulnérabilité et leur désespoir peuvent les faire tomber aux mains de réseaux de traite.
Le cas des mineurs est une nouvelle fois préoccupant, 22 % des migrants arrivant en Europe ayant moins de 18 ans. Au cours des deux dernières années, 10 000 d’entre eux auraient disparu en Europe. Il est à craindre qu’une partie de ces enfants soit exploitée, notamment sexuellement, par les réseaux.
« Abolir la traite des êtres humains n’est pas une utopie. Si chacun s’informe, écoute, dénonce, agit, ensemble nous y parviendrons. » Ces mots de Véronique Fayet, présidente du Secours catholique-Caritas France, ouvrent la préface de l’ouvrage collectif Les Nouveaux Visages de l’esclavage, qui apporte, par le biais de témoignages, un éclairage confondant et nécessaire. C’est par ces mêmes mots que je termine mon intervention, en espérant que l’espoir est permis.
Applaudissements.
Madame la ministre, je souhaite, avec toute la solennité que requiert la gravité de la situation, vous exhorter – permettez-moi ce terme ! – à relayer notre voix auprès du Gouvernement, pour que la France place la question de la traite des femmes au cœur des priorités de son action nationale et internationale.
En ma qualité de corapporteur de la délégation aux droits des femmes, je me suis plus spécifiquement attachée au rôle des associations.
Nous le savons et l’avons encore constaté lors de déplacements à Nice et à Calais, les associations sont des partenaires indispensables, mais parfois esseulés, dans la lutte contre toutes les violences faites aux femmes.
La lutte contre la traite des êtres humains n’échappe pas à ce constat. Les associations effectuent sur le terrain un indispensable travail d’expertise et de proximité, qui leur permet d’accompagner les victimes avec l’humanité que requiert leur situation de très grande vulnérabilité.
En effet, elles leur offrent un accueil et une écoute privilégiés, une information primordiale sur leurs droits, une aide psychologique et sociale et, si nécessaire, elles sont en mesure de les orienter vers des services spécialisés. N’oublions pas que les victimes sont souvent en situation de stress post-traumatique et qu’un accueil purement institutionnel ne suffit pas.
Les associations jouent également le rôle de « lanceurs d’alerte » susceptibles d’identifier les failles constatées sur le terrain dans la politique publique, et de détecter les points d’urgence ou de vigilance particuliers. Elles assurent aussi un travail primordial de formation des professionnels. Ces formations demandent encore à être généralisées.
Pour autant, malgré leur rôle incontournable, leur expertise et leur expérience du terrain, les associations ne sont pas toujours suffisamment sollicitées dans le cadre de la politique de lutte contre la traite des êtres humains.
La délégation aux droits des femmes recommande donc de recourir plus systématiquement à l’expertise du secteur associatif pour définir les outils visant à identifier, à accompagner et à protéger les victimes.
J’en viens au deuxième point sur lequel je souhaite insister : les associations souffrent d’un manque de soutien concret, matérialisé par un déficit de financement public.
Dans un communiqué de presse du 12 octobre 2015, le collectif Ensemble contre la traite des êtres humains regrettait ainsi que « les moyens financiers pour les associations qui accueillent, accompagnent, soutiennent au quotidien les victimes de traite, pourtant préconisés par le plan, [soient] aujourd’hui dérisoires ».
À cette insuffisance des moyens pour accomplir des missions au nom de l’État s’ajoutent le manque de visibilité et l’incertitude pesant sur les subventions publiques, qui vont jusqu’à remettre en cause les actions et la pérennité des associations. La plupart de celles qui ont été entendues par la délégation au cours des tables rondes du 25 novembre 2015 et du 14 janvier 2016 ont confirmé les inquiétudes existant à cet égard.
Ainsi, le président du Comité contre l’esclavage moderne a indiqué que, tous les ans depuis 2009, se pose la question de la survie de ce dernier, en raison du manque de financement dans un contexte budgétaire extrêmement contraint.
Devant ce constat, la délégation aux droits des femmes a adopté une recommandation plaidant pour une sanctuarisation dans la durée des moyens budgétaires et humains attribués aux associations.
En effet, la mise en œuvre du plan d’action national de lutte contre la traite 2014-2016 engagée par le Gouvernement devait être financée de manière continue et pérenne. Or 4, 98 millions d’euros seulement sont inscrits au programme 137 au titre de la lutte contre la traite des êtres humains, 410 000 euros sont consacrés au financement d’associations « têtes de réseaux » et 4, 57 millions d’euros sont dédiés au financement d’actions locales en matière de formation des professionnels, de sensibilisation des jeunes, d’organisation de manifestations en direction du grand public, d’accompagnement social.
Les autres sources de financement sont des recettes bien plus aléatoires, voire hypothétiques, car elles sont censées provenir de la confiscation, par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, des biens et produits des personnes et réseaux coupables de traite des êtres humains et de proxénétisme et des sommes qui seront issues de la pénalisation des acheteurs d’actes sexuels prévue par la loi.
Je voudrais m’arrêter un instant sur un exemple dont j’ai eu connaissance la semaine dernière. Il reflète à la fois le manque de moyens des associations et l’insuffisance de coordination qui nuisent à la prise en charge des victimes.
Dans le cadre de la gestion de la crise migratoire sur notre sol, le Gouvernement a confié la prise en charge des migrants et migrantes à des ONG – France Terre d’Asile, Médecins du Monde, Terre d’errance, Médecins sans frontières –, dont j’ai pu constater la qualité du travail à Calais.
Ces ONG ont été confrontées aux problématiques de la santé sexuelle et des violences faites aux femmes en transit, qui leur ont fait prendre conscience de la nécessité de mettre en place une approche de « genre » pour penser l’accompagnement de ces personnes et réduire les risques de violences.
Cette approche spécifique, nous en avons bien conscience au sein de la délégation aux droits des femmes, est indispensable pour aborder les violences faites aux femmes et les spécificités de leur accueil et de leur accompagnement : organisation des lieux d’accueil et de soins, des douches, des files d’attente, mais aussi prise en compte des sujets liés à la santé et à la sexualité, comme le recours à l’IVG, difficiles à évoquer et donc souvent occultés.
Cet exemple révèle la nécessité de retenir une approche prenant en compte les spécificités de genre.
Le planning familial du Pas-de-Calais a ainsi été sollicité par les ONG pour organiser une formation « genre et migration » à destination des bénévoles et des professionnels en contact avec ces femmes migrantes. Pour financer ces actions de formation, le planning familial a sollicité en vain l’agence régionale de santé, afin de mettre en place un partenariat. Le planning familial a bien réussi à obtenir un financement du Fonds pour les femmes en Méditerranée, mais aucun de l’État. Je souhaitais vous faire part de cet exemple, qui s’apparente pour moi à un dysfonctionnement tout à fait préjudiciable.
J’espère, madame la ministre, que vous relaierez ces deux recommandations lors des prochains arbitrages budgétaires.
A pplaudissements .
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la traite des êtres humains compte parmi les activités criminelles les plus développées et les plus rentables à l’échelle mondiale, puisqu’elle représente 3 milliards d’euros pour l’Europe.
Parmi les victimes, 79 % sont exploitées sexuellement, 18 % sont soumises au travail forcé et 3 % à d’autres formes d’exploitation. Surtout, 25 % d’entre elles sont des enfants ! En Europe, la traite à des fins d’exploitation sexuelle est de loin la plus répandue.
Considérant la personne comme une marchandise, les trafiquants violent les droits humains, et exploitent la vulnérabilité des personnes, liée à leur âge, à leur appartenance à une minorité, à leur situation économique ou à leur sexe.
Force est de le constater, les premières victimes de la traite sont bien les femmes et les enfants ! Comment tolérer qu’un tel phénomène, fondé sur toutes les formes de domination, perdure dans nos sociétés modernes ?
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, au sein de laquelle j’ai l’honneur de représenter la Haute Assemblée, a rédigé un rapport sur ce sujet en mars 2014. Il y est souligné que de nombreux efforts ont été engagés pendant la dernière décennie pour lutter contre ce fléau dans les États parties. Pourtant, le chemin est encore long !
Il ne peut y avoir de lutte efficace contre ce trafic transnational sans une harmonisation des normes juridiques et une coopération internationale policière et judiciaire de très haut niveau.
La convention de Varsovie du 16 mai 2005 est le premier instrument international juridiquement contraignant établissant que la traite constitue une violation des droits de la personne humaine. Sa ratification par les États parties est donc essentielle : le dernier d’entre eux y a procédé le 2 mai.
La convention d’Istanbul de mai 2011 vise à compléter celle de Varsovie : elle tend à obliger les États la ratifiant à introduire des mesures concrètes et à allouer des ressources pour créer un espace de « tolérance zéro » en matière de violences faites aux femmes.
La protection et la prévention sont deux axes majeurs de cette convention. Aujourd’hui, vingt et un États, dont douze membres de l’Union européenne, l’ont ratifiée. Si les choses progressent, la situation demeure néanmoins nettement insatisfaisante et les associations ne cessent d’alerter les pouvoirs publics européens à ce sujet.
En mai 2013, j’ai eu l’honneur d’être la rapporteur pour avis de la délégation aux droits des femmes du Sénat du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.
J’avais alors formulé plusieurs recommandations visant à modifier et à adapter le droit français, pour une meilleure lutte contre la traite. Il s’agissait bien sûr de favoriser une unité des normes et des actions dans les pays européens, garante d’un combat efficace contre les réseaux.
Cette loi, finalement promulguée le 5 août 2013, comporte des mesures allant dans le sens des recommandations effectuées : notre droit pénal, déjà bien pourvu auparavant, a été complété et l’infraction de réduction en esclavage a été définie. Cela a permis de lever, pour les policiers et les magistrats, l’une des difficultés qu’ils rencontrent pour qualifier la nature du délit.
De même, la contrainte, l’abus de vulnérabilité, l’abus d’autorité, qui n’étaient jusque-là que des circonstances aggravantes, sont devenus avec cette loi des moyens alternatifs constitutifs de l’infraction. Avec cette loi, notre droit interne est entré en conformité avec les textes internationaux.
La France dispose, avec l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, l’OCRTEH, de services spécialisés dans la lutte contre ce phénomène qui comptent parmi les plus performants d’Europe. Le Gouvernement a renforcé son action en ce sens en créant, dès le début du mandat présidentiel, la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains.
La MIPROF a été chargée de préparer un premier plan d’action national de lutte contre la traite des êtres humains, en lien notamment avec les associations. Je soutiens la proposition de la délégation aux droits des femmes de la rattacher au Premier ministre.
La prostitution n’est pas l’unique forme de traite des êtres humains, mais elle est la plus répandue. Ainsi, 79 % des personnes prostituées sont victimes de celle-ci. La lutte contre le système prostitutionnel constitue donc bien un vecteur du combat contre la traite des êtres humains, comme nous l’avons souligné au cours des deux ans et demi de vifs débats ayant finalement abouti à l’adoption, en avril dernier, d’un texte visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, élément essentiel pour que la France ne soit plus un pays de destination des victimes de la traite des êtres humains. Je signale au passage que, pour la première fois, un client a été pénalisé ce week-end. Dans mon département, deux réseaux de traite chinois ont été démantelés et ses organisateurs condamnés à des peines de prison importantes.
Selon les chiffres de l’OCRTEH, en 2014, 97 % des personnes prostituées de rue étaient d’origine étrangère. En sanctionnant les clients, dont l’argent alimente le système prostitutionnel et, par voie de conséquence, les réseaux, la nouvelle loi a mis en place un dispositif juridique essentiel, qui permettra de tarir la demande.
Cette loi s’accompagne bien sûr de mesures spécifiques destinées à aider les victimes à s’engager dans un parcours de sortie, d’insertion sociale et professionnelle, financées par un fonds dédié de 4, 8 millions d’euros. La confiscation des biens des proxénètes viendra abonder ce fonds, qui servira à la prévention, à l’information et à l’accompagnement des victimes. Tout cela ne pourra être efficace que si les moyens de la police, de la justice et des services sociaux sont renforcés, ce à quoi s’est engagé le Gouvernement.
Enfin, je souhaiterais aborder un autre aspect de la question de la traite, ma collègue Hélène Conway-Mouret n’ayant pu être présente aujourd'hui.
La crise migratoire actuelle favorise l’expansion des réseaux, et donc de leurs profits. Ils exploitent en effet des populations généralement jeunes, vulnérables et en situation clandestine. Dans les camps accueillant les réfugiés, le risque de traite des êtres humains est bien réel : des membres de la délégation aux droits des femmes se sont rendus à Calais et y ont constaté que France Terre d’asile avait mis en place une structure dédiée à la lutte contre ce phénomène.
Il est de notre responsabilité de protéger ces personnes. La situation de clandestinité dans laquelle se trouvent les migrants contribue à renforcer l’emprise des réseaux.
La délégation aux droits des femmes du Sénat recommande, dans son rapport consacré aux femmes victimes de la traite, la création de cinquante postes de médiateur culturel prévus par le plan d’action national.
Par ailleurs, notre système d’accueil ne dispose pas d’un système de recherche systématique des victimes de la traite parmi les demandeurs d’asile : c’est une lacune à laquelle il faut remédier. Le questionnaire de l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, doit donc prévoir des questions relatives à toutes les situations de vulnérabilité, y compris celle de soumission à des réseaux.
La traite des êtres humains constitue plus que jamais un fléau que nos sociétés modernes doivent éradiquer. Son argent sert à financer les activités terroristes de Daech et Boko Haram. À l’heure de la mondialisation, le combat doit être mené au niveau international, grâce à la coopération de tous les États. La collecte de données fiables, la coordination de tous les services de police, mais aussi des cadres législatifs : ce sont des outils que nous devons mettre en place pour mener une lutte efficace. Nous ne pouvons plus accepter cette forme de violence, cette marchandisation des corps, cette expression de la domination économique, sociale et sexuelle.
Permettez-moi de rappeler que mardi prochain, le 10 mai, se déroulera, dans le jardin du Luxembourg, la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions : 1848 a été l’année de l’abolition de l’esclavage ; je forme le vœu que le début du XXIe siècle voie l’abolition de toutes les formes de l’esclavage moderne.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par ma conclusion, l’ensemble des interventions précédentes ayant merveilleusement résumé le rapport de la délégation aux droits des femmes sur ce sujet crucial.
Comme l’a dit ici même la baronne Elizabeth Butler-Soss, membre de la Fondation britannique pour la lutte contre la traite des êtres humains, il faut s’être attaqué à la lutte contre la pédophilie pour être entendu sur la traite. Madame la ministre, lors d’un récent débat télévisé, vous avez encore réaffirmé toute l’attention que vous portez à ce sujet, mais je voudrais insister sur le point suivant : si, en France, nous ne menons pas le travail qu’ont fait nos amis britanniques en matière de mise en lumière de la pédophilie, que ce soit dans les églises, les lieux de socialisation collective ou l’éducation nationale, nous ne progresserons pas en matière de lutte contre la traite des êtres humains, phénomène qui repose également sur des abus à l’encontre de personnes en situation de vulnérabilité.
Notre rapport témoigne d’un certain nombre d’avancées réelles dans le domaine de la lutte contre la traite, tout en soulignant les progrès qui doivent encore être réalisés pour prendre toute la mesure de la question.
La formation initiale et continue des acteurs de cette lutte, qu’il s’agisse des policiers, des magistrats, des travailleurs sociaux ou des associations, a particulièrement retenu notre attention. Sans un travail renforcé de formation initiale et continue, nous n’avancerons pas.
La formation initiale est fondamentale, parce qu’elle permet d’étudier les mécanismes actuels de la traite, qui sont extrêmement changeants et complexes, car liés à la géopolitique.
Une fois formés, ces professionnels auront également besoin d’une formation continue, notamment pour pouvoir échanger entre eux. Ils devront également être mieux informés des évolutions législatives et juridiques, ainsi que des recours possibles.
L’afflux de personnes migrantes en Europe peut susciter de nouveaux types de traite, à plus grande échelle, multiformes, extrêmement complexes, dans un contexte, hélas ! de montée des xénophobies. Se pose ainsi à nous un véritable défi : il s’agit de lutter contre la traite sans susciter de sentiments de racisme et de xénophobie.
Les moyens matériels nécessaires doivent être mis en place. Je suis désolée d’avoir à le dire, madame la ministre, il ne s’agit pas seulement de moyens humains ou en matière de formation, mais aussi de moyens financiers. Nous comptons vraiment sur vous pour défendre ce dossier.
Une prise de conscience est nécessaire dans notre pays. Ainsi, outre la formation des professionnels et des associations, la sensibilisation du grand public doit être accentuée. Nous pensons par exemple que la prévention de la traite des êtres humains devrait être abordée en milieu scolaire, les jeunes pouvant être amenés à côtoyer des enfants ou des familles en situation de vulnérabilité.
Enfin, j’aimerais attirer votre attention sur le fait que la traite des êtres humains se pratique aussi tout près d’ici, à moins d’un kilomètre du Sénat. À cet égard, je tiens à apporter le plein soutien d’un certain nombre de collègues de mon groupe à la lutte contre la prostitution, dont vous avez fait, madame la ministre, une priorité. Si on ne lutte pas contre la prostitution, on ne pourra pas lutter efficacement contre la traite des êtres humains : tout cela forme système. Si l’on ne mène pas une politique volontariste, systémique aux plans national et international, on n’en sortira pas !
Madame la ministre, vous l’aurez compris, la délégation aux droits des femmes compte énormément sur vous !
Applaudissements.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre, chers collègues, le problème de la traite des êtres humains est très important. Il se pose dans un certain nombre de pays, tels que l’Arabie Saoudite, où l’on constate d’énormes difficultés à cet égard, mais, s’agissant de la France, je pense qu’il existe tout de même des sujets infiniment plus importants ! Nous consacrons une après-midi à discuter de cette question ; l’affluence en séance – nous sommes une petite vingtaine – témoigne bien de son acuité…
Marques de stupeur et protestations indignées sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.
Il me semble que l’existence de 3 millions de chômeurs dans notre pays ou la perpétration d’attentats par des terroristes musulmans sont des sujets plus fondamentaux et mériteraient peut-être davantage d’attention.
Exclamations sur la plupart des travées.
M. Jean Louis Masson. Vous avez, mesdames, tout à fait le droit d’être contentes de vous, mais permettez que je m’exprime !
Protestations.
M. Jean Louis Masson. Mesdames qui vociférez, permettez-moi de vous rappeler qu’avant que vous fussiez sénatrices, des gens se sont battus utilement en faveur d’une véritable égalité des droits entre hommes et femmes, notamment en matière politique ou salariale.
Les sénateurs du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que Mme Françoise Laborde et M. Alain Bertrand, se lèvent et quittent l’hémicycle.
Parlez, sur le terrain, à nos concitoyens : je ne crois pas que la traite des êtres humains en France soit à leurs yeux le problème fondamental.
La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a établi un rapport sur ce thème, mais je souhaiterais qu’elle se concentre sur des sujets plus intéressants…
… et plus importants pour la collectivité, tels que l’inégalité salariale entre les hommes et les femmes ou le temps partiel imposé, à l’origine d’immenses difficultés pour les femmes.
Ce serait infiniment plus utile !
J’en ai terminé : les quelques personnes ayant quitté l’hémicycle peuvent revenir…
Applaudissements sur les travées du RDSE. – Les sénateurs qui avaient quitté l’hémicycle regagnent leurs travées.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, le sujet de la traite des êtres humains est vaste, mais j’ai choisi de concentrer mon intervention sur ses aspects juridiques.
Comment trouver dans notre droit les moyens de lutter contre cet esclavage moderne ? L’arsenal juridique national de lutte contre la traite des êtres humains est relativement complet, ainsi que l’a indiqué Mme Jouanno. Il constitue l’adaptation, dans notre droit, des principaux instruments internationaux existants.
C’est la définition actuelle de la traite des êtres humains, telle qu’elle figure dans le code pénal, qui peut sembler incomplète, bien qu’elle ait été récemment élargie à plusieurs formes d’exploitation, comme le travail forcé, la réduction en servitude ou la réduction en esclavage.
En effet, cette définition n’intègre pas, par exemple, les mariages forcés, alors que, comme l’avait souligné l’ambassadrice chargée de la lutte contre la criminalité organisée, Michèle Ramis, « le mariage forcé est souvent une porte d’entrée dans la traite ».
Il nous semble donc important de recommander qu’une référence explicite au mariage forcé complète la définition de la traite à l’article 225-4-1 du code pénal.
Au-delà de la définition de la traite des êtres humains et des sanctions applicables, notre arsenal législatif accorde aux victimes de la traite un certain nombre de droits : des droits sociaux, un accueil sécurisant, dont nous a parlé notre collègue Brigitte Gonthier-Morin, ainsi qu’une protection accrue en matière d’entrée et de séjour.
Concernant ce dernier point, je rappelle que l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit la délivrance d’une carte de séjour temporaire à l’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse de traite. Cette carte est renouvelée pendant la durée de la procédure pénale et, en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident est délivrée de plein droit à l’étranger ayant déposé plainte ou témoigné.
Dans les faits, les victimes de la traite restent insuffisamment informées de leurs droits en la matière, et on constate des pratiques hétérogènes selon les préfectures. Une instruction du ministère de l’intérieur datant de mai 2015 devrait permettre d’améliorer la situation, mais il est trop tôt pour dresser un bilan de son efficacité.
C’est pourquoi nous recommandons une harmonisation des pratiques préfectorales concernant la délivrance des titres de séjour au profit des victimes de la traite.
La MIPROF, créée en 2013, et le premier plan d’action national de lutte contre la traite ont déjà été longuement évoqués par mes collègues. La MIPROF assure la coordination nationale en matière de lutte contre la traite, conformément à la convention de Varsovie. Malgré un champ d’intervention très large, elle ne dispose pas de crédits propres pour conduire son action. Celle-ci se trouve donc freinée par l’insuffisance des moyens.
Par ailleurs, l’implication des ministères de l’intérieur, de la justice et des affaires sociales, en particulier, semble devoir être renforcée. En effet, le champ de compétence de la MIPROF implique un travail de coopération étroit entre les différents services des ministères, ainsi qu’une approche pluridisciplinaire. Cela vaut d’ailleurs tant pour la traite que pour les violences conjugales. C’est pourquoi nous recommandons le rattachement de la MIPROF au Premier ministre.
La MIPROF a été chargée de préparer le premier plan d’action national contre la traite des êtres humains pour la période 2014-2016, qui marque l’instauration d’une politique publique à part entière dans ce domaine.
Présenté en mai 2014, ce plan constitue une réelle avancée, car il définit pour la première fois les fondements d’une politique publique transversale de lutte contre la traite sous toutes ses formes, en retenant une approche intégrée qui englobe la prévention, la protection et la répression.
Il contient vingt et une mesures, réparties selon trois grandes priorités : identifier les victimes pour mieux les protéger ; poursuivre et démanteler les réseaux de la traite ; faire de la lutte contre la traite une politique publique à part entière.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme a été nommée rapporteur indépendant, chargée de mener l’évaluation de cette politique.
Or le plan n’est que partiellement mis en œuvre, en raison de moyens insuffisants, même si l’adoption de la loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel devrait permettre d’inscrire davantage de crédits au budget de la MIPROF.
Nous recommandons donc de garantir la mobilisation des moyens budgétaires et humains nécessaires à la mise en œuvre des mesures du plan.
Nous rappelons aussi que, en matière de lutte contre la traite, nous n’en sommes qu’au tout premier plan d’action. On peut donc espérer que les efforts réels entrepris par les pouvoirs publics produiront progressivement des résultats tangibles, à l’instar des progrès réalisés en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, après quatre plans interministériels successifs.
Gardons en tête cette phrase de Victor Hugo : « Un seul esclave sur la terre suffit pour déshonorer la liberté de tous les hommes. »
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames les corapporteurs, mes chers collègues, le phénomène de la traite des êtres humains s’est fortement amplifié au cours des dernières années, malgré un arsenal législatif régulièrement actualisé et une mobilisation internationale importante depuis plus d’un siècle.
Force est de le constater, les grands bouleversements géopolitiques consolident les réseaux mafieux à l’origine des réseaux prostitutionnels de grande ampleur auxquels nous sommes confrontés, notamment dans nos territoires urbains et périurbains.
Mais cet esclavage moderne, développé par des réseaux criminels violents, n’est pas une nouveauté.
En 2003 déjà, bien avant la crise migratoire, c’est le Sénat qui avait introduit dans le code pénal, à l’occasion de l’examen du projet de loi pour la sécurité intérieure, la notion de traite des êtres humains, ainsi que les outils juridiques destinés à combattre les réseaux mafieux tirant profit du proxénétisme.
Le 15 janvier dernier, j’ai eu le plaisir d’accueillir à Nice deux des corapporteurs du présent rapport. Ces dernières ont pu constater le travail accompli dans les Alpes-Maritimes pour venir en aide aux victimes de la traite en matière de proxénétisme.
Ce déplacement a surtout été l’occasion d’évaluer les réponses pragmatiques qui peuvent être apportées par une collectivité locale lorsque les pouvoirs publics, les acteurs associatifs et les élus se mobilisent.
Ainsi, la visite d’un centre d’hébergement et de réinsertion sociale, puis la réunion de travail organisée avec les associations, les élus, les services préfectoraux et les services de police, ont permis de mettre en lumière notre dispositif de coordination contre la traite, et tout particulièrement contre l’exploitation des personnes par la prostitution.
Concrètement, ce dispositif a conduit à la mise en place d’une commission départementale de lutte contre les violences, chargée de dresser un état des lieux précis de la traite sur le territoire.
Cette commission est complétée par plusieurs groupes de travail et une assemblée plénière présidée par le préfet, chargés de proposer un accompagnement social et juridique aux victimes.
Les missions s’articulent en deux temps.
D’une part, un diagnostic territorial est réalisé, visant à recenser les victimes de violence, principalement grâce au travail d’accompagnement d’une association reconnue d’utilité publique, l’ALC.
D’autre part, les personnes identifiées sont soutenues dans leur processus d’émancipation : elles sont mises à l’abri grâce à des solutions de logement, puis accompagnées dans les procédures pénales contre les organisations criminelles.
À ce titre, je salue le travail accompli par l’association ALC, qui a reçu en 2014 le prix français de prévention de la délinquance pour son action de protection des victimes de la traite des êtres humains. Implantée à Nice depuis 1958, sa première mission a été d’éduquer et de scolariser les enfants, principalement les jeunes filles, pour les protéger de la misère et des dangers de la prostitution.
Mais cette réponse locale ne pourrait pas être mise en œuvre sans une mobilisation citoyenne.
Ainsi, depuis le début de l’année, à Nice, une action de sensibilisation à la traite destinée aux « citoyens actifs », comme les présidents de comité de quartier, favorise la détection et, par conséquent, l’orientation géographique des équipes de travailleurs sociaux et de médiateurs lors de leurs maraudes.
Cette démarche permet d’identifier rapidement des situations de traite et de prendre en charge les victimes via le dispositif national « Accueil sécurisant », instauré par l’association ALC et qui fait partie, depuis 2007, des grandes mesures nationales d’aide et d’assistance.
Depuis 2012, avec la signature d’un partenariat renforcé entre la ville de Nice et l’association ALC, nous avons intensifié les actions de prévention en matière de prostitution, développé une politique sociale, en termes tant d’hébergement que d’information sur les droits, et étendu la coopération avec les pays d’origine des organisations criminelles, afin de mieux combattre celles-ci.
Toutefois, la vigilance ne suffit pas lorsque 90 % du public détecté est étranger. La prostitution contemporaine étant largement subie, la violence, les menaces et la peur poussent à l’isolement. Les chances de sortie des réseaux sans intervention extérieure sont extrêmement limitées, d’où la nécessité d’agir vite, tant pour les démarches de droit commun que pour l’éloignement des victimes.
Comme le précise le rapport, nous avons optimisé le dispositif relatif à l’admission au séjour des ressortissants étrangers victimes de la traite ou du proxénétisme coopérant avec les autorités judiciaires, dans le respect du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
La fluidification des délais administratifs et la délivrance d’une carte de séjour temporaire et renouvelable le temps de la procédure pénale se révèlent en effet déterminantes pour mieux démanteler les réseaux sur le plan local.
Vous l’aurez compris : dans mon département, les Alpes-Maritimes, nous n’avons pas attendu la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées pour combattre l’exploitation de la misère et proposer aux victimes des programmes d’assistance et de protection.
Je me réjouis donc que le dispositif de coordination mis en place à Nice soit cité en exemple dans le rapport d’information, lequel recommande au ministère de l’intérieur sa généralisation à l’ensemble du territoire.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite avant tout remercier vivement les membres de la délégation aux droits des femmes, en particulier sa présidente et ses rapporteurs, pour l’immense travail effectué sur un sujet particulièrement complexe et douloureux, une synthèse du rapport ayant même été traduite en anglais.
Beaucoup de choses ont déjà été dites par les collègues qui m’ont précédé à la tribune ; je me contenterai donc de revenir sur les quelques points qui me semblent les plus importants.
Les femmes et les mineurs sont les premières victimes de la traite des êtres humains, qu’on appelait il y a fort longtemps la « traite des blanches ».
Les chiffres des Nations unies sont édifiants et inquiétants ; ils nous interpellent et doivent nous amener à nous remettre en question, afin de tenter de trouver des solutions.
Le chiffre d’affaires mondial du trafic d’êtres humains, qui est lié à la criminalité internationale, est estimé à plusieurs milliards de dollars. Force est de constater que la traite des êtres humains prend plusieurs formes : il peut s’agir d’exploitation par le travail, de prostitution, mais aussi de prélèvement illégal d’organes.
Il y a encore quelques jours, nous apprenions la sinistre découverte, en Inde, d’une « usine » à bébés. Mais il n’est pas besoin d’aller aussi loin : en 2010, au Kosovo et en Moldavie, la mission européenne EULEX, avait mis au jour un trafic d’êtres humains et d’organes.
Les collègues qui se sont exprimés avant moi ont très bien exposé les enjeux et les difficultés rencontrées par les États pour lutter, au plus haut niveau, contre la traite des êtres humains. Le combat contre cet esclavage moderne mérite de faire l’objet d’une très forte mobilisation et surtout d’une véritable coopération entre tous les États.
Concernant la prostitution, par exemple, nul ne peut ignorer le rôle joué par les mafias qui sévissent en Albanie, mais dont les ramifications dépassent les frontières de cet État et se prolongent en Hongrie ou au Kosovo. En la matière, la coopération policière et judiciaire européenne est primordiale.
Il ne faut d’ailleurs pas minorer le rôle d’internet : si la lutte contre la cyberprostitution pose des difficultés juridiques et techniques, l’exploitation des femmes concernées n’est pas virtuelle.
Enfin, il est impossible d’aborder ce sujet, aujourd’hui, sans évoquer le trafic illicite de migrants. Les passeurs s’organisent de mieux en mieux, à mesure notamment que les États rencontrent des problèmes de gouvernance.
Je pense à cet instant aux jeunes filles enlevées par Boko Haram – peu d’entre elles ont retrouvé leur foyer –, ainsi qu’aux femmes yézidis enlevées et torturées par Daech. Je veux dire ici combien nous devons nous mobiliser contre ces crimes, et contre toutes les formes de barbarie que les femmes esclaves de Daech subissent.
Certes, il s’agit d’un combat de longue haleine ; quoi qu’il en soit, madame la ministre, il faut y consacrer tous les moyens nécessaires, financiers et humains. Une première étape a été franchie, incontestablement, avec la création, en 2013, de la MIPROF, la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains. Ce problème concerne en effet les administrations de la santé, de l’intérieur, des affaires sociales, de la justice, de l’éducation nationale, les collectivités territoriales, les associations, les bénévoles, les professionnels de santé et, au-delà, l’ensemble de la population. La mobilisation de tous les acteurs est nécessaire.
Certes, la tâche reste immense, mais il ne faut surtout pas baisser les bras. Ce combat passe par l’affirmation sans relâche de l’égalité entre les hommes et les femmes.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je souhaite d’abord vous remercier de m’avoir invitée à débattre des conclusions et recommandations de ce rapport sur la traite des êtres humains, à la rédaction duquel ont été associés tous les groupes politiques représentés au Sénat.
Je salue l’esprit de consensus qui a guidé vos réflexions communes sur cet enjeu qui requiert la mobilisation de toutes et de tous. Je tiens à remercier Mmes Jouanno, Garriaud-Maylam, Doineau, Gonthier-Maurin, Blondin, Bouchoux, Jouve, Estrosi Sassone et M. Laménie de leurs interventions convergentes, tant dans l’ambition que dans la qualité des propos.
Quant au sénateur Masson, il a déjà quitté l’hémicycle après avoir passé trois minutes à y jeter quelques boules puantes… Son comportement m’évoque avant tout ces enfants qui, ne sachant pas comment attirer l’attention des adultes, profitent d’un moment de silence pour égrener les quelques gros mots qu’ils connaissent.
Rires.
Les parents expérimentés que nous sommes savent comment traiter ces provocations puériles…
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.
Nos échanges attestent de la richesse du travail accompli, mais aussi de l’immensité du défi que nous avons collectivement à relever pour faire reculer cette barbarie ô combien moderne du XXIe siècle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez évoqué les jeunes femmes yézidis vendues comme esclaves, sexuelles ou non, par les assassins de l’État islamique, et victimes d’un véritable féminicide, ou encore les jeunes filles enlevées par Boko Haram. Je propose que nous leur dédiions ce débat.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin approuve.
En France, ce combat est l’affaire de tous : travailleurs sociaux, personnels soignants, forces de police et de gendarmerie, magistrats, associations et élus, bien sûr, comme en témoignent vos travaux et ce débat.
C’est aussi la responsabilité de chaque citoyen qui est engagée face à cette négation organisée de l’humanité, qui humilie, torture et parfois tue. Le ministère dont j’ai la charge est évidemment en première ligne pour combattre cette violence de l’esclavage dit « moderne », auquel la France est de plus en plus exposée, en tant que pays de destination, mais aussi de transit, de ces trafics.
Le nombre des victimes de la traite des êtres humains augmente à proportion des profits engendrés par cette forme de criminalité, qui ne cessent de croître. Comme le confirme votre rapport, les femmes et les mineurs sont les premières cibles et les premières victimes de ces trafics, qui visent très majoritairement l’exploitation sexuelle.
Ce n’est pas un hasard si c’est la délégation aux droits des femmes qui a donné de la visibilité à ce sujet, dans la continuité du travail déjà effectué sur la prostitution, en dialogue permanent avec le Gouvernement.
De 85 % à 90 % des personnes prostituées identifiées en France sont d’origine étrangère et victimes des réseaux de proxénétisme. Nous assistons aussi à une inquiétante augmentation du nombre de mineurs exploités, contraints à la mendicité forcée, à la commission de délits et à l’exploitation sexuelle.
Dans le droit fil de ses engagements européens et internationaux, la France est pleinement mobilisée pour combattre, par tous les moyens, cette forme d’esclavage. C’est à cette fin que le Gouvernement a adopté, en 2014, un plan triennal d’action national contre la traite des êtres humains, fondé sur un triple objectif de prévention, de protection des victimes et de répression des trafiquants. Ce plan a commencé à porter ses fruits ; j’y reviendrai.
Toutefois, nos efforts, consentis à l’unisson de la communauté internationale, se heurtent aux bouleversements auxquels l’Europe fait face à l’occasion de la crise des réfugiés et des migrants. Votre rapport et vos interventions l’ont parfaitement mis en lumière : les déplacements massifs de populations liés à la multiplication des conflits ont une incidence avérée sur l’évolution du phénomène de la traite.
Bien entendu, les femmes et les enfants qui fuient leur pays sont particulièrement exposés à l’exploitation, notamment à des fins sexuelles, puisqu’on observe un véritable continuum entre traite, prostitution et violences. Surtout, avec l’afflux massif de migrants plongés dans une situation de vulnérabilité extrême, la traite change non seulement d’échelle, mais aussi de nature.
C’est donc un double objectif qui nous est assigné : anticiper la menace d’une expansion des réseaux, favorisée par la présence de migrants, et mettre la traite des êtres humains au centre de notre réflexion sur la régulation de ces flux migratoires.
Nous disposons aujourd’hui d’outils efficaces, qui ont permis des avancées tangibles dans la lutte contre la traite des êtres humains. Pour la première fois, en effet, notre pays dispose en la matière d’une véritable politique publique interministérielle, que le Gouvernement s’est attaché à développer depuis 2012.
Ce volontarisme inédit s’est exprimé selon trois axes majeurs : le renforcement de l’arsenal législatif, la création, en 2013, de la MIPROF, qui assure la coordination nationale de notre politique, et l’adoption du premier plan d’action national contre la traite des êtres humains, pour la période 2014-2016.
Nous entrons dans la dernière année de mise en œuvre de ce plan. La publication de votre rapport nous donne l’occasion d’en tirer un premier bilan et de tracer quelques perspectives pour l’avenir.
Tout d’abord, je tiens à revenir brièvement sur les avancées législatives qui ont contribué à étendre et à renforcer l’efficacité de notre action.
La loi du 5 août 2013, vous le savez, a permis de compléter le droit pénal et de le rendre pleinement conforme aux textes internationaux, en étendant notamment la définition de la traite des êtres humains à différentes formes d’exploitation : la réduction en esclavage, la soumission à du travail ou à des services forcés, la réduction en servitude, le prélèvement d’organes.
Vous recommandez, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette définition intègre les cas de mariages forcés. Je tiens à vous rappeler que la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée ne définit pas explicitement le mariage forcé comme une forme d’exploitation. Pour autant, un mariage forcé qui n’aurait pas pour but l’exploitation de l’épouse peut-il réellement ne pas être considéré comme relevant de la traite des êtres humains ?
La législation française est aujourd’hui en parfaite conformité avec les standards internationaux, notamment européens. Pour autant, s’agissant du mariage forcé, vous connaissez mon combat contre cette pratique, qui est en totale contradiction avec l’esprit et la lettre de nos lois.
J’ai la même responsabilité à l’égard des jeunes filles ou des femmes exposées à la menace d’un mariage forcé qu’à l’égard des victimes de la traite. L’exploitation de l’épouse victime d’un mariage forcé – au moins au sens commun, à défaut de sens juridique – ne fait aucun doute.
En matière de protection et d’accompagnement des victimes, la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a permis des progrès notables : le renouvellement automatique de la carte de séjour pendant toute la durée de la procédure pénale, l’obtention d’une carte de résident délivrée de plein droit en cas de condamnation définitive des auteurs, l’exonération de la perception des taxes et droit de timbre sur les titres de séjour.
Enfin, la loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, promulguée le 13 avril dernier, a complété utilement cet arsenal sur les deux fronts du combat contre la traite : renforcer l’accompagnement et la protection des personnes prostituées et victimes de la traite ; mieux lutter contre les réseaux.
J’espère que la sanction pénale désormais prévue pour réprimer l’achat d’actes sexuels contribuera à une prise de conscience salutaire pour les clients complices de cet esclavage. En accompagnant cette proposition de loi exceptionnelle et inédite, le Gouvernement a pris une mesure de lutte contre la traite. Voilà pourquoi je me permets de l’évoquer au titre des avancées législatives de ces dernières années.
Comme vous le savez, conformément à vos recommandations, la loi du 30 mars 2016 autorise désormais la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l’Organisation internationale du travail sur le travail forcé, datant de 1930. Ce protocole complétera utilement les différents instruments internationaux dont nous disposons.
C’est dans ce cadre juridique renouvelé et renforcé que se décline notre plan triennal d’action national, selon une approche globale, pluridisciplinaire et concertée. La protection et l’accompagnement des victimes de la traite sont naturellement au cœur de notre ambition. Il s’agit non seulement de garantir leur sécurité et leur intégrité physique, mais aussi et surtout de leur permettre de jouir de nouveau de leurs droits et d’accéder à l’autonomie.
En d’autres termes, il s’agit de leur rendre cette dignité qui a été bafouée et cette humanité que l’on a niée en elles. Il s’agit également de leur permettre de reprendre leur vie en main et leur donner l’espoir d’un avenir : voilà l’enjeu qui mobilise notre quotidien.
Vous le savez, ce plan d’action interministériel se compose de vingt-trois mesures concrètes, qui s’articulent autour de trois priorités.
La première priorité est d’identifier et d’accompagner les victimes de la traite. L’objectif est de renforcer leurs droits en matière d’accès au séjour, d’accompagnement, d’hébergement et de protection. Plusieurs actions ont déjà été menées pour l’atteindre : le déploiement de référents « traite des êtres humains » au sein des préfectures pour les titres de séjour ; le renforcement de la formation des professionnels susceptibles d’identifier les victimes, grâce à des outils pédagogiques ; la promotion du dispositif ACSÉ – accueil sécurisant –, fondé sur l’éloignement géographique des victimes de réseaux de proxénétisme et de traite.
Une attention particulière est portée à l’accompagnement spécifique dont doivent bénéficier les victimes qui parviennent à s’arracher à l’enfer de l’esclavage.
Il s’agit naturellement de rendre leur situation administrative plus sûre, grâce à un véritable statut juridique, mais aussi d’agir pour qu’elles puissent retrouver des conditions de vie décentes : outre les soins médicaux et le soutien psychologique dont elles doivent bénéficier, l’aide que nous devons leur apporter passe aussi par l’accès au logement, à l’emploi, à l’éducation, pour elles et leurs enfants.
Le parcours de sortie de la prostitution prévu par l’article 5 de la loi constitue un vecteur essentiel de la réalisation de cet objectif. Cette mesure fait écho au parcours d’insertion sociale proposé pour les victimes d’autres formes d’exploitation, afin qu’elles puissent aussi bénéficier de droits élargis en matière de droit au séjour, d’aides sociales et d’hébergement.
Une expérimentation est en cours à Paris. Elle vise à protéger et à accompagner les mineurs victimes de traite des êtres humains, en partenariat avec les autorités locales, les professionnels de la protection de l’enfance et les associations, au bénéfice des victimes qui coopèrent avec les autorités judiciaires.
Je soutiens évidemment le projet de généraliser ce dispositif d’accueil, comme vous le suggérez, si l’expérimentation parisienne s’avère réussie, ce que je souhaite vivement.
La deuxième priorité est de poursuivre et de démanteler les réseaux de la traite.
Au volet « protection et prévention » du plan national d’action s’ajoute évidemment celui de la sanction et de la répression. La circulaire de politique pénale en matière de lutte contre la traite des êtres humains, diffusée le 22 janvier 2015, donne ainsi des orientations claires.
Nous disposons désormais d’outils adaptés en matière de poursuite des auteurs et de confiscation des biens et avoirs criminels. Je citerai deux exemples emblématiques à cet égard.
Premièrement, les compétences des inspecteurs du travail ont été élargies à la constatation et à l’établissement de procès-verbaux pour les délits caractérisés de traite des êtres humains, comme prévu à l’article 4 de la loi sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel.
Deuxièmement, en matière de coopération internationale, l’accent est mis sur le développement de l’entraide pénale et des équipes communes d’enquête. Un réseau de points de contact a également été créé le 20 juillet 2014, regroupant les postes diplomatiques de dix-sept pays d’origine particulièrement touchés par la traite des êtres humains, en vue de développer la coopération et l’échange d’informations. De nombreuses initiatives sont menées en ce sens par les ministères de l’intérieur et de la justice.
Chacun, ici, pourra se réjouir des premiers résultats observés : le nombre d’infractions pour traite des êtres humains a plus que doublé depuis 2012 et celui des condamnations a été multiplié par quatre depuis 2014.
Bien sûr, d’immenses progrès restent à accomplir. J’y vois pourtant la preuve de l’efficacité des outils que nous avons mis en place, ainsi que le signe encourageant d’un changement de culture profond, lié à la mise en œuvre d’une politique publique à part entière, qui tient « tous les bouts de la chaîne » grâce à la mobilisation d’une structure dédiée, la MIPROF, qui garantit la cohérence et la pertinence de l’action de l’État, en lien avec toutes les administrations concernées.
La mission que conduit la MIPROF est, par essence, interministérielle. Néanmoins, cela ne justifie pas, à mon sens, qu’elle soit rattachée au Premier ministre, comme vous le proposez, à l’instar d’une autre instance. Ce débat a été l’occasion de le rappeler : 80 % des victimes de traite sont des femmes et des jeunes filles mineures et neuf victimes d’exploitation sexuelle sur dix sont des femmes. Vous le savez, cette forme d’esclavage constitue l’une des innombrables expressions de la domination masculine qui s’exerce sur le corps des femmes et des violences qu’elles subissent.
Ignorer la dimension sexuée de la traite, c’est se priver de l’un des principaux outils de compréhension de ce phénomène.
Le titre de votre rapport l’illustre parfaitement : les femmes et les mineures sont les premières victimes de la traite. C’est la raison pour laquelle je juge, pour l’heure, plus pertinent que la MIPROF reste rattachée au ministère des droits des femmes. Néanmoins, je comprends le sens de votre réflexion et je souhaite que la MIPROF puisse associer, plus largement encore, toutes celles et tous ceux qui contribuent à l’accomplissement de sa mission.
Le secteur associatif est évidemment un partenaire essentiel de la mise en œuvre du plan d’action national. Comme vous, je souhaite que nous puissions davantage nous appuyer sur son expertise et son expérience, qui doivent être valorisées. À cette fin, un comité de coordination réunissant les administrations et des représentants de la société civile et des associations sera prochainement installé auprès de la MIPROF.
Cela me semble d’autant plus légitime que la MIPROF a su insuffler une véritable dynamique interministérielle, fondée sur une démarche partenariale et pluridisciplinaire. Cette démarche est évidemment soutenue par un effort budgétaire important. Comme vous le savez, les mesures du plan d’action national seront financées notamment par un fonds dédié aux victimes de la traite et à l’insertion des personnes prostituées, dont les crédits ont déjà été doublés cette année.
Cette montée en puissance se poursuivra par la mise en œuvre des mesures prévues à l’article 7, qui dispose que le fonds pourra bénéficier du produit des cessions de biens mobiliers ou immobiliers confisqués aux proxénètes ou aux auteurs de traite, ainsi que du produit des amendes forfaitaires pour l’achat d’actes sexuels.
Comme vous le rappelez très justement dans votre rapport, nous devons aller plus loin, plus vite, plus fort. Je pense, notamment, au volet « sensibilisation et formation » de notre action, qui constitue un enjeu central et doit, à ce titre, être amplifié. Plusieurs initiatives ont déjà été engagées, conformément aux recommandations que vous formulez.
La formation est évidemment notre priorité. Les groupes de travail pilotés par la MIPROF œuvrent actuellement à l’élaboration d’outils pédagogiques sur la traite des mineurs, destinés aux professionnels de la protection de l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse.
Les inspecteurs du travail bénéficieront aussi de formations adaptées au repérage et à l’identification des situations de traite, afin de pouvoir exercer les nouvelles compétences qui leur ont été confiées. Dans le même esprit, la formation des magistrats, des parquetiers et des forces de sécurité sera renforcée.
Soyez aussi assurés de notre souci de sensibiliser le grand public. Comme vous le préconisez, une campagne de communication sera lancée le 18 octobre prochain, à l’occasion de la journée européenne de lutte contre la traite des êtres humains.
Enfin, la MIPROF, en partenariat avec l’ONDRP, travaille à la création d’outils statistiques et à la réalisation d’une cartographie répertoriant les organismes et les associations qui accompagnent les victimes, ainsi que les actions engagées par les différents acteurs sur le territoire national.
Comme vous le constatez, nombre de nos préoccupations et de nos objectifs se rejoignent. Je n’en doutais pas, mais je m’en félicite, car les recommandations que vous avez formulées continueront à nourrir notre réflexion et notre action. Je pense tout particulièrement à votre analyse des défis auxquels nous confronte la crise migratoire.
La situation des femmes, des enfants et des mineurs isolés sur la lande de Calais nous préoccupe particulièrement. Chacun sait qu’ils constituent la proie des réseaux. Les témoignages des associations humanitaires en attestent, puisqu’ils évoquent de nombreux cas d’exploitation sexuelle.
Les services de l’État sont donc pleinement mobilisés aux côtés des associations qui vont à la rencontre des femmes migrantes sur la lande pour assurer leur suivi médical, comme Gynécologie sans frontières, ou prendre en charge celles qui sont victimes de traite. Je pense ici au remarquable travail effectué par l’Amicale du nid.
Nous travaillons aussi très étroitement avec le conseil départemental pour soustraire les mineurs isolés à la traque des trafiquants et assurer leur mise en sécurité. Les associations spécialisées, comme France Terre d’asile, jouent là encore un rôle essentiel dans le repérage et l’identification de ces jeunes en danger, dont le nombre a littéralement explosé dans les bidonvilles du Calaisis depuis trois ans. Les mettre à l’abri est une exigence autant qu’une urgence. J’espère donc que le projet d’ouvrir un nouveau centre agréé « aide sociale à l’enfance » à proximité de Calais, avec l’aide de l’État, se concrétisera très prochainement.
Enfin, pour répondre à Mme Bouchoux, qui faisait le lien entre le nécessaire travail de mise en lumière de la pédophilie et la traite, je redirai ici ce que j’ai déjà eu l’occasion d’exprimer ailleurs : les institutions dont sont issus les auteurs d’actes pédophiles doivent faire preuve du même courage que celui dont font preuve les victimes pour parler !
Le Gouvernement s’est engagé avec une détermination absolue tant dans la lutte contre la pédophilie que dans celle contre la traite des êtres humains. Nos échanges montrent que, si nous sommes passés de la fatalité à la responsabilité, le chemin sera encore long avant que ces crimes n’appartiennent définitivement au passé ou qu’ils soient marginalisés. C’est en conjuguant nos efforts, en France, en Europe et dans le monde entier, que nous pourrons continuer à avancer. C’est également le sens de mon action à l’ONU. Je vous remercie d’y contribuer et de me soutenir !
Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les femmes et les mineur-e-s victimes de la traite des êtres humains.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quinze.
L’ordre du jour appelle le débat sur le rôle et l’action des collectivités territoriales dans la politique du tourisme, organisé à la demande du groupe du RDSE.
La parole est à Mme Hermeline Malherbe, oratrice du groupe auteur de la demande.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe du RDSE a souhaité engager un débat sur l’un des secteurs économiques les plus riches en emplois en France, le tourisme, et plus précisément sur l’implication des collectivités locales dans la politique du tourisme.
Il nous est apparu opportun, en effet, quelques mois après l’adoption de la loi NOTRe et l’installation des nouveaux exécutifs départementaux et régionaux, de dresser un état des lieux, enrichi de nos retours d’expérience, et de débattre des pistes à explorer pour améliorer ensemble, collectivités et État, notre politique du tourisme.
Pour mieux faire comprendre les enjeux, je souhaite « planter le décor » et rappeler l’évolution que connaît le secteur du tourisme depuis quelques décennies.
Si les voyages d’agrément existent depuis l’Antiquité, le terme de « touriste » apparaît en 1803. Avant les congés payés, dont on fête les quatre-vingts ans cette année, le tourisme était l’apanage des classes aisées. La mise en place progressive des congés payés, fixés respectivement à deux, à trois et à quatre semaines en 1936, en 1956 et en 1969, a permis l’éclosion du « tourisme de masse ». Depuis cette époque, le tourisme national et international a bien sûr évolué ; il s’est démocratisé et ses pratiques ont été bouleversées par l’apparition d’internet.
Aujourd’hui, en France, le tourisme représente 160 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 7, 4 % du PIB. À titre de comparaison, l’industrie automobile réalise annuellement un chiffre d’affaires d’environ 100 milliards d’euros.
Le tourisme, c’est aussi plus de 2 millions d’emplois directs et indirects, dans un secteur bénéficiant de 13 milliards d’euros d’investissement.
Le tourisme, c’est enfin 85 millions de personnes accueillies en 2015, avec un objectif ambitieux de 100 millions de touristes en 2020.
Le tourisme est donc un pilier de notre économie nationale, source d’emploi local et non délocalisable. Il contribue à la dynamique d’aménagement du territoire, en raison des besoins en matière de dessertes routières, ferroviaires ou aériennes qu’il suscite.
Aujourd’hui, les événements culturels ou sportifs participent positivement à l’économie touristique.
Pour autant, nous devons nous adapter aux nouvelles exigences de la clientèle, qui évoluent rapidement dans une société en mutation constante.
Certains secteurs se sont adaptés avec succès : les campings des années quatre-vingt ont laissé place à une hôtellerie de plein air de haut niveau, comme à Argelès-sur-Mer.
De même, les gîtes et chambres d’hôte d’aujourd’hui offrent des prestations sans commune mesure avec celles qui étaient proposées dans les années quatre-vingt-dix.
En revanche, on constate de plus grandes difficultés pour l’hôtellerie traditionnelle, qui, en plus d’être soumise à des normes contraignantes, doit affronter la concurrence de l’économie dite « collaborative », telle que celle des sites de réservation de logements auprès de particuliers, qui bousculent les codes de la profession.
Ainsi, la qualité d’accueil, l’investissement, l’innovation et la visibilité restent plus que jamais les leviers essentiels pour développer le tourisme et rester dans la course.
Pour illustrer mon propos, je ferai référence à mon département, les Pyrénées-Orientales, qui possède des atouts exceptionnels
Sourires.
Nous avons donc un capital touristique riche, mais cela n’est pas une fin en soi : ce capital et ce patrimoine, nous devons sans cesse les valoriser et les développer ! C’est ce que nous faisons aujourd’hui en mettant en valeur nos lieux de mémoire avec le mémorial du camp Joffre de Rivesaltes.
Dans nos territoires, partout en France, nous innovons ; mais encore faut-il que nos actions soient visibles et entendues par le plus grand nombre, dans le monde entier.
Je me souviens que, en 2010, le président du conseil régional Christian Bourquin rappelait que la région Languedoc-Roussillon investissait à l’étranger, avec la marque Sud de France, autant que le Gouvernement français de l’époque, dont telle n’était manifestement pas la priorité…
Je me souviens également que, au cours du dernier débat sur le tourisme s’étant tenu dans cet hémicycle, en 2013, un constat très mitigé avait été dressé sur les conséquences de la mise en œuvre de la loi de 2009, en particulier en termes d’emploi. Vous l’aviez d’ailleurs pointé du doigt, monsieur le ministre.
Quels moyens l’État entend-il déployer, avec les collectivités, pour assurer la promotion de nos produits touristiques ? Pourquoi et comment les collectivités territoriales s’emparent-elles du sujet aujourd’hui ?
Les premiers éléments de réponse résident dans l’action conduite par Laurent Fabius, d’abord, puis par Jean-Marc Ayrault, visant à promouvoir notre offre touristique à l’étranger, avec l’aide du bras armé que représente Atout France. Cette action a donné des résultats : 10, 2 % de visiteurs en plus depuis 2010 et une croissance de 11, 6 % de la clientèle lointaine, notamment chinoise et indienne.
La transversalité du tourisme et la diversité des actions nécessaires à son développement expliquent que cette compétence soit exercée, à leur niveau, par chacune des collectivités. Le bloc communal, le département, la région et l’État concourent à la mise en œuvre de la politique du tourisme : c’est la compétence partagée par excellence !
Cependant, à l’aube du transfert de la promotion touristique des communes vers les intercommunalités, devant entrer en vigueur au 1er janvier 2017, plusieurs questions viennent à l’esprit : quid des stations balnéaires, de ski ou thermales, souvent attachées à une commune ? Quid du classement des stations de tourisme ? Comment répondre aux inquiétudes des maires ? Comment est-il possible d’accompagner ces derniers ? Avons-nous des retours d’expérience sur lesquels nous fonder ou pouvant nous inspirer ? Quels sont, finalement, les modèles à suivre ?
Des pratiques de gouvernance ont progressivement vu le jour et il importe de s’inspirer de ce qui fonctionne bien dans nos territoires.
Dans les Pyrénées-Orientales, plusieurs offices de tourisme intercommunaux, ou OTI, ont devancé la loi et sont déjà en place : je pense à l’OTI des Aspres, avec René Olive et Nicole Gonzales, créé en 2009, à l’OTI de Pyrénées-Cerdagne, avec Georges Armengol, institué en 2010, à l’OTI de Conflent-Canigou, mis en place en 2015, à l’OTI d’Agly-Fenouillèdes, en cours d’installation.
Dans ce contexte de changement, je fais confiance aux maires et aux élus pour donner l’impulsion d’une politique de promotion touristique coordonnée, accompagnée et soutenue par le département, la région et l’État. La collectivité départementale, à taille humaine, fédère les acteurs aux côtés des élus. Les départements, garants des solidarités territoriales, poursuivent, aux côtés des communes et des intercommunalités, à la fois leur soutien financier et leur soutien technique pour développer l’attractivité de leur destination, via les agences de développement touristique, les ADT, qui ont remplacé les CDT.
Dans un environnement concurrentiel, la cohérence entre l’action départementale et l’action régionale reste un appui indispensable à la valorisation des territoires et à l’allongement des saisons.
Je rappelle que 80 % des touristes ne fréquentent que 20 % des espaces : les perspectives de développement existent ! Ne manquons pas le train de la compétitivité pour un secteur dont les emplois ne sont pas délocalisables. Donnons-nous les moyens d’agir !
Sachez, monsieur le ministre, que, au plus près des atouts de nos territoires, les collectivités, les élus locaux, les professionnels du tourisme sont prêts à relever les défis d’une filière touristique d’excellence, si l’État est au rendez-vous. Je suis convaincu qu’il le sera !
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue l’initiative prise par le groupe du RDSE, à l’origine de ce débat.
S’agissant des marchés de proximité, mais surtout des marchés émergents, la notion de destination est enfin vraiment mise en évidence. Jusqu’ici, des images de caractère institutionnel étaient le plus souvent mises en avant, ne correspondant en rien à l’attente du client.
C’est un véritable atout pour un pays comme la France. En effet, nous sommes certainement le pays du monde le plus riche en destinations de très grande renommée, du fait de notre histoire, de nos cultures et de notre diversité.
Il nous appartient d’être très offensifs et très organisés par rapport à une clientèle émergente dont la recherche rencontre remarquablement bien les offres particulières de notre pays : je pense à la clientèle asiatique, bien entendu, au continent américain dans sa totalité, mais également à l’arrivée d’une nouvelle clientèle africaine.
Le rôle des collectivités locales s’inscrit essentiellement dans une meilleure organisation de l’offre, dans la confection de produits régionaux et territoriaux, cela autour des vingt destinations nationalement identifiées.
Il appartient d’ailleurs à ces destinations d’avoir une attitude de rayonnement et un rôle prescripteur par rapport aux territoires qui les entourent.
Le tourisme, au regard de la loi NOTRe, est une compétence partagée. À l’avenir, l’action des conférences territoriales de l’action publique, les CTAP, sera donc déterminante en vue de la clarification des rôles de chacun, au niveau des attributions des trois strates : les CRT, les CDT –respectivement comités régionaux et comités départementaux du tourisme - et les offices du tourisme.
Je vous demande, monsieur le ministre, d’intégrer au sein des CTAP une commission spéciale déléguée au tourisme, tant les problèmes liés à ce sujet sont importants et variés. Une telle requête me semble justifiée.
La clarification des rôles doit porter sur des sujets fondamentaux : les politiques de promotion – la relation entre CDT, CRT et offices paraît fondamentale, leur complémentarité clairement posée et respectée – et les politiques d’investissement. À cet égard, les capacités d’accueil de la « destination France » doivent rapidement se moderniser. La France, à quelques exceptions près, notamment les équipements voisins des grands parcs de loisirs, prend du retard en termes de qualité.
La concurrence du sud de l’Europe – Espagne, Italie, Portugal – devient redoutable. La mise à niveau de l’hôtellerie, du réceptif rural, des campings, de l’accueil chez l’habitant ou à la ferme nécessitera de lourds investissements.
L’intervention des collectivités locales redevient primordiale.
Nous attendons des précisions au sujet de la loi NOTRe : l’action pour la promotion du tourisme doit être totalement distinguée de l’aide aux entreprises, réservée aux seules régions, afin de laisser la possibilité aux départements d’intervenir financièrement. Je formule cette demande, monsieur le ministre.
J’aborderai maintenant un autre sujet au cœur de l’actualité et de notre quotidien : l’« uberisation » de l’économie.
L’offre touristique change très rapidement de visage. Les canaux classiques – agences, centrales de réservation – sont aujourd’hui très fortement concurrencés par l’offre commerciale numérique, notamment par l’apparition de plateformes en ligne, dont on mesure aujourd’hui les inconvénients, en particulier sur le plan fiscal. De nouveaux canaux émergent via internet, mettant en relation directe l’offreur et le demandeur.
Les collectivités doivent apporter des réponses à deux niveaux.
Le premier niveau est celui de la normalisation du commerce numérique. La loi que nous venons de voter instaure une plus grande transparence des transactions, en termes de déclaration, de durée, de fiscalité. Soyons, à cet égard, très attentifs et favorables aux initiatives françaises.
Le second niveau est celui de la couverture territoriale intégrale en matière de numérique, qu’il est urgent d’assurer. Outre que cela devient fondamental au regard de l’activité commerciale, la desserte numérique est désormais un élément de confort prioritaire pour le consommateur.
Enfin, monsieur le ministre, je vous demande de veiller à ce que la taxe de séjour demeure perçue et utilisée à l’échelon local, EPCI et département.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier nos collègues du groupe du RDSE d’avoir permis un débat sur cette importante question.
Au terme de longues discussions, la loi NOTRe a maintenu le tourisme parmi les compétences partagées entre l’État et tous les niveaux de collectivités, au même titre que la culture et le sport. Nous ne pouvons que nous en féliciter, car cela permet à chacun de jouer son rôle au profit du développement touristique et en faveur de tous les territoires.
Chaque collectivité devient ainsi le maillon d’une chaîne de coopération nécessaire pour répondre aux besoins diversifiés qui s’expriment dans ce domaine.
On ne saurait le nier, le tourisme est un secteur important de notre économie nationale et l’une des principales filières créatrices d’emplois. Cependant, au-delà de cet aspect majeur, il est une activité à multiples facettes, et c’est en actionnant ses divers leviers de développement que l’on obtient des résultats économiques.
En effet, le tourisme est un secteur interdisciplinaire dont chaque collectivité doit pouvoir se saisir en s’appuyant sur ses propres compétences, en synergie avec les autres.
Si le tourisme est un secteur dominé par des activités professionnelles privées, celles-ci ont néanmoins besoin de puissantes politiques publiques, développées par les autorités locales et nationales, pour les accompagner et les soutenir, mais aussi pour développer le dynamisme de leurs propres actions.
Ainsi, si le tourisme a évidemment besoin de politiques de promotion des destinations l’international, qui doivent être principalement assurées par l’État et les régions, il a aussi besoin de promotion locale et nationale, de politiques d’aménagement, de politiques sociales, de politiques culturelles. Dans cette perspective, chaque collectivité territoriale a évidemment son rôle à jouer.
Il s’agit d’abord, bien sûr, de maintenir et d’accroître en permanence le rayonnement et l’accessibilité des sites touristiques existants, de créer des moments festifs attractifs, en les rendant toujours plus accessibles, en les valorisant toujours davantage, en ne perdant jamais de vue que la valeur touristique d’un lieu, d’un moment, n’est jamais immuable.
Mais, dans le même temps, il s’agit de faire émerger de nouvelles activités touristiques pour répondre aux besoins qui se font jour du point de vue tant de la demande que de l’offre, et pour s’adapter à tous les types de clientèle, du haut de gamme jusqu’au tourisme social.
En effet, nous le savons tous, la palette est large et diversifiée. Elle ne saurait se réduire aux nouvelles clientèles d’Asie et du Moyen-Orient, dont on parle beaucoup. Elles disposent certes d’un fort pouvoir d’achat, mais n’oublions pas que 90 % des touristes en France sont d’abord français et européens. Or ces derniers expriment de nouvelles attentes. Ces visiteurs souhaitent souvent découvrir nos régions, notre patrimoine de façon insolite, partager parfois la vie quotidienne des habitants. Ils ont également tendance à organiser eux-mêmes leurs séjours, à rechercher les « bons plans », notamment en termes d’hébergement, en dehors des tour operators. En bref, ils veulent « sortir des sentiers battus », ne plus être seulement les « consommateurs » d’une destination mise en scène, mais aussi des coproducteurs de leur voyage.
De ce fait, si le tourisme reste un secteur dominé par de grands groupes privés, n’oublions pas que de très nombreuses petites structures, des acteurs associatifs, des start-up développent des projets très utiles dans ce domaine.
Aussi les collectivités publiques doivent-elles, à côté de leurs propres actions de valorisation de leur territoire, soutenir ces petites structures, dont les initiatives innovantes permettent souvent de renouveler l’offre et l’image de la destination.
Par ailleurs, il nous faut sans conteste travailler sur l’hospitalité, l’accueil dans nos territoires. Pour ce faire, il est nécessaire de nous appuyer sur les habitants, qui doivent devenir les ambassadeurs de leur territoire, des acteurs de son développement. À cette fin, il convient de développer une véritable politique touristique qui valorise le patrimoine humain. Pour y parvenir, l’échelon local est sans doute le bon.
En effet, pour que les habitants deviennent les ambassadeurs de leur territoire, il convient d’abord qu’ils le connaissent et l’apprécient. Aussi les collectivités locales de proximité doivent-elles développer des actions permettant aux habitants de s’approprier leur environnement, de faire d’eux les premiers touristes de leur région.
Enfin, si le tourisme est un vecteur de valorisation des territoires et de réduction des fractures territoriales, il doit aussi être un facteur de réduction des inégalités sociales.
Pour qu’il en soit ainsi, il est nécessaire que s’exprime, à tous les niveaux, une réelle volonté politique au service d’un « tourisme pour tous ». Cela passe par de véritables politiques sociales qui favorisent le départ en vacances de tous.
Au sein de notre groupe, nous sommes particulièrement attachés à cet objectif à haute valeur sociale ajoutée, car le tourisme est pour nos concitoyens une source de découverte, d’épanouissement, de renforcement des liens familiaux et sociaux. Dans mon département du Val-de-Marne, par exemple, nous avons décidé il y a déjà de nombreuses années de gérer nous-mêmes deux grands villages de vacances dans les Alpes, pour permettre l’accès aux vacances à toutes les familles, y compris les plus modestes.
Cette politique doit s’appuyer sur le soutien de l’État et des collectivités territoriales au développement d’hébergements accessibles à tous, mais aussi se déployer en liaison avec les associations, afin d’aider toutes les familles à partir, sachant que, aujourd’hui encore, près de la moitié des Français ne partent pas en vacances, soit 10 % d’entre eux de plus qu’il y a dix ans.
Dans cette perspective, il est urgent, en particulier, de prendre des mesures en faveur des jeunes, car 3 millions des jeunes de 5 à 19 ans ne partent toujours pas en vacances.
En conclusion, nous estimons que, pour répondre à la diversité des objectifs à atteindre dans le domaine du tourisme et des moyens à mettre en œuvre pour créer les meilleures conditions de la rencontre, chaque collectivité territoriale a un rôle à jouer en matière d’intervention, d’impulsion, de coordination des nombreux acteurs publics et privés intervenant dans leur territoire, de mobilisation des populations qui y vivent et de coopération renforcée.
Le tourisme n’a pas vocation à répondre aux seules logiques marchandes. On voyage d’abord pour partager des moments avec ceux qu’on aime, pour s’émerveiller, pour rencontrer et découvrir d’autres cultures. Le tourisme est source d’ouverture aux autres et d’épanouissement : ce sont là des valeurs auxquelles notre groupe est très attaché, surtout en une période où il nous faut combattre le repli et la peur de l’autre.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cahin-caha, la loi NOTRe a été votée. Elle a musardé, et on ne peut pas dire que son examen ait été un modèle de concertation ; mais enfin, elle a été votée !
Les départements ont été acquittés, à l’issue d’un procès excessif en archaïsme
M. Michel Bouvard applaudit.
Je pourrais, invoquant Sieyès, résumer d’une phrase mon intervention : au cœur de la loi NOTRe, il y a l’intercommunalité – communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines –, absolument consacrée, reconnue et célébrée.
Il est vrai aussi que, à partir de la loi Chevènement, ce n’est pas la fin des terroirs que nous avons connue, contrairement à ce qui a pu être écrit, mais la renaissance des territoires. L’intercommunalité permet la rencontre régulière, réconfortante, de l’intelligence territoriale collective.
La promotion du tourisme est au cœur, bien sûr, de l’une des responsabilités de l’intercommunalité, de l’une des chances qu’elle offre au pays tout entier. Car nous sentons bien aujourd’hui, en voyant les centaines de millions de visiteurs venant des pays émergents, que le tourisme est l’un des moyens, pour notre pays, qui doute tant de son modèle, de se redéfinir et de préciser son identité par rapport à la mondialisation. Par conséquent, vive l’intercommunalité, et vive la compétence partagée !
J’ai parlé d’intelligence collective territoriale : ayons confiance ! L’intercommunalité saura dialoguer avec les départements, a fortiori avec les régions. Elle saura déléguer, elle saura harmoniser. Ne rêvons pas du modèle allemand ! Regardons l’intercommunalité à la française, son ADN : l’intercommunalité possède les gènes des majorités d’idées ; osons le mot, elle sait fabriquer le consensus.
En termes de promotion du tourisme, il y a une véritable possibilité, une véritable chance. Les enjeux économiques, les chiffres ont été rappelés : nous pouvons continuer à avancer.
Je voudrais évoquer brièvement trois éléments du contexte.
Monsieur le ministre, connaissez-vous le « théorème de Piketty » ? Je ne parle pas de son pavé à la Karl Marx §mais de son analyse, menée il y a une dizaine d’années, des populations actives de la France et des États-Unis. Il les a trouvées comparables en termes de répartition par secteurs d’activité. La seule différence, en termes d’emploi, tenait au développement des secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, du commerce et de la distribution : elle suffisait à expliquer que les États-Unis connaissent une situation de plein emploi.
Lorsque nous redéfinirons – c’est très difficile, mais nécessaire – le modèle social français, nous devrons y penser. Nous avons manqué l’occasion, pour le secteur de la restauration, avec la baisse de la TVA. Aux États-Unis, les charges sociales pesant sur des millions d’emplois peu ou pas qualifiés sont nettement moins élevées. Lors du Congrès de Vienne, Talleyrand faisait venir du fromage français. Quant à Laurent Fabius a intégré le tourisme dans la diplomatie française. Faisons en sorte d’être au rendez-vous.
J’évoquerai maintenant la ruralité, sous l’œil vigilant du sénateur de la Lozère. §La dérégulation de la politique agricole commune est-elle compatible avec la ruralité française, l’exploitation familiale à la française ? Quoi de plus intelligent que l’action menée par le général de Gaulle, Edgard Pisani ou Michel Rocard – je pense aux quotas laitiers – pour résoudre la quadrature du cercle en obtenant des prix garantis pour des quantités illimitées, la protection communautaire, des subventions à l’exportation ?
La dérégulation de la PAC met en cause le modèle agricole français, c’est évident ! Or il n’y a pas de tourisme, dans le pays le plus beau, le plus équilibré, le plus harmonieux au monde, sans une ruralité et une agriculture rayonnantes.
Depuis les lois de 2000, nous avons la ruralité la mieux équipée au monde. C’est le moment où jamais de nous en préoccuper et, lors des grands débats, je souhaite que les grandes associations d’élus se mobilisent sur ce thème de la dérégulation de la PAC. À la limite – c’est paradoxal et excessif ! –, sans la PAC, la place de la France en Europe ne serait plus tout à fait ce qu’elle est. N’abandonnons jamais les mécanismes de la PAC ! Pour les collectivités locales, l’économie mixte est une bénédiction : 18 milliards d’euros de subventions publiques ont été attribués à ce titre en 2014, dont 10 milliards d’euros alloués par l’Europe à l’agriculture française. L’intervention, la protection de l’État, fût-il européen, c’est quelque chose que nous connaissons bien ! Nous avons là une occasion d’avancer, car si notre agriculture est la première au monde, c’est aussi grâce – osons le dire ! – à la cogestion, à la co-animation entre le pouvoir politique et les syndicats agricoles.
Il est évident que, pour l’avenir, l’exercice de la compétence « tourisme », de la compétence développement économique appelle sinon une cogestion, en tout cas une co-animation de l’agriculture française au niveau des collectivités locales, en accord profond avec la profession. À défaut, l’avenir n’appartiendra plus à nos paysans.
J’évoquerai enfin ce que le professeur Davezies appelle « l’économie résidentielle ».
Permettez-moi de dire, moi qui ai passé trente ans au sein d’un exécutif régional, dont quinze à sa tête, à quel point l’économie résidentielle est fondamentale.
L’INSEE nous alerte, dans sa dernière étude, sur le fait que 3 000 entreprises sont à la base de la richesse dans les métropoles et que, dans le contexte de la compétition mondiale, la production de richesses est non pas éparpillée, mais concentrée.
Soyons vigilants face à cette tentation de la métropolisation.
Dans ma région, nous avons fait venir le plus grand musée du monde sur une friche minière, dans l’arrondissement de Lens, celui de France qui produit le moins de richesse en termes d’économie marchande : 400 millions d’euros par an, soit 1 000 euros par an et par habitant, contre 3 200 euros pour Toulouse, 2 800 euros pour Lille 2 800 euros et environ 8 000 euros pour une vallée alpine. Le mariage de l’exception culturelle française avec le tourisme et l’intelligence territoriale, noué à Lens grâce à Jean-Jacques Aillagon, représente à coup sûr une des voies du développement économique. Faisons confiance aux élus !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un rapport de 2014 intitulé Tourisme et développement durable en France, le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, affirmait que la très grande diversité de richesses en France contribuait à faire de notre pays la première destination au monde pour les touristes, avec 84, 7 millions d’arrivées en 2013. Son poids économique représente 7, 3 % de notre PI, avec plus de 230 000 entreprises travaillant dans ce secteur, pour un effectif salarié de plus de 1 million d’emplois en équivalent temps plein. C’est dire à quel point le tourisme connaît aujourd’hui un essor continu dans la croissance mondiale, jusqu’à se substituer parfois aux secteurs d’activités traditionnels et à prendre la place de moteur de l’économie.
C’est le cas dans certaines économies ultramarines où le secteur touristique représente un levier important de croissance et une source déterminante d’activité. Dans mon territoire, à Saint-Martin, il mobilise près de 30 % des effectifs salariés déclarés. Pour autant, ce secteur décisif est confronté au dynamisme croissant des destinations concurrentes, par exemple Cuba ou la République dominicaine.
Alors que le secteur touristique est en léger recul dans nos territoires, il progresse dans les îles alentour, principalement du fait de nombreux avantages de compétitivité.
L’exemple de Saint-Martin est symptomatique de ce phénomène : l’absence d’infrastructures portuaires et aéroportuaires adaptées à l’accueil des touristes limite les capacités d’accueil des visiteurs dans la partie française de Saint-Martin, au profit de la partie néerlandaise. Je citerai un seul chiffre : nous accueillons quelques dizaines de milliers de visiteurs seulement, contre 2 millions pour les seuls croisiéristes.
Ce déficit d’infrastructures, s’il n’explique pas à lui seul notre faible compétitivité, en est cependant un facteur aggravant. Dans les territoires français, s’y ajoutent des charges d’exploitation plus élevées dues au coût du travail, à une législation complexe et contraignante pour les investisseurs potentiels ou encore, dans notre région, à une parité de change euro-dollar souvent défavorable.
Dans ce contexte économique difficile, les pouvoirs publics ont pour rôle – voire, de mon point de vue, pour obligation – d’assurer un environnement propice au développement touristique de leur territoire. Cette mission peut se décliner sous plusieurs formes. En matière d’aménagement du territoire, il s’agit d’abord de mettre en œuvre des politiques d’infrastructures et de transports en phase avec nos ambitions en matière de tourisme. Il est également du rôle des pouvoirs locaux de s’assurer que le système normatif soit favorable aux investissements privés.
Ces missions fondamentales des collectivités participent à l’attractivité du territoire et constituent ainsi une condition préalable à la définition d’une politique touristique performante.
Depuis notre accession au statut de collectivité d’outre-mer, en 2007, la collectivité territoriale de Saint-Martin est pleinement compétente en la matière. Nos interventions s’organisent autour d’une volonté de soutien aux entreprises et d’orientation du tourisme de demain, notamment au travers du document de planification stratégique du tourisme de Saint-Martin, élaboré par la direction de la stratégie et mis en œuvre par l’office du tourisme.
L’action de la collectivité se décline donc sous plusieurs formes.
La promotion du patrimoine et de l’offre touristique est assurée internationalement sur l’ensemble des salons spécialisés, avec une présence permanente à Paris et à New York, et souvent en collaboration avec des acteurs privés locaux, tels que les associations des hôteliers, des restaurateurs, des chauffeurs de taxi ou les acteurs du nautisme.
La mise en place d’un module « tourisme » dans les collèges et lycées est une démarche novatrice visant à impliquer les enseignants dans la promotion du tourisme local. Nous avons mis en place et organisé, en partenariat avec l’éducation nationale, une formation intitulée « Enseigner le tourisme à Saint-Martin ». Au vu de l’enthousiasme manifesté par les enseignants de l’île, l’initiative mériterait, monsieur le ministre, d’être reproduite dans d’autres territoires.
En matière de fiscalité, la collectivité de Saint-Martin a déployé de multiples avantages destinés à inciter à l’investissement productif dans le secteur du tourisme. Des dispositifs de défiscalisation et d’exonération de charges ont également été instaurés au niveau national.
De même, au niveau local, des aides à la rénovation et à la mise aux normes pour les petites structures et les guest houses ont été introduites. La collectivité s’est également attachée à personnaliser sa communication à l’égard des investisseurs, notamment au travers de la brochure « Investir à Saint-Martin ». La recherche de solutions fiscales innovantes vise à ne pas reproduire les erreurs des politiques de défiscalisation amorcées dans les années quatre-vingt, qui ont mené à une privatisation de la quasi-totalité du parc hôtelier et ont rendu difficile l’accès à certaines plages.
En outre, l’action publique en matière sociale constitue, bien qu’indirectement, un levier des politiques de soutien au secteur touristique. Je le rappelle, nos outre-mer doivent régulièrement faire face à divers défis liés au coût de la vie, aux aléas climatiques, à l’insécurité ou encore à des épidémies telles que le chikungunya, le virus zika ou la dengue. Ces défis sociaux ont une incidence forte sur le dynamisme touristique et appellent à une réactivité immédiate de l’État et des collectivités.
Malgré toutes les difficultés énumérées, les chiffres montrent que le secteur touristique a connu une embellie importante en 2015. Pour autant, de nouvelles initiatives des pouvoirs locaux sont toujours souhaitables, en particulier pour l’amélioration du réseau routier, du cadre de vie ou de la desserte.
Plus encore, il est de notre responsabilité d’orienter notre politique touristique vers des activités de niche qui augmenteraient notre compétitivité.
Saint-Martin se distingue ainsi de plus en plus par la promotion d’un tourisme écoresponsable.
Mes chers collègues, au travers de ces quelques exemples, vous comprendrez que la politique touristique relève avant tout d’une action conjuguée des acteurs publics et privés locaux, tant ce secteur occupe une part croissante dans nos économies. Le moment n’est-il pas enfin venu, pour reprendre le titre du rapport sénatorial de 2009, de « faire confiance à l’intelligence territoriale » ?
Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UDI -UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en écoutant les orateurs qui m’ont précédé, j’ai eu le sentiment que nous étions des touristes faisant, au fil des interventions, le tour de la France.
Le temps me manque pour feuilleter avec vous les brochures riches en textes et illustrations consacrées au beau département de l’Orne, que je représente ici et où je suis né : nous sommes au moins deux Percherons dans cette assemblée !
Sourires.
Je voudrais souligner, comme plusieurs orateurs l’ont déjà fait avant moi, l’attractivité du monde rural, d’abord pour les touristes de proximité. Ainsi, dans ma région, qui est relativement proche de l’Île-de-France, viennent régulièrement des Franciliens attachés à notre beau territoire, qui offre tant de chemins de randonnée, de forêts, d’auberges où l’on se régale, de lieux d’hébergement où l’on peut bavarder avec les habitants, de richesses patrimoniales telles qu’églises, manoirs, châteaux et beaux villages.
Cette attractivité est illustrée dans le poème Qu’il vive, de René Char : « Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains. » Qu’un Francilien ait seulement quelques dizaines de kilomètres à parcourir pour rejoindre ces lieux où l’on peut se reposer et vivre en paix, où le lien social existe, représente un atout considérable pour notre territoire. C’est à nous de l’organiser et de le vivifier.
On lit, dans le même poème de René Char : « Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays. […] Dans mon pays, on remercie. » Ce lien social, beaucoup de personnes qui visitent nos territoires y sont attachées. Encore faut-il l’organiser. Nous l’avons fait au travers de la loi NOTRe, et je suis de ceux qui ont soutenu l’idée que le tourisme puisse être organisé au niveau des communautés de communes.
En effet, le tourisme est un levier considérable pour l’économie locale. Il permet aussi de renforcer la cohésion territoriale et sociale à l’intérieur de ces communautés de communes, puisque c’est ensemble que nous bâtissons.
Une commune, fût-elle petite, peut mettre en valeur un élément de son patrimoine, des productions locales, des lieux à visiter. Une fédération de communes organisée autour d’offices de tourisme permet de promouvoir un territoire beaucoup plus large. Encore faut-il que nous ayons au plan national une politique de promotion de nos territoires tournée vers l’étranger, pour assurer la diffusion de toutes ces belles images que nous avons à l’esprit.
Monsieur le ministre, deux conditions supplémentaires sont nécessaires pour mener à bien nos actions dans le domaine touristique.
Il faut, tout d’abord, un accès aux réseaux, qu’il s’agisse du haut débit ou du téléphone.
De nombreux gîtes ruraux et fermes isolées n’ont pas accès aux possibilités qu’offre internet pour réserver ou connaître les disponibilités d’un lieu d’hébergement. En outre, avant de choisir un lieu de villégiature, certaines personnes se préoccupent de savoir si elles seront connectées au réseau téléphonique.
La seconde condition vous apparaîtra peut-être secondaire, monsieur le ministre, mais je la crois pour ma part importante : en raison d’une réglementation trop stricte, il n’est aujourd’hui plus possible de flécher la direction d’un lieu. On a éliminé, de façon parfois brutale, les pré-enseignes, les enseignes, tous ces panneaux indicateurs qui, lorsqu’ils sont bien faits – c'est souvent le cas –, s’intègrent dans l’environnement.
Trop d’acteurs du tourisme local sont aujourd’hui privés de l’usage de ces moyens, pourtant bien utiles au conducteur d’une voiture pour s’orienter.
M. Jean-Claude Lenoir. Je souhaite monsieur le ministre, que cette remarque puisse être relayée auprès de celles et de ceux qui mettent en application cette réglementation ô combien restrictive. Il faut permettre, avec souplesse et intelligence, à ces territoires d’être irrigués et de vivre. C’est un souhait qui peut tous nous rassembler.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Gérard Détraigne et Jean-Claude Requier applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’autres ont rappelé avant moi l’importance du secteur touristique dans l’économie de notre pays. Je soulignerai, de façon moins poétique que Jean-Claude Lenoir, que le tourisme représente 7 % du produit intérieur brut. Dans mon département, la Haute-Savoie, 34 millions de nuitées génèrent 23 000 emplois non délocalisables.
Avec plus de 84 millions de visiteurs étrangers, la France est toujours la première destination touristique au monde. Néanmoins, la clientèle évolue très vite et très régulièrement. Les acteurs du tourisme doivent sans cesse s’adapter aux nouvelles manières de consommer, aux nouvelles habitudes. Les collectivités jouent un rôle majeur d’organisation du secteur touristique et d’impulsion.
Je ne reviendrai pas sur la question de la répartition des compétences, qui a été abordée par Jean-Jacques Lasserre, et m’attacherai plutôt aux problématiques relatives au bloc communal, en commençant par les difficultés liées aux .investissements.
Ces problématiques sont la conséquence directe des baisses des dotations aux collectivités, qui, pour deux raisons, touchent particulièrement nos communes de montagne, …
dont les territoires accueillent, notamment, des stations de ski.
La première raison tient au fait que la contribution au redressement des finances publiques est assortie de critères de péréquation négatifs pour ces communes : considérées comme riches du fait de l’importance de leurs recettes économiques, elles sont pénalisées par leur faible population permanente. §On pourrait également évoquer l’évolution des finances communales.
La seconde raison tient aux craintes qui entourent la réforme de la DGF, très défavorable aux communes touristiques de montagne, dont les spécificités ne sont pas prises en considération.
Ces difficultés posent la question du financement des investissements nécessaires supportés par les communes et les intercommunalités qui s’engagent dans la voie du développement touristique.
Pour mieux atteindre leur objectif, les élus de ces territoires demandent que soient prises en compte leurs spécificités, en insistant sur quelques points : la compensation des « surcoûts montagne » via une fraction ou une majoration de la dotation de ruralité ; l’intégration de la disparition de la dotation touristique et de la population prise en compte au titre de la DGF dans le calcul de toute péréquation budgétaire.
De manière générale, je crois que les problématiques propres aux communes touristiques seraient sans doute mieux traitées dans le cadre d’une enveloppe d’investissement spécifique.
Au-delà de cet aspect financier, la loi NOTRe a introduit des incertitudes concernant la gestion des offices de tourisme. J’ai déjà saisi le Gouvernement de cette question. J’attends de votre part, monsieur le ministre, des réponses claires lorsque vous interviendrez en clôture de ce débat.
La loi NOTRe prévoit une spécificité concernant le bloc communal, puisqu’elle confie aux intercommunalités « la promotion touristique, dont la création d’office de tourisme ». En conséquence, les offices de tourisme devront avoir une vocation intercommunale. Cette mesure a engendré une série d’interrogations.
La logique intercommunale en matière de promotion touristique n’a que peu de sens. Il est nécessaire de raisonner par destination. C’est le bon sens économique qui doit primer.
Les élus des communes touristiques ne sont pas opposés par principe au transfert de la compétence touristique à l’intercommunalité, mais ils soulignent que ce modèle, aussi vertueux soit-il, ne peut s’appliquer indifféremment dans tous les territoires, notamment à certaines communes supports de stations de sports d’hiver.
Ces dernières, bien que membres d’une même intercommunalité, constituent des destinations touristiques spécifiques, voire concurrentes, et ont besoin d’un outil qui leur soit propre pour assurer elles-mêmes leur promotion de manière efficace.
De même, les charges reportées au niveau intercommunal de la « promotion du tourisme » affecteront lourdement les budgets des communautés de communes. Ainsi, cette compétence pèsera excessivement sur des contribuables peu ou pas concernés par l’activité touristique.
Je souhaite que les communes possédant une marque de territoire, ainsi que les stations classées de tourisme, puissent conserver leur office de tourisme, en assumer la gouvernance et le financement. Lors du dernier Conseil national de la montagne, en septembre 2015, à Chamonix, au pied du Mont-Blanc, le Premier ministre s’était montré sensible à cette demande. Votre prédécesseur avait d’ailleurs tracé des pistes d’évolutions législatives. Pourriez-vous, monsieur le ministre, prendre des engagements en la matière, nous donner un calendrier et une perspective législative, afin de rassurer les élus des territoires concernés et les responsables d’offices de tourisme ?
En conclusion, je dirai simplement que, pour bien développer notre tourisme, nous devons accompagner et favoriser les initiatives qui naissent localement. En la matière, chaque territoire nécessite une attention spécifique. Ne contraignons donc pas trop ce secteur par des règles imposées d’en haut et trop générales !
Applaudissements sur les travées de l'UDI -UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
M. Michel Bouvard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la même cordée qui va s’exprimer !
Sourires.
Je tiens d’emblée à remercier le groupe du RDSE d’avoir provoqué ce débat très utile. L’ensemble des parlementaires souscrivent à l’objectif fixé par le Gouvernement de 100 millions de touristes, en soulignant qu’il s’agit d’un secteur concurrentiel.
Tout d’abord, je voudrais rappeler le rôle des collectivités locales, qui interviennent dans l’élaboration des schémas d’urbanisme, l’aménagement, la définition des stratégies locales, la promotion et l’investissement, directement ou indirectement. En effet, les collectivités locales – c'est singulièrement le cas pour les stations de sports d’hiver, les deux départements savoyards représentant 60 % de l’économie des sports d’hiver de notre pays – investissent, indirectement et directement, dans les domaines skiables au travers de leur rôle d’autorité organisatrice.
Ce que nous attendons aujourd’hui du Gouvernement, c’est une clarification et une simplification en matière de compétences. La loi NOTRe a maintenu les compétences partagées, ce dont il faut se réjouir, même s’il faudra gérer intelligemment les coordinations entre les différents niveaux de collectivités, mais elle a transféré les offices de tourisme aux EPCI, comme l’a rappelé Loïc Hervé. Certes, une dérogation a été prévue pour permettre aux stations classées ou à celles qui ont une marque de conserver leurs offices de tourisme, mais la compétence a néanmoins été transférée.
Or la compétence, c’est la capacité de promouvoir un site, une destination.
Dans la vallée des Belleville, le territoire d’une seule commune accueille trois stations et près de 70 000 lits touristiques, c’est-à-dire plus que certains départements français ! Dans ce cas, la question de la promotion ne se pose pas de la même manière qu’ailleurs.
Monsieur le ministre, nous souhaitons que, au-delà du maintien du seul office du tourisme, les communes, lorsqu’elles pèsent un certain poids touristique, puissent conserver en gestion directe cette compétence.
Cette logique des stations de sports d’hiver s’impose lorsqu’on a plusieurs stations de marque. Selon moi, il faudrait même aller au-delà de l’engagement pris, avec beaucoup de sagesse, par André Vallini devant le Sénat, car le sujet n’intéresse pas seulement les stations classées.
En effet, j’ai découvert avec surprise que, dans la vallée de la Tarentaise, laquelle est aujourd’hui la principale destination de sports d’hiver du pays, il n’y avait que cinq stations classées, et que, dans la vallée voisine de la Maurienne, qui représente l’équivalent de la destination pyrénéenne, il n’y en avait que trois ! La procédure de classement est extrêmement lourde. J’ai ici le dossier de la procédure de classement en station de tourisme des Arcs, engagée il y a plus de deux ans par la municipalité de Bourg-Saint-Maurice. On ne cesse de lui demander des choses invraisemblables : pour déterminer si les Arcs sont une station de tourisme, il faut notamment indiquer l’emplacement des bacs à ordures ! Il a fallu refaire une démarche complète, alors que la ville a été classée en commune touristique le 3 octobre 2013…
Combien de fonctionnaires sont occupés à cette tâche dans les préfectures, au ministère ? Combien d’économies pourrons-nous réaliser avec le choc de simplification que nous attendons là aussi ?
Je terminerai en évoquant la procédure de création des unités touristiques nouvelles.
Aujourd’hui, l’économie française des sports d’hiver n’investit pas assez par rapport à ses concurrentes suisse, autrichienne et italienne.
Le Sénat avait pris l’initiative d’introduire dans le collectif budgétaire de fin d’année une très bonne mesure, consistant, dans le prolongement de la loi Macron, à généraliser le suramortissement pour les sociétés de remontées mécaniques. Fort bien, mais cela suppose aussi que nous puissions engager des procédures d’aménagement des domaines skiables et de rénovation de constructions dans les stations, avec des démarches simplifiées.
Or ces démarches simplifiées figurent dans la loi Macron du 6 août 2015, visant à accélérer l’instruction et la prise de décision relatives aux projets de construction, d’aménagement, notamment ceux qui favorisent la transition écologique. Cette loi habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance.
Nous avons découvert ce projet d’ordonnance avec surprise au Conseil national de la transition écologique. On notera au passage que ce projet n’a pas été présenté au préalable au Conseil national de la montagne, …
… ce qui aurait été logique s’agissant d’une procédure d’exception en matière d’urbanisme pour les territoires de montagne.
Le projet d’ordonnance prévoit d’étendre cette procédure à la totalité des projets d’aménagement. Il n’y a plus de limites ! Demain, pour un simple dépôt d’explosifs servant à déclencher des avalanches, nous pourrons nous voir imposer une procédure d’unité touristique, puisqu’il n’y aura plus d’unités touristiques nouvelles.
Ce projet d’ordonnance a été unanimement rejeté par les élus et par la profession. Alors que la procédure en question a vocation à s’éteindre, puisqu’il n’y aura plus d’unités touristiques nouvelles une fois les SCOT mis en place, …
… nous attendons que l’ordonnance soit conforme aux engagements pris par le Gouvernement devant le Parlement.
Quant aux problèmes budgétaires, Loïc Hervé en a excellemment parlé ; je n’y reviens donc pas.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du RDSE. – M. Loïc Hervé applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour souligner combien le tourisme représente un enjeu important des politiques et des dynamiques de développement local, en termes d’attractivité, d’aménagement des territoires et de richesse économique.
Si le tourisme est indéniablement un facteur de dynamisme, il est aussi source de difficultés dans la mesure où le partage des compétences en la matière est insatisfaisant pour nos collectivités.
La loi MAPTAM et la loi NOTRe ont maintenu le partage de la compétence « tourisme » entre l’État et les différents échelons de collectivités : l’État conduit la stratégie nationale de promotion touristique, ce qui est compréhensible ; la région définit les objectifs régionaux et coordonne les initiatives ; le département garde la main sur les agences départementales du tourisme, les plans des itinéraires de promenade et de randonnée, et élabore les schémas d’aménagement touristique départementaux, qui doivent s’intégrer dans les dispositifs de la région ; quant à la commune ou à l’intercommunalité, elles gèrent et promeuvent le tourisme, chacune à son échelle.
On perçoit la complexité du dispositif : le choc de simplification, évoqué il y a quelques instants par Michel Bouvard, n’a pas encore pleinement produit ses effets… Je crois pourtant nécessaire que l’État revoie le dispositif et y apporte des aménagements.
Les textes législatifs sont parfois sources de conflits au sein des intercommunalités : les offices de tourisme restent de la responsabilité de la commune s’ils ont été mis en place antérieurement à l’adoption de la loi.
Il faut revoir la situation pour permettre aux intercommunalités d’agir en lien avec les communes : certaines stations balnéaires ou de montagne ont une attractivité touristique de premier plan.
L’action des collectivités locales ne peut se penser que si elle est au cœur des dispositifs. Malheureusement, la multitude des acteurs, privés ou publics, rend relativement difficile l’appréhension des choses.
Dans mon département, la Meurthe-et-Moselle, on exerce des métiers d’art, avec la porcelaine à Lunéville, les émaux à Longwy, les arts verriers autour de l’école de Nancy, à Baccarat et le Centre européen de recherche et de formation aux arts verriers de Vannes-le-Châtel, où était fabriqué le cristal de Sèvres. À cela s’ajoute le patrimoine bâti, qui relève tantôt d’une commune, tantôt d’une intercommunalité, tantôt du département, tantôt de la région. Par exemple, le château de Lunéville, qui relevait de la commune, est aujourd’hui sous la responsabilité du département et dépendra peut-être demain d’un syndicat mixte, lié à un pôle métropolitain…
On voit que la coordination est difficile. Pourtant, l’ensemble des acteurs demandent, comme l’État, une professionnalisation du dispositif, eu égard à l’importance économique du tourisme. Il faut le rappeler, entre 2000 et 2010, le nombre d’emplois salariés dans ce secteur a crû de 15 %. Cette progression continue depuis, même si nous ne disposons pas encore de chiffres.
Le Gouvernement a donc raison de s’intéresser de près à la question. Il faut mettre l’ingénierie au service d’un travail collectif. À cette fin, nous disposons des agences départementales, mais l’État intervient aussi, au travers du dispositif Atout France. Je vous invite, monsieur le ministre, à travailler également avec les agences de développement économique, car le tourisme est à la fois un facteur d’attractivité, avec ses métiers spécifiques, et un levier de croissance économique exceptionnel.
Enfin, au-delà des chiffres, le tourisme est une activité d’une richesse exceptionnelle : il est sous-tendu non seulement par une envie de découvrir et d’apprendre, mais aussi par une envie de vendre son territoire, de redonner de la fierté à ses habitants, de travailler sur une identité valorisée à son plus haut niveau.
Le tourisme est un levier de croissance. Il nourrit le sentiment d’appartenance à la Nation, …
M. Jean-François Husson. … la fierté et les identités culturelles, gastronomiques et territoriales. Nous devons plus que jamais travailler en faveur de ce secteur d’avenir, source de prospérité et de croissance pour notre pays.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l'UDI -UC et du RDSE.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tous les orateurs ont souligné l’importance du secteur touristique pour le développement économique de nos territoires.
Je tiens à remercier mes amis du groupe du RDSE d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de cette semaine de contrôle.
Tout cela me rajeunit et me remémore les discussions sur la loi du 23 décembre 1992 portant répartition des compétences dans le domaine du tourisme, issue d’une proposition de loi dont le premier signataire était Georges Mouly, sénateur de la Corrèze et membre d’un groupe qui s’appelait alors le RDE, le Rassemblement démocratique et européen. J’étais alors présent au banc du Gouvernement, en tant que ministre du tourisme.
Ce texte important reconnaissait pour la première fois la compétence « tourisme » comme étant partagée et exercée de façon coordonnée par l’État et les collectivités territoriales. Cette loi a, depuis, fait la preuve de sa pertinence.
Vous l’avez tous souligné, le tourisme est aujourd’hui un secteur en pleine mutation, avec l’apparition de nouvelles destinations et de nouveaux acteurs, et en très forte expansion, au regard de l’augmentation du nombre de visiteurs. Mme Malherbe a rappelé des chiffres qui montrent l’importance de ce secteur, ainsi que les grands indicateurs en termes de fréquentation et d’emploi.
Il n’est pas exagéré d’affirmer que ce secteur contribue à la vitalité et à l’attractivité de nos territoires ; il en est l’un des éléments majeurs, un levier pour l’économie locale, et constitue un complément d’activité, voire la première source de revenus et d’emplois.
Mais le tourisme est beaucoup plus que cela. Il renvoie à l’histoire, à la culture, à l’identité, à l’urbanisme et aux paysages d’un territoire. Définir une politique de promotion du tourisme, c’est donc réfléchir à la représentation de celui-ci, à l’image que nous voulons donner.
Étant donné l’importance de ce secteur, les politiques sont définies et portées de manière multiple par l’État, les collectivités et le secteur privé, que nous ne devons bien sûr pas oublier.
Je veux également souligner le caractère transversal de cette compétence. Elle fait appel aux différents outils dont disposent les collectivités en matière de dynamisme économique, d’aménagement du territoire, de transports, d’hôtellerie, d’urbanisme, de développement des activités sportives et de loisirs, de préservation de l’environnement, tous sujets qui ont été évoqués par les différents intervenants.
Le département de Mme Malherbe en est un parfait exemple, lui qui offre une grande variété de formes de tourisme : tourisme de montagne, du littoral, de mémoire, industriel, ou encore œnotourisme.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la loi NOTRe n’a pas bouleversé notre organisation en matière de tourisme. C'est une bonne chose. Elle vient simplement consacrer une évolution engagée il y a déjà plusieurs années.
En effet, la disposition initiale visant à établir un « chef de filat » ayant été écartée, le tourisme reste une compétence partagée. Vous avez raison de vous en féliciter.
Toutefois, les collectivités demeurent libres de coordonner leur action au niveau régional dans le cadre de la conférence territoriale de l’action publique, qui pourra être organisée avec un certain nombre de sections et de groupes afin d’impliquer tout le monde. Elles y sont même incitées si elles veulent maximiser les cofinancements.
Vous le savez, c’est cette position d’équilibre qui, en définitive, a été retenue, fruit d’un compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat, à l’issue de la commission mixte paritaire. Comme nombre d’entre vous, je m’en réjouis.
Une évolution a cependant été opérée à l’article 68 ; un certain nombre d’entre vous ont souhaité évoquer ce point.
Au plus tard le 1er janvier 2017, la compétence « promotion du tourisme », et donc la création d’offices de tourisme, deviendra une compétence obligatoire des communautés de communes et d’agglomération. Elle l’est déjà d’ailleurs, depuis la loi MAPTAM, pour les communautés urbaines, les métropoles et la métropole de Lyon, qui l’exercent, de plein exercice, en lieu et place des communes membres.
Le constat qui a amené cette orientation est que, notamment dans certains territoires à fort potentiel touristique, il existe une multitude de structures de promotion, lesquelles entretiennent parfois une concurrence féroce, négative. Ce grand nombre d’acteurs aboutit souvent à une dispersion des moyens et à un manque de lisibilité de l’offre de destination.
Il est bon de rappeler que le transfert obligatoire concerne les actions de promotion du tourisme.
Pour la gestion des stations de ski, en revanche, cette compétence reste du ressort des communes, sauf évidemment dans le cas où les élus décident le transfert dans les conditions du droit commun. Les communes peuvent donc, le cas échéant, rester membres de syndicats, dans les mêmes conditions qu’auparavant.
Cette évolution ne concerne pas non plus le transfert de la gestion des équipements touristiques et de la fiscalité – je pense à la taxe de séjour, évoquée par M. Favier.
Plusieurs options sont, de plus, prévues dans le cadre de la loi. Le maintien d’offices de tourisme spécifiques est ainsi possible dans trois cas : le maintien d’un office distinct sur les sites faisant l’objet d’une marque territoriale protégée, même si la compétence reste communautaire ; le maintien d’un office distinct dans les stations classées – il est vrai que la procédure de classement est, pour dire les choses aimablement, longue et compliquée –, à la condition d’engager une démarche de mutualisation ; le maintien d’un bureau de tourisme, dans les communes touristiques et les stations classées.
Cependant, dans ces trois cas, le principe du rattachement intercommunal de l’office, même si celui-ci est distinct, demeure.
Malgré l’accord trouvé au Parlement, à l’issue d’une commission mixte paritaire, certains élus de territoires de montagne considèrent que le transfert de la compétence « promotion du tourisme » ne peut s’appliquer pour leurs communes, supports de stations de ski, et souhaitent donc le maintien d’offices municipaux.
S’il existe des problèmes bien identifiés, le Gouvernement est prêt à les régler.
Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.
Par conséquent, ainsi que le Premier ministre s’y est engagé lors du Conseil national de la montagne qui s’est tenu à Chamonix, nous proposerons d’introduire par la voie législative une dérogation spécifique au transfert de la compétence « promotion du tourisme dont la création d’offices du tourisme » prévu par l’article 68 de la loi NOTRe.
Ainsi, si cette disposition est adoptée, les communes situées dans une zone de montagne et classées, au 1er janvier 2017, comme station de tourisme pourront délibérer pour décider de conserver leur office de tourisme communal.
Dans nos massifs, l’importance du tourisme revêt une acuité plus grande encore, car il constitue souvent leur première source de revenus et permet le maintien de l’emploi local. Certains orateurs l’ont rappelé.
Certes, les enjeux ne sont pas les mêmes selon l’importance des stations, mais, comme l’indiquait le rapport de Mmes les députés Laclais et Genevard, « le modèle économique fondé sur la construction continue de nouveaux mètres carrés résidentiels ne peut plus être considéré comme le modèle unique ni souhaitable de développement touristique ».
J’y souscris pleinement et je tiens à vous confirmer qu’un projet de loi « montagne », consacré à tous ces sujets, sera déposé par le Gouvernement à l’automne prochain, comme je l’ai annoncé ici même hier, en répondant à une question d’actualité.
Ce texte abordera également la nécessaire réforme de la procédure d’unité touristique nouvelle, qu’évoque d'ailleurs le rapport de Mmes Genevard et Laclais.
Comme d’autres, celui-ci relève le caractère ancien, pour ne pas dire désuet, de cette procédure dérogatoire au droit commun, qui permet à l’État de délivrer des autorisations ponctuelles pour la réalisation d’infrastructures de tourisme en dehors des espaces déjà urbanisés.
Je vous confirme donc, monsieur Bouvard, que le projet d’ordonnance a été retiré et que le projet de loi « montagne » prévoira d’inscrire les UTN envisagées dans les documents d’urbanisme et dans une vision globale d’un aménagement durable du territoire.
D’ailleurs, comme je l’ai déjà dit aux responsables de l’Association nationale des élus de la montagne, l’ANEM, notamment à son président, avec qui j’ai échangé sur ce sujet à plusieurs occasions, et comme je l’ai déjà indiqué tant ici même qu’à l’Assemblée nationale, je souhaite que, par la concertation, nous parvenions à un texte de consensus qui puisse être adopté le plus rapidement possible, dans l’intérêt de la montagne.
Cela passe, bien sûr, par l’évaluation des besoins nouveaux, de l’offre existante ou à réhabiliter. Cette réforme permettra aux collectivités d’inscrire ces opérations dans le cadre d’une stratégie plus large de développement et d’aménagement.
Pour ce qui concerne la procédure de classement des stations de montagne, que vous avez également évoquée, monsieur Bouvard, je partage votre constat : les critères en vigueur ne conviennent plus. La réforme de cette procédure a été annoncée par le ministère chargé du tourisme. Des réunions préparatoires seront organisées prochainement pour définir de nouveaux critères avec les représentants du secteur et ceux des élus.
Bien sûr, une telle stratégie va de pair avec les mesures en faveur de la structuration des équipements touristiques, laquelle est tout à fait indispensable, comme M. Arnell le rappelait en ce qui concerne Saint-Martin.
En effet, la mondialisation du secteur du tourisme a affecté et transformé son offre et sa demande.
Les Assises du tourisme, qui avaient été lancées par Sylvia Pinel
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Je veux aussi citer les cinq pôles d’excellence –œnotourisme, tourisme nocturne, tourisme de savoir-faire, tourisme de montagne l’été et écotourisme –, qui participent également de l’ambition de valoriser certains de nos atouts, à travers des actions très concrètes.
Pour adapter l’offre, notamment en matière d’hébergement, le fonds d’investissement géré par Bpifrance est désormais opérationnel. Il est doté d’un montant consolidé de 1 milliard d’euros, ce qui, vous en conviendrez, est très significatif.
À ce fonds s’ajoute celui qui est consacré à l’investissement et à la réhabilitation des centres-bourgs et qui abonde la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR. Ce fonds, géré par mon ministère, est lui aussi doté de 1 milliard d’euros.
Cela fait tout de même de belles sommes à la disposition des collectivités, notamment des collectivités montagnardes !
M. Hervé a déclaré redouter les conséquences de la réforme de la dotation globale de fonctionnement. Attendons de voir ce que sera celle-ci. Je discute actuellement de cette réforme avec les représentants de l’ensemble des associations d’élus et avec les groupes de travail constitués au Sénat et à l’Assemblée nationale. Je dois dire que, pour l’heure, je n’ai pas encore une vision très claire des contours qu’elle prendra, tellement les positions sont divergentes et les volontés contradictoires.
En tout état de cause, s’ajoutera aux deux fonds que je viens d’évoquer une enveloppe dédiée au tourisme dans le cadre du troisième programme d’investissements d’avenir, le PIA 3, en cours d’élaboration.
Je suis d’accord avec vous, monsieur Lenoir : il est absolument indispensable que la couverture en téléphonie mobile et la couverture numérique soient améliorées. Nous y œuvrons ! L’État y a encore consacré une somme de 3 milliards d’euros sur les 20 milliards d’euros d’investissements prévus dans le cadre du plan France très haut débit et nous avons pris des engagements, par la voix d’Emmanuel Macron, en termes de calendrier et de délais.
Pour ce qui concerne les panneaux indicateurs, vous avez tout à fait raison. Sachez cependant que cette affaire est en voie d’être réglée, par le biais de dérogations demandées aux préfets de département.
Enfin, M. Favier a abordé le sujet important de l’accès de tous aux vacances.
Quatre-vingts ans après l’adoption de la loi du 20 juin 1936 instituant les congés payés, qui a permis de démocratiser l’accès au tourisme, le conseil départemental du Val-de-Marne met en œuvre une politique volontariste, qui repose notamment sur deux villages vacances, situés en Savoie et en Haute-Savoie.
Cela complète harmonieusement les actions engagées par l’État en la matière, au travers de la diffusion des chèques-vacances ou des dispositifs en faveur des jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans.
En outre, le fonds « tourisme social investissement », aujourd’hui opérationnel, permet d’accompagner les opérateurs dans leurs projets de rénovation de centres de vacances. Ce fonds est doté de 300 millions d’euros sur dix ans.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le tourisme, dans toutes ses dimensions, qu’il s’agisse du tourisme patrimonial, vert, culturel, industriel, de plein air ou sportif, est une formidable chance pour le développement de tous nos territoires, urbains comme ruraux. À cet égard, je veux souligner le talent avec lequel vous avez parlé de la ruralité, monsieur Lenoir !
J’en veux pour preuve la façon dont certains grands équipements ont changé l’image de plusieurs territoires en restructuration et contribué à leur développement, voire à leur renaissance. Je pense au Louvre-Lens, cette magnifique réalisation dont je sais, monsieur Percheron, que vous avez été l’un des grands artisans. On pourrait également citer le Centre Pompidou-Metz, La Piscine, à Roubaix, ou la Cité du design, à Saint-Étienne.
Les collectivités ont un rôle essentiel à jouer pour valoriser les atouts, du plus modeste au plus important, en s’appuyant sur les labels de qualité, comme les villes et pays d’art et d’histoire ou les plus beaux villages de France, ou bien encore sur les contrats de destination.
Le fait que le tourisme demeure une compétence partagée entre les différents niveaux de collectivités constitue une vraie opportunité : cela permet de jouer sur toutes les dimensions et de construire une offre diversifiée de promotion touristique qui prenne en compte les touristes tant étrangers que français, le tourisme social comme le tourisme haut de gamme, le tourisme de court séjour comme celui de long séjour.
Les outils existent ; il suffit de s’en emparer et de les mettre en œuvre, autour de véritables projets de territoire dont la dimension touristique doit être, partout, l’un des fers de lance. Pour ce faire, je fais bien évidemment confiance aux élus qui dirigent nos collectivités !
Applaudissements.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le rôle et l’action des collectivités territoriales dans la politique du tourisme.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.
L’ordre du jour appelle le débat sur la stratégie nationale de l’enseignement supérieur, organisé à la demande du groupe socialiste et républicain.
La parole est Mme Dominique Gillot, oratrice du groupe auteur de la demande.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, précisant l’autonomie des universités et affirmant le rôle de l’État stratège, la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche du 22 juillet 2013, loi d’ouverture et de transformation, s’est déjà traduite par des avancées réelles, en matière tant de réussite de tous les étudiants, dont le nombre a fortement augmenté, pour atteindre 2, 5 millions à la dernière rentrée, que de nouvelles ambitions pour la recherche, facteur déterminant pour l’avenir et le progrès de la France.
Cette loi prévoyait la définition d’une stratégie nationale de la recherche et d’une stratégie nationale de l’enseignement supérieur, ou STRANES, afin de rendre explicites les choix de la Nation.
Un comité indépendant, riche de sa diversité, à la parole libre et à la réflexion féconde, a été mis en place par votre prédécesseur Geneviève Fioraso, monsieur le secrétaire d’État.
Ce comité s’est réussi assidûment pendant plus d’un an avant de livrer au Président de la République sa vision de l’avenir et les orientations retenues, dessinant une vraie stratégie nationale pour l’enseignement supérieur pour les dix ans à venir et prévoyant sa mise en œuvre en prise directe avec les enjeux sociétaux et économiques auxquels nous devons faire face.
Considérant la qualité de ce travail collaboratif, documenté et validant la méthode de diagnostic partagé, le Président de la République a souhaité que les propositions du rapport deviennent la feuille de route du Gouvernement pour l’instauration d’une société apprenante.
De séminaires en colloques, la présidente du comité et son rapporteur font vivre ce travail collectif, entraînant, après le vote positif du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER, l’adhésion et le soutien des acteurs de l’enseignement supérieur.
Depuis septembre 2015, monsieur le secrétaire d’État, vous avez ouvert plusieurs chantiers de mise en œuvre de la STRANES.
Les objectifs ambitieux, partagés et validés pour 2025 imposent, en effet, d’agir dès maintenant. Au reste, il faut s’appuyer sur la dynamique amorcée par la communauté universitaire, porteuse d’espoir pour la jeunesse.
Même si la reproduction sociale et les inégalités se construisent bien avant le stade de l’enseignement supérieur, celui-ci ne peut se contenter de continuer à former une élite issue de l’élite.
L’université est au cœur de la société et de sa transformation. Elle se doit d’ouvrir ses portes et de répondre à plusieurs défis.
Le premier défi est celui d’une nouvelle étape, massive, de la démocratisation. En cinquante ans, le nombre d’étudiants a été multiplié par huit – il faudra en accueillir 300 000 supplémentaires d’ici à 2024 –, pour plusieurs raisons incontestées.
La première raison de l’augmentation de la population estudiantine tient au désir de plus en plus de jeunes de poursuivre des études supérieures, conjugué à l’ambition nationale que 60 % d’une classe d’âge soit diplômée du supérieur.
Le corollaire du refus de la sélection, laquelle serait en rupture avec le modèle français, c’est une information adaptée, accessible, dès le lycée, l’accompagnement d’une orientation choisie, soutenue, quel que soit le baccalauréat obtenu. Le droit de réussir se cultive avec méthode, avant et pendant les premières années du premier cycle – c’est le fameux « moins trois, plus trois ». C’est aussi un mentorat bienveillant pour mettre l’étudiant en situation de construire sa réussite.
La seconde raison de la hausse du nombre d’étudiants est la promesse républicaine du progrès partagé, pour engager la France dans la construction de son avenir, dans la modernisation nécessitée par les évolutions de l’information continue, la multidisciplinarité, la polarisation.
Le second défi que l’université doit relever est celui de l’élévation des qualifications de l’ensemble de la population, du développement des compétences transférables, pour répondre, par l’innovation, la transversalité et la culture de nos capacités d’adaptation, aux exigences du monde économique et des nouveaux métiers et préparer l’inévitable mobilité professionnelle.
En cela, les universités sont des laboratoires de la société de demain et des leviers de la construction d’un nouveau lien social.
L’hétérogénéité de la population étudiante, tout comme les nouveaux modes de socialisation et d’apprentissage –numérique, à distance, pragmatique… –, la vitesse exponentielle des avancées technologiques obligent à envisager l’évolution des métiers de l’enseignement supérieur.
La conception de l’enseignant qui dispense son savoir ex cathedra est dépassée dans une université libre d’accès, où les étudiants et les adultes sont libres d’apprendre, de faire de la recherche, de coopérer, de coconstruire une connaissance en mouvement. Les professeurs sont amenés à changer de position.
Dans ce cadre, des questions se posent avec acuité, notamment celle de la reconnaissance et de l’évaluation du travail en équipe, qu’il s’agisse d’équipes pluridisciplinaires d’enseignants ou d’équipes collaboratives d’étudiants.
Se pose aussi la question de la coopération de nouveaux métiers, à imaginer, au sein de l’université : ceux de l’enseignement, qui construit les esprits, ceux de la recherche, qui explore et nourrit la connaissance, ceux de l’administration, qui sécurise le cadre, et ceux de la logistique, qui organise l’écosystème.
Reste la question de la qualification. Les tenants de la carrière fondée sur les seules publications entravent la reconnaissance de ceux qui s’investissent dans la pédagogie, notamment grâce au numérique, qui accélère le partage des données, change le rapport sachant-apprenant et apprivoise l’intelligence artificielle, au bénéfice de la recherche de solutions innovantes. Ces nouvelles méthodes de transmission du savoir développent une capacité réflexive et permettent d’explorer la complexité, pour inventer le futur et reformuler les questions. Elles demandent que les enseignants fassent de la recherche sur leur pédagogie, afin de l’améliorer.
Cette évolution ne peut être l’apanage de généreux précurseurs. Il faut accompagner les enseignants, partager les bonnes pratiques et les diffuser, construire des formations.
L’interdisciplinarité des apprentissages collectifs permet l’émergence d’intelligences de formes différentes, ouvre l’université à une logique de communauté réelle.
Progressivement, le modèle de savoirs dominants et incontestés est remis en cause par la pertinence du savoir-faire et l’exigence du savoir-être. La volonté d’augmenter la liberté des enseignants et des étudiants doit guider les arbitrages du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Le troisième défi est celui de l’évolution de l’enseignement supérieur préconisée par la STRANES, qui s’envisage autant pour les enseignants, en termes de carrière, de liberté pédagogique et de reconnaissance de l’engagement, que pour les étudiants, en termes d’égalité des possibles et de garantie de résultats en matière d’insertion professionnelle.
Dans cette perspective, il faut admettre que l’étudiant puisse être acteur de sa formation, choisir plusieurs disciplines, réussir, se tromper, recommencer, reprendre des études après une plus ou moins longue césure.
L’évolution de l’enseignement supérieur doit se faire en lien avec les acteurs économiques et sociaux, en pensant à l’internationalisation et à la visibilité des établissements, à leur rôle dans la dynamique des territoires, à la mobilité des étudiants, au partage de la connaissance pour éclairer les choix citoyens.
Le droit à une formation tout au long de la vie, dont l’université entend être l’un des acteurs, oblige au rapprochement des opérateurs de la formation – initiale, continue ou tout au long de la vie – et du monde économique.
C’est un enrichissement mutuel, qui favorise l’évolution des pratiques, antérieurement fondées sur la délivrance des diplômes sur la base de la connaissance, vers une analyse des compétences nécessaires pour exercer les missions visées par les diplômés.
Il me semble que ce droit devrait aussi amener une redistribution de la contribution à la formation professionnelle continue vers les universités, qui assument cette responsabilité sociale. Le projet de loi sur le travail, qui est actuellement débattu à l’Assemblée nationale et que nous examinerons bientôt, pourrait en être le vecteur.
La structuration des sites universitaires, soutenue par une politique d’investissements d’avenir, moteur puissant de transformation, l’inscription de l’enseignement supérieur privé à but non lucratif dans une relation nouvelle, prenant en compte sa contribution aux objectifs stratégiques d’intérêt général, le rapprochement entre universités et écoles, qui fait émerger des sites forts, attractifs et reconnus, contribuent à construire l’université fédérale de demain, capable de se mesurer aux grands standards internationaux, et sont autant de défis à moyen terme prévus par le texte. La signature de contrats de site accompagne et favorise le dialogue renouvelé avec l’État stratège.
L’ambition de la STRANES porte également sur l’amélioration des conditions de vie et d’études.
Bien sûr, l’augmentation continue du montant des bourses et du nombre d’étudiants et la nouvelle « garantie jeunes » y participent, de même que les trente-cinq mesures du plan national de vie étudiante, le PNVE, qui aborde la vie étudiante dans toutes ses dimensions : logement, santé et soins, droits pour les étudiants salariés, adaptation des horaires des bibliothèques, des laboratoires et des lieux collaboratifs ouverts sur l’extérieur, dématérialisation, reconnaissance de l’engagement citoyen…
Il faudrait cependant, au titre de la responsabilité sociale des universités, encourager les établissements à mieux organiser les emplois du temps, au bénéfice des étudiants.
Dans certains pays, la semaine se divise en trois journées d’études continues et en quatre journées libres pour des recherches personnelles, du travail salarié, des activités culturelles… Par ailleurs, les semestres s’y enchaînent sans coupure inutile.
Cette organisation présente l’avantage d’optimiser l’utilisation des locaux. Conjuguée au développement des cours en ligne et à distance, une telle optimisation permettrait de faire face à l’augmentation attendue de la démographie étudiante et de bannir la pratique détestable du tirage au sort à laquelle il est recouru lorsque les capacités d’accueil sont saturées.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez présenté cinquante mesures de simplification, qui confortent la STRANES et répondent aux attentes de la communauté universitaire.
L’adoption récente par le Sénat, à l’unanimité moins une voix, du projet de loi pour une République numérique va contribuer à accélérer les processus de simplification et de partage des données.
Toutefois, je regrette la frilosité de la majorité sénatoriale, qui n’a pas permis la libéralisation du TDM – le text and data mining. Cela nous vaut le ressentiment des chercheurs, qui réclament ce soutien à la souveraineté scientifique de la France.
Heureusement, les amendements visant à actualiser la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche que j’avais déposés sur ce texte en vue d’accorder aux enseignements numériques et à distance une reconnaissance égale à celle dont bénéficient les enseignements en présence ont été adoptés.
L’offre numérique des établissements est en plein essor et les professeurs s’inscrivent en nombre pour utiliser les studios mis à leur disposition, où ils numérisent leurs cours, voire enregistrent des MOOC. Ces derniers, de plus en plus nombreux, enrichissent la formation des étudiants et la médiation pédagogique.
Grâce au numérique et aux sciences digitales, c’est toute la chaîne d’éducation et de formation qui bouge, de la maternelle à l’enseignement supérieur.
Reste tout de même une question essentielle : celle du modèle économique de cette stratégie porteuse.
Une fois l’augmentation des droits d’inscription rejetée – comme je l’ai dit tout à l’heure, celle-ci serait en rupture avec le modèle français –, le développement des ressources propres des universités ne suffira pas.
Dans son rapport, le comité STRANES propose que l’Europe se dote d’un objectif ambitieux pour l’enseignement supérieur, de la même manière qu’elle l’a fait pour la recherche.
La France doit obtenir que les dépenses d’enseignement supérieur, qui engendrent des effets positifs en termes de développement, ne soient plus considérées comme des charges alourdissant le déficit budgétaire, mais bien comme des investissements. Un euro dépensé dans l’enseignement supérieur, ce sont six euros de profit ultérieur pour la société !
Monsieur le secrétaire d’État, le temps me manque pour inventorier ce qui est en marche ou ce qui justifie de nouvelles évolutions institutionnelles.
Je veux conclure en soulignant l’intérêt de la STRANES, qui a permis d’évoquer, dans un même document, les enjeux de clarification et de simplification de notre système d’enseignement supérieur, qui doit être rendu plus accessible et plus efficace pour le plus grand nombre, l’ambition académique et l’acceptation de la révolution scientifique, qui doit profiter à tous.
La STRANES, c’est le projet de réussite de tous, au service de notre pays. C’est un message de confiance à la fois concret et puissamment symbolique adressé à notre enseignement supérieur.
Applaudissements sur les travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, conformément à ce que prévoyait la loi du 22 juillet 2013, le comité pour la stratégie nationale de l’enseignement supérieur a remis, en septembre dernier, un rapport – volumineux, puisqu’il compte près de deux cent cinquante pages – destiné à fixer les orientations de la politique de la Nation pour cinq ans.
Si l’on peut saluer le travail accompli, il faut aussi savoir identifier les grandes faiblesses de ce rapport, fondé sur des erreurs d’approche et empreint, sur de nombreux sujets, d’une idéologie trop souvent égalitariste, idéologie qui est malheureusement la marque de l’ensemble des réformes conduites par le Gouvernement en matière d’éducation.
La première faiblesse du rapport tient à ses auteurs. Le comité dont ce rapport est le fruit est, en effet, constitué de vingt-cinq personnes, très certainement estimables, mais au sein desquelles les universitaires sont très minoritaires. On peut au moins s’interroger sur une telle composition et sur le manque de considération à l’égard des acteurs essentiels du secteur qu’elle révèle.
La seconde faiblesse est systémique, puisque le rapport entend fixer un cadre national contraignant pour les cinq années à venir, alors que les universités sont censées être autonomes.
Comment concilier l’autonomie, qui devrait permettre à chaque université d’élaborer et de mettre en œuvre sa propre stratégie en matière de recherche, de pédagogie, de recrutement ou encore d’attractivité, avec la détermination d’objectifs et de contraintes par un comité au sein duquel les universitaires, j’y insiste, sont très minoritaires ?
Enfin, le titre même donné à ce rapport, écrit dans une novlangue que ne renierait pas Orwell, Pour une société apprenante, révèle que la plus grande de ses faiblesses tient probablement au fait que ses auteurs ont cédé au pédagogisme qui ruine, lentement mais sûrement, le système éducatif français.
Venons-en maintenant au contenu. Sans surprise, je relève que l’essentiel des propositions a un caractère démagogique.
C’est d’abord le cas des objectifs quantitatifs fixés par les propositions n° 1 et 23 : la première annonce un taux de 60 % de diplômés du supérieur par classe d’âge, tandis que la seconde prévoit que 50 % des étudiants devront être boursiers d’ici à 2025.
C’est surtout le cas des préconisations faites pour flatter certains syndicats étudiants : par exemple, la proposition n° 17 prévoit l’accès à internet lors des examens, et la proposition n° 15 la suppression de la sélection entre les deux années de master.
Cette dernière proposition est vraiment le signe d’une incompréhension totale des enjeux concrets. Comment imaginer que les étudiants puissent participer à des séminaires ou réaliser le stage obligatoire en entreprise si les promotions en master 2 sont aussi nombreuses qu’en master 1 ? Ce serait complètement impossible ! Sur cette question, il serait temps de sortir de la confusion et d’écouter, pour une fois, les universitaires, qui sont vent debout contre cette tendance délétère !
Les universitaires, parlons-en justement ! Ce sont les grands absents d’une stratégie qui ne consacre pas une réflexion suffisante au renforcement de leur statut ou à la lutte contre leur paupérisation.
Épuisés par une bureaucratisation croissante, les enseignants-chercheurs sont détournés de leurs missions fondamentales. À rebours de ce qu’il faudrait faire, le rapport préconise d’écorner davantage encore leurs libertés constitutionnelles, en proposant la constitution d’équipes pédagogiques « plurimétiers » dans lesquelles leur seraient associés les personnels de bibliothèque, ingénieurs, administratifs, techniciens, de service et de santé : c’est la proposition n° 31.
De telles préconisations traduisent à l’évidence un manque de confiance à l’égard des universitaires. Comme souvent avec les réformes en matière d’enseignement, les résultats obtenus seront à l’opposé des résultats promis. La bureaucratisation croissante de l’enseignement supérieur public dissuade déjà les meilleurs chercheurs, qui préfèrent se tourner vers des carrières privées, plus rémunératrices, ou rejoindre les universités étrangères.
La stratégie proposée consiste à distribuer les diplômes à tour de bras ! Il s’agit d’une mauvaise stratégie parce que, en procédant de la sorte, on dévalue les diplômes et l’on ruine toute possibilité d’ascension sociale pour ceux qui n’ont que leurs diplômes pour progresser. On aurait vraiment souhaité autre chose que le délitement des exigences : disons le mot, une stratégie d’excellence pour l’enseignement supérieur.
Au bout du compte, c’est une université de masse que ce gouvernement entend réellement promouvoir. Cette stratégie est la sienne ; ce n’est, fort heureusement, pas celle de ma famille politique !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Léonce Dupont applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis d’une génération historiquement respectueuse de l’université, avant et après 1968. Citadelle intellectuelle d’une indépendance absolue, servie par de grands professeurs, elle représentait et représente toujours pour moi l’universalisme français !
Ce soir, je participe avec toute l’humilité nécessaire à ce débat sur la stratégie universitaire, son financement, le rôle de l’État stratège.
Monsieur le secrétaire d’État, vous et moi sommes des tenants de ce beau compromis que l’on appelle la social-démocratie ! Vous occupez les fonctions qui furent celles de Jules Ferry, d’Edgar Faure, de Jean-Pierre Chevènement ou, plus près de nous, de Lionel Jospin.
Le sujet essentiel qui nous occupe ce soir, c’est la formation de la jeunesse, à l’heure où de nouveaux défis doivent être relevés. Jules Ferry savait ce qu’il voulait : l’élection des maires au suffrage universel – il faut le remercier mille fois pour cela ! –, mais aussi l’école communale et une France de citoyens adoptant la devise républicaine et acceptant l’apaisement de la laïcité On ne le dit pas suffisamment, et Mona Ozouf a raison de le rappeler.
Edgar Faure a, quant à lui, repavé l’université d’imagination et d’ambitions nouvelles après mai 1968, conscient que les étudiants d’alors, très minoritaires au sein de leur classe d’âge – on l’oublie parfois aujourd’hui –, représentaient la révolution intellectuelle pour les décennies à venir.
Ensuite, Jean-Pierre Chevènement a fait le pari de la massification de l’enseignement supérieur, qui serait aussi sa démocratisation.
Enfin, Lionel Jospin a su entendre l’ambition des territoires. On compte aujourd’hui près de quatre cents villes universitaires. S’agit-il d’un éparpillement ? Pour ma part, je pense qu’il s’agit plutôt d’une irrigation tout à fait fertile du territoire ! Dans le Pas-de-Calais, département de statut néocolonial de plus de 1 million d’habitants surplombé par son puissant voisin, le Nord, nous avons accueilli les nouvelles « universités Jospin ». Elles apportent à notre département une valeur ajoutée qu’aucun classement ne récuse et accueillent le plus grand nombre de boursiers du pays ! Elles représentent par conséquent un succès complet !
Il faut souligner que vos prédécesseurs, monsieur le secrétaire d’État, évoluaient dans le cadre de l’État-nation, qui apportait, qu’on le veuille ou non, davantage de sécurité, tandis que vous êtes en première ligne pour faire face à la situation créée par des élites, souvent libérales, parfois réformistes, qui ont cru que la mondialisation serait heureuse, que l’intelligence de l’Occident lui assurerait l’essentiel de la valeur ajoutée, qu’il garderait le haut du pavé dans la division du travail à l’échelle de la planète. Il n’en a rien été et nous nous trouvons confrontés à une compétition mondiale d’une férocité exceptionnelle : il s’agit, pour nos universités, de bien figurer au classement de Shanghai ! Aujourd’hui, nous voulons que nos universités soient reconnues et célébrées par le communisme de marché ! §Quel revirement ! Là où il est, le petit homme et grand politique qu’était Deng Xiaoping ne doit pas en revenir ! Le programme d'investissements d'avenir a été conçu dans ce but : atteindre les meilleures places dans ce classement.
Il faut reconnaître, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’avez pas la tâche facile ! Cela étant, je ne doute pas que les 35 millions d’euros appartenant à l’université d’Artois, celle des boursiers, et évaporés à la suite d’un moment d’inattention seront prochainement restitués à celle-ci.
À propos des investissements d’avenir, dont la mise en œuvre est assurée par Louis Schweitzer, je voudrais vous dire, avec bien sûr toute la partialité d’un élu local, à quel point je suis en désaccord avec vous !
Dans son ouvrage intitulé Une brève histoire de l’avenir, Jacques Attali indiquait qu’il n’y a, en France, qu’un seul endroit où l’on puisse reconstruire un cœur de mondialisation : le long de la voie à grande vitesse Londres-Lille-Bruxelles-Amsterdam-Cologne. Il s’agit de la colonne vertébrale de l’Europe ; c’est là que se concentrent les lumières sur la carte de l’Europe vue du ciel, la nuit.
Pourtant, la région Nord-Pas-de-Calais ne bénéficie que de 1, 6 % du total national des dépenses exposées au titre du crédit d’impôt recherche, contre 65 % pour la région d’Île-de-France. Et il va falloir que le président de notre université aille baragouiner en anglais devant le jury du programme d'investissements d'avenir, présidé par Louis Schweitzer, pour obtenir le pain et le vin de l’avenir de son établissement… C’est incroyable ! Quand je vois que, dix-huit mois après leur lancement, cinq pôles universitaires d’excellence ont été déclassés, je me dis que l’aménagement du territoire n’a plus de sens. Tout cela n’est pas sérieux !
Je propose donc de tourner la page des investissements d’avenir. Si nos lycéens sont les mieux traités du monde, puisque l’on consacre à chacun d’entre eux plus de 12 000 euros par an, c’est grâce à la décentralisation, à l’action des grandes collectivités locales, chacune dans son rôle. Aucune ligne rouge n’a jamais été franchie : à l’État la transmission du savoir, l’affirmation de la laïcité, aux grandes collectivités locales la gestion de l’accueil des élèves, des équipements et de la vie quotidienne.
Je pense que le programme d'investissements d'avenir pourrait être abandonné à l’occasion du renouvellement des contrats de plan État-région. Si la conférence des présidents d’université revenait sur son erreur tragique, consistant à refuser toute régionalisation, vous pourriez sûrement faire en sorte, à l’horizon 2017-2018, que nos universités figurent dans le classement de Shanghai.
M. Daniel Percheron. Les collectivités territoriales ont parfaitement réussi avec les lycées. L’avenir des universités appartient d’abord aux territoires, sous l’autorité de l’État.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la volonté stratégique manifestée dans la loi de 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche nous satisfait dans son principe. Le choix d’une approche à moyen et long terme constitue en effet une nécessité.
En 2015, le comité pour la stratégie nationale de l’enseignement supérieur a produit un rapport de grande qualité, intitulé Pour une société apprenante. Il invite notamment à une pédagogie, à une transmission et à une coproduction des savoirs à la fois plus attractives pour la jeunesse et mieux adaptées aux mutations globales qui se dessinent. On y trouve des axes de réflexion et un véritable plan d’action.
Sous l’impulsion de ce rapport, le Président de la République a annoncé l’ambition d’atteindre le taux de 60 % de diplômés du supérieur dans une classe d’âge. C’est affirmer que la réussite ne doit pas être conditionnée par l’origine sociale : nous nous réjouissons, mais, pour que cette ambition devienne réalité, il convient d’augmenter le budget du programme « Formations supérieures et recherche universitaire », …
… de sorte que les moyens alloués par étudiant restent stables, voire augmentent, afin que l’on puisse allier quantitatif et qualitatif.
À cela s’ajoute le fait que l’inclusion n’implique pas uniquement la formation elle-même : les crédits attribués au programme « Vie étudiante » sont une nécessité et conditionnent même l’accès de toutes et de tous à l’enseignement supérieur.
Pour un ou une jeune d’origine sociale modeste, s’engager dans un cursus de plusieurs années soulève la question des moyens sur la durée. L’accès au logement et aux bourses sur critères sociaux est déterminant. Le groupe écologiste fera donc preuve de la plus grande vigilance quant aux engagements pris par le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2017.
Dans le cadre de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur, il est proposé d’augmenter le nombre de docteurs et de développer l’emploi scientifique dans les secteurs économique et administratif. La Cour des comptes estime que, « au regard des moyens investis, les résultats en matière d’insertion professionnelle des jeunes docteurs sont décevants ». Quand allons-nous enfin conditionner le bénéfice du crédit d’impôt recherche, le CIR, à l’emploi de doctorants ? Les écologistes déposent des amendements en ce sens depuis 2006 ! Quand des voies d’accès réservées aux concours de la fonction publique, autres que ceux de l’enseignement secondaire, seront-elles créées, comme le prévoient la loi de 2013 et le code de la recherche ?
Le signal actuellement envoyé aux chercheuses et chercheurs est démobilisateur, alors qu’ils jouent un rôle indispensable pour développer la connaissance, l’innovation sociale et économique.
Le Président de la République veut que l’accord trouvé lors de la COP 21 soit effectif et exemplaire : cela ne sera pas le cas sans une mutation de l’enseignement supérieur et de la recherche vers la transition énergétique, de l’efficience à l’écoconception, de la troisième révolution industrielle à la démocratie sociale en période de non-croissance.
Je terminerai mon intervention en évoquant des défis à relever.
Tout d’abord, la prévention des conflits d’intérêts devrait être enseignée dans le cadre de toutes les formations médicales. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Ensuite, coopérer entre disciplines scolaires, favoriser le numérique collaboratif, mener une pédagogie plus inclusive devrait s’apprendre dans toutes les écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Ce n’est pas non plus le cas actuellement.
Enfin, faire une part significative à la pratique, à la mise en situation, aux retours d’expérience par le biais de l’alternance ou d’autres temps privilégiés contribuerait à un plus grand épanouissement. Or le tempo des concours et les modes de validation rendent souvent cela impossible.
Comment concilier l’autonomie des universités avec la mise en œuvre, en leur sein, de ce type d’exigences, promues par le Gouvernement comme par le Parlement ?
Qui dit autonomie, dit moyens : ceux que pourrait apporter la formation continue sont évoqués et convoités par les universitaires. Cette belle mission de l’université qu’est la formation continue demandera néanmoins de la créativité, et non la simple transposition des cours de formation initiale.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’évolution des métiers, de plus en plus qualifiés, implique une adaptation des modalités d’enseignement, un accès de tous à la connaissance et à la formation tout au long de la vie. Voilà une belle ambition à laquelle nous souscrivons, mais lui donner une traduction concrète est le défi que doivent relever nos universités au quotidien, en se rapprochant le plus possible de cet objectif.
En février 2013, le Président de la République a déclaré, dans un discours prononcé au Collège de France, que la loi relative à l’enseignement supérieur et la recherche aurait deux objectifs : la réussite des étudiants et le décloisonnement. Nous devons user de tous les moyens dont nous disposons pour tenter de les atteindre !
Le processus de décloisonnement et de simplification a été engagé. Récemment, cinquante mesures ont été annoncées en vue de faciliter les démarches des étudiants et des professionnels des universités ou pour rationaliser certaines mentions de licences et de masters. En revanche, le volet relatif à la réussite des étudiants n’a connu que des avancées trop timides. Sur ce point, nous pouvons, nous devons mieux faire, monsieur le secrétaire d’État.
Les inégalités sont également territoriales et les nouvelles formes d’enseignement, comme les MOOC, tiendront à l’avenir une place fondamentale dans l’accès des jeunes à l’enseignement supérieur. Selon nous, les développer doit constituer une priorité ; ce n’est pas encore le cas, et des progrès rapides sont nécessaires, car l’enjeu dépasse nos frontières !
Il nous faut produire davantage de contenus intégrés à la formation initiale et continue, pour que les utilisateurs aient plus souvent recours à la certification des connaissances acquises. Bien sûr, le principe de la gratuité des cours en ligne doit être maintenu si l’on veut véritablement utiliser les MOOC pour démocratiser les savoirs. Il y a là un potentiel extraordinaire à développer !
Cette révolution numérique n’est toutefois pas suffisante. Nous devons maintenir une forte présence des établissements universitaires sur nos territoires. C’est une question d’aménagement du territoire et de maintien de la matière grise, y compris dans la ruralité. Le groupe du RDSE s’inquiète particulièrement de l’avenir des antennes universitaires délocalisées qui dispensent des formations très spécialisées, prisées par les entreprises locales.
Nous approuvons bien évidemment la mise en place d’une stratégie de long terme pour l’enseignement supérieur et les grands axes de celle-ci : construire une société « apprenante » et soutenir notre économie, développer l’internationalisation, favoriser l’ascension sociale, inventer l’éducation supérieure du XXIe siècle et répondre aux aspirations de la jeunesse.
Ces objectifs sont louables, mais les moyens pour les atteindre font encore quelque peu défaut. La France consacre 1, 49 % de son produit intérieur brut à l’enseignement supérieur, contre 1, 59 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. La situation budgétaire des universités est difficile et l’investissement n’est pas à la hauteur des enjeux. On attend de l’enseignement supérieur qu’il atteigne de nouveaux objectifs, tout en préservant la qualité de l’enseignement, sans pour autant accroître ses moyens, alors que le nombre d’étudiants ne cesse d’augmenter.
Ce constat appelle un renforcement urgent des capacités d’accueil des universités. Des filières sont saturées et le tirage au sort des candidats relève d’une conception assez étrange de la réussite par le mérite… Cette situation n’est tout simplement pas acceptable !
La mise en place d’une sélection entre la première et la deuxième année de master, en recourant à un décret plus de trente ans après la promulgation de la loi Savary, a fait couler beaucoup d'encre. Elle révèle, s'il en était besoin, l’insuffisance des capacités d’accueil et l’inadéquation entre la formation des étudiants, d’un côté, et les besoins des professionnels, de l’autre.
Nous aurons l’occasion d’évoquer plus longuement ce sujet lors de l’examen du projet de loi « égalité et citoyenneté », mais, reconnaissons-le, une université de qualité et une formation professionnalisante impliquent le recours à une sélection en fonction des résultats et des motivations des étudiants. Comment pourrait-il en être autrement ?
Dans un contexte de réduction de la dépense publique, le budget de l’enseignement supérieur a pu échapper aux coupes budgétaires. Mais, aujourd’hui, il est insuffisant au regard des nouvelles responsabilités confiées aux universités, qui devront notamment assumer les titularisations et l’augmentation du point d’indice des personnels.
Notre pays a fait le choix, que je partage, de maintenir un système de financement de l’université principalement public. Cela me semble essentiel au regard de la mission de service public qu’elle assure. Toutefois, il ne faut pas s’interdire de recourir au mécénat d’entreprises ou de développer la formation continue, car on voit mal comment l’université pourra relever les défis qui l’attendent sans ressources nouvelles. Là aussi, le principe de réalité nous rattrape et s’impose à nous !
Les universités françaises, fortes d’une longue et prestigieuse histoire, doivent poursuivre leur mutation pour pouvoir envisager l’avenir avec sérénité et ambition. Dans ce contexte, les classements internationaux ne doivent pas être une obsession. La première de leurs missions reste la formation et la recherche, l’accès des étudiants aux savoirs et leur insertion dans le monde professionnel : c’est ce que la STRANES ne doit pas perdre de vue !
Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme Dominique Gillot applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans un monde d’une complexité croissante, qui évolue de plus en plus vite, il faut plus que jamais s’interroger, comprendre, chercher, inventer.
Confrontés à de nouveaux défis, nous pourrons ainsi appréhender et accompagner les changements, et imaginer de nouveaux horizons. Il s’agit donc de donner aux jeunes générations la possibilité d’appréhender des savoirs de plus en plus complexes, grâce notamment à un enseignement supérieur de qualité.
La loi de 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche prévoyait la définition d’« une stratégie nationale de l’enseignement supérieur […] élaborée et révisée tous les cinq ans. » À l’époque, nous avions salué cette initiative, marquant une ambition forte pour l’enseignement supérieur.
Le rapport définitif du comité STRANES a été remis au Président de la République le 8 septembre 2015. Mais depuis, plus rien, monsieur le secrétaire d’État, jusqu’à la réception sur nos messageries électroniques, hier midi, à la veille du présent débat demandé par nos collègues du groupe socialiste et républicain, d’un document de synthèse émanant du Gouvernement !
La loi prévoyait pourtant que les priorités devaient être « transmises aux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat » avant d’être définitivement arrêtées. La méthode utilisée s’écarte donc quelque peu de l’esprit de la loi… Dommage !
Le rapport final du comité STRANES comporte cinq axes stratégiques, trois leviers et un plan d’action présentant quarante propositions pour une « société apprenante ». Nous en partageons les objectifs et l’ambition. En outre, nombre des propositions formulées comportent de bonnes options. Le rapport propose ainsi de porter à 60 % d’une classe d’âge, contre 42 % aujourd’hui, la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur, d’ici à 2025. Pour rappel, la stratégie de Lisbonne de 2000 fixait comme objectif de conduire 50 % d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur, afin que l’économie de nos pays s’adapte à « l’économie de la connaissance ».
Pour atteindre ce nouvel objectif ambitieux, que je partage, il va donc falloir changer de braquet !
Dans le rapport, il est également proposé de porter à 20 000 le nombre de doctorats délivrés chaque année. Il est par ailleurs suggéré de mettre en place deux mesures, dont l’une, très concrète, consisterait à conditionner l’octroi du crédit d’impôt recherche à l’embauche de jeunes docteurs. Malheureusement, votre document de synthèse n’en dit mot, monsieur le secrétaire d’État !
Dans la loi, il est aussi prévu que la STRANES comporte « une programmation pluriannuelle des moyens ». C’est justement ce qui manquait à la loi Fioraso, alors qu’il s’agit pourtant d’un point capital.
Les quelque 1 000 emplois supplémentaires inscrits dans le budget chaque année, très souvent utilisés par les universités pour faire face à d’autres dépenses, et non pour créer des postes, ne suffiront évidemment pas !
Si les auteurs du rapport de la STRANES prennent acte du poids des « contraintes budgétaires », ils affirment la nécessité de « trouver les moyens d’investir dans la société apprenante ».
L’une des pistes évoquées, la plus pertinente à mes yeux, consiste à engager l’Europe à reconnaître l’enseignement supérieur « comme un investissement nécessaire à son avenir ». Pour ce faire, au-delà des incantations, il existe un moyen d’action concret : exclure les dépenses consacrées à l’enseignement supérieur du calcul des déficits publics par la Commission européenne. À défaut, l’objectif de porter, à l’échelon européen, le montant global des dépenses consacrées à l’enseignement supérieur à 2 % du PIB risque de connaître le même destin que celui de consacrer 3 % du PIB à la recherche qui avait été fixé en 2000, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. En effet, ce dernier objectif n’est toujours pas atteint, notamment par la France. Or, de mon point de vue, l’urgence est là !
Sur ces deux points, monsieur le secrétaire d’État, votre document de synthèse est peu explicite. Vous vous contentez d’indiquer que vous porterez la discussion autour de cet objectif avec vos homologues.
Nous nous interrogeons donc sur la possibilité de concilier les objectifs ambitieux de la STRANES et les responsabilités sociales assumées par les universités dans le cadre de leur autonomie.
Nous le savons, la LRU et le passage aux responsabilités et compétences élargies ont placé les universités devant des difficultés financières telles que, en 2012, la moitié d’entre elles étaient en déficit. La situation a évolué, mais au prix d’efforts considérables, réalisés au détriment des conditions de travail des personnels et des conditions d’études et de réussite des étudiants.
Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, vous préconisez le développement des « ressources propres ». Il reste qu’il ne peut venir se substituer à un budget de l’enseignement supérieur et de la recherche ambitieux, car qui dit développement des ressources propres, dit aussi augmentation des charges de fonctionnement.
Vous le savez, nous sommes hostiles à la sélection plus ou moins directe des étudiants par le biais du resserrement des capacités d’accueil des établissements, de l’augmentation des frais d’inscription ou du recours aux procédures d’admission sur dossier.
La STRANES a écarté cette piste, dont l’adoption constituerait un grave retour en arrière et une atteinte au principe d’égalité devant le service public.
Le réinvestissement financier de l’État dans l’enseignement supérieur doit aussi se concrétiser au travers de la proposition n° 34 de la STRANES, qui vise à assurer une formation de tous les enseignants du supérieur.
Pour conclure, j’aimerais évoquer l’un des principaux volets sur lesquels la STRANES a formulé des propositions, à savoir la situation sociale des étudiants.
Le premier outil de sélection indirecte des étudiants, facteur d’échec prégnant, reste le salariat. Les propositions de la STRANES vont donc dans le bon sens. Source d’échec, handicap dans la poursuite des études en raison de la difficulté du cumul entre emploi et stages obligatoires, le salariat étudiant renforce les déterminismes sociaux au lieu de les atténuer.
De fait, cette question doit s’apprécier au regard de tous les facteurs conduisant au salariat étudiant : précarité sociale à laquelle les bourses accordées sur critères sociaux n’ont pas remédié, recul de l’accès aux soins accompagné d’une disparition des structures de médecine préventive universitaire, manque flagrant de places en cités universitaires, alors même que le logement représente le premier poste de dépenses des étudiants…
Si j’ai bien compris, ce débat d’une heure, organisé à un moment qui ne favorise pas la participation, sera le seul temps d’échange que nous aurons sur la STRANES. Je veux donc dénoncer avec force le décalage que je perçois entre l’ambition affichée à juste titre dans le rapport de la STRANES et les conclusions du document de synthèse du Gouvernement ! J’appelle ce dernier à se ressaisir !
Mme Dominique Gillot applaudit.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur quelque travée que nous siégions, nous avons en partage la même conviction : celle que l’avenir de notre pays se joue en grande partie dans notre système d’enseignement supérieur.
Dès lors, il apparaît bienvenu que la France se dote d’une stratégie nationale en ce domaine. Tel est l’objet du rapport sur lequel il nous est proposé de débattre en cette si belle fin d’après-midi. Sur le fondement d’un constat lui aussi partageable, il nous présente, « pour une société apprenante », cinq axes stratégiques, trois leviers, quarante propositions.
Je cite les cinq axes stratégiques : construire une société apprenante et soutenir notre économie ; développer la dimension européenne et l’internationalisation de notre enseignement supérieur ; favoriser une réelle accession sociale et agir pour l’inclusion ; inventer l’éducation supérieure du XXIe siècle ; répondre aux aspirations de la jeunesse.
Les trois leviers que vous entendez actionner sont les suivants : dessiner un nouveau paysage pour l’enseignement supérieur ; écouter et soutenir les femmes et les hommes qui y travaillent ; investir pour la société apprenante.
Tout cela est très beau ; qui pourrait s’y opposer ?…
Mais voyez-vous, si le groupe UDI-UC et moi-même ne sommes pas insensibles à l’esthétique de l’action publique, nous sommes plus encore attachés, par pragmatisme, à sa concrétisation, à sa matérialisation. Vous me direz que tel est l’objet des quarante propositions. Cela reste à voir, car le traitement que vous semblez déjà leur réserver nous interpelle, et votre capacité à mettre en œuvre une quelconque stratégie nationale ne laisse pas de nous inquiéter…
Si j’avais une seule minute de temps de parole, je résumerais cette inquiétude par la formule employée par le Président de la République dans un courrier adressé le 21 avril dernier au président de la Conférence des présidents d’université : « L’augmentation continue des effectifs appellera bientôt des ajustements budgétaires pour y faire face. Je saurai les prescrire le moment venu. »
Combien ? Quand ? Pour un usage laissé à la discrétion des établissements ou pour des actions déjà fléchées par l’État ? Devant un tel flou à l’heure de l’élaboration d’une stratégie nationale, le doute ne peut que s’installer.
Comme je dispose d’un peu plus d’une minute, je vais développer mon propos en examinant successivement la situation des étudiants, puis celle des établissements, à l’heure de la STRANES.
Les étudiants sont l’objet depuis quelques semaines de toutes vos attentions : voici des mesures de simplification, dont certaines sont déjà mises en œuvre par de très nombreux établissements ; voilà des soutiens financiers pour aider les jeunes diplômés en quête d’emploi, au lieu d’ailleurs de soutenir les universités qui, sur leur territoire, ont mis en place des dispositifs adaptés pour faciliter cette insertion professionnelle.
L’heure est en fait aux emplettes électorales, avec achat de paix politico-sociale en tête de la liste des courses.
Mais le vrai enjeu pour l’avenir n’est pas là, et vous le savez : il réside dans la qualité des parcours étudiants que nous sommes capables de garantir au plus grand nombre des bacheliers. Cela suppose que l’on assure la réussite en licence, puis en master pour ceux qui s’y engagent, réussite que mesurera la qualité de leur insertion professionnelle. La démocratisation passe obligatoirement par là.
En la matière, votre réponse à la décision du Conseil d’État sur les masters est bien fragile : un décret à paraître, et déjà contesté, pour « sécuriser la rentrée 2016 » et une concertation de quatre mois pour « préparer l’après ». Par résistance idéologique, vous préparez en fait l’inverse de ce que réclament les étudiants eux-mêmes, décidément plus lucides que vous : une régulation claire dès l’entrée du cycle master. Ils savent, ils sentent que la valeur du diplôme est intrinsèquement liée à sa relative rareté. Ils n’ont pas le sentiment d’être d’arrière-garde, mais ils ont le souci de l’utilité professionnelle de leur diplôme.
Quant à la licence, vous venez de rejeter une des propositions de la STRANES, reprise par le récent rapport de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, l’IGAENR. Il s’agissait de « soumettre les demandes d’inscription en licence des bacheliers professionnels et technologiques à l’avis d’un conseil d’orientation ». En clair, il était proposé de vérifier les prérequis – quel vilain souci, ma foi ! –, voire de limiter ensuite les redoublements. Or, si les motifs de l’échec en licence sont multiples, l’un d’eux se trouve, et c’est logique, dans l’inadaptation entre la formation initiale et la filière choisie. Traiter cette difficulté et instaurer, ne redoutons pas le mot, une forme de sélection, ce n’est pas exclure, mais intégrer, car c’est bien l’échec répété et lancinant en L1 et en L2 qui est le véritable facteur d’exclusion universitaire et sociale.
On ne traitera pas le problème comme vous le proposez, en instaurant l’obligation, pour le lycéen, de cocher une case sur le site Admission post-bac pour signifier qu’il a bien pris connaissance des chiffres de réussite dans la filière retenue, comme on coche sans les lire les conditions contractuelles sur un site internet. Faire de l’orientation active inscrite dans la loi un vrai outil d’aide à l’orientation pouvant aller jusqu’à poser un interdit ou à imposer des préalables serait en fait la seule démarche réellement démocratique.
Je profite de cette tribune pour vous rappeler que j’attends sur ce sujet, et sur celui du choc démographique, vos réponses à mes questions écrites du 25 juin et du 22 octobre 2015.
Comment, dans ce contexte, peut-on affirmer que le déploiement des outils numériques ou les innovations pédagogiques, pour essentiels qu’ils soient, faciliteront à eux seuls la réussite généralisée en licence ! C’est une douce et dangereuse utopie !
J’irai encore plus loin en ajoutant que revaloriser ainsi la licence serait aussi utile pour ceux qui n’y enseignent plus que par nécessité de service et souffrent devant ce public si souvent démuni. Les enseignants-chercheurs en L1 ou en L2 se résignent mal à ne plus transmettre le fruit de leurs travaux, mais à colmater tant bien que mal les lacunes du plus grand nombre de leurs étudiants. Ce n’est pas leur rôle. Elle est là, la réalité de l’université d’aujourd’hui. Le Gouvernement doit ouvrir les yeux.
Venons-en aux établissements et, singulièrement, aux universités, qui accueillent le plus grand nombre des étudiants. Ayant été rapporteur de la loi LRU en 2007 puis membre de son comité de suivi, je suis tout particulièrement attentif, vous le comprendrez, à l’état de l’autonomie et à sa capacité à mettre en œuvre la STRANES, puisque les universités en sont des acteurs essentiels. C’est d’ailleurs une lourde erreur que ces établissements ne soient pas, à part entière, un levier de votre stratégie. Par leur localisation, ils sont à même de démultiplier les énergies et de donner l’impulsion nécessaire pour le développement économique de tous les territoires.
Je me suis réjoui, en 2013, que cette autonomie naissante ne soit pas remise en question. Mais ce n’était qu’un leurre : elle n’a pas été approfondie et nous avons constaté, au contraire, une volonté sous-jacente de la corseter.
Le parallèle avec la réforme territoriale et celle de l’État territorial est saisissant ; il mériterait à lui seul un débat.
Les moyens ne sont pas au rendez-vous, malgré les promesses – jusqu’à 1 milliard d’euros de plus évoqués l’automne dernier – et l’annonce récente et floue du Président de la République illustre bien l’incertitude budgétaire : c’est par exemple le cas pour l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, ou les contrats de plan État-régions, dont le volet enseignement supérieur et recherche est bien maigre.
Quant au modèle d’allocation et de répartition des moyens, vous ne créez aucune dynamique positive et vertueuse au sein des établissements, puisque le critère de la performance – autre vilain mot, n’est-ce pas, puisqu’il induit une forme de concurrence… – semble aujourd’hui écarté.
La loi LRU offrait des outils innovants aux universités pour élargir leurs sources de financement et doper leur attractivité : je pense par exemple aux fondations ou aux chaires d’excellence. Il semble que vos services tétanisent littéralement les universités dans leurs initiatives. Quel dommage !
Les moyens des universités passent aussi par leur patrimoine immobilier. L’état de l’immobilier universitaire n’est pas bon, un récent rapport parlementaire allant jusqu’à le qualifier d’« inquiétant ».
La dévolution, inscrite elle aussi dans la loi, marque le pas, alors qu’elle constitue bel et bien un outil utile.
Enfin, parce que le Sénat se préoccupe toujours des territoires, nous ne saurions négliger les communautés d’universités et d’établissements, les COMUE, qui, depuis 2013, ont pris le relais des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES. Ces COMUE existent, elles délivrent des doctorats, candidatent aux appels à projets au titre du programme d’investissements d’avenir, essaient de se montrer. Mais, là aussi, on ne voit pas quelles mesures l’État entend prendre pour garantir à notre système d’enseignement universitaire une visibilité internationale qui lui fait défaut. Elle était attendue de ces regroupements, mais ils ne sont bien souvent perçus que comme une couche supplémentaire du millefeuille universitaire.
On pourrait multiplier les exemples, mais, pour conclure, je dirais que si la STRANES s’apparente à une belle promesse, la réalité de votre « boîte à outils » est d’une grande faiblesse.
Depuis 2012, dans une triste et inquiétante répétition, ce gouvernement rêve à crédit notre pays, ici ses universités et ses étudiants. Pour moi, ce n’est pas cela, un État stratège !
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en ce qui concerne la stratégie nationale de l’enseignement supérieur, comme l’ont souligné précédemment mes collègues, les pistes de réflexion sont nombreuses et stratégiques pour l’avenir de notre système de formation, mais aussi pour celui de notre capacité industrielle.
Je voudrais développer un axe en particulier : celui du nécessaire rapprochement entre notre université et la réalité économique des entreprises.
À l’heure de la société du savoir, les entreprises engagées dans la compétition internationale doivent pouvoir tirer leurs avantages concurrentiels des systèmes nationaux de recherche, tandis que l’insertion professionnelle des étudiants repose en grande partie sur l’adaptation de l’offre de formation aux exigences du marché du travail, notamment en termes de compétences.
J’en veux pour preuve que le taux d’insertion professionnelle des diplômés des grandes écoles entre douze à quinze mois après leur sortie était de 92 % en 2015, quand celui des diplômés des universités trente mois après l’obtention de leur diplôme était, la même année, de 89 %.
La conclusion est que les diplômés des masters universitaires – bac+5 – continuent de s’insérer de façon satisfaisante dans la vie professionnelle, mais ils le font beaucoup plus lentement que les étudiants des grandes écoles, qui bénéficient d’une formation plus professionnalisante.
Il s’agit donc de repenser les interactions entre le monde universitaire et le monde économique, deux mondes qui, pendant trop longtemps, se sont ignorés et ont évolué de manière autonome.
L’enjeu est double : d’une part, offrir la meilleure formation est nécessaire dans une société transformée, notamment par le numérique, qui induit de nouveaux systèmes de formation – je pense bien sûr aux cours en ligne ; d’autre part, former les étudiants au plus près de la production et de l’actualisation des connaissances, tout en permettant aux entreprises de renforcer leurs capacités d’innovation et de recherche.
Sur cette question, la stratégie nationale de l’enseignement supérieur contient des dispositions intéressantes.
Je pense notamment à « la politique de site », développée au travers de la loi de juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui vise à s’appuyer sur les synergies et les complémentarités pour lancer des projets scientifiques et pour favoriser la formation.
Je pense également au plan en faveur de l’entrepreneuriat étudiant, qui vise à sensibiliser les étudiants à l’innovation et à l’entrepreneuriat, quel que soit leur cursus de formation.
Ces mesures vont dans le bon sens, monsieur le secrétaire d’État, mais elles ne sauraient être suffisantes.
Votre plan en faveur de l’entrepreneuriat étudiant vise un objectif de 5 000 étudiants bénéficiant du statut national étudiant-entrepreneur à l’horizon 2020 : 5 000 étudiants, sur environ 2, 5 millions… Nous sommes encore loin du compte !
Je m’interroge : la priorité de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur n’est-elle pas de libérer les forces créatrices et l’innovation, encore trop souvent bridées ?
Bien que la responsabilité de l’État en matière d’enseignement supérieur reste primordiale, il me semble que l’enjeu majeur, aujourd’hui, ne réside pas tant dans la définition de nouveaux dispositifs législatifs que dans la confiance en nos universitaires et en nos étudiants, en cette génération du numérique qui a moins besoin de formations à ces nouvelles technologies que de nouveaux espaces pour évoluer et innover. C’est précisément ce que les rapprochements entre universités et entreprises peuvent offrir, notamment au travers des « pôles d’excellence ».
Les partenariats université-entreprise nous permettront de repenser le financement du système d’enseignement supérieur, lequel doit pouvoir accéder aux financements ouverts.
Enfin, ce type de rapprochements entre l’enseignement supérieur et la recherche privée représente un enjeu territorial important, qui devrait nous permettre de repenser la compétitivité, l’attractivité et le rayonnement des territoires. Ce sont notamment les nouvelles grandes régions qui devraient aujourd’hui jouer un rôle de préfiguration de ces nouvelles dynamiques.
Dans ma région du Grand Est, notamment, il est fondamental de renforcer la structuration d’un vaste bassin d’emploi et de formation, y compris avec le Luxembourg, la Sarre et la Suisse. C’est également l’un des enjeux : penser la proximité entre l’université et l’entreprise dans des espaces au fort potentiel économique, y compris au niveau transfrontalier et mondial. La forte connexion de ces enjeux avec les compétences des régions en matière de formation professionnelle, de développement économique ou d’aménagement du territoire plaide également en ce sens.
Je pense par ailleurs aux étudiants en médecine : je suis convaincu que nous relèverons le défi des déserts médicaux en territorialisant nos formations. Plus on aura de jeunes ruraux diplômés, plus la probabilité de voir de jeunes médecins s’implanter en milieu rural sera grande ; cela soulève d’ailleurs la question de l’égalité des chances.
Je conclurai par cette réflexion : l’enseignement supérieur doit pouvoir continuer de dispenser une formation académique de grande qualité et de contribuer à la construction des atouts économiques de demain avec des solutions de formation innovantes et, surtout, reliées à l’emploi.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. - M. Jean-Léonce Dupont applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les membres du groupe socialiste ont pris la bonne initiative de proposer un débat sur la stratégie nationale de l’enseignement supérieur.
C’est une bonne initiative, car nous allons enfin pouvoir nous occuper d’une partie de la jeunesse française. Je rappelle que la jeunesse était présentée en 2012 par le candidat François Hollande, désormais Président de la République, comme l’une des priorités de son quinquennat. Autour de moi, je n’ai pas rencontré beaucoup de jeunes ayant le sentiment d’être une priorité du Président de la République… Et ce ne sont pas les engagements de fin de mandat qui vont les rassurer !
Mais ce débat est bienvenu, parce que les jeunes Français s’interrogent. Ont-ils encore un avenir en France ? S’ils le pouvaient, 51 % des jeunes de 25 à 30 ans interrogés aimeraient quitter la France… N’est-ce pas préoccupant ? Je crains très sincèrement que, en plus d’être menacés par le déclin industriel, commercial et culturel, nous ne soyons aussi menacés par le déclin intellectuel, si nous ne parvenons pas à rompre avec un certain nombre de tabous. C’est pourquoi notre système d’enseignement supérieur doit au moins faire preuve d’audace.
Je rappellerai simplement que, en 2007, nous avions fait le pari de replacer l’université au centre des savoirs, au centre de l’enseignement supérieur, au centre de la recherche et de l’innovation. Nous avions décidé, en quelque sorte, d’émanciper l’université de la tutelle un peu trop pressante de l’État. Nous avions enfin décidé de faire confiance à la communauté universitaire. C’était un choix audacieux. La loi LRU a fait couler beaucoup d’encre, elle a bousculé les habitudes, elle a entraîné des contestations, mais il fallait la faire. Nous avons tenu nos engagements et affirmé nos convictions face à la rue et aux conservatismes.
Partout dans le monde, la maîtrise des connaissances scientifiques et la capacité à innover sont la clé des succès économiques et sociaux. Partout dans le monde, les universités sont un vivier où s’opèrent ces mutations.
Mais il nous faut aller encore plus loin dans l’approfondissement de l’autonomie des universités, huit ans après l’entrée en application de la loi. Vous en conviendrez, monsieur le secrétaire d’État : il est toujours difficile d’avoir une parfaite autonomie lorsque vous n’avez pas une lisibilité dans le temps de vos finances et que vous n’avez pas la maîtrise de vos ressources humaines.
Ainsi, si des mesures disciplinaires doivent être prises à l’égard d’un membre du personnel d’une université, le président doit en référer soit au recteur, soit au ministre… C’est tout de même curieux !
Aussi, comme dans la plupart de collectivités locales d’ailleurs, les dépenses de personnel pèsent beaucoup trop lourdement sur le budget des établissements. En moyenne, elles correspondent à 83 % du budget. L’objectif serait, par exemple, de revoir les modalités de promotion des personnels, afin de permettre une réorganisation interne et d’offrir la possibilité de réinventer le fonctionnement de nos universités. Mais, là encore, ces modalités relèvent toujours de la compétence de l’État.
Notre système d’enseignement supérieur est devenu trop complexe et l’innovation est bien souvent bridée.
Vous avez annoncé une clarification et une simplification, voire un renouveau de la relation entre l’État et les établissements d’enseignement supérieur. Qu’appelez-vous « renouveau » ? Est-ce refuser de reconnaître la diversité des talents de notre jeunesse étudiante ? Est-ce préférer la médiocrité pour tous au succès du plus grand nombre ? Votre conception du renouveau confond beaucoup trop égalité et égalitarisme, mérite et nivellement par le bas. Le socialisme abîme cet idéal républicain qui fait de chaque jeune un espoir pour notre pays. Notre jeunesse étudiante est notre espoir, elle vaut bien que notre pays se préoccupe de son sort.
Pour conclure, nous ne devons pas craindre de renforcer le lien entre l’enseignement supérieur et le monde de l’entreprise, cela dès le premier cycle. Faisons preuve d’ouverture et de bon sens, faisons confiance aux acteurs de l’enseignement supérieur.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, chacun d’entre nous a à l’esprit l’importance de ce débat. L’histoire de notre République, c’est d’abord l’histoire d’un combat pour l’éducation – Daniel Percheron le rappelait judicieusement. L’éducation est en effet le premier moyen d’action pour instaurer la justice, l’émancipation et le progrès.
Ce fut tout d’abord, aux premières heures de la IIIe République, le combat pour l’école gratuite, laïque et obligatoire.
Ce fut ensuite le combat pour l’unification de l’enseignement secondaire, à une époque où le lycée était réservé aux seuls favorisés.
Ce fut, dans les années quatre-vingt, le combat mené par François Mitterrand pour assurer l’accès le plus large possible au baccalauréat.
Maintenant, grâce à la STRANES, grâce à la feuille de route dont le Président de la République a voulu doter l’État, nous menons le combat pour l’élévation du niveau de qualification de notre jeunesse, l’objectif étant de porter, d’ici à dix ans, à 60 % d’une classe d’âge le taux de diplômés de l’enseignement supérieur.
La STRANES s’inscrit dans cette histoire pluriséculaire, mais elle est aussi complètement immergée dans les enjeux du monde d’aujourd’hui. Elle prend en compte les tendances lourdes que nous observons au niveau mondial. Le Président de la République, en déclarant que les quarante propositions du rapport, rassemblées autour de cinq axes stratégiques, constituaient la feuille de route du Gouvernement pour faire de la France une société apprenante, dynamique et juste, a donné le cap.
Je tiens donc à remercier chaleureusement le groupe socialiste et républicain, et tout particulièrement Dominique Gillot, d’avoir proposé ce débat. Je remercie tous les intervenants d’y avoir contribué par leurs idées, leurs réflexions et parfois leurs critiques, animés par une volonté partagée de bâtir le système le plus performant et le plus efficace possible, dans le respect de nos valeurs communes.
Le rapport de la STRANES n’est pas un document indicatif, assorti de quelques objectifs chiffrés. Il est intitulé « Stratégie nationale pour l’enseignement supérieur » et a été présenté par deux rapporteurs qui, entourés de leur équipe, ont fait un travail remarquable. Je tiens tout particulièrement à saluer la présidente, Sophie Béjean, le rapporteur général, Bertrand Monthubert, et, à travers eux, l’ensemble du comité STRANES.
Ce rapport a en outre été soumis au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER, la plus haute instance de l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, et il a été très largement approuvé par l’ensemble de la communauté universitaire, dans toute sa diversité. Je tiens, à ce propos, à rassurer ceux qui, tout à l’heure, s’inquiétaient de la place des établissements, notamment M. Grosperrin : la Conférence des présidents d’université, la Conférence des grandes écoles et la Conférence des écoles d’ingénieurs ont approuvé ce document, qui lie la communauté universitaire, le Président de la République et le Gouvernement dans la mise en œuvre de cette stratégie.
Cette discussion, qui a d’ailleurs souvent glissé vers l’actualité du pilotage gouvernemental de l’enseignement supérieur, ne porte pas sur le sexe des anges, mais sur des choix qui forment la matrice de la réflexion stratégique. Au demeurant, je n’ai entendu s’exprimer aucun désaccord frontal avec cette stratégie, sauf peut-être de la part de M. Grosperrin. J’en conclus que les objectifs fixés par la STRANES sont aussi les vôtres, mesdames, messieurs les sénateurs, même si la lecture de certains articles de presse peut m’amener à m’interroger.
Quels sont, précisément, ces objectifs ?
Premièrement, nous sommes animés par une volonté absolue de démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur, qu’il s’agisse de l’université ou de toutes les formations post-bac qualifiantes. C’est le choix fondateur de cette stratégie : nous souhaitons que la jeunesse de notre pays accède encore plus largement qu’aujourd’hui aux formations d’enseignement supérieur, l’objectif étant que le taux de diplômés du supérieur au sein d’une classe d’âge atteigne 60 % d’ici à dix ans.
Deuxièmement, nous ne voulons pas de sélection par l’argent dans notre système d’enseignement supérieur. Sur la question des droits d’inscription, le débat est aujourd’hui mondial. Cet après-midi même, un cabinet d’études a publié des travaux portant sur les politiques menées par un certain nombre de pays qui appliquent des droits d’inscription à l’université élevés, comme le Royaume-Uni. Un diplômé de l’enseignement supérieur britannique commence sa vie professionnelle avec une dette de 55 000 euros – elle est de 40 000 euros pour un diplômé aux États-Unis –, que bien souvent il ne peut pas rembourser. Cela constitue une forme d’injustice, qui éloigne de l’accès à l’enseignement supérieur des couches entières de la population. Ce cabinet anglo-saxon, par ailleurs plutôt animé par une vision libérale des choses, attire l’attention du Gouvernement britannique sur les conséquences de cette situation.
Troisièmement, monsieur Dupont, nous ne voulons pas la démocratisation pour la démocratisation : notre conception de la démocratisation du système universitaire est exigeante. Nous ne souhaitons pas seulement que le plus grand nombre possible de jeunes accèdent dans les meilleures conditions à l’enseignement supérieur ; nous voulons aussi qu’ils réussissent et qu’ils obtiennent des diplômes de qualité.
Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, ni ce que feront, dans quelques années, celles et ceux qui auront à diriger les politiques d’enseignement supérieur. Ils doivent toutefois savoir que ces orientations ne sont pas celles d’un gouvernement, à l’encontre duquel certains d’entre vous ont tenu des propos particulièrement violents, qui serait partisan du nivellement par le bas, d’une université de masse qui se préoccuperait peu de la qualité des enseignements dispensés : elles ont été approuvées par toute une communauté composée des universités, des grandes écoles, des écoles d’ingénieurs et des partenaires sociaux. Au passage, je le redis, personne ne s’est opposé frontalement aux principes directeurs de la STRANES. Si, demain, certains avaient cette tentation, je pense qu’ils seraient confrontés à un blocage total ; il vaut mieux qu’ils soient conscients de cette réalité.
Ce rapport et ces objectifs nous obligent. Je le reconnais sans détour : quand une nation se fixe un objectif aussi ambitieux, elle s’oblige, et tout d’abord d’un point de vue financier. La quasi-totalité des orateurs, sur toutes les travées, l’a signalé : la Nation ne peut pas s’assigner des objectifs élevés sans avoir à l’esprit qu’elle devra accompagner budgétairement cet effort. La phrase de la lettre du Président de la République que vous avez citée ne dit rien d’autre.
Quand viendra l’heure de la loi de finances, quand nous pourrons constater les premiers succès de cette volonté de démocratisation, avec la progression continue des effectifs dans l’enseignement supérieur, il faudra à l’évidence aller au-delà des efforts budgétaires réalisés ces dernières années et donner un sérieux coup de pouce au budget des universités.
Même si des progrès particulièrement importants ont déjà été réalisés de ce point de vue, il faudra aussi accompagner plus nettement la vie étudiante, afin d’assurer les meilleures conditions d’études et les plus grandes chances de succès aux étudiants qui sont les plus fragiles socialement. Je rappelle néanmoins que ces crédits, regroupés dans le programme 231, intitulé « Vie étudiante », selon notre nomenclature budgétaire, ont connu une très forte augmentation, d’environ 500 millions d’euros, depuis le début du quinquennat, ce qui montre notre volonté d’anticiper sur ce mouvement auquel la STRANES nous oblige.
Je rappelle aussi le plan de logements étudiants, évoqué par l’un d’entre vous à très juste titre. Il est tout à fait important d’accueillir dans de meilleures conditions les étudiants grâce à des logements adaptés. Vous le savez, le Gouvernement, sous l’impulsion de Mme Fioraso, avait adopté un plan de construction de 40 000 logements d’ici à la fin de 2017. Il s’agit d’un effort de construction massif, jamais vu dans l’histoire de notre université. Les chiffres intermédiaires, à la fin de 2015, montrent que plus de 22 000 de ces logements ont d’ores et déjà été livrés et sont habités. La feuille de route, sur laquelle j’ai encore travaillé en début de semaine avec la ministre du logement, montre que cet objectif sera respecté.
Le budget ne se limite pas à la discussion des crédits de l’année. Il comprend aussi des moyens exceptionnels dont l’État s’est doté, dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, le PIA, que l’on appelait précédemment « grand emprunt », géré par le Commissariat général à l’investissement, le CGI. M. Percheron a bien fait de mettre l’accent sur ce point. Il nous a présenté une proposition quelque peu radicale, même si je la respecte, consistant à « tourner la page » du PIA. Ce n’est évidemment pas la position du Gouvernement, mais un peu de lucidité ne nuit pas, dans ce domaine comme dans tous les autres.
Quelques jours après les décisions prises pour les premiers appels à projets concernant les initiatives d’excellence, ou IDEX, qui visent à labelliser dans la durée les pôles universitaires et de recherche de rang mondial ou d’ambition mondiale, il faut reconnaître que quelques questions se posent.
En premier lieu, à ce jour, seules trois universités ont obtenu définitivement le label IDEX : Bordeaux, Aix-Marseille et Strasbourg. Il n’est pas nécessaire de convoquer de grands experts ou de consulter les grands classements internationaux pour se rendre compte que, au regard de la carte de l’excellence française, tant du point de vue des universités que de la recherche, ces trois sites tout à fait respectables et qui méritent leur labellisation ne couvrent qu’une petite partie des pôles d’excellence potentiels en France.
Peut-être nous sommes-nous fixé des objectifs trop ambitieux, ou des délais trop brefs, voire les deux ? Il faut aborder la question avec lucidité, et c’est à cet exercice que nous invite Daniel Percheron.
En second lieu, il faut aussi observer que le regard porté sur ces IDEX en période probatoire met en avant des formes de gouvernance tout à fait utiles à l’amélioration et au renforcement de la structuration du paysage de notre enseignement supérieur, notamment la question des fusions entre universités.
Cependant, on ne saurait considérer qu’un IDEX est nécessairement porté par des universités fusionnées. D’autres formes d’organisation sont possibles. Celles-ci ont fait l’objet d’une lettre que le ministère et le CGI ont cosignée : il s’agit notamment d’organisations de type fédéral, qui mutualisent un certain nombre de fonctions en faisant vivre une diversité particulièrement utile dans les communautés d’universités et d’établissements, les COMUE, quand le processus de fusion des universités et des grandes écoles ne peut être mené à un rythme très rapide.
Je rejoins enfin M. Percheron sur un troisième point : il est nécessaire que la politique des investissements d’avenir, pilotée par le CGI et par un jury indépendant – c’est une règle classique dans l’enseignement supérieur, et pas seulement en France, mais dans le monde entier, et nous l’acceptons tout à fait –, soit coordonnée et articulée avec l’administration de l’enseignement supérieur et de la recherche, et plus généralement du ministère de l’éducation nationale, qui pilote la pérennité, l’organisation, l’évolution du système d’enseignement supérieur et de recherche en France. En effet, on n’imagine pas qu’il y ait un ministère de l’excellence, responsable de trois sites seulement, et un ministère qui s’occuperait du reste des établissements d’enseignement supérieur !
J’ai d’ailleurs eu l’occasion de dire que je souhaitais la mise en place d’un véritable comité de pilotage de ces investissements, car ce qui se fait aujourd’hui relève davantage du suivi que du pilotage.
Toujours au titre des obligations que la STRANES nous impose, je veux évoquer la question de l’autonomie. M. Grosperrin s’interrogeait sur la contradiction existant entre l’autonomie des universités et la définition d’une stratégie nationale.
Il n’y a pas à s’interroger, car il s’agit des deux faces d’une même pièce. C’est parce que les universités sont autonomes et que cette autonomie doit, de mon point de vue, être consolidée, qu’il faut une stratégie d’État, sinon c’est le bazar : il n’y a plus de système d’enseignement supérieur, mais un système à géométrie variable qui avance au gré des initiatives individuelles, sans principes nationaux, sans reconnaissance nationale des diplômes ni règles nationales d’accès à l’université.
Il en résulterait une compétition mortifère entre les établissements et les objectifs de la STRANES ne pourraient plus être atteints. La stratégie nationale est donc la condition de pilotage d’un système d’acteurs autonomes. J’indique, au passage, que cette stratégie n’est pas imposée aux acteurs, puisqu’ils ont eux-mêmes participé à sa définition.
Quant à l’autonomie elle-même, elle doit être consolidée et confortée, et elle va l’être, notamment par un plan immobilier. Vous avez eu raison de rappeler que, pour l’instant, seules trois universités sont concernées par la dévolution du patrimoine immobilier. Pourquoi si peu ? Parce que les conditions dans lesquelles ces trois dévolutions ont été effectuées sont ruineuses pour l’État et que celui-ci est incapable d’en assumer une quatrième ! L’État a donné des biens rénovés aux universités et abondé chaque année massivement leur budget de fonctionnement : si ce modèle devait être généralisé, ses capacités financières n’y suffiraient pas.
Depuis près d’un an, nous travaillons à expérimenter un nouveau modèle. Nous lancerons avant l’été une expérimentation sur la base des travaux pilotés actuellement par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche. À partir de quatre à cinq sites en France, nous tenterons de trouver un modèle économique pérenne avec des règles entièrement nouvelles en matière immobilière. Les produits de cessions reviendront aux universités qui cèdent leur bien et la possibilité d’emprunter sera accordée, sous conditions, à ces établissements, à plus forte raison quand ces emprunts financeront des opérations de rénovation thermique ou énergétique dont les gains sont supérieurs au coût du remboursement des emprunts.
En ce qui concerne les ressources propres des établissements, là encore, il faut être clair. Ce n’est pas parce que la STRANES fixe des objectifs audacieux que les universités doivent attendre leurs ressources exclusivement de l’État – d’ailleurs, ce n’est pas ce qu’elles font. Aujourd’hui, les universités sont financées à hauteur de 91 % par l’État, les droits d’inscriptions représentant 2 % à 3 % de leur financement et la formation professionnelle et continue 2 %. Le reste provient des collectivités locales, dont je tiens à saluer le rôle en matière d’investissement.
Il faut donc des stratégies de développement des ressources propres, qui peuvent avoir différentes origines. Deux domaines méritent particulièrement d’être explorés dès aujourd’hui, me semble-t-il.
Je pense, en premier lieu, à la formation professionnelle et continue. Douze universités expérimentent aujourd’hui des formes nouvelles de conquête de marchés, puisque c’est de cela qu’il s’agit. Nous avons doté ces universités de moyens en personnel leur permettant de développer ce type de recettes.
En second lieu, la valorisation des produits de la recherche, l’innovation et le rapprochement avec les entreprises, comme l’a suggéré M. Gremillet, sont autant de pistes de réformes qui seront présentées publiquement d’ici à l’été prochain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je souhaitais vous dire au sujet de la STRANES : ce document stratégique énonce des principes qui soudent une communauté et il nous crée des obligations.
Avant de conclure, je voudrais évoquer différents chantiers d’ores et déjà engagés pour la mise en place de cette stratégie.
Je souhaite insister tout d’abord sur l’amélioration de la condition étudiante et sur la lisibilité des formations, qui est une question essentielle.
J’y ajoute l’orientation active, à laquelle je suis tout à fait favorable. Je considère que ce que nous avons fait cette année pour le dispositif d’admission post-bac, ou APB, n’est pas suffisant ; c’était vraiment le minimum qu’il fallait faire pour informer plus clairement les futurs étudiants sur les conditions dans lesquelles ils seront amenés à réussir ou, malheureusement, à échouer, compte tenu de leur formation initiale.
Je pense qu’il faut aller beaucoup plus loin et que l’orientation devrait devenir une matière à part entière en classe de terminale. Un professeur, peut-être le professeur principal, devrait être, avec une organisation différente, la personne chargée de s’occuper du parcours post-bac des futurs étudiants. Beaucoup reste donc à faire.
Je veux également insister sur la question du numérique. Certes, ce n’est pas ce qui va sauver l’université française ! Cependant, dans un marché qui se mondialise, avec des pays qui dépensent des sommes gigantesques pour marier innovation pédagogique et innovation numérique, si notre pays ne s’y met pas, dans quelques années, nos étudiants apprendront sur internet grâce à des programmes américains, voire seront diplômés d’une université étrangère sans y avoir jamais mis les pieds.
Je souhaite donc que l’on accélère dans ce domaine : un plan numérique sera annoncé le 24 mai prochain, afin de doter la France d’une véritable ambition, d’une méthodologie et de moyens d’action en matière numérique.
J’en viens à l’architecture des formations, qui est la traduction concrète de l’excellence et de l’exigence qui doivent accompagner la démocratisation.
Certains d’entre vous ont déploré que l’entrée en master pose problème, ce qui a fait couler beaucoup d’encre. Aujourd’hui, quelque 1 400 masters 2 sont sélectifs. Je ne considère pas que la solution qui a été trouvée soit la panacée. Selon moi, l’accès au master pose un véritable problème, et il faut envisager une étape après la licence, que l’on peut appeler orientation ou orientation renforcée, peu importe.
Si le système actuel n’est pas terrible, pourquoi n’avoir rien fait plus tôt ? Depuis quatorze ans, les universités développent des pratiques sélectives en dehors de tout cadre légal ! Il se trouve que nous les avons légalisées, mais j’aurais aimé que cela soit fait plus tôt.
J’aurais aussi aimé que la réforme des formations doctorales, que nous avons fait approuver, je le souligne, par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER – l’arrêté sera publié en même temps que la liste des masters sélectifs –, soit décidée beaucoup plus tôt. Cette réforme garantit la qualité des formations doctorales dispensées et une équité entre les étudiants.
Je pourrais également vous parler de la réforme de l’examen national de droit pour l’accès à la profession d’avocat. Depuis trente ans, les avocats disent que l’on ne peut pas continuer avec des examens territorialisés et qu’il faut organiser cet examen sur des bases nationales. Ce sera chose faite dès la rentrée de 2017.
Je pourrais enfin vous parler des réformes de la première année commune aux études de santé, la PACES. Nous menons des expérimentations dans trois universités pour réduire le taux d’échec et améliorer les possibilités de reconversion pour ceux qui échouent. Bref, nous avons la volonté de revoir l’architecture de l’enseignement supérieur dans notre pays.
Pour conclure, la STRANES est un cadre. J’ai beaucoup insisté sur ce point, parce que je souhaite alerter celles et ceux qui pensent qu’il s’agit d’un document culturel. Non, des gens ont travaillé pendant des années sur ce texte et ils représentent l’ensemble du monde universitaire, des grandes écoles et des écoles d’ingénieur. La STRANES n’est pas une stratégie pour demain, elle est d’ores et déjà mise en œuvre et elle nous oblige, comme elle oblige tous ceux qui se sont engagés dans cette démarche.
C’est parce que nous organisons cette convergence des forces, ce mouvement de transformation de l’enseignement supérieur, qui sera très long, que nous nous donnons les moyens d’atteindre les objectifs que nous avons collectivement décidé de nous fixer.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la stratégie nationale de l’enseignement supérieur.
Par lettre reçue ce jour, M. Didier Guillaume, président du groupe socialiste et républicain, a informé M. le président du Sénat que son groupe demande, en application de l’article 6 bis du règlement, la création d’une mission d’information sur l’intérêt et les formes possibles de mise en place d’un revenu de base en France.
La conférence des présidents sera saisie de cette demande lors de sa prochaine réunion.
Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 4 mai 2016, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation avait adressé au Conseil constitutionnel :
- un arrêt de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971
Conditions d’accession à la profession d’avocat
- un arrêt de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 450-3 et L. 464-8 du code de commerce
Voie de recours des décisions de l’Autorité de la concurrence
Le texte de ces arrêts de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de ces communications.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 10 mai 2016 :
À neuf heures trente : vingt-six questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
Projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (procédure accélérée) (n° 574, 2015-2016) ;
Rapport de M. Michel Mercier, fait au nom de la commission des lois (n° 581, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 582, 2015-2016).
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, réformant le système de répression des abus de marché (n° 542, 2015-2016) ;
Rapport de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (n° 575, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 576, 2015-2016) ;
Avis de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 573, 2015-2016).
Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (n° 484, 2015-2016) ;
Rapport de M. Jérôme Bignon, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 577, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 578, 2015-2016) ;
Avis de M. Alain Anziani, fait au nom de la commission des lois, (n° 569, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures quinze.