Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, précisant l’autonomie des universités et affirmant le rôle de l’État stratège, la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche du 22 juillet 2013, loi d’ouverture et de transformation, s’est déjà traduite par des avancées réelles, en matière tant de réussite de tous les étudiants, dont le nombre a fortement augmenté, pour atteindre 2, 5 millions à la dernière rentrée, que de nouvelles ambitions pour la recherche, facteur déterminant pour l’avenir et le progrès de la France.
Cette loi prévoyait la définition d’une stratégie nationale de la recherche et d’une stratégie nationale de l’enseignement supérieur, ou STRANES, afin de rendre explicites les choix de la Nation.
Un comité indépendant, riche de sa diversité, à la parole libre et à la réflexion féconde, a été mis en place par votre prédécesseur Geneviève Fioraso, monsieur le secrétaire d’État.
Ce comité s’est réussi assidûment pendant plus d’un an avant de livrer au Président de la République sa vision de l’avenir et les orientations retenues, dessinant une vraie stratégie nationale pour l’enseignement supérieur pour les dix ans à venir et prévoyant sa mise en œuvre en prise directe avec les enjeux sociétaux et économiques auxquels nous devons faire face.
Considérant la qualité de ce travail collaboratif, documenté et validant la méthode de diagnostic partagé, le Président de la République a souhaité que les propositions du rapport deviennent la feuille de route du Gouvernement pour l’instauration d’une société apprenante.
De séminaires en colloques, la présidente du comité et son rapporteur font vivre ce travail collectif, entraînant, après le vote positif du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER, l’adhésion et le soutien des acteurs de l’enseignement supérieur.
Depuis septembre 2015, monsieur le secrétaire d’État, vous avez ouvert plusieurs chantiers de mise en œuvre de la STRANES.
Les objectifs ambitieux, partagés et validés pour 2025 imposent, en effet, d’agir dès maintenant. Au reste, il faut s’appuyer sur la dynamique amorcée par la communauté universitaire, porteuse d’espoir pour la jeunesse.
Même si la reproduction sociale et les inégalités se construisent bien avant le stade de l’enseignement supérieur, celui-ci ne peut se contenter de continuer à former une élite issue de l’élite.
L’université est au cœur de la société et de sa transformation. Elle se doit d’ouvrir ses portes et de répondre à plusieurs défis.
Le premier défi est celui d’une nouvelle étape, massive, de la démocratisation. En cinquante ans, le nombre d’étudiants a été multiplié par huit – il faudra en accueillir 300 000 supplémentaires d’ici à 2024 –, pour plusieurs raisons incontestées.
La première raison de l’augmentation de la population estudiantine tient au désir de plus en plus de jeunes de poursuivre des études supérieures, conjugué à l’ambition nationale que 60 % d’une classe d’âge soit diplômée du supérieur.
Le corollaire du refus de la sélection, laquelle serait en rupture avec le modèle français, c’est une information adaptée, accessible, dès le lycée, l’accompagnement d’une orientation choisie, soutenue, quel que soit le baccalauréat obtenu. Le droit de réussir se cultive avec méthode, avant et pendant les premières années du premier cycle – c’est le fameux « moins trois, plus trois ». C’est aussi un mentorat bienveillant pour mettre l’étudiant en situation de construire sa réussite.
La seconde raison de la hausse du nombre d’étudiants est la promesse républicaine du progrès partagé, pour engager la France dans la construction de son avenir, dans la modernisation nécessitée par les évolutions de l’information continue, la multidisciplinarité, la polarisation.
Le second défi que l’université doit relever est celui de l’élévation des qualifications de l’ensemble de la population, du développement des compétences transférables, pour répondre, par l’innovation, la transversalité et la culture de nos capacités d’adaptation, aux exigences du monde économique et des nouveaux métiers et préparer l’inévitable mobilité professionnelle.
En cela, les universités sont des laboratoires de la société de demain et des leviers de la construction d’un nouveau lien social.
L’hétérogénéité de la population étudiante, tout comme les nouveaux modes de socialisation et d’apprentissage –numérique, à distance, pragmatique… –, la vitesse exponentielle des avancées technologiques obligent à envisager l’évolution des métiers de l’enseignement supérieur.
La conception de l’enseignant qui dispense son savoir ex cathedra est dépassée dans une université libre d’accès, où les étudiants et les adultes sont libres d’apprendre, de faire de la recherche, de coopérer, de coconstruire une connaissance en mouvement. Les professeurs sont amenés à changer de position.
Dans ce cadre, des questions se posent avec acuité, notamment celle de la reconnaissance et de l’évaluation du travail en équipe, qu’il s’agisse d’équipes pluridisciplinaires d’enseignants ou d’équipes collaboratives d’étudiants.
Se pose aussi la question de la coopération de nouveaux métiers, à imaginer, au sein de l’université : ceux de l’enseignement, qui construit les esprits, ceux de la recherche, qui explore et nourrit la connaissance, ceux de l’administration, qui sécurise le cadre, et ceux de la logistique, qui organise l’écosystème.
Reste la question de la qualification. Les tenants de la carrière fondée sur les seules publications entravent la reconnaissance de ceux qui s’investissent dans la pédagogie, notamment grâce au numérique, qui accélère le partage des données, change le rapport sachant-apprenant et apprivoise l’intelligence artificielle, au bénéfice de la recherche de solutions innovantes. Ces nouvelles méthodes de transmission du savoir développent une capacité réflexive et permettent d’explorer la complexité, pour inventer le futur et reformuler les questions. Elles demandent que les enseignants fassent de la recherche sur leur pédagogie, afin de l’améliorer.
Cette évolution ne peut être l’apanage de généreux précurseurs. Il faut accompagner les enseignants, partager les bonnes pratiques et les diffuser, construire des formations.
L’interdisciplinarité des apprentissages collectifs permet l’émergence d’intelligences de formes différentes, ouvre l’université à une logique de communauté réelle.
Progressivement, le modèle de savoirs dominants et incontestés est remis en cause par la pertinence du savoir-faire et l’exigence du savoir-être. La volonté d’augmenter la liberté des enseignants et des étudiants doit guider les arbitrages du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Le troisième défi est celui de l’évolution de l’enseignement supérieur préconisée par la STRANES, qui s’envisage autant pour les enseignants, en termes de carrière, de liberté pédagogique et de reconnaissance de l’engagement, que pour les étudiants, en termes d’égalité des possibles et de garantie de résultats en matière d’insertion professionnelle.
Dans cette perspective, il faut admettre que l’étudiant puisse être acteur de sa formation, choisir plusieurs disciplines, réussir, se tromper, recommencer, reprendre des études après une plus ou moins longue césure.
L’évolution de l’enseignement supérieur doit se faire en lien avec les acteurs économiques et sociaux, en pensant à l’internationalisation et à la visibilité des établissements, à leur rôle dans la dynamique des territoires, à la mobilité des étudiants, au partage de la connaissance pour éclairer les choix citoyens.
Le droit à une formation tout au long de la vie, dont l’université entend être l’un des acteurs, oblige au rapprochement des opérateurs de la formation – initiale, continue ou tout au long de la vie – et du monde économique.
C’est un enrichissement mutuel, qui favorise l’évolution des pratiques, antérieurement fondées sur la délivrance des diplômes sur la base de la connaissance, vers une analyse des compétences nécessaires pour exercer les missions visées par les diplômés.
Il me semble que ce droit devrait aussi amener une redistribution de la contribution à la formation professionnelle continue vers les universités, qui assument cette responsabilité sociale. Le projet de loi sur le travail, qui est actuellement débattu à l’Assemblée nationale et que nous examinerons bientôt, pourrait en être le vecteur.
La structuration des sites universitaires, soutenue par une politique d’investissements d’avenir, moteur puissant de transformation, l’inscription de l’enseignement supérieur privé à but non lucratif dans une relation nouvelle, prenant en compte sa contribution aux objectifs stratégiques d’intérêt général, le rapprochement entre universités et écoles, qui fait émerger des sites forts, attractifs et reconnus, contribuent à construire l’université fédérale de demain, capable de se mesurer aux grands standards internationaux, et sont autant de défis à moyen terme prévus par le texte. La signature de contrats de site accompagne et favorise le dialogue renouvelé avec l’État stratège.
L’ambition de la STRANES porte également sur l’amélioration des conditions de vie et d’études.
Bien sûr, l’augmentation continue du montant des bourses et du nombre d’étudiants et la nouvelle « garantie jeunes » y participent, de même que les trente-cinq mesures du plan national de vie étudiante, le PNVE, qui aborde la vie étudiante dans toutes ses dimensions : logement, santé et soins, droits pour les étudiants salariés, adaptation des horaires des bibliothèques, des laboratoires et des lieux collaboratifs ouverts sur l’extérieur, dématérialisation, reconnaissance de l’engagement citoyen…
Il faudrait cependant, au titre de la responsabilité sociale des universités, encourager les établissements à mieux organiser les emplois du temps, au bénéfice des étudiants.
Dans certains pays, la semaine se divise en trois journées d’études continues et en quatre journées libres pour des recherches personnelles, du travail salarié, des activités culturelles… Par ailleurs, les semestres s’y enchaînent sans coupure inutile.
Cette organisation présente l’avantage d’optimiser l’utilisation des locaux. Conjuguée au développement des cours en ligne et à distance, une telle optimisation permettrait de faire face à l’augmentation attendue de la démographie étudiante et de bannir la pratique détestable du tirage au sort à laquelle il est recouru lorsque les capacités d’accueil sont saturées.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez présenté cinquante mesures de simplification, qui confortent la STRANES et répondent aux attentes de la communauté universitaire.
L’adoption récente par le Sénat, à l’unanimité moins une voix, du projet de loi pour une République numérique va contribuer à accélérer les processus de simplification et de partage des données.
Toutefois, je regrette la frilosité de la majorité sénatoriale, qui n’a pas permis la libéralisation du TDM – le text and data mining. Cela nous vaut le ressentiment des chercheurs, qui réclament ce soutien à la souveraineté scientifique de la France.
Heureusement, les amendements visant à actualiser la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche que j’avais déposés sur ce texte en vue d’accorder aux enseignements numériques et à distance une reconnaissance égale à celle dont bénéficient les enseignements en présence ont été adoptés.
L’offre numérique des établissements est en plein essor et les professeurs s’inscrivent en nombre pour utiliser les studios mis à leur disposition, où ils numérisent leurs cours, voire enregistrent des MOOC. Ces derniers, de plus en plus nombreux, enrichissent la formation des étudiants et la médiation pédagogique.
Grâce au numérique et aux sciences digitales, c’est toute la chaîne d’éducation et de formation qui bouge, de la maternelle à l’enseignement supérieur.
Reste tout de même une question essentielle : celle du modèle économique de cette stratégie porteuse.
Une fois l’augmentation des droits d’inscription rejetée – comme je l’ai dit tout à l’heure, celle-ci serait en rupture avec le modèle français –, le développement des ressources propres des universités ne suffira pas.
Dans son rapport, le comité STRANES propose que l’Europe se dote d’un objectif ambitieux pour l’enseignement supérieur, de la même manière qu’elle l’a fait pour la recherche.
La France doit obtenir que les dépenses d’enseignement supérieur, qui engendrent des effets positifs en termes de développement, ne soient plus considérées comme des charges alourdissant le déficit budgétaire, mais bien comme des investissements. Un euro dépensé dans l’enseignement supérieur, ce sont six euros de profit ultérieur pour la société !
Monsieur le secrétaire d’État, le temps me manque pour inventorier ce qui est en marche ou ce qui justifie de nouvelles évolutions institutionnelles.
Je veux conclure en soulignant l’intérêt de la STRANES, qui a permis d’évoquer, dans un même document, les enjeux de clarification et de simplification de notre système d’enseignement supérieur, qui doit être rendu plus accessible et plus efficace pour le plus grand nombre, l’ambition académique et l’acceptation de la révolution scientifique, qui doit profiter à tous.
La STRANES, c’est le projet de réussite de tous, au service de notre pays. C’est un message de confiance à la fois concret et puissamment symbolique adressé à notre enseignement supérieur.