Intervention de Valérie Létard

Commission des affaires économiques — Réunion du 11 mai 2016 à 9h31
Simplifier et rationaliser l'organisation de la collecte de la participation des employeurs à l'effort de construction et la distribution des emplois de cette participation — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Valérie LétardValérie Létard, rapporteure :

Nous devons examiner le projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures relevant du domaine de la loi pour simplifier et rationaliser l'organisation de la collecte de la participation des employeurs à l'effort de construction et la distribution des emplois de cette participation, adopté par l'Assemblée nationale le 17 mars dernier.

C'est en réalité la seconde fois que le Sénat examinera ces dispositions. En effet, cette demande d'habilitation à légiférer par ordonnances, déjà présentée par le Gouvernement lors de l'examen du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi, avait été censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu'il s'agissait d'un cavalier législatif.

Créée en 1953 après plusieurs expérimentations locales, la participation des employeurs à l'effort de construction, la PEEC, qu'on appelle communément « 1 % logement » est une contribution versée par les employeurs du secteur privé d'au moins vingt salariés. Cette contribution est fixée à 0,45 % des rémunérations versées.

Le réseau du « 1 % logement », rebaptisé depuis 2009 « Action Logement », collecte cette contribution et la redistribue. Il est composé de plusieurs entités : l'Union des entreprises et des salariés pour le logement (UESL), tête de réseau des collecteurs, les collecteurs interprofessionnels du logement (CIL), l'Association pour l'accès aux garanties locatives (APAGL) et l'Association foncière logement (AFL).

Le réseau Action logement dispose de 3,7 milliards d'euros pour mener à bien ses missions, qui vont dans plusieurs directions : aides aux personnes physiques, aides aux personnes morales et financement des politiques publiques nationales - tout particulièrement des programmes de renouvellement urbain (PNRU et NPNRU).

Objet de critiques de la Cour des comptes à plusieurs reprises, le réseau Action Logement a dû par le passé modifier son mode de fonctionnement dans trois directions : diminution du nombre de collecteurs, renforcement du rôle de pilotage de l'UESL, réduction des coûts de fonctionnement et amélioration de la gestion du réseau.

Cependant, malgré ces réformes successives, les difficultés subsistent. La réduction du nombre de CIL et l'émergence de collecteurs de taille significative dont le champ d'action peut aller au-delà de leur territoire pose inéluctablement la question de l'adaptation d'un statut associatif à ces entités. En outre, les regroupements de CIL n'ont pas mis un terme à la concurrence stérile et contre-productive entre ces organismes pour attirer les « grands comptes ». Enfin, les coûts opérationnels des collecteurs ont atteint en 2014 un palier, autour de 280 millions d'euros par an, après avoir baissé régulièrement depuis 2008. La poursuite de la baisse des coûts semble difficile sans mise en place d'une réforme plus radicale du réseau.

Par ailleurs, on constate une implication insuffisante des CIL dans le traitement social de la garantie des risques locatifs (GRL) ou encore des difficultés récurrentes dans l'attribution des logements de l'Association foncière logement aux salariés des entreprises cotisantes.

Les partenaires sociaux ont décidé en avril 2015 d'engager une réforme en profondeur d'Action logement. Je vous ai fait distribuer un double schéma, présentant l'organisation actuelle et celle qui est aujourd'hui proposée, pour plus de clarté.

Ils ont ainsi proposé une nouvelle organisation d'Action Logement comprenant une structure faîtière, une structure chargée de la collecte de la PEEC, dite structure « services », une structure de détention et de gestion des participations dite structure « immobilière », l'Association foncière logement (AFL) et l'Association pour l'accès aux garanties locatives (APAGL).

La structure faîtière, qui demeurera un organisme paritaire, sera chargée de définir les orientations générales du dispositif et de piloter et contrôler les différentes instances mises en place. Cette structure conclura avec l'Etat les conventions quinquennales relatives aux emplois de la PEEC. Elle devra fixer les orientations stratégiques et les objectifs en matière de produits et services rendus par Action Logement.

Les CIL seront remplacés par une structure unique chargée de la collecte de la PEEC et de la distribution des emplois de cette participation en fonction des orientations données par la structure faîtière.

Une troisième structure sera chargée de recueillir les titres détenus par les organismes collecteurs. Elle pourra acquérir des titres émis par des sociétés immobilières.

Au niveau régional, un comité régional Action Logement (CRAL) composé de façon paritaire représentera Action Logement et aura vocation à identifier les besoins dans les territoires.

L'APAGL et l'Association foncière logement (AFL) verront leurs compétences respectives confortées. Leur champ de compétence sera cependant modifié. En effet, pour l'APAGL, il s'agit de prévoir le pilotage du nouveau dispositif de sécurisation des loyers dit dispositif Visale. Pour l'AFL, une modification de son objet est nécessaire afin de l'autoriser à diversifier éventuellement ses programmes de construction en vendant des logements neufs en accession à la propriété.

Le projet de loi qui nous est soumis prévoit d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnances afin de traduire sur le plan juridique cette nouvelle organisation - c'est l'article 1er -, de modifier l'objet de l'APAGL et de l'AFL afin de tirer les conséquences de leurs nouvelles activités - c'est l'article 2. L'article 3 prévoit que les ordonnances devront être publiées dans un délai de 8 mois et l'article 4 que le projet de loi de ratification devra être déposé dans un délai de trois mois suivant la publication des ordonnances.

Nos collègues députés ont peu modifié ce dispositif. Outre des amendements rédactionnels, ils ont prévu que serait mis en place un comité consultatif chargé d'associer les partenaires du dispositif non seulement à la définition des emplois de la PEEC en direction de la construction, la réhabilitation et l'acquisition de logements locatifs sociaux, mais aussi au suivi de la distribution de ces emplois ; que seraient instaurées des règles relatives à l'absence de conflits d'intérêts au sein des nouvelles structures ; et enfin que les acquisitions de titres immobiliers par Action Logement se feraient sous le contrôle de l'État.

La réforme proposée, qui s'inscrit dans le prolongement des efforts de rationalisation précédemment entrepris, présente d'indéniables avantages.

Ainsi, cette nouvelle organisation devrait permettre d'offrir un meilleur service aux entreprises et donc aux salariés quelle que soit la taille de l'entreprise. Elle devrait favoriser une plus grande transparence dans les critères de distribution et la répartition effective de la collecte.

Sur le plan financier, la réforme a le mérite de mettre fin à une concurrence inutile et coûteuse entre les collecteurs. La centralisation de la collecte permettra en outre de poursuivre la baisse de 10 % des coûts de fonctionnement, à laquelle s'est engagé Action Logement dans la convention quinquennale.

Enfin, elle donnera à Action Logement une meilleure visibilité. Les partenaires dans les territoires auront désormais un seul interlocuteur régional clairement identifié avec lequel ils pourront discuter et négocier des conventions régionales.

Plusieurs interrogations, inéluctables en cas de recours à la procédure de législation par ordonnances, ont pu se poser quant aux effets de cette réforme sur les organismes HLM et quant à la répartition territoriale de cette collecte - je ne vous cache pas que j'aurais préféré modifier directement les textes plutôt que de voter une habilitation à légiférer.

Cette réforme a soulevé, dans les organismes HLM, plusieurs sujets d'inquiétude. Le premier concernait la distribution de la PEEC entre organismes. Le Gouvernement m'a indiqué que des règles spécifiques seraient prévues dans les ordonnances afin de garantir l'absence de discrimination entre les organismes de logement filiales d'Action Logement et les autres : inscription d'un principe d'équité, publication des directives de l'UESL relatives aux emplois, contrôle renforcé de l'Etat.

Le deuxième sujet d'inquiétude tenait au fait que le projet de loi prévoit que la collecte de la PEEC pourra, comme c'est le cas actuellement, être utilisée pour acquérir des titres dans des organismes HLM. L'introduction, par les députés, d'une disposition visant à soumettre au contrôle du ministre du logement les prises de participation dans les organismes HLM devrait les rassurer. Ce contrôle pourrait prendre plusieurs formes : inscription d'un principe de distribution maîtrisée des dotations en fonds propres ; possibilité pour l'État de s'opposer, au cas par cas, à une augmentation de capital ; contrôle a posteriori, enfin, assuré par l'agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS).

Le troisième point d'inquiétude concerne le respect des clauses d'agrément. En effet, le projet de loi prévoit un transfert automatique des parts des CIL vers la nouvelle structure immobilière. Le Gouvernement a fait le choix de ne pas appliquer cette clause d'agrément considérant, d'une part, que le changement d'actionnaire n'était dû qu'à la réorganisation d'Action Logement et, d'autre part, qu'il convenait d'éviter des situations de blocage qui empêcheraient la constitution de la structure immobilière d'Action Logement et remettraient en cause la réforme dans son ensemble.

J'en viens aux conséquences de la réforme sur les territoires. Bien que l'étude d'impact jointe au projet de loi précise que « la répartition et l'éventuelle péréquation opérée sur les fonds de la PEEC s'exerceront (...) avec une réelle équité dans le traitement et la prise en compte des besoins des territoires », ajoutant que « cette proximité territoriale associée à une animation nationale doit favoriser des interactions fortes avec les acteurs locaux », je me suis longuement interrogée sur les modalités de redistribution de la collecte entre les territoires.

Action logement, la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et la ministre m'ont apporté plusieurs éléments de précision. Ainsi, selon la DHUP, le principe de mutualisation des fonds entre les territoires, qui existe déjà dans l'organisation actuelle, devrait être maintenu. La répartition de la PEEC devrait être établie en fonction des besoins des territoires identifiés par les structures locales d'Action Logement et en application des objectifs fixés par la convention quinquennale.

La ministre du logement, Emmanuelle Cosse, nous a également précisé, lors de son audition, qu'une déclinaison territoriale de la mobilisation d'Action Logement était nécessaire et pas uniquement dans les zones très urbaines.

Les représentants d'Action Logement, que j'ai reçus à deux reprises, m'ont également confirmé que la réforme visait principalement « à renforcer le lien avec les territoires et leurs représentants élus ». La nouvelle organisation d'Action Logement conservera un ancrage territorial, avec la mise en place de comités régionaux d'Action Logement (CRAL). Ainsi, dans chaque région, Action Logement sera clairement identifié, soit au niveau politique, avec les CRAL, soit au niveau technique avec des délégations régionales.

Selon Action Logement, le CRAL aura notamment pour missions de représenter politiquement Action Logement au niveau territorial ; de recueillir et faire la synthèse des besoins des entreprises et des salariés dans les principaux bassins d'emploi de la région ; de conclure au nom d'Action Logement des conventions cadres de territoires pluriannuelles avec les conseils régionaux et les EPCI représentatifs des principaux bassins d'emploi de la région ; de veiller à la distribution équitable des produits et services proposés par Action Logement ; enfin de suivre et évaluer l'activité des filiales immobilières d'Action Logement évoluant dans la région.

Chaque CRAL disposera de crédits d'ingénierie, qui seront mobilisés pour accompagner les territoires dans l'identification de leurs besoins locaux, poser des diagnostics ou encore étudier des projets.

Par ailleurs, au niveau national, le comité des partenaires devrait jouer un rôle de vigie quant aux orientations et à la distribution de la PEEC entre les territoires. Lors de son audition, Mme Emmanuelle Cosse a précisé que des représentants des collectivités territoriales siégeraient au sein du comité des partenaires aux côtés de l'Union sociale pour l'habitat, ce dont je me félicite.

La ministre nous a également assuré que l'ANCOLS, qui contrôle Action Logement, aurait les moyens de mener à bien ses missions. Il me semble essentiel que l'on puisse savoir quelles sommes sont collectées et comment elles sont redistribuées.

Enfin, je tenais à rappeler que la ministre s'est engagée à nous transmettre l'ordonnance avant sa publication.

En conclusion, au vu de ces éléments, je vous propose d'adopter le projet de loi sans modification. Je serai extrêmement vigilante sur les dispositions de l'ordonnance et sur la mise en oeuvre de cette réforme afin d'éviter, d'une part, que la concurrence entre CIL ne se transforme en concurrence entre organismes sous actionnariat d'Action Logement et organismes sans actionnariat d'Action Logement et, d'autre part, que certains territoires ne soient oubliés par cette nouvelle organisation. Je n'hésiterai pas à procéder aux corrections que j'estimerai nécessaires lors de l'examen du projet de loi de ratification des ordonnances. Car vous aurez compris que ce texte engage d'énormes transformations dans les politiques du logement s'appliquant à nos territoires et dans l'accompagnement des salariés par Action Logement.

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