Intervention de Alain Marc

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 mai 2016 à 9h35
Lutter contre les contrôles d'identité abusifs — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain MarcAlain Marc, rapporteur :

Les dispositions relatives aux contrôles d'identité, complexes, résultent de la sédimentation d'une dizaine de lois adoptées entre 1981 et 2006. Toutefois, l'ensemble est aujourd'hui stabilisé.

Cette proposition de loi, qui redéfinit le critère justifiant un contrôle d'identité opéré dans un cadre de police judiciaire, applicable notamment pour rechercher les auteurs d'une infraction, supprime toutes les autres formes de contrôles d'identité, en particulier pour prévenir les atteintes à l'ordre public, et met en place une expérimentation de délivrance par les agents des forces de l'ordre d'un récépissé aux personnes contrôlés.

Ces dispositions déstabiliseraient massivement le cadre applicable aux contrôles d'identité, pourtant particulièrement nécessaire dans le contexte actuel, et créerait une forte insécurité juridique pour les agents des forces de l'ordre. Je vous proposerai par conséquent de rejeter la proposition de loi.

Le cadre juridique fait coexister plusieurs types de contrôle d'identité. Toute personne présente sur le territoire national peut en faire l'objet. Il se définit, je cite, comme « l'acte d'un agent de l'autorité publique consistant à demander à un particulier, sous les conditions posées par la loi, de justifier son identité aux fins de l'examen du document fourni, en tout lieu où cet agent se trouve légalement ».

Deux types de contrôles d'identité sont habituellement distingués : les contrôles effectués dans le cadre de la police judiciaire, notamment dans le but de rechercher les auteurs d'un délit ou d'un crime ou pour empêcher la commission imminente d'une infraction et les contrôles effectués dans le cadre de la police administrative, qui ne visent pas la répression d'un délit ou d'un crime mais ont pour objet de prévenir une atteinte à l'ordre public. Dans ces deux cas, les contrôles d'identité doivent être motivés par des éléments concrets, rattachables à la personne faisant l'objet du contrôle et non simplement par des considérations générales ou abstraites.

Deux autres procédures permettent de contrôler l'identité de manière systématique : les contrôles sur réquisition du procureur de la République, dans des lieux qu'il définit et pour une durée déterminée, pour prévenir la commission de certaines infractions et les contrôles d'identité dits « Shengen », qui visent à lutter et à prévenir les infractions relatives à la criminalité transfrontalière, dans une bande géographique de vingt kilomètres à partir de la frontière, créés en 1993 à la suite de l'adoption de la convention Schengen du 19 juin 1990.

En complément de ces contrôles, les véhicules et, depuis la loi relative à la sécurité des transports terrestres adoptée le 22 mars dernier, les bagages peuvent être contrôlés selon des procédures plus encadrées.

Dans tous les cas, les contrôles d'identité sont effectués par des agents des forces de l'ordre, policiers ou gendarmes, ayant la qualité d'officiers de police judiciaire (OPJ), d'agents de police judiciaire ou d'agents de police judiciaire adjoints.

Toutes les procédures relatives au contrôle d'identité sont placées sous le contrôle du procureur de la République et le contentieux de ces mesures, qu'elles se rattachent à la police judiciaire ou à la police administrative, relève de la compétence du juge judiciaire.

Le régime des contrôles est aujourd'hui stabilisé. La Cour de cassation a précisé les circonstances particulières pouvant motiver un contrôle d'identité, imposant depuis longtemps des motivations précises et non abstraites : ainsi le seul fait de s'éloigner d'un groupe ne permet pas de caractériser un comportement justifiant un contrôle d'identité. En revanche, une personne changeant de direction à l'arrivée des policiers peut faire l'objet d'un contrôle. Dans un cadre de police judiciaire, un renseignement anonyme ne motive pas à lui seul un contrôle d'identité. En revanche, des éléments concrets confortant ce renseignement peuvent le justifier. Enfin, une personne qui cherche à se dissimuler à la vue d'un véhicule de police peut faire l'objet d'un contrôle d'identité dans le cadre de la police judiciaire.

La proposition de loi présente de très nombreuses difficultés. D'abord, elle supprime le critère qui justifie actuellement un contrôle d'identité dans le cadre de la police judiciaire ; en effet, l'agent devrait justifier de raisons « objectives et individualisées » pour effectuer ce contrôle, ce qui lui imposerait en fait de connaître l'identité de la personne avant même le contrôle, le rendant ainsi inutile et inopérant.

Elle supprimerait surtout l'ensemble des fondements légaux de tous les contrôles d'identité, à l'exception de ceux qui relèvent de la police judiciaire : les contrôles sur réquisition, les contrôles effectués dans un cadre de police administrative et les contrôles «Schengen » disparaîtraient, privant ainsi les forces de l'ordre d'instruments tout à fait essentiels pour prévenir les atteintes à l'ordre public. Incidemment, une représentante du Syndicat de la magistrature a établi une corrélation entre la baisse, dans certains États américains, des contrôles effectués et la baisse des attaques à main armée. Devant mes objections, elle a reconnu l'absence de lien de cause à effet... À titre d'exemple, il ne serait plus possible de procéder à des contrôles d'identité préalablement à une manifestation ou à un rassemblement, alors qu'il est établi que de tels contrôles facilitent le bon déroulement des manifestations. Les conséquences en matière de lutte contre l'immigration irrégulière seraient également assez catastrophiques.

La proposition d'instaurer un récépissé aurait quant à elle des effets pratiques négatifs sur le nombre de contrôles d'identité réalisés. Bien qu'il n'existe aucun chiffre officiel, les évaluations fournies par la gendarmerie ou la police font état de plusieurs millions de contrôles effectués par an. Par conséquent, instaurer un récépissé alourdirait significativement les tâches des forces de l'ordre, pour un bénéfice nul : cela n'empêcherait pas un nouveau contrôle par les forces de l'ordre et ne constituerait pas la preuve d'un traitement discriminatoire. Lors de son audition, le Défenseur des droits a au demeurant reconnu que des moyens alternatifs de traçabilité des contrôles d'identité devaient être expérimentés. Dans les pays où le récépissé a été mis en place, comme aux États-Unis, les relations entre la population jeune et la police ne sont pas forcément meilleures, comme le Défenseur des droits l'a aussi constaté.

De plus, il existe de nombreux mécanismes de lutte contre les pratiques dénoncées par le texte, dont le numéro matricule sur les tenues instauré en 2014 et les plates-formes Internet de signalement permettant de saisir directement les inspections en cas de dysfonctionnement. Ces dernières sont sans doute sous-utilisées, avec 239 faits signalés à l'inspection de la police nationale au cours de 2014 et 2015 - sur des millions de contrôles ! Le code de déontologie et une meilleure formation des agents sont également des réponses efficaces.

Enfin, les caméras mobiles, bientôt généralisées par la loi relative à la simplification de la procédure pénale, aident beaucoup plus que les récépissés à la constitution d'éléments de preuve réels.

Je vous propose de rejeter cette proposition de loi au regard des multiples difficultés juridiques qu'elle pose, de l'ineffectivité probable des mesures proposées et d'un risque accru d'insécurité juridique au détriment des forces de l'ordre, à l'égard desquelles elle marque au demeurant une défiance injustifiée.

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