Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, le sujet de la traite des êtres humains est vaste, mais j’ai choisi de concentrer mon intervention sur ses aspects juridiques.
Comment trouver dans notre droit les moyens de lutter contre cet esclavage moderne ? L’arsenal juridique national de lutte contre la traite des êtres humains est relativement complet, ainsi que l’a indiqué Mme Jouanno. Il constitue l’adaptation, dans notre droit, des principaux instruments internationaux existants.
C’est la définition actuelle de la traite des êtres humains, telle qu’elle figure dans le code pénal, qui peut sembler incomplète, bien qu’elle ait été récemment élargie à plusieurs formes d’exploitation, comme le travail forcé, la réduction en servitude ou la réduction en esclavage.
En effet, cette définition n’intègre pas, par exemple, les mariages forcés, alors que, comme l’avait souligné l’ambassadrice chargée de la lutte contre la criminalité organisée, Michèle Ramis, « le mariage forcé est souvent une porte d’entrée dans la traite ».
Il nous semble donc important de recommander qu’une référence explicite au mariage forcé complète la définition de la traite à l’article 225-4-1 du code pénal.
Au-delà de la définition de la traite des êtres humains et des sanctions applicables, notre arsenal législatif accorde aux victimes de la traite un certain nombre de droits : des droits sociaux, un accueil sécurisant, dont nous a parlé notre collègue Brigitte Gonthier-Morin, ainsi qu’une protection accrue en matière d’entrée et de séjour.
Concernant ce dernier point, je rappelle que l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit la délivrance d’une carte de séjour temporaire à l’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse de traite. Cette carte est renouvelée pendant la durée de la procédure pénale et, en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident est délivrée de plein droit à l’étranger ayant déposé plainte ou témoigné.
Dans les faits, les victimes de la traite restent insuffisamment informées de leurs droits en la matière, et on constate des pratiques hétérogènes selon les préfectures. Une instruction du ministère de l’intérieur datant de mai 2015 devrait permettre d’améliorer la situation, mais il est trop tôt pour dresser un bilan de son efficacité.
C’est pourquoi nous recommandons une harmonisation des pratiques préfectorales concernant la délivrance des titres de séjour au profit des victimes de la traite.
La MIPROF, créée en 2013, et le premier plan d’action national de lutte contre la traite ont déjà été longuement évoqués par mes collègues. La MIPROF assure la coordination nationale en matière de lutte contre la traite, conformément à la convention de Varsovie. Malgré un champ d’intervention très large, elle ne dispose pas de crédits propres pour conduire son action. Celle-ci se trouve donc freinée par l’insuffisance des moyens.
Par ailleurs, l’implication des ministères de l’intérieur, de la justice et des affaires sociales, en particulier, semble devoir être renforcée. En effet, le champ de compétence de la MIPROF implique un travail de coopération étroit entre les différents services des ministères, ainsi qu’une approche pluridisciplinaire. Cela vaut d’ailleurs tant pour la traite que pour les violences conjugales. C’est pourquoi nous recommandons le rattachement de la MIPROF au Premier ministre.
La MIPROF a été chargée de préparer le premier plan d’action national contre la traite des êtres humains pour la période 2014-2016, qui marque l’instauration d’une politique publique à part entière dans ce domaine.
Présenté en mai 2014, ce plan constitue une réelle avancée, car il définit pour la première fois les fondements d’une politique publique transversale de lutte contre la traite sous toutes ses formes, en retenant une approche intégrée qui englobe la prévention, la protection et la répression.
Il contient vingt et une mesures, réparties selon trois grandes priorités : identifier les victimes pour mieux les protéger ; poursuivre et démanteler les réseaux de la traite ; faire de la lutte contre la traite une politique publique à part entière.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme a été nommée rapporteur indépendant, chargée de mener l’évaluation de cette politique.
Or le plan n’est que partiellement mis en œuvre, en raison de moyens insuffisants, même si l’adoption de la loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel devrait permettre d’inscrire davantage de crédits au budget de la MIPROF.
Nous recommandons donc de garantir la mobilisation des moyens budgétaires et humains nécessaires à la mise en œuvre des mesures du plan.
Nous rappelons aussi que, en matière de lutte contre la traite, nous n’en sommes qu’au tout premier plan d’action. On peut donc espérer que les efforts réels entrepris par les pouvoirs publics produiront progressivement des résultats tangibles, à l’instar des progrès réalisés en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, après quatre plans interministériels successifs.
Gardons en tête cette phrase de Victor Hugo : « Un seul esclave sur la terre suffit pour déshonorer la liberté de tous les hommes. »