Intervention de Thierry Mandon

Réunion du 4 mai 2016 à 14h45
Stratégie nationale de l'enseignement supérieur — Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain

Thierry Mandon, secrétaire d’État :

En premier lieu, à ce jour, seules trois universités ont obtenu définitivement le label IDEX : Bordeaux, Aix-Marseille et Strasbourg. Il n’est pas nécessaire de convoquer de grands experts ou de consulter les grands classements internationaux pour se rendre compte que, au regard de la carte de l’excellence française, tant du point de vue des universités que de la recherche, ces trois sites tout à fait respectables et qui méritent leur labellisation ne couvrent qu’une petite partie des pôles d’excellence potentiels en France.

Peut-être nous sommes-nous fixé des objectifs trop ambitieux, ou des délais trop brefs, voire les deux ? Il faut aborder la question avec lucidité, et c’est à cet exercice que nous invite Daniel Percheron.

En second lieu, il faut aussi observer que le regard porté sur ces IDEX en période probatoire met en avant des formes de gouvernance tout à fait utiles à l’amélioration et au renforcement de la structuration du paysage de notre enseignement supérieur, notamment la question des fusions entre universités.

Cependant, on ne saurait considérer qu’un IDEX est nécessairement porté par des universités fusionnées. D’autres formes d’organisation sont possibles. Celles-ci ont fait l’objet d’une lettre que le ministère et le CGI ont cosignée : il s’agit notamment d’organisations de type fédéral, qui mutualisent un certain nombre de fonctions en faisant vivre une diversité particulièrement utile dans les communautés d’universités et d’établissements, les COMUE, quand le processus de fusion des universités et des grandes écoles ne peut être mené à un rythme très rapide.

Je rejoins enfin M. Percheron sur un troisième point : il est nécessaire que la politique des investissements d’avenir, pilotée par le CGI et par un jury indépendant – c’est une règle classique dans l’enseignement supérieur, et pas seulement en France, mais dans le monde entier, et nous l’acceptons tout à fait –, soit coordonnée et articulée avec l’administration de l’enseignement supérieur et de la recherche, et plus généralement du ministère de l’éducation nationale, qui pilote la pérennité, l’organisation, l’évolution du système d’enseignement supérieur et de recherche en France. En effet, on n’imagine pas qu’il y ait un ministère de l’excellence, responsable de trois sites seulement, et un ministère qui s’occuperait du reste des établissements d’enseignement supérieur !

J’ai d’ailleurs eu l’occasion de dire que je souhaitais la mise en place d’un véritable comité de pilotage de ces investissements, car ce qui se fait aujourd’hui relève davantage du suivi que du pilotage.

Toujours au titre des obligations que la STRANES nous impose, je veux évoquer la question de l’autonomie. M. Grosperrin s’interrogeait sur la contradiction existant entre l’autonomie des universités et la définition d’une stratégie nationale.

Il n’y a pas à s’interroger, car il s’agit des deux faces d’une même pièce. C’est parce que les universités sont autonomes et que cette autonomie doit, de mon point de vue, être consolidée, qu’il faut une stratégie d’État, sinon c’est le bazar : il n’y a plus de système d’enseignement supérieur, mais un système à géométrie variable qui avance au gré des initiatives individuelles, sans principes nationaux, sans reconnaissance nationale des diplômes ni règles nationales d’accès à l’université.

Il en résulterait une compétition mortifère entre les établissements et les objectifs de la STRANES ne pourraient plus être atteints. La stratégie nationale est donc la condition de pilotage d’un système d’acteurs autonomes. J’indique, au passage, que cette stratégie n’est pas imposée aux acteurs, puisqu’ils ont eux-mêmes participé à sa définition.

Quant à l’autonomie elle-même, elle doit être consolidée et confortée, et elle va l’être, notamment par un plan immobilier. Vous avez eu raison de rappeler que, pour l’instant, seules trois universités sont concernées par la dévolution du patrimoine immobilier. Pourquoi si peu ? Parce que les conditions dans lesquelles ces trois dévolutions ont été effectuées sont ruineuses pour l’État et que celui-ci est incapable d’en assumer une quatrième ! L’État a donné des biens rénovés aux universités et abondé chaque année massivement leur budget de fonctionnement : si ce modèle devait être généralisé, ses capacités financières n’y suffiraient pas.

Depuis près d’un an, nous travaillons à expérimenter un nouveau modèle. Nous lancerons avant l’été une expérimentation sur la base des travaux pilotés actuellement par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche. À partir de quatre à cinq sites en France, nous tenterons de trouver un modèle économique pérenne avec des règles entièrement nouvelles en matière immobilière. Les produits de cessions reviendront aux universités qui cèdent leur bien et la possibilité d’emprunter sera accordée, sous conditions, à ces établissements, à plus forte raison quand ces emprunts financeront des opérations de rénovation thermique ou énergétique dont les gains sont supérieurs au coût du remboursement des emprunts.

En ce qui concerne les ressources propres des établissements, là encore, il faut être clair. Ce n’est pas parce que la STRANES fixe des objectifs audacieux que les universités doivent attendre leurs ressources exclusivement de l’État – d’ailleurs, ce n’est pas ce qu’elles font. Aujourd’hui, les universités sont financées à hauteur de 91 % par l’État, les droits d’inscriptions représentant 2 % à 3 % de leur financement et la formation professionnelle et continue 2 %. Le reste provient des collectivités locales, dont je tiens à saluer le rôle en matière d’investissement.

Il faut donc des stratégies de développement des ressources propres, qui peuvent avoir différentes origines. Deux domaines méritent particulièrement d’être explorés dès aujourd’hui, me semble-t-il.

Je pense, en premier lieu, à la formation professionnelle et continue. Douze universités expérimentent aujourd’hui des formes nouvelles de conquête de marchés, puisque c’est de cela qu’il s’agit. Nous avons doté ces universités de moyens en personnel leur permettant de développer ce type de recettes.

En second lieu, la valorisation des produits de la recherche, l’innovation et le rapprochement avec les entreprises, comme l’a suggéré M. Gremillet, sont autant de pistes de réformes qui seront présentées publiquement d’ici à l’été prochain.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je souhaitais vous dire au sujet de la STRANES : ce document stratégique énonce des principes qui soudent une communauté et il nous crée des obligations.

Avant de conclure, je voudrais évoquer différents chantiers d’ores et déjà engagés pour la mise en place de cette stratégie.

Je souhaite insister tout d’abord sur l’amélioration de la condition étudiante et sur la lisibilité des formations, qui est une question essentielle.

J’y ajoute l’orientation active, à laquelle je suis tout à fait favorable. Je considère que ce que nous avons fait cette année pour le dispositif d’admission post-bac, ou APB, n’est pas suffisant ; c’était vraiment le minimum qu’il fallait faire pour informer plus clairement les futurs étudiants sur les conditions dans lesquelles ils seront amenés à réussir ou, malheureusement, à échouer, compte tenu de leur formation initiale.

Je pense qu’il faut aller beaucoup plus loin et que l’orientation devrait devenir une matière à part entière en classe de terminale. Un professeur, peut-être le professeur principal, devrait être, avec une organisation différente, la personne chargée de s’occuper du parcours post-bac des futurs étudiants. Beaucoup reste donc à faire.

Je veux également insister sur la question du numérique. Certes, ce n’est pas ce qui va sauver l’université française ! Cependant, dans un marché qui se mondialise, avec des pays qui dépensent des sommes gigantesques pour marier innovation pédagogique et innovation numérique, si notre pays ne s’y met pas, dans quelques années, nos étudiants apprendront sur internet grâce à des programmes américains, voire seront diplômés d’une université étrangère sans y avoir jamais mis les pieds.

Je souhaite donc que l’on accélère dans ce domaine : un plan numérique sera annoncé le 24 mai prochain, afin de doter la France d’une véritable ambition, d’une méthodologie et de moyens d’action en matière numérique.

J’en viens à l’architecture des formations, qui est la traduction concrète de l’excellence et de l’exigence qui doivent accompagner la démocratisation.

Certains d’entre vous ont déploré que l’entrée en master pose problème, ce qui a fait couler beaucoup d’encre. Aujourd’hui, quelque 1 400 masters 2 sont sélectifs. Je ne considère pas que la solution qui a été trouvée soit la panacée. Selon moi, l’accès au master pose un véritable problème, et il faut envisager une étape après la licence, que l’on peut appeler orientation ou orientation renforcée, peu importe.

Si le système actuel n’est pas terrible, pourquoi n’avoir rien fait plus tôt ? Depuis quatorze ans, les universités développent des pratiques sélectives en dehors de tout cadre légal ! Il se trouve que nous les avons légalisées, mais j’aurais aimé que cela soit fait plus tôt.

J’aurais aussi aimé que la réforme des formations doctorales, que nous avons fait approuver, je le souligne, par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER – l’arrêté sera publié en même temps que la liste des masters sélectifs –, soit décidée beaucoup plus tôt. Cette réforme garantit la qualité des formations doctorales dispensées et une équité entre les étudiants.

Je pourrais également vous parler de la réforme de l’examen national de droit pour l’accès à la profession d’avocat. Depuis trente ans, les avocats disent que l’on ne peut pas continuer avec des examens territorialisés et qu’il faut organiser cet examen sur des bases nationales. Ce sera chose faite dès la rentrée de 2017.

Je pourrais enfin vous parler des réformes de la première année commune aux études de santé, la PACES. Nous menons des expérimentations dans trois universités pour réduire le taux d’échec et améliorer les possibilités de reconversion pour ceux qui échouent. Bref, nous avons la volonté de revoir l’architecture de l’enseignement supérieur dans notre pays.

Pour conclure, la STRANES est un cadre. J’ai beaucoup insisté sur ce point, parce que je souhaite alerter celles et ceux qui pensent qu’il s’agit d’un document culturel. Non, des gens ont travaillé pendant des années sur ce texte et ils représentent l’ensemble du monde universitaire, des grandes écoles et des écoles d’ingénieur. La STRANES n’est pas une stratégie pour demain, elle est d’ores et déjà mise en œuvre et elle nous oblige, comme elle oblige tous ceux qui se sont engagés dans cette démarche.

C’est parce que nous organisons cette convergence des forces, ce mouvement de transformation de l’enseignement supérieur, qui sera très long, que nous nous donnons les moyens d’atteindre les objectifs que nous avons collectivement décidé de nous fixer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion