Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, madame la présidente de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d’excuser Michel Sapin, qui est retenu à l’Assemblée nationale, mais qui devrait nous rejoindre dans quelques instants.
La proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui vient moderniser et réformer le système français de répression des abus de marché. À ce titre, elle participe pleinement de l’objectif de modernisation de la vie économique visé par le Gouvernement, notamment à travers le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, que M. Michel Sapin a présenté en conseil des ministres le 30 mars dernier.
Adapter la répression des abus de marché au développement des marchés financiers est bien sûr absolument indispensable pour mettre la France en conformité avec le paquet européen sur les abus de marché et éviter ainsi que de nouvelles pratiques frauduleuses n’échappent aux pouvoirs de sanction de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, ou du juge pénal.
Cependant, la présente proposition de loi ne se contente pas de procéder à une telle adaptation. Elle vient également apporter une réponse pragmatique à la décision du Conseil constitutionnel qui invalide la double poursuite et la double sanction, administrative et pénale, des abus de marché.
En effet, aujourd’hui, une personne commettant un abus de marché – opération d’initiés, manipulation de cours ou encore diffusion de fausses informations – peut être poursuivie, puis sanctionnée à la fois par l’AMF et par le juge pénal. Cette situation s’explique par le fait que, dans le domaine des abus de marché, le champ des manquements est identique à celui des délits.
Or, en mars 2015, le Conseil constitutionnel a jugé cette situation contraire au principe de nécessité des délits et des peines ; il nous a donné jusqu’au 1er septembre 2016 pour mettre en place une solution permettant d’éviter qu’une même personne soit poursuivie deux fois pour les mêmes faits, par l’AMF et par le juge pénal.
Sans entrer dans le détail de la solution qui a été retenue au travers de cette proposition de loi, je voudrais brièvement en souligner deux mérites importants.
D’une part, la proposition de loi préserve le bon fonctionnement de la phase de détection des abus de marché et d’enquête.
Dans la situation actuelle, c’est l’AMF qui, dans la très grande majorité des cas, détecte les opérations d’initiés ou les manipulations de cours grâce à sa surveillance continue des marchés, rendue possible notamment par des systèmes très sophistiqués de suivi des variations des cours et des volumes de marché. Dans certains cas, moins fréquents, le Parquet national financier peut également découvrir lui-même certains faits susceptibles de constituer des abus de marché.
Chaque institution mène ensuite sa propre enquête et doit pouvoir continuer à le faire. Ce point est très important, car tant l’AMF que le parquet disposent de logiques et de moyens d’enquête distincts. Par exemple, quelque 80 % des enquêtes de l’AMF revêtent une dimension internationale ; elles s’appuient donc sur des accords de coopération avec ses homologues étrangers, accords qui défendent à l’AMF de communiquer les informations collectées dans ce cadre.
Les enquêtes du Parquet national financier présentent également leurs spécificités. Une coordination entre l’AMF et le Parquet national financier est évidemment la bienvenue, mais elle doit se faire naturellement, sans formalisme particulier, sinon cela en obérerait l’efficacité.
D’autre part, cette proposition de loi permettra de continuer à réprimer de manière efficace et adaptée les abus de marché. Pour atteindre cet objectif majeur, tout en maintenant la superposition des champs respectifs des délits d’abus de marché, sanctionnés par la voie pénale, et des manquements d’abus de marché, réprimés par l’AMF, elle prévoit une phase de concertation entre le Parquet national financier et l’AMF. Cette concertation permettra de déterminer, au cas par cas, quelle voie de poursuite et de sanction est la meilleure.
Comme c’est le cas aujourd’hui, la plupart des affaires devraient continuer à être traitées par la voie administrative, qui permet d’infliger de manière rapide des sanctions pécuniaires importantes.
Ce mode de répression est particulièrement adapté aux marchés financiers. Ceux-ci sont en effet soumis en permanence à des innovations technologiques qu’il convient de sanctionner rapidement, lorsqu’elles sont de nature à porter atteinte à l’intégrité du marché, afin de bloquer leur essor et d’envoyer un message clair aux investisseurs et aux épargnants. Les marchés financiers fonctionnent en France de manière sûre et robuste ; toute manipulation y est rapidement et sévèrement sanctionnée.
Dans les cas les plus graves, une peine privative de liberté, que seul le juge pénal est à même d’infliger, peut se justifier. La voie pénale devrait alors, bien sûr, être choisie.
Je sais, monsieur le rapporteur, que vous avez beaucoup travaillé sur la question de la répression des abus de marché. Vous avez notamment déposé une proposition de loi sur ce sujet le 7 octobre dernier. Une proposition de loi identique a été déposée par M. Claude Raynal. Je vous remercie tous deux pour ce travail bipartisan et important par la qualité de son expertise.
Si la proposition de loi aujourd’hui débattue diffère quelque peu de celle que vous aviez alors proposée quant à la solution retenue, elle partage néanmoins son objectif, à savoir la préservation d’un système de répression des abus de marché efficace et rapide.
Les travaux de votre commission ont quelque peu modifié la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Je salue plusieurs améliorations que vous avez introduites dans le texte, comme l’extension de la composition administrative aux abus de marché ou encore l’augmentation du quantum des peines.
En revanche, sur d’autres sujets, je juge préférable d’en revenir à la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. Nous aurons évidemment l’occasion d’en reparler au cours de ce débat.