Il me revient ce matin de vous présenter le bilan d'application des lois relevant du champ de compétences de notre commission. Cet exercice est aussi primordial que délicat : il s'agit d'analyser quantitativement mais aussi qualitativement les textes règlementaires pris au cours de l'année écoulée au regard des attentes que nous avons formulées dans les textes que nous avons examinés.
L'étude de certains textes anciens n'étant plus jugée pertinente, le rapport établi cette année examine l'application de 30 lois promulguées depuis 2004 jusqu'au 30 septembre 2015, soit de la loi du 9 août 2004, relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, à la loi du 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte. La loi relative aux réseaux des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et de l'artisanat, promulguée au mois de mars dernier, ne sera donc étudiée que l'année prochaine.
Comme les années précédentes, afin d'apprécier l'objectif du Premier ministre énoncé dans la circulaire du 29 février 2008 relative à l'application des lois, le calendrier établi cette année pour l'élaboration du rapport permet l'étude des mesures réglementaires prises dans un délai de six mois suivant la promulgation des textes. Les mesures réglementaires publiées jusqu'au 31 mars 2016 entrent ainsi dans le champ d'étude de notre bilan.
Sur les 30 lois dont l'application est suivie cette année par la commission des affaires économiques, 11 sont totalement applicables.
Parmi celles-ci, quatre le sont devenues à la faveur de l'abandon de dispositifs, notamment parce que la promulgation de nouvelles lois a rendu sans objet certaines de leurs dispositions.
Comme l'année dernière, il est à noter qu'aucune des lois dont l'application est suivie par la commission des affaires économiques n'apparaît comme totalement inapplicable.
En revanche, l'étude des 19 lois partiellement applicables dont l'application est suivie cette année par notre commission aboutit à un bilan plus contrasté.
L'activité législative de la commission a été conséquente durant la session parlementaire 2014-2015 avec, notamment, la promulgation de la loi « Transition énergétique » et de la loi d'avenir agricole qui, par leur contenu et leur longueur, prévoient des mesures réglementaires d'application nombreuses et importantes.
Ainsi la loi « Transition énergétique », avec 215 articles à l'issue de son examen parlementaire, renvoie-t-elle à 181 mesures réglementaires.
Lors des débats parlementaires, la ministre chargée de l'énergie s'était engagée, de façon très volontariste au vu de l'ampleur de la tâche, à ce que tous les textes soient parus avant la fin de l'année 2015, soit avant même l'expiration du délai de six mois après promulgation prescrit par les circulaires du Premier ministre.
Or, au 31 mars 2016, soit à la fin de la période d'étude du présent rapport et un peu plus de sept mois après la promulgation de la loi, seules 54 dispositions sur 179 (c'est-à-dire 30 %) étaient devenues applicables, un grand nombre de mesures étant encore annoncées en préparation ou soumises à consultation.
Parmi les principaux points noirs figure l'absence du texte d'application-clé de la loi, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) censée décliner l'évolution du mix énergétique et dont la présentation, désormais promise pour le 1er juillet, n'a cessé d'être repoussée. Ces reports successifs témoignent manifestement de la difficulté à mettre en oeuvre, de façon crédible, l'objectif de diversification du mix électrique à l'horizon 2025 dont notre commission avait souligné, au cours des débats, le caractère à la fois néfaste et irréaliste. Ils pèsent en outre sur les entreprises de la filière en maintenant de fortes incertitudes sur le devenir du parc électronucléaire national.
Parmi les autres absences marquantes, on pourra également citer celles du décret relatif aux « travaux embarqués », cependant annoncé pour la mi-mai, et des textes d'application du complément de rémunération, encore en cours d'examen par la Commission européenne.
À l'opposé, on signalera, parmi les motifs de satisfaction, la publication rapide des textes d'application des mesures en faveur des industries électro-intensives, que le Sénat avait largement contribué à étoffer, ainsi que la parution des budgets carbone et de la stratégie bas-carbone dans lesquels, conformément à nos demandes, il a été tenu compte de la spécificité du secteur agricole.
J'ajoute que depuis le 1er avril 2016, un certain nombre de textes, non pris en compte par convention dans le rapport, ont été publiés, portant le taux des mesures rendues applicables à 38 %. Parmi les textes les plus importants, on signalera le nouveau cadre réglementaire des concessions hydroélectriques et la définition des conditions de mise en oeuvre du chèque énergie.
Sans mésestimer l'importance du travail de préparation puis du temps de consultation sur les nombreux textes attendus, le bilan apparaît donc globalement contrasté et reste, en tous les cas, éloigné des annonces du Gouvernement.
Le 25 avril dernier, le Président de la République a réaffirmé, en ouverture de la quatrième conférence environnementale, que « tous les textes d'application seront pris d'ici l'été ».
Je tiens cependant à attirer votre attention sur une disposition introduite par l'article 14 relative à l'installation d'équipements de contrôle et de gestion active de l'énergie. Le Gouvernement a estimé qu'un décret n'était pas nécessaire, car ces dispositions seraient déjà appliquées par l'article R. 131-26 du code de la construction et de l'habitation. Une telle analyse me semble critiquable, dans la mesure où cet article ne vise que les bâtiments de plus de 1 000 m2 et ne mentionne pas les cas dans lesquels ces dispositions ne s'appliquent pas pour des raisons techniques ou juridiques, ou lorsqu'il existe une disproportion manifeste entre leurs avantages et leurs inconvénients de nature technique ou économique, précisions que nous avons ajoutées dans la loi. J'interrogerai donc la ministre sur ce point lorsque nous l'auditionnerons conjointement avec la commission de l'aménagement du territoire, normalement dans les semaines qui viennent, pour dresser précisément un bilan de la mise en oeuvre de la transition énergétique.
Autre texte examiné pour la première fois cette année, la loi relative aux ondes électromagnétiques. Deux des neuf mesures attendues existaient déjà avant l'entrée en vigueur de la loi, et le décret fixant des exigences de qualité auxquelles doivent répondre les organismes vérifiant le respect des valeurs limites des champs électromagnétiques est devenu inutile. Le Gouvernement travaille actuellement à l'élaboration des quelques mesures réglementaires encore attendues, dont la non-publication à ce jour s'explique par la multiplicité des avis préalables requis, par le temps exigé pour la consultation publique et par leur caractère interministériel.
Enfin, la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, texte majeur de l'actuelle législature en matière d'agriculture, est, près de deux ans après avoir été voté, applicable à environ 70 %. Ce chiffre peut paraître faible, mais il faut noter que les principales mesures d'application des 96 articles du texte, comme celles relatives aux groupements d'intérêt économique et environnemental, au médiateur des relations commerciales agricoles ou encore à la couverture sociale des candidats à l'installation, ont été prises dans l'année qui a suivi la promulgation de la loi.
Les dispositions relatives à la protection des espaces naturels, agricoles et forestiers et au renouvellement des générations en agriculture ont, quant à elles, fait l'objet d'une mise en application assez incomplète : ainsi les dispositions sur le registre agricole ne sont toujours pas applicables, de même que celles sur la compensation agricole. En outre, le titre consacré à la politique de l'alimentation et aux mesures en matière sanitaire n'est que partiellement applicable, la quasi-totalité des dispositions réglementaires nécessaires pour appliquer la nouvelle législation en matière d'encadrement des conditions de délivrance des médicaments vétérinaires étant encore en attente.
D'après les informations fournies par le Gouvernement, l'année 2016 devrait cependant voir les derniers textes réglementaires d'application adoptés.
Lorsqu'on se penche sur le stock des lois plus anciennes suivies par la commission, force est de constater que très peu de mesures règlementaires ont été prises sur les lois antérieures à 2014, à quelques rares exceptions.
S'agissant de la mise en oeuvre pratique de la loi de juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire (ESS), applicable à 87 %, il apparaît que des solutions de financement au profit des acteurs de l'ESS ont été développées et sont d'ores et déjà disponibles, mais que les acteurs ne se sont pas encore totalement appropriés ces nouveaux dispositifs. À cet égard, l'année 2016 sera une année « test ». En outre, il semble qu'un effort de pédagogie sur la loi ESS doive être fait au profit d'acteurs qui forment un ensemble très disparate dépourvu d'une représentation unifiée. Certains dispositifs de la loi ou de ses mesures d'application sont parfois mal ressentis : c'est le cas, notamment, du décret relatif aux entreprises commerciales de l'ESS ou de la généralisation de la technique de l'appel à projets. De manière générale, il existe un déficit d'accompagnement des acteurs de l'ESS sur les dispositifs de financement qui leur sont offerts, alors que la « culture » des acteurs de l'ESS (en métropole ou outre-mer) reste encore essentiellement celle du subventionnement.
En ce qui concerne la loi de juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, il est important de préciser que, dans le cadre de la réforme du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC), le pouvoir réglementaire a pris un décret en Conseil d'État visant à substituer à une logique de guichet un dispositif d'appel à projets national. Le but est de favoriser la création, le maintien, la modernisation, l'adaptation ou la transmission des entreprises de proximité appartenant au secteur du commerce, de l'artisanat ou des services, qui apportent un service à la population locale et dont la clientèle est principalement composée de consommateurs finaux. L'appel à projets n'a été clos qu'à la fin du mois de janvier 2016, de sorte qu'un premier bilan qualitatif de la réforme ne peut être encore dressé de façon précise. Il conviendra d'attendre la fin de l'année pour déterminer si l'objectif poursuivi par la loi de recentrer le FISAC en lui donnant une plus grande efficacité s'est réalisé. Toutefois, le montant prévu par la loi de finances initiale pour 2016 au profit du FISAC ayant été réduit à 13 millions d'euros en crédits de paiement, le nombre de projets susceptibles d'être accompagné sera en tout état de cause limité.
Deux ans après l'adoption de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) en mars 2014, seulement 60 % de ses dispositions sont applicables, ce qui est loin d'être satisfaisant. Il convient de préciser que la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a modifié plusieurs dispositions de la loi, dont l'impact sur l'adoption des mesures règlementaires est encore difficile à mesurer. Pour l'instant, on peut constater que la loi dite Macron a amélioré la sécurité juridique des dispositions relatives à la protection des locataires lors de vente à la découpe, à la protection des locataires âgés ou encore à l'application dans le temps des dispositions de la loi Alur en matière de rapports locatifs. La loi Macron a également apporté des précisions en matière d'habitat participatif en prévoyant notamment d'aligner les règles de remboursement des parts sociales d'une coopérative d'habitants en cas d'exclusion sur celles prévues en cas de retrait volontaire du sociétaire.
Enfin, si les règles introduites dans la loi de mars 2014 relative à la consommation afin de renforcer la transparence dans les négociations commerciales sont jugées efficaces, le dispositif de renégociation tarifaire prévu à l'article 125 en cas de variation du coût des matières premières n'a fait l'objet d'aucune mise en oeuvre par les acteurs, en raison de sa complexité. Par ailleurs, le dispositif d'alerte en cas de dépassement des délais de paiement n'a pas été mis en oeuvre en pratique, alors qu'il était directement applicable. Néanmoins, l'intervention d'un décret le 27 novembre 2015, précisant les conditions de certification et d'attestation des informations relatives aux délais de paiement, devrait favoriser cette mise en oeuvre en 2016.
Sur les 30 lois dont l'application est suivie cette année par la commission des affaires économiques, 17 ont été votées selon la procédure accélérée, dont une seule des trois lois examinées pour la première fois cette année.
Nous ne pouvons que nous étonner de constater que 8 lois dont l'application est encore étudiée par la commission cette année, promulguées entre 2004 et 2014 après engagement de la procédure accélérée ou après déclaration d'urgence pour les lois antérieures à la révision constitutionnelle de 2008, ne soient encore que partiellement applicables.
Par ailleurs, sur les 30 lois considérées, trois ont fait l'objet, depuis le bilan établi l'année dernière, de la remise d'un rapport en vertu de l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit, avec de 4 à 8 mois de retard sur le délai annoncé par la loi : la loi d'avenir agricole, la loi relative à l'économie sociale et solidaire et la loi relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.
Au total, ce sont à peine 55 % des rapports attendus par le Parlement en application de l'article 67 de la loi de simplification du droit qui ont été établis par le Gouvernement.
Comme l'année dernière, je tiens enfin à déplorer la grave défaillance dont fait preuve l'administration en ce qui concerne la remise des rapports au Parlement. Les chiffres sont éloquents : 5 rapports prévus par des lois dont nous assurons le suivi ont été rendus au cours de la période étudiée cette année, tandis que 74 autres sont encore attendus. Non seulement l'inefficacité de la mesure est depuis longtemps démontrée, mais ces rapports ont aussi un coût : des agents de l'administration centrale sont mobilisés pour produire ces documents dont on connaît tous le sort. La loi « Transition énergétique » prévoit à ce jour, à elle seule, la remise de 23 rapports : 1 dont la demande est issue du projet de loi initial, 2 demandés par amendement gouvernemental, 2 demandés par le Sénat et 18 demandés par l'Assemblée nationale. Ceci me semble déraisonnable. Je crois donc, mes chers collègues, qu'il nous faut absolument poursuivre le combat que notre commission a déjà engagé contre cette solution de facilité qui consiste à prévoir la remise d'un rapport sur un dispositif dont on ne peut obtenir l'adoption dans la loi.
Je vous encourage en revanche à solliciter aussi régulièrement que possible le Gouvernement par des questions écrites sur la mise en oeuvre de lois dont l'examen a été assuré par notre commission, afin d'obtenir des réponses précises des ministères concernés.
Pour finir, je voudrais rappeler que, depuis la disparition de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, ce sont les commissions permanentes qui assument désormais le travail de suivi sur les textes qui relèvent de leurs champs de compétences. Comme cela avait été proposé à l'issue du renouvellement sénatorial de 2014, des binômes de rapporteurs majorité - opposition ont donc été désignés pour effectuer cette mission de contrôle sur les principaux textes adoptés ces derniers mois. Aussi je vous incite, mes chers collègues, à poursuivre votre mobilisation pour conduire des auditions et à vous investir dans ces travaux qui permettent une véritable approche qualitative de l'application des lois.
En conclusion, je vous informe qu'un débat aura lieu en séance publique sur ce bilan d'application des lois au cours de la prochaine semaine de contrôle, le mardi 7 juin.
D'ici là, je vous invite à prendre connaissance du bilan sectoriel détaillé qui procède à une analyse fouillée de l'application de toutes les lois que nous suivons, qui sera prochainement publié au sein du rapport d'information de notre collègue Claude Bérit-Débat.