Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, conformément à ce que prévoyait la loi du 22 juillet 2013, le comité pour la stratégie nationale de l’enseignement supérieur a remis, en septembre dernier, un rapport – volumineux, puisqu’il compte près de deux cent cinquante pages – destiné à fixer les orientations de la politique de la Nation pour cinq ans.
Si l’on peut saluer le travail accompli, il faut aussi savoir identifier les grandes faiblesses de ce rapport, fondé sur des erreurs d’approche et empreint, sur de nombreux sujets, d’une idéologie trop souvent égalitariste, idéologie qui est malheureusement la marque de l’ensemble des réformes conduites par le Gouvernement en matière d’éducation.
La première faiblesse du rapport tient à ses auteurs. Le comité dont ce rapport est le fruit est, en effet, constitué de vingt-cinq personnes, très certainement estimables, mais au sein desquelles les universitaires sont très minoritaires. On peut au moins s’interroger sur une telle composition et sur le manque de considération à l’égard des acteurs essentiels du secteur qu’elle révèle.
La seconde faiblesse est systémique, puisque le rapport entend fixer un cadre national contraignant pour les cinq années à venir, alors que les universités sont censées être autonomes.
Comment concilier l’autonomie, qui devrait permettre à chaque université d’élaborer et de mettre en œuvre sa propre stratégie en matière de recherche, de pédagogie, de recrutement ou encore d’attractivité, avec la détermination d’objectifs et de contraintes par un comité au sein duquel les universitaires, j’y insiste, sont très minoritaires ?
Enfin, le titre même donné à ce rapport, écrit dans une novlangue que ne renierait pas Orwell, Pour une société apprenante, révèle que la plus grande de ses faiblesses tient probablement au fait que ses auteurs ont cédé au pédagogisme qui ruine, lentement mais sûrement, le système éducatif français.
Venons-en maintenant au contenu. Sans surprise, je relève que l’essentiel des propositions a un caractère démagogique.
C’est d’abord le cas des objectifs quantitatifs fixés par les propositions n° 1 et 23 : la première annonce un taux de 60 % de diplômés du supérieur par classe d’âge, tandis que la seconde prévoit que 50 % des étudiants devront être boursiers d’ici à 2025.
C’est surtout le cas des préconisations faites pour flatter certains syndicats étudiants : par exemple, la proposition n° 17 prévoit l’accès à internet lors des examens, et la proposition n° 15 la suppression de la sélection entre les deux années de master.
Cette dernière proposition est vraiment le signe d’une incompréhension totale des enjeux concrets. Comment imaginer que les étudiants puissent participer à des séminaires ou réaliser le stage obligatoire en entreprise si les promotions en master 2 sont aussi nombreuses qu’en master 1 ? Ce serait complètement impossible ! Sur cette question, il serait temps de sortir de la confusion et d’écouter, pour une fois, les universitaires, qui sont vent debout contre cette tendance délétère !
Les universitaires, parlons-en justement ! Ce sont les grands absents d’une stratégie qui ne consacre pas une réflexion suffisante au renforcement de leur statut ou à la lutte contre leur paupérisation.
Épuisés par une bureaucratisation croissante, les enseignants-chercheurs sont détournés de leurs missions fondamentales. À rebours de ce qu’il faudrait faire, le rapport préconise d’écorner davantage encore leurs libertés constitutionnelles, en proposant la constitution d’équipes pédagogiques « plurimétiers » dans lesquelles leur seraient associés les personnels de bibliothèque, ingénieurs, administratifs, techniciens, de service et de santé : c’est la proposition n° 31.
De telles préconisations traduisent à l’évidence un manque de confiance à l’égard des universitaires. Comme souvent avec les réformes en matière d’enseignement, les résultats obtenus seront à l’opposé des résultats promis. La bureaucratisation croissante de l’enseignement supérieur public dissuade déjà les meilleurs chercheurs, qui préfèrent se tourner vers des carrières privées, plus rémunératrices, ou rejoindre les universités étrangères.
La stratégie proposée consiste à distribuer les diplômes à tour de bras ! Il s’agit d’une mauvaise stratégie parce que, en procédant de la sorte, on dévalue les diplômes et l’on ruine toute possibilité d’ascension sociale pour ceux qui n’ont que leurs diplômes pour progresser. On aurait vraiment souhaité autre chose que le délitement des exigences : disons le mot, une stratégie d’excellence pour l’enseignement supérieur.
Au bout du compte, c’est une université de masse que ce gouvernement entend réellement promouvoir. Cette stratégie est la sienne ; ce n’est, fort heureusement, pas celle de ma famille politique !