Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis d’une génération historiquement respectueuse de l’université, avant et après 1968. Citadelle intellectuelle d’une indépendance absolue, servie par de grands professeurs, elle représentait et représente toujours pour moi l’universalisme français !
Ce soir, je participe avec toute l’humilité nécessaire à ce débat sur la stratégie universitaire, son financement, le rôle de l’État stratège.
Monsieur le secrétaire d’État, vous et moi sommes des tenants de ce beau compromis que l’on appelle la social-démocratie ! Vous occupez les fonctions qui furent celles de Jules Ferry, d’Edgar Faure, de Jean-Pierre Chevènement ou, plus près de nous, de Lionel Jospin.
Le sujet essentiel qui nous occupe ce soir, c’est la formation de la jeunesse, à l’heure où de nouveaux défis doivent être relevés. Jules Ferry savait ce qu’il voulait : l’élection des maires au suffrage universel – il faut le remercier mille fois pour cela ! –, mais aussi l’école communale et une France de citoyens adoptant la devise républicaine et acceptant l’apaisement de la laïcité On ne le dit pas suffisamment, et Mona Ozouf a raison de le rappeler.
Edgar Faure a, quant à lui, repavé l’université d’imagination et d’ambitions nouvelles après mai 1968, conscient que les étudiants d’alors, très minoritaires au sein de leur classe d’âge – on l’oublie parfois aujourd’hui –, représentaient la révolution intellectuelle pour les décennies à venir.
Ensuite, Jean-Pierre Chevènement a fait le pari de la massification de l’enseignement supérieur, qui serait aussi sa démocratisation.
Enfin, Lionel Jospin a su entendre l’ambition des territoires. On compte aujourd’hui près de quatre cents villes universitaires. S’agit-il d’un éparpillement ? Pour ma part, je pense qu’il s’agit plutôt d’une irrigation tout à fait fertile du territoire ! Dans le Pas-de-Calais, département de statut néocolonial de plus de 1 million d’habitants surplombé par son puissant voisin, le Nord, nous avons accueilli les nouvelles « universités Jospin ». Elles apportent à notre département une valeur ajoutée qu’aucun classement ne récuse et accueillent le plus grand nombre de boursiers du pays ! Elles représentent par conséquent un succès complet !
Il faut souligner que vos prédécesseurs, monsieur le secrétaire d’État, évoluaient dans le cadre de l’État-nation, qui apportait, qu’on le veuille ou non, davantage de sécurité, tandis que vous êtes en première ligne pour faire face à la situation créée par des élites, souvent libérales, parfois réformistes, qui ont cru que la mondialisation serait heureuse, que l’intelligence de l’Occident lui assurerait l’essentiel de la valeur ajoutée, qu’il garderait le haut du pavé dans la division du travail à l’échelle de la planète. Il n’en a rien été et nous nous trouvons confrontés à une compétition mondiale d’une férocité exceptionnelle : il s’agit, pour nos universités, de bien figurer au classement de Shanghai ! Aujourd’hui, nous voulons que nos universités soient reconnues et célébrées par le communisme de marché ! §Quel revirement ! Là où il est, le petit homme et grand politique qu’était Deng Xiaoping ne doit pas en revenir ! Le programme d'investissements d'avenir a été conçu dans ce but : atteindre les meilleures places dans ce classement.
Il faut reconnaître, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’avez pas la tâche facile ! Cela étant, je ne doute pas que les 35 millions d’euros appartenant à l’université d’Artois, celle des boursiers, et évaporés à la suite d’un moment d’inattention seront prochainement restitués à celle-ci.
À propos des investissements d’avenir, dont la mise en œuvre est assurée par Louis Schweitzer, je voudrais vous dire, avec bien sûr toute la partialité d’un élu local, à quel point je suis en désaccord avec vous !
Dans son ouvrage intitulé Une brève histoire de l’avenir, Jacques Attali indiquait qu’il n’y a, en France, qu’un seul endroit où l’on puisse reconstruire un cœur de mondialisation : le long de la voie à grande vitesse Londres-Lille-Bruxelles-Amsterdam-Cologne. Il s’agit de la colonne vertébrale de l’Europe ; c’est là que se concentrent les lumières sur la carte de l’Europe vue du ciel, la nuit.
Pourtant, la région Nord-Pas-de-Calais ne bénéficie que de 1, 6 % du total national des dépenses exposées au titre du crédit d’impôt recherche, contre 65 % pour la région d’Île-de-France. Et il va falloir que le président de notre université aille baragouiner en anglais devant le jury du programme d'investissements d'avenir, présidé par Louis Schweitzer, pour obtenir le pain et le vin de l’avenir de son établissement… C’est incroyable ! Quand je vois que, dix-huit mois après leur lancement, cinq pôles universitaires d’excellence ont été déclassés, je me dis que l’aménagement du territoire n’a plus de sens. Tout cela n’est pas sérieux !
Je propose donc de tourner la page des investissements d’avenir. Si nos lycéens sont les mieux traités du monde, puisque l’on consacre à chacun d’entre eux plus de 12 000 euros par an, c’est grâce à la décentralisation, à l’action des grandes collectivités locales, chacune dans son rôle. Aucune ligne rouge n’a jamais été franchie : à l’État la transmission du savoir, l’affirmation de la laïcité, aux grandes collectivités locales la gestion de l’accueil des élèves, des équipements et de la vie quotidienne.