Séance en hémicycle du 10 mai 2016 à 14h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Par courrier en date du 10 mai 2016, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L. O. 297 du code électoral, Mme Odette Herviaux, sénatrice du Morbihan, en mission temporaire auprès de lui.

Cette mission portera sur la simplification des normes applicables aux exploitations agricoles.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration du Centre scientifique et technique du bâtiment.

Conformément à l’article 9 du règlement, la commission des affaires économiques a été invitée à présenter une candidature.

Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (projet n° 574, texte de la commission n° 582, rapport n° 581).

Mes chers collègues, comme je l’ai annoncé en conférence des présidents, nous voterons, à ma demande, par scrutin public sur l’ensemble de ce projet de loi, conformément à l’article 60 de notre règlement.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en raison de la persistance de graves menaces terroristes susceptibles de nous frapper sur l’ensemble du territoire national, le Gouvernement soumet à votre examen une troisième loi de prorogation de l’état d’urgence pour une durée supplémentaire limitée à deux mois.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, je tiens à remercier particulièrement le président Gérard Larcher, qui témoigne dans ses relations avec l’exécutif, depuis le 13 novembre dernier, sur les sujets qui relèvent de notre souveraineté et de la sauvegarde de notre modèle républicain, d’un sens de l’État qui hisse très haut votre institution.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Je remercie aussi le président de la commission des lois, Philippe Bas, qui a permis l’examen de ce projet de loi dans des délais extrêmement contraints.

Je souhaite également adresser un message à Michel Mercier, qui, dans le cadre de ses missions de contrôle, a su faire la synthèse entre un examen intransigeant des prérogatives de l’État et la mesure de la dimension du contexte, qui appelle à une solidarité nationale.

Cette solidarité, je l’ai retrouvée chez les sénateurs de l’ensemble des groupes – même si tous ne voteront pas pour ce texte – et je tenais, au moment où nous examinons une nouvelle loi de prorogation, à témoigner de la reconnaissance du Gouvernement à l’égard de tous pour la qualité du travail mené.

Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Chacun a pu constater que l’état d’urgence n’était pas synonyme d’arbitraire, et que les décisions prises et les actes effectués sur son fondement étaient tous prévus et strictement encadrés par la loi, tout comme les raisons justifiant d’y avoir recours et de le prolonger.

De la même manière, les mesures de police administrative que nous prenons en application de l’état d’urgence présentent un caractère exceptionnel. Elles doivent être strictement proportionnées à la nature de la menace et à l’ordre public qui en découle. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs très clairement rappelé le 19 février dernier : les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence doivent concilier « la prévention des atteintes à l’ordre public » avec « le respect des droits et des libertés », parmi lesquels figurent le droit et la liberté « d’expression collective des idées et des opinions ».

J’ai eu à le dire durant les séances de questions d’actualité : l’état d’urgence n’est pas un état de convenance politique et ne doit pas être détourné de son objet initial, qui consiste à prévenir la commission de nouveaux attentats terroristes. Il en va de la solidité de notre démocratie. Pour la même raison, je veux rappeler le principe essentiel selon lequel l’état d’urgence n’a pas vocation à durer plus longtemps que nécessaire.

Aujourd’hui, nous en demandons à nouveau la prorogation, en raison de la persistance d’un péril terroriste et dans un contexte particulier marqué par l’organisation d’événements de dimension internationale qui contribuent au rayonnement de la France.

En ce qui concerne l’intensité de la menace, le 22 mars dernier, Bruxelles a été victime à son tour d’un attentat multisites d’une extrême violence qui a provoqué la mort d’une trentaine de victimes. Le 24 mars suivant, à Argenteuil, grâce à l’action de nos services, nous avons mis en échec un nouveau projet d’attentat, et même sans doute plusieurs.

Si les investigations menées à l’échelle européenne ont permis d’arrêter, au cours de ces dernières semaines, la plupart des membres identifiés appartenant au réseau terroriste ayant fomenté et exécuté les attentats de Paris et de Bruxelles, nous savons que la menace demeure à un niveau élevé. Nous savons aussi que les attentats de Bruxelles ont été commis dans cette ville faute, pour leurs auteurs, d’avoir pu bénéficier du temps nécessaire pour frapper à nouveau la France, car tel était bien leur projet.

Songez que, depuis le début de l’année, les services spécialisés de police ont procédé à 101 interpellations en lien direct avec le terrorisme djihadiste, lesquelles ont donné lieu à 45 mises en examen et à 33 mises sous écrou. Ces chiffres illustrent à eux seuls le niveau de la menace…

L’organisation l’été prochain de l’Euro 2016 et du Tour de France nous impose de faire preuve d’une vigilance redoublée. Ces événements populaires et d’ampleur internationale constituent en effet des cibles potentielles pour les terroristes.

Je veux maintenant vous présenter un bilan précis des mesures que nous avons mises en œuvre et des résultats qu’elles nous ont permis d’obtenir dans le cadre de la deuxième phase de l’état d’urgence.

Comme vous le savez, dans les premiers jours de l’état d’urgence, en novembre dernier, les forces de sécurité ont conduit plusieurs centaines de perquisitions administratives dans le but de déstabiliser les filières terroristes. Le risque d’une réplique immédiate des attentats qui venaient de frapper notre pays était en effet très élevé, comme l’a démontré la neutralisation, au cours d’une opération à Saint-Denis le 18 novembre dernier, d’Abdelhamid Abaaoud, alors qu’il projetait de commettre un nouvel attentat.

Globalement, il a été procédé à 3 427 perquisitions administratives durant la première période de l’état d’urgence, c’est-à-dire jusqu’au 26 février. Une fois ce considérable travail accompli par les forces de sécurité, le nombre des perquisitions a logiquement diminué pour s’établir à 145 entre le 27 février et le 9 mai.

Vous noterez toutefois que, en dépit de cette baisse du nombre des perquisitions, 162 armes supplémentaires ont encore été saisies au cours de cette deuxième phase, attestant que des personnes particulièrement dangereuses avaient été ciblées. Au total, depuis le déclenchement de l’état d’urgence, 750 armes ont été neutralisées, dont 75 armes de guerre.

En outre, ces perquisitions ont permis de conduire un important travail de renseignement, de levée de doutes et de mise à jour des fichiers. Ce travail s’est poursuivi durant la deuxième phase de l’état d’urgence.

Quant aux suites judiciaires des mesures que nous avons prises, sachez que 594 perquisitions administratives ont donné lieu à l’ouverture d’une procédure judiciaire, dont 223 du chef d’infraction à la législation sur les armes et 206 du chef d’infraction à la législation sur les stupéfiants. À l’issue de ces procédures, 28 informations judiciaires et 67 peines ont été prononcées, et 56 personnes ont été placées en détention, résultats là encore particulièrement significatifs.

Pour ce qui concerne les assignations à résidence, sur les 268 procédures en vigueur au 26 février dernier, 69 ont été renouvelées. Trois nouvelles assignations ont été décidées au cours de cette deuxième phase, ce qui porte à 72 les décisions d’assignations à résidence.

Par ailleurs, deux suspensions ont été prononcées par le juge administratif et une assignation a été abrogée sur l’initiative de l’administration, car, de façon concomitante à l’abrogation, la personne concernée a été expulsée du territoire national.

Je rappelle que, depuis le début de l’état d’urgence, 216 recours en référé ont été engagés devant le juge administratif contre les mesures d’assignation à résidence ; 16 suspensions ont été prononcées et 12 mesures ont été annulées lors de leur examen au fond. Par ailleurs, 9 perquisitions ont fait l’objet d’une annulation contentieuse.

Ces chiffres montrent précisément à la fois que le contrôle exercé par le juge administratif a été rigoureux – contrairement à ce que certains avaient redouté – et que l’administration a agi avec discernement, puisque la très grande majorité des mesures prises ont été validées.

À ce jour et depuis 2013, pas moins de douze attentats ont été déjoués, dont sept depuis janvier 2015. Je veux par conséquent saluer le travail réalisé par les services de renseignement et notamment par la DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure. Je rappelle que cette direction est saisie, en propre ou avec la police judiciaire, du suivi de 261 dossiers judiciaires concernant 1 157 individus pour leur implication dans des activités terroristes.

J’en viens à présent à la prorogation de l’état d’urgence et aux raisons pour lesquelles nous la croyons à nouveau absolument nécessaire.

Au cours de ces derniers mois, plusieurs attentats, qu’ils soient d’ampleur comparable ou inférieure à ceux du 13 novembre dernier, ont été commis à l’étranger contre nos intérêts et nos ressortissants. Les groupes djihadistes ont également visé des alliés directs de la France.

Grâce aux investigations, nous savons que les terroristes impliqués dans les attentats de Bruxelles du 22 mars dernier appartenaient à la même cellule que celle qui a planifié et exécuté les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis. En outre, le parquet fédéral belge a confirmé que les attentats de Bruxelles, qui ont tué 32 personnes et en ont blessé plus de 300, avaient initialement été envisagés et programmés pour être exécutés en France, avant que les terroristes, pris de cours par les investigations judiciaires menées en Belgique, ne soient contraints de précipiter leur action dans la capitale belge.

À l’heure actuelle, la menace terroriste demeure donc à un niveau très élevé. La France représente clairement une cible prioritaire en raison du combat résolu qu’elle mène contre les djihadistes au Sahel, en Irak et en Syrie, mais aussi, plus profondément, en raison des principes universels de liberté, de laïcité et d’émancipation qui sont les nôtres depuis plus de deux siècles et qui font horreur aux terroristes djihadistes.

Pour toutes ces raisons, et quelles que soient les précautions que nous prenons, il ne nous est pas permis de nous croire à l’abri, ni de considérer que le « péril imminent » qui a justifié, en novembre dernier, la proclamation de l’état d’urgence a disparu.

J’ajoute que, dans les mois qui viennent, les enjeux de sécurité seront d’autant plus complexes à gérer que nous nous apprêtons à accueillir un nombre très important de visiteurs étrangers à l’occasion de l’Euro 2016, du 10 juin au 10 juillet prochain. Comme je l’ai déjà dit, ce grand événement festif d’ampleur internationale constitue une cible potentielle pour les groupes terroristes.

Selon les déclarations faites à la presse belge par le parquet fédéral belge, la France, comme d’autres pays de l’Union européenne, continue d’être visée par des projets de nature terroriste.

Bien entendu, un effort considérable a déjà été engagé, dans le cadre du droit commun, pour renforcer notre dispositif de lutte antiterroriste, avec, notamment, le rétablissement de contrôles aux frontières et le déploiement, sur l’ensemble du territoire national, de 110 000 policiers, gendarmes et militaires de nos armées dans le cadre de l’opération Sentinelle. En outre, le vote de la loi Savary et l’examen en cours du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale nous permettront de prendre le relais.

Cependant, même si nous prenons par ailleurs les précautions qui s’imposent pour garantir la sécurité dans les stades et dans les « fans zones », et même si la mobilisation des forces de l’ordre sera à cette occasion maximale, nous avons besoin de pouvoir recourir à des mesures prévues par l’état d’urgence dans ce contexte spécifique, caractérisé par une absolue nécessité.

La demande de prorogation que le Gouvernement soumet à votre approbation n’est donc ni une mesure de confort ni une facilité. Elle est dictée par l’existence de menaces et par l’ensemble des événements que nous avons pu connaître dans un passé récent.

Avant de conclure, je veux apporter certaines précisions concernant les mesures que nous comptons mobiliser dans le cadre de cette troisième prorogation de l’état d’urgence.

Comme l’autorise la loi du 3 avril 1955, le Gouvernement envisage de ne pas activer, dans ce cadre, l’article 11, qui permet de mettre en œuvre des perquisitions administratives dans des lieux dont on pense qu’ils sont fréquentés par des individus constituant une menace pour l’ordre et la sécurité publics. En effet, cette mesure, que nous avons largement utilisée après les attentats du 13 novembre, ne présente plus aujourd’hui le même intérêt opérationnel, la plupart des lieux identifiés ayant déjà fait l’objet d’investigations poussées.

En outre, l’invalidation par le Conseil constitutionnel de la disposition permettant de réaliser copie des données informatiques recueillies au cours des perquisitions administratives fait perdre une partie de son utilité à cette mesure.

En revanche, les autres mesures continueront d’être mobilisées pour maintenir les individus assignés à résidence, pour interdire à ceux qui font l’objet d’une interdiction de sortie du territoire, mais qui n’ont pas été assignées à résidence de se trouver à proximité de certains lieux jugés sensibles, ou encore pour établir des périmètres de protection. Les mesures de maintien de l’ordre public en situation de crise grave seront bien sûr activées si elles s’avèrent nécessaires, et ce en conformité parfaite avec les principes de droit posés par la jurisprudence et la Constitution.

Cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence, dont nous sollicitons l’approbation par le Parlement, a de nouveau pour objet de concilier la protection de l’ordre et de la sécurité publics dans le contexte d’une grave menace terroriste avec la protection des droits et des libertés garantis par notre Constitution.

C’est avec cette ambition que le Gouvernement vous soumet cette demande. La commission l’ayant soutenue, nous espérons qu’il en sera de même pour le Sénat dans son ensemble.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, du groupe UDI-UC et du groupe Les Républicains – Mme Aline Archimbaud applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Monsieur le président, mes chers collègues, comme vient de nous le rappeler M. le ministre de l’intérieur, nous sommes saisis aujourd’hui par le Gouvernement d’une nouvelle demande de prorogation de l’état d’urgence.

Il s’agit pour nous de répondre à une question simple : le Gouvernement a-t-il besoin de maintenir l’état d’urgence pour pouvoir remplir sa mission de maintien de l’ordre public ?

Au-delà du bilan de l’état d’urgence depuis le mois de novembre dernier, bilan que vous trouverez dans le rapport législatif et qui, bien entendu, corrobore celui que vient de présenter M. le ministre de l’intérieur, nous devons apporter une réponse à cette interrogation au regard des conditions que pose la loi de 1955.

Dans ce court exposé, je voudrais souligner, car cela mérite de l’être, que, s’il n’y a pas eu de réforme de la Constitution pour introduire l’état d’urgence dans notre loi fondamentale, il y a désormais un droit constitutionnel de l’état d’urgence, constitué par les trois décisions du Conseil constitutionnel.

Existe-t-il un risque imminent d’atteinte grave à l’ordre public qui justifie le recours à l’état d’urgence, ou plus précisément à sa prorogation ?

M. le ministre nous a expliqué, tant aujourd’hui que lors de son audition devant la commission des lois, que la menace terroriste était permanente, diffuse et largement présente sur le territoire national et dans les pays voisins. En d’autres termes, le risque d’attentat est à un niveau élevé, comme le démontrent trois événements au moins : les attentats de Bruxelles, ceux qui ont été perpétrés en Afrique sahélienne, où nos soldats mènent la lutte contre Daech, et également les opérations menées à Argenteuil, près de Paris, où les services de l’État ont déjoué une tentative d’attaque terroriste sur le point d’être menée.

La menace terroriste existe donc bel et bien. Même si nous avons appris, un peu, à vivre avec, elle n’en demeure pas moins très actuelle, et elle nécessite un engagement total des forces de l’ordre, auxquelles nous tenons à rendre hommage : depuis le mois de novembre, gendarmes, policiers et soldats assurent la sécurité des Français de façon tout à fait admirable.

La situation est rendue plus complexe encore par l’organisation de deux événements sportifs très importants : l’Euro 2016 de football et le Tour de France. Le Conseil d’État, dans l’avis rendu sur le présent projet de loi, souligne que « la conjonction d’une menace terroriste persistante d’intensité élevée et de ces deux très grands événements sportifs » qui vont entraîner de grands mouvements de foule, caractérise le « péril imminent » tel qu’il est exigé par la loi de 1955 pour que soit mis en œuvre l’état d’urgence.

On peut donc répondre sans crainte par l’affirmative : les conditions sont aujourd’hui réunies pour proroger l’état d’urgence.

La demande du Gouvernement est de surcroît réduite par rapport aux deux précédentes, puisqu’il nous est demandé de voter une prolongation de deux mois, c’est-à-dire jusqu’au 26 juillet 2016, lorsque ces deux événements auront pris fin. À cette date, également, le projet de loi destiné à lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme aura été définitivement voté. La commission mixte paritaire ayant lieu demain, nous pouvons tous souhaiter qu’elle aboutisse.

Certes, le péril est imminent, mais il est permis de réduire le délai, parce que l’État sera armé autrement. Grâce au vote du texte que je viens d’évoquer, les procédures de droit commun seront plus efficaces pour lutter contre le terrorisme. Celui-ci ne disparaîtra pas avec la fin de l’état d’urgence, mais nous le combattrons avec d’autres moyens, ceux du droit commun.

Enfin, le Gouvernement ne nous demande plus de prévoir la possibilité de procéder à des perquisitions administratives, lesquelles, comme M. le ministre vient de le rappeler, ont largement perdu de leur efficacité. En effet, d’une part, les services ont déjà perquisitionné ce qu’il y avait à perquisitionner et, d’autre part, le Conseil constitutionnel a réduit l’efficacité de ces mesures dans sa décision sur une question prioritaire de constitutionnalité du 19 février 2016.

Aussi, je le répète, nous pouvons répondre favorablement à la demande du Gouvernement.

Pour terminer, je voudrais insister sur un point qui a souvent fait débat : l’état d’urgence est-il synonyme de la fin de l’État de droit ? Permet-il aux forces de l’ordre d’agir sans contrôle ? Le pouvoir exécutif peut-il faire ce qu’il veut dans ce cadre ?

Peut-être n’y avons-nous par prêté une attention suffisante, mais je crois pouvoir dire qu’il s’est développé, depuis le mois de novembre dernier, un droit spécifique de l’état d’urgence.

Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel sont intervenus pour fixer une jurisprudence, nouvelle en ce qui concerne le second, qui ne s’était jamais prononcé sur le sujet.

Le Conseil d’État a également fixé des règles très claires et très strictes quant aux procédures d’urgence. Je rappelle qu’il a notamment indiqué qu’en cas d’assignation à résidence, lorsque le juge administratif était saisi par la voie du référé, la condition d’urgence était toujours remplie, ce qui veut dire que la personne visée par la mesure a toujours le droit, reconnu par le juge administratif, de plaider son cas devant une instance juridictionnelle. Après, il appartient au juge de trancher dans un sens ou dans l’autre, mais la personne visée a le droit d’aller à l’audience, principe important et remarquable. À cet égard, le Conseil d’État a été, une fois encore, le juge des libertés publiques.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans trois décisions, a construit un droit constitutionnel de l’urgence. On peut regretter, ou pas, qu’il n’y ait pas eu de réforme constitutionnelle, mais force est d’admettre qu’une telle révision n’est plus utile, puisque le Conseil constitutionnel vient de fixer le droit constitutionnel de l’état d’urgence au travers de trois QPC, dans lesquelles il a pu traiter des perquisitions, des assignations, des limites à la liberté de réunion, et également des limites à la liberté d’utiliser des données informatiques copiées.

De ce point de vue, le juge constitutionnel est resté fidèle, là aussi, à sa ligne traditionnelle de défense des libertés publiques. Il a été fort sourcilleux sur la conciliation équilibrée que doit réaliser le pouvoir exécutif entre la nécessité de prévenir les atteintes à l’ordre public et le respect des droits et des libertés.

En conclusion, sous le bénéfice de ces observations, je vous invite tout d’abord, au nom de la commission des lois du Sénat, à voter le texte tel qu’il a été présenté par le Gouvernement, aucun amendement n’ayant été déposé.

Je précise que le comité de suivi de l’état d’urgence, dont les membres ont aussi été chargés de travailler sur la réforme pénale, se réunira deux fois dans les semaines qui viennent : l’une pour entendre les services du ministère de l’intérieur, l’autre pour auditionner le président de la section du contentieux du Conseil d’État, qui viendra nous faire part des dernières décisions de cette juridiction.

Applaudissements sur les travées du groupe UDI-UC, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes rassemblés cet après-midi pour nous prononcer de nouveau sur une loi d’exception. C’est donc un moment empreint de gravité, qui appelle à la méditation.

Dans notre État de droit, une loi d’exception suppose une motivation et des précautions.

S’agissant des précautions, je voudrais rappeler que nos deux assemblées ont, lors du premier vote, en novembre, accompli en réalité une véritable réforme de l’état d’urgence, dont les termes dataient de 1955, en introduisant plusieurs nouvelles règles protectrices, en particulier l’obligation de motiver les assignations à résidence, la participation du parquet et d’un officier de police judiciaire aux perquisitions, ou la suppression, qui s’imposait, des mesures de contrôle de la presse, ainsi qu’une nouvelle organisation de l’association du Parlement au dispositif.

Comme le disait notre rapporteur à l’instant, nous sommes, je le crois, unanimes à constater que le Gouvernement, et M. le ministre en particulier, a pleinement joué le jeu de l’information complète et de la transparence au bénéfice de la représentation parlementaire.

Je n’ajoute rien aux propos très judicieux de Michel Mercier à propos du cadre constitutionnel de l’état d’urgence, maintenant confirmé grâce aux récentes décisions du Conseil constitutionnel.

J’en viens à la motivation. Est-il nécessaire de prolonger l’état d’urgence pour cette nouvelle période de deux mois ?

Nous nous interrogions déjà voilà trois mois, et dans l’esprit de beaucoup, la dernière prolongation devait être la dernière. Nous étions quelques-uns à appeler nos collègues à examiner la situation dans la durée et à bien analyser les informations pour vérifier si, au bout de trois mois, nous serions en situation de sortir durablement de l’état d’urgence.

Qu’avons-nous observé ?

Les enquêtes qui se sont poursuivies ont démontré les ramifications et les nombreux soutiens dont bénéficiaient les groupes terroristes ayant perpétré les attentats de Paris et de Saint-Denis.

De nouvelles opérations préventives ont démontré l’existence d’autres cellules en train de préparer d’autres opérations meurtrières.

J’y insiste, comme je le faisais déjà il y a trois mois, les attentats de Bruxelles et ces opérations terroristes qui se déroulent en France ou chez nos voisins européens trouvent leur source dans les lieux de conflit, non seulement en Syrie et en Irak, mais aussi en Afrique subsaharienne. Tout cet arrière-plan subsiste et, si nos armées et celles de nos alliés et partenaires portent des coups sévères à ces groupes criminels, nous savons que, sur la défensive, ils seront d’autant plus enclins à déclencher de nouvelles attaques sur le sol européen.

De notre point de vue, la condition du péril imminent est donc toujours constituée.

De surcroît, comme M. le ministre l’a exposé très précisément, s’ajoutent deux éléments de tension, dans la période de deux mois qui s’ouvre, à cause des deux événements sportifs que sont l’Euro 2016 et le Tour de France, lesquels vont entraîner de multiples grands rassemblements de public, de citoyens, français et invités, sur de nombreux sites, dont la sécurisation est évidemment un défi particulier cette année. Nous le savons, ces rassemblements, dans leur diversité, présentent des opportunités spécifiques de tentatives d’attentat.

À ce propos, je voudrais rappeler à M. le ministre, après avoir eu l’occasion de lui en faire part lors de nos récents contacts, qu’il est important que les préfets soient en relation étroite avec les maires. Vous devez certes organiser et sécuriser ces grands événements, mais, à l’étage en dessous, si j’ose dire, dans toutes nos communes vont être organisées d’ici à l’été, comme chaque année, nombre d’opérations festives et de manifestations, à l’occasion desquelles la présence de forces de sécurité publique sera plus réduite, celles-ci étant sollicitées ailleurs. La coopération entre les services chargés de la sécurité publique dans les départements et les maires doit donc être intense pour que de bons conseils soient diffusés. Les autorités locales doivent être appelées à plus de précautions, parfois à plus de retenue, pour organiser ces événements de manière à ne pas offrir d’autres cibles aux terroristes.

Cela me conduit à mon tour à rendre hommage aux forces de la police, de la gendarmerie et de l’armée, qui doivent actuellement produire un effort particulièrement intense pour assurer la sécurisation du pays, tout en soulignant, mais vous en avez bien conscience, monsieur le ministre, les risques de surcharge et de surtension qui pèsent sur l’ensemble de ces hommes et de ces femmes courageux et dévoués.

Face à ces menaces intenses, les prérogatives supplémentaires de l’état d’urgence nous paraissent donc justifiées, mais, comme le Conseil d’État le recommandait dans son avis rendu il y a trois mois, il faut prévoir des moyens légaux d’action supplémentaires contre les entreprises terroristes, moyens qui nous permettront de sortir de ce régime d’exception. Tel est l’objet du projet de loi de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme que nous avons examiné, tant ici qu’à l’Assemblée nationale, dans un esprit responsable et d’écoute mutuelle entre les différents groupes.

J’en profite – je suis le premier à le faire après le ministre, mais je ne serai sans doute pas le dernier – pour saluer le travail d’une particulière qualité et le souci d’écoute de notre collègue Michel Mercier, rapporteur de ce texte.

Monsieur le ministre, en votant cette nouvelle prolongation de l’état d’urgence pour cette durée limitée, nous vous exprimons notre confiance. Depuis chacun de nos engagements partisans, nous souhaitons en même temps exprimer une volonté largement partagée dans cette assemblée, toujours soucieuse de la protection des libertés personnelles, de nous tenir fermement aux côtés de la République et de ses citoyens pour repousser sans hésitation les menaces qui les visent.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’état d’urgence instauré le 14 novembre, à la suite des attentats meurtriers qui ont causé la mort de 130 personnes, devait prendre fin le 26 mai, après deux prorogations.

Entre-temps, nous avons vécu l’épisode de la tentative avortée de « constitutionnalisation » de l’état d’urgence. Un énième texte, le projet de loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme, qui confère des pouvoirs élargis à la police, notamment la perquisition de nuit, la retenue de quatre heures pour contrôle d’identité ou l’assignation à résidence des personnes que l’on soupçonne de rentrer de Syrie, devrait passer en commission mixte paritaire demain. Contenant nombre de dispositions inspirées de l’état d’urgence, il devrait permettre enfin, s’il est adopté, la sortie du régime d’exception sous lequel nous vivons depuis des mois.

Le texte dont nous débattons instaure, certes, un état d’urgence allégé des perquisitions administratives, lesquelles relèvent des préfets plutôt que des juges, comme c’est le cas dans le droit commun. Cet « allégement » est pourtant de pure forme et ne constitue nullement un retour au droit ordinaire. Après un pic au début de l’instauration de l’état d’urgence, le nombre de ces perquisitions n’a fait que chuter. Ajoutons que ces procédures ont, en outre, été fragilisées par les décisions d’annulation prononcées par la justice. De son côté, le Conseil constitutionnel a censuré le volet numérique des perquisitions.

À quoi sert l’état d’urgence sans les perquisitions administratives ? D’abord, il permet d’assigner à résidence des personnes sans avoir à les faire passer devant un juge susceptible de valider ou pas les mesures prises contre elles.

Vu le contexte de grande mobilisation sociale et de forte effervescence politique que nous traversons, on imagine bien l’exécutif recourir à de telles assignations à résidence, comme il l’avait fait à l’encontre de militants écologistes au moment de la COP 21.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Depuis novembre 2015, 70 personnes sont assignées à résidence, alors même qu’il n’a pas pu être trouvé assez d’éléments pertinents pour lancer une information judiciaire à leur encontre, les placer sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire.

Les autres dispositions de l’état d’urgence resteront elles aussi en vigueur : restriction de la circulation des personnes ou des véhicules, interdiction de séjour dans certains endroits, couvre-feu, dissolution d’associations, interdiction de rassemblements.

Voilà qui serait bien utile, à propos, pour vider, par exemple, la place de la République des participants à « Nuit debout » ou, au choix, pour interdire le rassemblement de policiers auquel appelle un de leurs syndicats.

Murmures de désapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

En fait, l’état d’urgence serait prorogé pour la période de l’Euro 2016 et du Tour de France. N’avons-nous donc pas de dispositions dans le droit commun contre les hooligans ?

L’exposé des motifs de ce projet de loi souligne que « l’efficacité des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence va au-delà » du bilan chiffré que vous proposez et des suites judiciaires qui y sont réservées. Il y est par ailleurs assuré que ces mesures ont « eu un réel effet déstabilisateur sur les individus et les groupes impliqués dans le soutien ou en relation avec les réseaux terroristes ». Nous voulons bien le croire, mais aucune preuve n’est pourtant avancée pour permettre de l’affirmer avec certitude.

La Belgique, qui a connu, hélas, à son tour, des actes terroristes ayant coûté la vie à des dizaines de personnes, n’a pas eu recours à un état d’urgence. Elle a pourtant réussi à capturer vivantes une des chevilles ouvrières des attentats de Paris et une de celle des attentats de Bruxelles.

Il est largement temps de mettre fin à un régime d’exception particulièrement attentatoire aux libertés publiques. Notre pays donne l’impression d’être « bunkérisé ». Quelle conscience libre n’étoufferait pas dans l’atmosphère d’étroit contrôle policier qui nous est imposée ? En quoi cela peut-il bien sécuriser les citoyens ? Est-ce bien là ce qui assurera le succès de notre combat contre le terrorisme ?

Rendez-nous vite une France libérée, avant qu’elle ne se rabougrisse davantage ! Nos concitoyens ont besoin de souffler, de s’exprimer, …

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

… de créer, d’agir. On ne peut indéfiniment les paralyser par la peur, une peur qui se retourne d’ailleurs toujours contre ceux qui l’entretiennent. La baisse de la popularité de nos dirigeants suffit à en témoigner.

Compte tenu de tous ces éléments, le groupe écologiste dans sa majorité – deux de mes collègues s’abstiendront et l’une votera pour – se prononcera contre la prorogation.

Ce vote « négatif » ne l’est qu’en apparence. Il est un vote de résistance. Or, « la résistance, disait Germaine Tillion, consiste à dire non. »

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Mme Esther Benbassa. « Mais dire non, c’est une affirmation. C’est très positif. »

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici une nouvelle fois conviés à évaluer le bien-fondé d’un projet de loi de prorogation de l’état d’urgence, lequel fut décrété le 14 novembre dernier.

Allons au but directement : dans notre groupe, deux de nos collègues, Gilbert Barbier et Pierre-Yves Collombat, qui ont déjà plusieurs fois manifesté leur conviction sur ce point, voteront contre ce texte. Toutefois, la grande majorité du RDSE votera pour, monsieur le ministre, par confiance personnelle – j’y insiste –, dans l’action que vous menez – je dis bien : « vous ».

Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

La présente prorogation se distingue des précédentes par deux aspects : d’une part, l’absence de la mention expresse de la possibilité de procéder à des perquisitions administratives ; d’autre part, le choix d’une durée réduite à deux mois. De telles inflexions semblent annoncer la sortie de l’état d’urgence – d'ailleurs, vous nous l’avez dit.

On trouve également les traces de cette anticipation dans le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, qui contient un ensemble de dispositions de procédure pénale. La navette sur ce texte est en cours, avant la commission mixte paritaire qui se réunira demain.

Ce projet de loi de prorogation semble avoir été conçu comme une loi de tuilage, destinée à combler un prétendu vide juridique entre l’extinction du régime d’exception qu’est l’état d’urgence et les futurs moyens prévus par le projet de loi que je viens à l’instant d’évoquer.

Il est aussi important de noter que ce vide juridique coïncide avec la tenue d’événements sportifs de grande ampleur sur notre territoire.

Mes chers collègues, il est un point qui a évolué depuis notre dernier débat, et je m’en félicite, car cela conforte l’opinion que j’avais soutenue dès l’origine : il est clair que la constitutionnalisation de l’état d’urgence ne servait à rien et que la loi de 1955, utilement modernisée, est totalement compatible avec la Constitution actuelle. Que de débats et de palabres médiatiques inutiles !

Quand la médiatisation du débat public devient l’objectif prioritaire, privilégiant constamment la forme aux dépens du fond, c’est toujours dommageable à la République, d’autant que médias et opinions sont par essence versatiles.

Mes chers collègues, la loi du 3 avril 1955, loi de la IVe République, qui était, elle, respectueuse du Parlement

M. Henri de Raincourt s’esclaffe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Si l’utilité de la déclaration de l’état d’urgence après les attentats ne fut guère contestée, la question qui se pose désormais, c’est de savoir quand et comment on en sort. Autrement dit, qu’est-ce qui justifie une nouvelle prorogation de l’état d’urgence ?

Le Gouvernement, conforté en droit par un avis favorable de la section de l’intérieur du Conseil d’État, justifie l’adoption de ce texte par la permanence de l’existence d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public.

Cela peut s’entendre, mais, eu égard à la situation extérieure au Moyen-Orient et au phénomène intérieur de radicalisation, on peut craindre que cela ne se prolonge très durablement.

Monsieur le ministre, malgré votre effort de transparence, nous n’avons toujours pas en notre possession – on peut d'ailleurs considérer que ce n’est pas normal – tous les éléments de nature à nous permettre d’apprécier précisément la nature du péril qui nous menace. Il n’y a guère que notre confiance – et, je l’ai dit, elle est grande – en votre parole et en votre action personnelle pour nous convaincre.

Au-delà de l’existence du péril imminent, l’utilité des mesures prévues par la loi du 3 avril 1955 dans la lutte contre le terrorisme reste également à démontrer. L’effet de surprise des perquisitions administratives, inversement proportionnel à leur durée de mise en œuvre, s’est estompé, au point que vous avez choisi d’y renoncer. Les assignations à résidence, qui représentent une charge de travail supplémentaire pour les forces de l’ordre, ne permettent pas une neutralisation satisfaisante des individus les plus dangereux, et quand ils le sont trop, on n’y recourt pas pour ne pas éveiller leur attention !

Pour le reste, la loi de 1955 nous autorise à prononcer la dissolution des associations et groupements de fait participant à la commission d’actes portant grave atteinte à l’ordre public, à décider la fermeture provisoire de salles de spectacles et de lieux de réunion. La loi de 1955 nous autorise à obtenir les remises d’armes et de munitions, à interdire de circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et heures fixés par le préfet et à prononcer des interdictions de séjour. Monsieur le ministre, vous n’avez pratiquement pas eu besoin de recourir à ces mesures jusqu’ici.

En résumé et pour être clair, l’utilité de l’état d’urgence est aujourd’hui quasi nulle sauf en termes de communication, compte tenu des problèmes que posent l’Euro de football et le Tour de France. Toutefois, s’il se produisait un nouvel attentat, l’opinion vous reprocherait, monsieur le ministre, d’être sorti de l’état d’urgence – à tort, mais elle le ferait, et il faut en prendre acte ! C’est aussi pour cela que nous voterons la prorogation de l’état d’urgence.

Monsieur le ministre, vous nous avez également rappelé le lien entre les récents événements de Bruxelles et la menace djihadiste qui plane sur notre pays. Après le triple attentat-suicide, les autorités belges ont justement fait le choix de ne pas instituer un régime d’exception, en insistant sur la nécessité pour les citoyens belges de garder confiance dans leurs institutions.

Nous continuons à dire que, ce qui est essentiel, au-delà de l’accumulation de textes sécuritaires, c’est de donner à nos forces de sécurité et de renseignement les moyens matériels et humains leur permettant d’accomplir leurs missions. Et je déplore, comme des juges antiterroristes l’ont fait, qu’aucune des lois postérieures à janvier 2015 n’ait visé à améliorer la synergie entre services de renseignement et institutions judiciaires. Comment ne pas déplorer que l’état d’urgence se soit instillé jusque dans la procédure parlementaire !

L’état d’urgence n’est peut-être pas un état de convenance, mais il est porteur d’illusions : l’illusion d’une sécurité recouvrée et l’illusion de libertés préservées s’y côtoient, alors que le juge administratif devient le juge de la liberté d’aller et venir. Hors des procédures d’urgence, il intervient nécessairement a posteriori, donc trop tard. À cela, il convient de mettre fin le plus rapidement possible.

Mes chers collègues, je voudrais pouvoir vous dire que je voterai cette loi de prorogation avec la même conviction qu’au lendemain du 13 novembre. Je le ferai, mais avec les réserves que j’ai indiquées.

À ce stade, je tiens, au nom de l’ensemble du groupe, à rendre hommage à ces forces de l’ordre qui font leur devoir au service de la République. Même s’il a pu exister quelques erreurs auxquels vous avez su réagir, nous considérons comme déplacées et détestables les attaques proférées récemment contre ces forces de l’ordre.

Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe UDI-UC. – Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

À ce sujet, si attaché que l’on soit par essence à la liberté d’expression, à l’expression même de la jeunesse, de ses aspirations légitimes à un monde meilleur et plus juste, comment voulez-vous que nos concitoyens, dans nos territoires, ne soient pas interloqués par la conjonction de l’état d’urgence et de « Nuit debout » ?

Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Oui, l’expression respectable de la liberté est en partie manipulée par quelques vieux gourous trotskistes et un quotidien parisien rêvant de plagier Podemos.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

M. Jacques Mézard. Que d’agitations médiatiques pour quelques milliers de manifestants et une surcharge pour nos forces de l’ordre dans un moment totalement inadéquat !

Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains et du groupe UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Aujourd’hui, et je conclus ainsi, il s’agit, non plus de renforcer les pouvoirs de l’autorité publique pour lui permettre de rétablir rapidement l’ordre public, mais de prendre acte de l’épuisement des policiers et des militaires, de la ténacité et de la vigilance dont les Français font preuve. Aussi, cette troisième prorogation sera un renoncement si nous ne nous employons pas à rallier l’ensemble de nos compatriotes à la certitude que nos institutions peuvent subsister sans le secours des prérogatives que l’état d’urgence confère à l’exécutif. Voilà le vœu que je forme au nom du groupe du RDSE !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain des lâches attentats de Paris et de Saint-Denis qui ont endeuillé la France le 13 novembre dernier, l’état d’urgence a été instauré.

Il a été renouvelé à deux reprises, fin novembre et fin février, afin de répondre au mieux à la persistance d’une menace à un niveau inédit sur le territoire national, en traquant les responsables et en déjouant les projets d’attentats en préparation.

À cet instant, je profite du temps qui m’est imparti pour saluer, au nom de tous mes collègues du groupe Les Républicains, le travail formidable des forces de l’ordre, de la justice, des secours, de la santé et des centres pénitentiaires, qui ont su répondre présents et qui ne ménagent en rien leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme djihadiste.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L’état d’urgence est un état d’exception, et il devrait s’achever à la fin de ce mois de mai. Cependant, la nécessité de sa prorogation jusqu’au 26 juillet prochain s’impose comme une terrible évidence, en raison de la conjonction de plusieurs événements. Je veux parler de l’Euro 2016 et du Tour de France, qui vont rassembler des milliers de personnes, soit autant de cibles potentielles. Je veux également mentionner les récents attentats commis à l’étranger, visant nos intérêts et ceux de nos alliés. Je pense plus particulièrement à nos amis belges, qui, le 22 mars dernier, ont subi deux attentats meurtriers sur leur sol, événements qui nous ont appris que les groupes impliqués en France et en Belgique appartenaient à une même cellule, la France constituant pour eux une cible prioritaire parmi les pays européens.

Enfin, le nombre d’individus français ou résidents français qui ont séjourné en Syrie représente, à ce jour, le plus gros contingent des djihadistes européens.

Alors, oui, comme en février dernier, le groupe Les Républicains va voter la prorogation de l’état d’urgence !

Nous adhérons également à la non-reconduite des perquisitions administratives. Largement utilisées jusqu’à la fin février, elles ne présentent plus grand intérêt, leur nombre ayant significativement baissé depuis la dernière prorogation de l’état d’urgence.

Cette évolution des mesures mises en œuvre a été largement explicitée aux représentants parlementaires dans le cadre du comité de suivi de l’état d’urgence au cours de réunions bimensuelles organisées à Matignon. Je voudrais vous en remercier, monsieur le ministre de l’intérieur, et j’en remercie également M. le Premier ministre.

Pour autant, il faudra bien sortir de l’état d’urgence !

Il nous faut à cette fin un arsenal législatif pénal solide. Le Sénat, par une proposition de loi de MM. Philippe Bas et Michel Mercier, avait, dès le mois de février, voté un texte en ce sens. §Le Gouvernement n’a pas souhaité, une fois de plus, s’en remettre à la sagesse et à la réactivité du Sénat, et il a présenté son propre texte : le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement.

Le renforcement des mesures antiterroristes, la répression des actes de terrorisme et la mise en place d’un régime d’exécution des peines plus rigoureux constituent bien évidemment une priorité pour notre majorité. Ces mesures seront de nature à faciliter la sortie de l’état d’urgence, d’autant que l’on connaît la forte porosité entre le milieu terroriste et la délinquance, ainsi que l’environnement logistique alimenté par les trafics d’armes et de stupéfiants qui financent ces actions.

Monsieur le ministre, nous attendons avec impatience la mise en œuvre définitive de ce projet de loi.

En complément de l’état d’urgence, le Gouvernement pourra s’appuyer, dans le cadre de l’Euro 2016, sur la proposition de loi de notre collègue député Guillaume Larrivé, texte renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme.

Ce texte dont je fus le rapporteur au Sénat répondra aux enjeux de sécurité qui devront entourer l’Euro 2016, organisé en France et, plus largement, les prochaines rencontres sportives, malheureusement trop souvent émaillées de débordements. Ce dispositif n’est pas anodin au regard du 13 novembre dernier, puisque l’une des actions terroristes visait le Stade de France.

Monsieur le ministre, il reste encore quelques questions en suspens : l’État a-t-il la volonté de faire cesser les troubles récurrents sur notre territoire, notamment à l’occasion de manifestations à répétition qui causent, selon nous, de réels troubles à l’ordre public ?

Je pense notamment aux sept policiers qui ont été blessés à Nantes et, plus récemment, aux forces de l’ordre malmenées et blessées à Paris.

L’état d’urgence offre des outils de police administrative aux préfets et prévoit la possibilité d’interdire des manifestations. Les forces de l’ordre sont épuisées par les affrontements qui se produisent dans le cadre de certaines d’entre elles. Ces femmes et ces hommes tiendront-ils, physiquement et psychologiquement, pour affronter les risques liés à l’Euro 2016 ? Nous leur souhaitons, à toutes et tous, beaucoup de courage !

Autre interrogation, qui a été exprimée par le président de mon groupe, M. Bruno Retailleau, lors du débat de novembre dernier et qui est toujours d’actualité, celle des frontières en Europe. Nous avons bien dû constater entre les tragiques mois de novembre et de mars que nous étions totalement désarmés face aux terroristes passant d’un État européen à un autre. Comment peut-il y avoir de telles failles ? La question reste entière.

La France et l’Europe ont besoin de vraies frontières. Il faut avancer – et avancer vite ! – vers un Schengen II. Notre sécurité en dépend.

Enfin, la lutte contre le terrorisme ne peut s’affranchir d’un arsenal efficace de lutte contre la radicalisation et d’un véritable dispositif de déradicalisation. Nous prenons note, monsieur le ministre, des annonces faites hier par le Premier ministre, qui a dévoilé un catalogue de mesures censées combattre le djihadisme et la radicalisation.

En ce qui concerne les mesures de déradicalisation, il était grand temps de mettre fin à deux anciennes expérimentations subventionnées à grands frais sans véritable, voire sans aucun résultat probant.

Aussi, les treize centres de « réinsertion et de citoyenneté » prévus d’ici à la fin 2017 et l’augmentation de 40 millions d’euros des crédits destinés à la lutte contre la radicalisation annoncée hier constituent des mesures que nous ne pouvons qu’approuver, bien qu’elles interviennent assez tardivement au regard du nombre de radicalisés et de jeunes djihadistes français qui sont déjà revenus en France ou continuent à y revenir tous les jours.

Dans ce cadre, j’invite le Gouvernement à prendre exemple sur des pays qui ont plus d’expérience que la France en la matière.

Sur l’initiative de Mme Esther Benbassa, une mission d’information sur la déradicalisation a été autorisée par la commission des lois. Je travaillerai avec elle sur ce sujet de la plus haute importance. Et nos conclusions, nous l’espérons humblement, pourront peut-être contribuer, monsieur le ministre, à alimenter vos réflexions sur les dispositifs à mettre en œuvre pour une déradicalisation la plus efficace possible.

En conclusion, le groupe Les Républicains ne saurait se soustraire à son devoir de responsabilité à l’égard de la Nation. Aussi nous soutiendrons ce projet de loi qui, sans répondre à tous les enjeux à venir, présente l’intérêt d’augmenter la sécurité de nos concitoyens au cours des prochains mois.

La France est grande, la France est forte, la France vaincra, parce que les Français sont fiers de leurs valeurs, parce qu’ils sont unis par la mémoire et l’espérance.

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dois dire que cette énième prorogation…

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

… est un peu surprenante. Elle l’est d’autant plus que les mesures adoptées dans le cadre du projet de loi visant à lutter contre le crime organisé et à réformer la procédure pénale étaient censées rendre inutile toute prorogation, l’état d’urgence s’immisçant, de fait, dans notre droit commun.

L’article unique du projet de loi, qui ne comporte que deux points – prorogation pour une durée de deux mois de l’état d’urgence et possibilité, pour le conseil des ministres, d’y mettre fin par décret avant l’expiration de ce délai –, est pourtant largement justifié par le Gouvernement dans son exposé des motifs, relativement long, avec ses sept pages, et qui repose, selon nous, sur des arguments pour le moins approximatifs.

D’abord, le Gouvernement estime que, depuis le 26 février, l’usage des mesures exceptionnelles prévues dans le cadre de l’état d’urgence a été « mesuré mais nécessaire ». Pourtant, mes chers collègues, la mesure autant que la nécessité restent à prouver.

Au contraire, le caractère disproportionné et attentatoire aux libertés publiques de ces dispositions ne cesse d’être démontré par de nombreux syndicats, associations, organismes de défense des droits de l’homme et autres professionnels du droit – Défenseur des droits, Ligue des droits de l’homme et Amnesty International en tête.

L’état d’urgence permet aujourd’hui le recours à des perquisitions administratives de jour comme de nuit, à des assignations à résidence, à la réglementation et à l’interdiction du séjour et de la circulation, à l’interdiction de réunions, à la dissolution d’associations et à la remise d’armes.

Or toutes ces mesures peuvent, sans exception, être ordonnées en vertu de dispositions de droit commun. Dans le seul cas de l’assignation à résidence, l’état d’urgence permet véritablement d’étendre le champ d’application matérielle de la mesure, en l’occurrence, à d’autres personnes que celles qui sont mises en examen ou poursuivies, ou à des étrangers en situation irrégulière.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous n’envisagez pas de reconduire avec cette prorogation la mesure prévue à l’article 11 de la loi de 1955 concernant les perquisitions administratives. Ainsi, l’une des mesures véritablement visées par le Gouvernement est l’assignation à résidence. Mais une question se pose : qu’allons-nous faire des soixante-huit personnes qui resteraient à ce jour assignées à résidence lorsque prendra fin l’état d’urgence ?

Ce fonctionnement nous interroge. Soit ces personnes sont réellement dangereuses et, dans ce cas, l’enquête avance, aboutit à un procès équitable puis à une éventuelle incarcération. Soit les « raisons sérieuses de penser » que ces personnes sont dangereuses ne sont pas avérées et, dans ce cas, on leur rend leur liberté d’aller et venir. Qu’en est-il à ce sujet, monsieur le ministre ?

Outre la menace terroriste, toujours présente et que personne ne peut ignorer, la justification phare de cette prorogation repose sur les deux grands événements sportifs à venir sur notre territoire, l’Euro 2016 et le Tour de France. En ce sens sont annoncés des renforts massifs d’unités de forces mobiles et des milliers d’agents de sécurité privée, habilités à effectuer des contrôles, ainsi que la contribution, dans le cadre de l’opération Sentinelle, des forces armées.

D’abord, ces déploiements seront effectués en application de notre droit commun, et non pas des dispositions propres à l’état d’urgence. Ensuite, une nouvelle question se pose : chaque grand événement – sportif ou non – que la France organisera donnera-t-il lieu à la prorogation ou à un nouveau décret de l’état d’urgence ?

Comment juger du risque que représentent des événements à venir tels que les Journées européennes du patrimoine, la Grande Braderie de Lille en septembre, la Foire internationale d’art contemporain à Paris en octobre, ou encore la Fête des lumières à Lyon en décembre ? Et je ne vous ai pas parlé d’une grande fête populaire qui me tient très à cœur et qui a lieu au mois de septembre.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

M. Philippe Dallier. La fête de l’Humanité ?

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Le Gouvernement justifie, en outre, cette prorogation par la complexification de « la détection des individus susceptibles de passer à l’action terroriste », « ceux-ci utilisant tous les moyens de dissimulation de leurs communications et de leur identité ». S’agirait-il un aveu d’échec des différentes lois visant à renforcer la lutte antiterroriste, à l’instar de la loi relative au renseignement votée en juillet dernier ?

Je veux aussi exprimer ici, monsieur le ministre, mon inquiétude quant à l’état de fatigue généralisée de nos forces de l’ordre, une fatigue physique et psychologique face à des missions toujours plus nombreuses et fastidieuses, et toujours moins liées à leur formation initiale.

Une fatigue dont on a pu voir des conséquences dans la gestion pour le moins regrettable des mouvements sociaux liés à la loi « travail ». Cette fatigue et cet épuisement sont d’ailleurs dénoncés par le syndicat majoritaire des gardiens de la paix, Alliance, qui a appelé les policiers à manifester le 18 mai prochain pour dire « stop à la haine anti-flic », après deux mois de manifestations marquées par de nombreux affrontements.

« Depuis plusieurs mois, on constate que l’état d’urgence justifie des abus. Il y a un danger démocratique », souligne le sociologue et professeur à l’université Paris VIII, Éric Fassin. « Frapper des gens dans la rue parce qu’ils manifestent, c’est tout à fait contraire aux principes démocratiques », condamne-t-il.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Ces nouvelles « méthodes » de gestion des mouvements sociaux ne sont-elles pas liées au climat créé par cette politique d’un état d’urgence sans cesse prolongé ?

Pour résoudre la « crise » terroriste, le Gouvernement s’enlise dans l’ère du soupçon. Et c’est bien là la réelle conséquence, le grand drame de l’état d’urgence et de la banalisation de ces multiples prorogations : le durcissement de notre droit commun, qui mue définitivement en droit sécuritaire, comme l’illustre le projet de loi de M. Urvoas, passé presque inaperçu dans l’opinion publique et qui donne pourtant lieu à un florilège de mesures sécuritaires et attentatoires aux libertés publiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Dans ses Carnets, Albert Camus écrit que, « si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout ».

Je le répète, mieux comprendre pour mieux combattre, voilà l’unique voie à emprunter dans ces temps troubles. Les discours martiaux ne serviront qu’à alimenter une haine infondée. En parallèle au renforcement effectif de nos forces de l’ordre et de nos services de renseignement, des projets de paix et de coopération, dont plus personne ne parle ici, doivent plus que jamais être envisagés. Et nos valeurs républicaines doivent être rappelées et renforcées : liberté, égalité, fraternité !

Mes chers collègues, monsieur le ministre, comme pour les précédentes prorogations, nous maintiendrons fermement notre opposition à ce projet de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour la troisième fois pour statuer sur la prorogation de l’état d’urgence.

Cette fois-ci, la demande du Gouvernement est un peu différente puisque vous nous demandez, monsieur le ministre, d’accorder la prorogation pour deux mois. Surtout, le texte ne mentionne plus la possibilité pour l’autorité administrative de décider des perquisitions administratives.

Si ce dernier aspect démontre la volonté de limiter les pouvoirs de police exceptionnels – ce qui est, à mon avis, une bonne chose –, cela ne doit pas nous laisser à penser que la menace a faibli ou – pour reprendre la terminologie exacte de la loi de 1955 – que « le péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » a disparu, bien au contraire !

Gardons à l’esprit, comme le relève l’exposé des motifs du projet de loi, que la France continue à constituer une cible prioritaire parmi les pays européens. Le parquet fédéral belge, Catherine Troendlé l’a dit, a confirmé que les attentats survenus à Bruxelles le 22 mars dernier avaient été initialement programmés contre la France.

L’autre justification avancée par le Gouvernement nous laisse un tout petit peu plus dubitatifs : deux événements sportifs justifieraient la prorogation de l’état d’urgence, l’Euro 2016 et le Tour de France. Oui, certes, évidemment, bien évidemment ! Mais, monsieur le ministre, au mois de février, et nous vous l’avions dit, les dates de ces deux événements étaient connues ! Nous aurions donc pu faire aujourd'hui l’économie d’une nouvelle prorogation en décidant alors de fixer la prorogation de février jusqu’au mois de juillet.

Un autre élément justifie une nouvelle prorogation. Celui-ci est un élément de cohérence. Le Parlement a travaillé efficacement sur un projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement. Vous le savez, le Sénat a participé très activement et de manière constructive à l’amélioration de ce texte. J’ai même l’audace de dire que le Sénat en est à l’origine…

À ce sujet, je regrette que ce ne soit pas le texte du Sénat qui ait servi de base à cette nouvelle législation. En effet, nous serions probablement déjà sous l’emprise de la nouvelle réglementation et nous aurions donc pu sortir du régime de l’état d’urgence. Mais le Gouvernement a choisi de procéder autrement. C’est probablement la raison pour laquelle nous sommes réunis aujourd'hui, et je le regrette.

Nous sommes quant à nous convaincus que le moyen de sortir de l’état d’urgence sans baisser la garde est en effet de renforcer et d’actualiser notre arsenal répressif de lutte contre le terrorisme. À l’heure où nous parlons, ce texte, qui doit renforcer les prérogatives du parquet et qui durcit la condition pénitentiaire des criminels terroristes, n’est pas encore définitivement adopté. Vous le savez, la commission mixte paritaire ne se réunira que demain. J’espère que ses conclusions iront dans le sens que nous souhaitons…

D’un point de vue logique, il est donc normal que nous nous trouvions réunis pour proroger l’état d’urgence jusqu’à la mise en application de ce texte.

Je tiens à saluer à mon tour la qualité du travail de notre collègue Michel Mercier. Fort de son expérience et de sa vision lucide de la situation, il nous a entraînés sur la voie que nous empruntons aujourd'hui. Je remercie également la commission des lois de l’avoir suivi.

Notre groupe votera évidemment la prorogation – je viens d’expliquer les raisons de cet « évidemment » –, mais je tiens, monsieur le ministre, à insister sur le fait que cette troisième prorogation a donné lieu au sein de notre groupe à des débats, a suscité des interrogations et des doutes plus affirmés que précédemment. J’émets donc le souhait que nous nous dirigions vers une sortie de l’état d’urgence, qui doit rester un régime exceptionnel et ne pas se transformer en mesure d’application permanente.

Il est difficile pour moi de m’exprimer et de conclure sans saluer le travail des forces de sécurité : compétence, professionnalisme, discrétion de nature à ne pas créer d’affolement dans la population. Les élus locaux que nous sommes ont pu constater, chacun dans sa ville, son département ou sa région, l’efficacité et la détermination de nos forces de sécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Alors, il ne fallait pas diminuer leurs effectifs !

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

M. François Zocchetto. Nous avons cependant une inquiétude quant à la conjonction du travail périlleux de lutte contre le terrorisme qui leur est demandé, lequel réclame une vigilance de chaque instant et une appréciation des situations à chaque seconde, avec les opérations de maintien de l’ordre sur tout le territoire national que rend nécessaires l’attitude irresponsable et anti-citoyenne d’activistes qui multiplient, çà et là, les provocations et créent des perturbations dont notre République n’a pas besoin en ce moment…

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

(Non modifié)

I. – Est prorogé pour une durée de deux mois, à compter du 26 mai 2016, l’état d’urgence :

- déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- et prorogé par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, puis par la loi n° 2016-162 du 19 février 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

II. – Il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l’expiration de ce délai. En ce cas, il en est rendu compte au Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d'urgence.

En application de l’article 60 du règlement, j’ai demandé, en ma qualité de président du Sénat, que ce vote ait lieu par scrutin public.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 214 :

Nombre de votants341Nombre de suffrages exprimés339Pour l’adoption309Contre 30Le Sénat a adopté.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel avait été saisi, le 9 mai 2016, en application de l’article 12 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, d’un recours aux fins de constater que les dispositions des I, II et V de l’article 6 de la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955 concernant les annonces judiciaires et légales, qui rendent applicables en Polynésie française les articles 1er, 2 et 4 de cette loi, sont intervenues dans une matière ressortissant à la compétence de la Polynésie française.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, réformant le système de répression des abus de marché (proposition n° 542, texte de la commission n° 576, rapport n° 575, tomes I et II, avis n° 573).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, madame la présidente de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d’excuser Michel Sapin, qui est retenu à l’Assemblée nationale, mais qui devrait nous rejoindre dans quelques instants.

La proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui vient moderniser et réformer le système français de répression des abus de marché. À ce titre, elle participe pleinement de l’objectif de modernisation de la vie économique visé par le Gouvernement, notamment à travers le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, que M. Michel Sapin a présenté en conseil des ministres le 30 mars dernier.

Adapter la répression des abus de marché au développement des marchés financiers est bien sûr absolument indispensable pour mettre la France en conformité avec le paquet européen sur les abus de marché et éviter ainsi que de nouvelles pratiques frauduleuses n’échappent aux pouvoirs de sanction de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, ou du juge pénal.

Cependant, la présente proposition de loi ne se contente pas de procéder à une telle adaptation. Elle vient également apporter une réponse pragmatique à la décision du Conseil constitutionnel qui invalide la double poursuite et la double sanction, administrative et pénale, des abus de marché.

En effet, aujourd’hui, une personne commettant un abus de marché – opération d’initiés, manipulation de cours ou encore diffusion de fausses informations – peut être poursuivie, puis sanctionnée à la fois par l’AMF et par le juge pénal. Cette situation s’explique par le fait que, dans le domaine des abus de marché, le champ des manquements est identique à celui des délits.

Or, en mars 2015, le Conseil constitutionnel a jugé cette situation contraire au principe de nécessité des délits et des peines ; il nous a donné jusqu’au 1er septembre 2016 pour mettre en place une solution permettant d’éviter qu’une même personne soit poursuivie deux fois pour les mêmes faits, par l’AMF et par le juge pénal.

Sans entrer dans le détail de la solution qui a été retenue au travers de cette proposition de loi, je voudrais brièvement en souligner deux mérites importants.

D’une part, la proposition de loi préserve le bon fonctionnement de la phase de détection des abus de marché et d’enquête.

Dans la situation actuelle, c’est l’AMF qui, dans la très grande majorité des cas, détecte les opérations d’initiés ou les manipulations de cours grâce à sa surveillance continue des marchés, rendue possible notamment par des systèmes très sophistiqués de suivi des variations des cours et des volumes de marché. Dans certains cas, moins fréquents, le Parquet national financier peut également découvrir lui-même certains faits susceptibles de constituer des abus de marché.

Chaque institution mène ensuite sa propre enquête et doit pouvoir continuer à le faire. Ce point est très important, car tant l’AMF que le parquet disposent de logiques et de moyens d’enquête distincts. Par exemple, quelque 80 % des enquêtes de l’AMF revêtent une dimension internationale ; elles s’appuient donc sur des accords de coopération avec ses homologues étrangers, accords qui défendent à l’AMF de communiquer les informations collectées dans ce cadre.

Les enquêtes du Parquet national financier présentent également leurs spécificités. Une coordination entre l’AMF et le Parquet national financier est évidemment la bienvenue, mais elle doit se faire naturellement, sans formalisme particulier, sinon cela en obérerait l’efficacité.

D’autre part, cette proposition de loi permettra de continuer à réprimer de manière efficace et adaptée les abus de marché. Pour atteindre cet objectif majeur, tout en maintenant la superposition des champs respectifs des délits d’abus de marché, sanctionnés par la voie pénale, et des manquements d’abus de marché, réprimés par l’AMF, elle prévoit une phase de concertation entre le Parquet national financier et l’AMF. Cette concertation permettra de déterminer, au cas par cas, quelle voie de poursuite et de sanction est la meilleure.

Comme c’est le cas aujourd’hui, la plupart des affaires devraient continuer à être traitées par la voie administrative, qui permet d’infliger de manière rapide des sanctions pécuniaires importantes.

Ce mode de répression est particulièrement adapté aux marchés financiers. Ceux-ci sont en effet soumis en permanence à des innovations technologiques qu’il convient de sanctionner rapidement, lorsqu’elles sont de nature à porter atteinte à l’intégrité du marché, afin de bloquer leur essor et d’envoyer un message clair aux investisseurs et aux épargnants. Les marchés financiers fonctionnent en France de manière sûre et robuste ; toute manipulation y est rapidement et sévèrement sanctionnée.

Dans les cas les plus graves, une peine privative de liberté, que seul le juge pénal est à même d’infliger, peut se justifier. La voie pénale devrait alors, bien sûr, être choisie.

Je sais, monsieur le rapporteur, que vous avez beaucoup travaillé sur la question de la répression des abus de marché. Vous avez notamment déposé une proposition de loi sur ce sujet le 7 octobre dernier. Une proposition de loi identique a été déposée par M. Claude Raynal. Je vous remercie tous deux pour ce travail bipartisan et important par la qualité de son expertise.

Si la proposition de loi aujourd’hui débattue diffère quelque peu de celle que vous aviez alors proposée quant à la solution retenue, elle partage néanmoins son objectif, à savoir la préservation d’un système de répression des abus de marché efficace et rapide.

Les travaux de votre commission ont quelque peu modifié la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Je salue plusieurs améliorations que vous avez introduites dans le texte, comme l’extension de la composition administrative aux abus de marché ou encore l’augmentation du quantum des peines.

En revanche, sur d’autres sujets, je juge préférable d’en revenir à la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. Nous aurons évidemment l’occasion d’en reparler au cours de ce débat.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Jean-Claude Requier et André Gattolin applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à réformer le système de répression des abus de marché, c’est-à-dire des délits d’initié, de la diffusion de fausses informations et de la manipulation de cours ou d’indice.

Nos collègues de l’Assemblée nationale ont pris cette initiative six mois après le dépôt au Sénat de deux propositions de loi identiques sur le même sujet, par M. Claude Raynal et votre rapporteur. Nous ne pouvons que nous réjouir d’avoir largement inspiré ce texte, même si nous avons souhaité y apporter quelques améliorations.

Comme vous le savez, la réforme du système de répression des abus de marché ne peut plus attendre. En effet, les dispositions qui permettent aujourd’hui de sanctionner ces agissements ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 mars 2015, rendue à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité déposée dans le cadre de l’affaire EADS ; ces dispositions, ou du moins, celles qui sont relatives aux délits d’initié seront donc abrogées le 1er septembre prochain.

C’est en raison de cette urgence que la présente réforme a été dissociée du projet de loi dit « Sapin II », dans lequel il avait été envisagé, dans un premier temps, qu’elle trouve sa place.

Le Conseil constitutionnel reproche à notre système de permettre le cumul de poursuites devant l’AMF et devant le juge pénal, dans des conditions contraires au principe de nécessité des peines. Auparavant, dans son arrêt Grande Stevens de 2014, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné l’Italie, dont le système de répression des abus de marché est identique au nôtre, au nom du principe ne bis in idem.

Le texte que nous examinons aujourd’hui propose en matière d’abus de marché un aiguillage des poursuites fondé sur une concertation entre l’AMF et le Parquet national financier. Il écarte ainsi d’autres solutions, qui auraient pu être envisagées, telles que la dépénalisation, la suppression de la répression administrative ou encore la création d’une juridiction spéciale. Nous étions arrivés à la conclusion qu’une procédure d’aiguillage était la meilleure réponse au problème posé.

Par ailleurs, la décision d’orientation des poursuites découlera en première intention d’une concertation entre l’AMF et le Parquet national financier. Aucune des deux autorités ne pourra ainsi engager de poursuites sans que l’autre y consente.

La présente proposition de loi diffère cependant de nos propositions antérieures dans la manière de régler le cas d’un désaccord persistant entre l’AMF et le Parquet national financier.

Nous avions fait le choix de préconiser la création d’une instance neutre. Celle-ci, qui ne se serait réunie que dans les cas exceptionnels d’absence d’accord, aurait été composée à parité de magistrats du Conseil d’État et de la Cour de cassation, sur le modèle du Tribunal des conflits.

Postérieurement au dépôt de notre proposition, le Conseil d’État, interrogé par le Gouvernement, a toutefois indiqué qu’il n’y avait pas d’obstacle constitutionnel à prévoir le caractère prioritaire de la voie pénale sur la voie administrative et à subordonner par conséquent l’engagement de poursuites devant la commission des sanctions de l’AMF à l’accord du parquet. La présente proposition de loi confie donc le rôle d’arbitre au procureur général près la cour d’appel de Paris. Compte tenu de l’avis du Conseil d’État, mais aussi du consentement des acteurs concernés, que j’ai été amené à rencontrer, la commission des finances a choisi de se rallier à cette proposition.

Nous estimons néanmoins que le dispositif, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, peut encore être amélioré. C’est pourquoi, en collaboration avec la commission des lois, la commission des finances a modifié l’article 1er de la proposition de loi pour préciser la procédure de concertation et d’arbitrage afin d’en garantir la transparence, l’efficacité et la rapidité. Nous ne jugeons pas satisfaisant de renvoyer la détermination des modalités de cette procédure à un décret, d’autant que sont en cause à la fois des éléments de procédure pénale et les relations entre une autorité publique indépendante et l’autorité judiciaire.

Nous jugeons également qu’une répression plus efficace des abus de marché passera par une meilleure coopération, dès le stade de l’enquête, entre l’AMF et le parquet. Voilà pourquoi notre commission a ajouté un article 2 ter imposant à ces deux entités de s’informer mutuellement de l’ouverture d’une enquête et de coordonner leurs investigations.

Dans le même souci d’efficacité, nous avons modifié l’article 1er A pour autoriser le Parquet national financier à réaliser en cas de délit en bande organisée des écoutes téléphoniques, sous le contrôle, bien sûr, du juge des libertés et de la détention, et ce sans attendre l’ouverture d’une information judiciaire.

Afin de ne pas allonger les délais, la justice pénale devra recourir plus souvent à la citation directe devant le tribunal correctionnel ou au « plaider-coupable ». Le procureur de la République financier comme le président du tribunal de grande instance de Paris ont déclaré publiquement y être prêts.

Par souci de symétrie, la commission des finances a décidé, en adoptant un article 2 bis, d’élargir aux abus de marché la possibilité pour l’AMF de conclure des accords transactionnels. Nous avons également modifié l’article 4, pour que l’AMF puisse être représentée à l’audience du tribunal correctionnel lorsqu’elle a choisi de ne pas se porter partie civile.

J’en viens maintenant aux autres dispositions de la proposition de loi, qui visent à transposer la directive européenne et le règlement relatifs aux abus de marché, c’est-à-dire le paquet « MAD-MAR ».

Je rappelle que c’est sur l’initiative de notre commission et particulièrement de notre collègue Richard Yung, rapporteur en 2014 de la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dite « loi DDADUE », que le Parlement a refusé au Gouvernement l’autorisation de réaliser cette transposition par voie d’ordonnance.

Nous avions alors estimé que nous ne pouvions nous dessaisir de la transposition de ces textes qui conduisent à la refonte des dispositions incriminant les abus de marché, sur le plan tant pénal qu’administratif, et qui imposent aux États membres des plafonds minimaux de sanction.

En outre, il nous semblait nécessaire que cette transposition aille de pair avec la réforme du système de cumul des poursuites. La présente proposition de loi nous donne raison.

La fin du cumul des poursuites implique en effet que la voie pénale soit à la fois plus rapide et plus sévère : plus rapide, car les délais sont inacceptables, et plus sévère, car les peines de prison restent aujourd'hui théoriques et les montants des amendes relativement faibles – quelque 140 000 euros en moyenne par la juridiction pénale, contre plus d’un million d’euros par l’AMF.

Si elle ne correspond pas tout à fait à ce nous proposions, la nouvelle échelle des sanctions proposée nous semble globalement plus satisfaisante. En effet, les peines sont largement revues à la hausse. Il s’agit là du corollaire indispensable de la fin du cumul des poursuites et de l’aiguillage : il ne serait pas acceptable que les cas les plus graves soient orientés vers une voie répressive – le parquet, puis les tribunaux –, où ils seraient potentiellement moins sévèrement réprimés.

En conséquence, les peines d’emprisonnement sont relevées à cinq ans, contre deux ans actuellement, pour tous les abus de marché. Dans le même sens, les sanctions pécuniaires sont alignées sur celles qui sont prévues pour la voie administrative, soit un plafond de 100 millions d’euros.

Notre commission a simplement modifié l’article 1er A, afin de créer une circonstance aggravante si les faits sont commis en bande organisée, avec dix ans de prison à la clef, et de préciser le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales.

Au total, l’objectif de la présente réforme doit être double : une AMF confortée comme le régulateur et le garant du bon fonctionnement des marchés financiers ; une juridiction pénale renforcée et crédibilisée par des procédures plus rapides et des sanctions potentiellement plus sévères.

Compte tenu des nombreux points de convergence avec nos collègues députés sur ce double objectif, je ne doute pas, mes chers collègues, d’autant que les délais nous y contraignent, que nous parviendrons à un texte qui saura faire consensus.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat examine la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale réformant le système de répression des abus de marché transmise au fond à la commission des finances.

Pour sa part, la commission des lois a examiné pour avis les articles 1er, 2, 3, 4 et 5 du texte, visant à déterminer qui, entre l’Autorité des marchés financiers et le procureur de la République financier, sera chargé de conduire les poursuites en matière d’abus de marché, en cas de délit d’initié par exemple.

Ce travail législatif est rendu nécessaire et urgent à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 qui a élevé, au moins en l’espèce qui lui était soumise, au rang de principe constitutionnel la règle non bis in idem, selon laquelle on ne peut pas être poursuivi, jugé et puni deux fois pour les mêmes faits.

Le droit français comporte plusieurs régimes prévoyant pour la même personne et pour les mêmes faits le cumul de sanctions pénales et de sanctions administratives, infligées cumulativement par le juge pénal et par l’administration, cette dernière agissant le cas échéant par le biais d’une autorité administrative indépendante.

Le Conseil constitutionnel a rendu cette situation impossible pour certaines infractions entrant dans le champ de compétence de l’Autorité des marchés, en retenant comme essentielle la circonstance que le juge judiciaire intervient en qualité de voie de recours contre les sanctions prononcées dans certaines hypothèses par l’Autorité.

Toutefois, notre droit, lorsqu’il aura intégré les conséquences de cette décision, n’aura absolument pas terminé son évolution. En effet, l’application faite par la Cour européenne des droits de l’homme du protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui a été ratifié par la France et qui est afférent au principe non bis in idem, lui confère un domaine beaucoup plus large et d’application incontournable par la formulation de réserves.

Dans son avis, la commission des lois a répondu à l’impératif législatif résultant de la décision du Conseil constitutionnel, mais elle a également engagé les évolutions lui paraissant les plus urgentes, afin de parer à d’inévitables contentieux devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans un premier temps, la commission des lois et la commission des finances, dans un parfait travail commun, ont répondu aux exigences du Conseil constitutionnel en proposant, à l’article 1er, qui constitue l’essentiel de ce texte pour la commission des lois, une organisation précise et chronologique de la procédure. Ces dispositions permettront, conformément à la proposition de loi, qui ne remet pas en cause les compétences complémentaires du juge pénal et de l’Autorité des marchés financiers, d’instaurer en quelque sorte un mécanisme d’aiguillage au profit de l’intervention exclusive de l’une ou l’autre de ces autorités, sous l’arbitrage éventuel du procureur général près la cour d’appel de Paris.

Mes chers collègues, il est à noter que le texte qui vous est proposé, finalement très technique, a reçu, au moins au moment des auditions de la commission, l’accord du ministère des finances et de la chancellerie – à quelques réserves près, qui, me semble-t-il, ont été levées depuis lors ou qui pourront l’être tout à l’heure –, de Mme le procureur général de la cour d’appel de Paris, de Mme le procureur national financier et de l’Autorité des marchés financiers, ces dernières autorités étant les seules à mettre en œuvre le texte.

À l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi, qui doit être promulguée avant le 1er septembre 2016, date à laquelle les dispositions antérieures seront abrogées par la décision du Conseil constitutionnel, la commission des lois a proposé d’anticiper une prochaine décision du Conseil constitutionnel qui paraît inévitable : comme pour l’Autorité de la concurrence en 2015, le Conseil constitutionnel pourrait estimer contraire à la Constitution le recours aux « fadettes » par l’Autorité des marchés financiers selon la procédure actuelle. À cet effet, la commission a introduit dans le texte un article additionnel après l’article 1er.

Dans un second temps, la commission des lois soumettra à votre examen en séance publique des amendements visant à corriger un autre cas de cumul de poursuites, pénales et administratives, comparable à celui que je viens d’évoquer. Celui-ci intéresse les pratiques anticoncurrentielles cumulativement punies par des sanctions pénales et administratives, respectivement prononcées par le juge pénal et l’Autorité de la concurrence.

D’autres cas de cumul de sanctions pénales et administratives potentiellement problématiques au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et surtout de celle de la Cour européenne des droits de l’homme, nous conduiront immanquablement et rapidement à prendre des initiatives. Du reste, dans les prochaines semaines, les décisions du Conseil constitutionnel concernant deux questions prioritaires de constitutionnalité pourraient bien nous amener une nouvelle fois à légiférer dans l’urgence en matière de cumul de sanctions pénales et administratives, en l’espèce fiscales.

Ces amendements tendent par ailleurs à unifier devant le juge judiciaire l’examen des recours formés contre les sanctions prononcées par l’Autorité des marchés financiers, que ces sanctions concernent un professionnel ou une personne agissant à titre personnel.

Les dispositions soumises à vos débats et à vos votes, mes chers collègues, peuvent paraître très techniques. Il reste que le respect de dispositions fondamentales au regard des droits de l’homme n’est pas toujours assuré et que, en conséquence, la France risque une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme.

La commission des lois invite le Parlement tout entier à en être conscient et à agir dès à présent en adoptant la proposition de loi telle que nous l’avons amendée.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on serait tenté de croire que la répression exemplaire des abus qui font aujourd'hui l’objet de notre débat suffirait à rendre le marché irréprochable. Or, on le sait, les difficultés suscitées par la financiarisation de l’économie dépassent évidemment de très loin la question des délits boursiers.

Pour autant, cette question doit être traitée, avec d’autant plus d’empressement que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a cassé le mécanisme de poursuite de ces infractions, lequel reposait à la fois sur l’AMF et sur le parquet.

Ce débat présente un caractère juridique très pointu, articulant les grands principes fondamentaux du droit avec de récentes jurisprudences européennes. Il revêt également une dimension politique, du fait du conflit de légitimité entre les sanctions administratives, d’une part, et pénales, d’autre part, que le Conseil constitutionnel ne nous permet plus, en l’espèce, de superposer.

L’AMF, autorité administrative de régulation, est au plus près du fonctionnement du marché. Ses sanctions, pécuniaires ou disciplinaires, sont décidées par une commission largement composée de professionnels du secteur. Dans ce contexte, la sanction devient un aléa boursier parmi d’autres. C’est une variable de plus susceptible de s’imputer aux profits. De son côté, le Parquet national financier, avec sa lourde procédure pénale, ne s’inscrit pas dans le dynamisme du marché.

L’hypothèse d’une détention carcérale, même si le parquet, il faut bien le dire, n’en abuse pas, vient rappeler que toutes les fautes ne sont pas convertibles en pénalités, certaines pouvant valoir élimination de la partie.

Évidemment, cette dualité s’interprète différemment selon l’appréciation politique que l’on porte sur la contribution de la finance à notre économie. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, pour protéger le bien commun des excès de la finance, les écologistes considèrent qu’il vaut mieux compter sur la protection de la justice que sur l’autorégulation de la profession.

La commission des sanctions de l’AMF, décrite sur le site internet de l’Autorité, comprend douze membres, dont quatre sont des magistrats et huit des professionnels du secteur. Deux de ces huit professionnels sont recommandés par les syndicats de salariés et six par les organisations de sociétés cotées. Il est assez édifiant de constater que seuls ces six-là sont recrutés « en raison de leur compétence financière et juridique ». C’est révélateur d’une faible considération pour les syndicalistes. En outre, associer la compétence à la direction des entreprises dit assez bien l’absence de réels contre-pouvoirs, aujourd'hui, face à la sphère financière.

Seule Finance Watch, maigre organisation non gouvernementale, dispose d’une expertise financière de pointe sans pour autant défendre les intérêts des lobbys. À cet égard, il faut reconnaître à Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, le mérite d’avoir nommé au collège de l’AMF, qui comporte seize personnes, l’un des anciens secrétaires généraux de Finance Watch. Toutefois, on est encore assez loin d’un équilibre raisonnable.

En réponse aux interrogations, on entend souvent dire que les sanctions de l’AMF sont globalement plus sévères que celle du parquet financier. Il me semble que cette assertion mérite d’être nuancée, d’abord, parce que les chiffres dont on dispose sont des agrégats assez peu précis ; ensuite, parce que, la plupart du temps, le juge judiciaire tient évidemment compte de la sanction administrative précédemment appliquée ; enfin, parce que l’on dispose d’un contre-exemple qui, du fait de son ampleur, mérite que l’on s’y arrête.

En 2006, dans l’affaire EADS, plus de 4 milliards d’euros de titres ont été cédés par des actionnaires et des dirigeants, soupçonnés de délit d’initié. À la surprise générale, la commission des sanctions a écarté tous les griefs, contre l’avis de son rapporteur. Puis, alors que le juge estimait dans son ordonnance de renvoi que les faits étaient établis, est survenue la fameuse QPC qui nous occupe aujourd’hui.

Si la voie administrative n’est donc manifestement pas adaptée aux cas les plus importants, je n’en conclus pas pour autant qu’il faille judiciariser la moindre affaire. Pour les cas les moins graves, dans lesquels on peut imaginer que la maladresse a pu l’emporter sur la malveillance, la commission des sanctions a un rôle à jouer, le tout étant de trouver les bons critères d’aiguillage.

La pertinence du compromis porté, à quelques nuances près, par l’Assemblée nationale et le Sénat ne pourra bien entendu être évaluée qu’à l’usage. Toutefois, l’unité de vue qui semble prévaloir entre les deux juridictions concurrentes, l’AMF et le parquet, est de nature à nous rassurer, de même que le fait que l’arbitrage soit confié en dernier ressort à un procureur.

Le relèvement substantiel des sanctions pénales devrait également améliorer le caractère dissuasif de notre arsenal de peines et nous permettre de nous rapprocher des normes internationales.

J’en profite d’ailleurs pour saluer, une fois de plus, le travail remarquable effectué par notre commission des finances, en l’occurrence par M. le rapporteur général, et par notre collègue Claude Raynal, qui se sont saisis du problème très en amont. Je ne doute pas que, une fois le texte adopté, ils auront à cœur d’observer le fonctionnement du nouveau régime, ainsi que les résultats du mécanisme de transaction.

En attendant, il nous semble que, à ce stade, la version portée par le Sénat est plus précise sur les modalités de l’aiguillage et sur la nécessaire collaboration entre les deux instances.

Aussi, malgré les quelques réserves que j’ai exprimées, le groupe écologiste s’achemine vers un vote favorable de ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Éric Bocquet et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi, déposée par le groupe socialiste à l’Assemblée nationale, réformant le système de répression des abus de marché, en particulier les délits d’initié lors des opérations en bourse.

C’est un sujet passionnant, certes technique, mais de la plus haute importance, puisqu’il a trait à la fois à la régulation et à la moralisation de la vie économique.

Nous nous souvenons tous de la forte médiatisation d’affaires comme celle des stock-options d’EADS, évoquée à l’instant par notre collègue André Gattolin. Plusieurs cadres dirigeants et des anciens actionnaires du consortium aéronautique ont été mis en cause entre 2005 et 2006, alors que les retards de livraison de l’A380 avaient entraîné une chute du cours des actions.

On se souvient également du scandale mondial déclenché par l’affaire Enron, cette entreprise américaine de courtage en énergie qui, à la suite d’un délit d’initié massif, avait provoqué en 2001 la ruine de ses petits actionnaires.

Les abus de marché, qu’ils soient intentionnels ou non, qu’ils soient avérés ou non, suscitent toujours beaucoup d’intérêt et de réprobation dans l’opinion publique. La condamnation des responsables à des amendes lourdes, de plusieurs millions d’euros, voire à des peines d’emprisonnement, connaît toujours un très fort retentissement.

Cette proposition de loi vise à refondre le système français de répression des abus de marché, de façon à le mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015.

Dans cette décision, le juge constitutionnel a invalidé les dispositions en vigueur, qui autorisaient jusqu’ici le cumul des sanctions administratives et pénales des abus de marché. En vertu du principe juridique non bis in idem, hérité du droit romain et énoncé à l’article 4 du protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi dans le code pénal français, une personne ne peut être ni poursuivie ni punie deux fois pour les mêmes faits. De ce principe découle la remise en cause du cumul des modes de sanctions applicable jusqu’à présent.

Pour réformer le système de répression des abus de marché, les parlementaires de l’Assemblée nationale et de la commission des finances du Sénat ont décidé de conserver un système dual, avec une voie administrative, sous la houlette de l’Autorité des marchés financiers, et une voie judiciaire, sous la responsabilité du Parquet national financier institué en 2011. Afin d’éviter le cumul des deux, un mécanisme d’aiguillage est proposé, le procureur général près la cour d’appel de Paris étant chargé d’arbitrer en cas de conflit de compétence.

Dans la pratique, les amendes administratives se révèlent significativement plus élevées que les amendes pénales. Ainsi, le rapporteur a évoqué une moyenne d’un million d’euros pour les amendes administratives, contre seulement 140 000 euros pour les amendes pénales. Toutefois, seul le Parquet national financier peut requérir des peines d’emprisonnement, même si l’AMF peut se porter partie civile lorsque la voie judiciaire est retenue.

Dans les faits, la réforme aura pour conséquence de renforcer le pouvoir de l’AMF, en particulier de sa commission des sanctions, dans la mesure où le Parquet national financier ne pourra plus se saisir de toute affaire, comme c’est le cas actuellement.

En revanche, si la répression pénale est choisie, le texte prévoit d’associer l’AMF de plusieurs manières, en tant que partie civile ou auditrice. Cette asymétrie s’explique notamment par la différence de moyens entre l’AMF et le Parquet national financier. Forte d’un budget annuel de 80 millions d’euros et de près de 500 agents, l’Autorité des marchés financiers, en l’état actuel, est manifestement la seule à disposer des moyens nécessaires pour lutter efficacement contre les abus de marché, qui restent, nous le savons, difficiles à démontrer.

Ainsi, les enjeux liés à la régulation du trading à haute fréquence illustrent à quel point la question des moyens matériels et des capacités technologiques est essentielle pour permettre au régulateur d’assurer correctement ses missions et de réprimer les abus.

Comme la majorité des membres de mon groupe, j’approuve l’économie générale de cette proposition de loi. J’approuve également le relèvement des plafonds de sanctions pécuniaires et des peines d’emprisonnement, qui seront plus dissuasives qu’auparavant.

On peut toutefois regretter que la proposition de loi ait pour origine une décision pour le moins étonnante du juge constitutionnel, prise à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, ayant entraîné l’extinction des poursuites dans l’affaire EADS et laissé le grand public et les professionnels du secteur sur leur faim.

Par ailleurs, ce texte n’épuise pas la question du contrôle de l’organisation et de l’activité de l’AMF, autorité administrative dont la capacité et l’indépendance doivent être assurées en toutes circonstances, afin d’éviter sa « capture », comme on dit en théorie économique, par des acteurs malveillants.

Enfin, je rappelle l’importance, au moins d’un point de vue symbolique, de la répression pénale. La délinquance financière doit, si nécessaire, continuer d’être réprimée par cette voie. C’est une exigence citoyenne.

Ces remarques étant faites, j’ai le plaisir de confirmer que les membres du RDSE voteront très majoritairement en faveur de cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi réformant le système français de répression des abus de marché se caractérise par trois éléments : l’urgence à légiférer ; la nécessité de combler un vide juridique ; le consensus des dispositions proposées et l’accord des acteurs, notamment des deux principaux concernés, le Parquet national financier et l’Autorité des marchés financiers. Il faut s’en féliciter.

Ce texte est discuté dans l’urgence et sous une double contrainte temporelle. S’il est urgent de légiférer, c’est parce que cette proposition de loi, dont les dispositions faisaient à l’origine partie, monsieur le ministre, du projet de loi dit « Sapin II », répond à la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015. Le Conseil avait déclaré contraire à la Constitution les dispositions légales en vigueur. Si nous ne légiférons pas, l’ensemble du système répressif en matière d’abus de marché risque d’être inopérant à compter du 1er septembre 2016, date d’effet de la décision du Conseil constitutionnel. Il nous faut donc nous mettre en conformité avant cette date.

Les abus de marché, dont le plus connu est le délit d’initié, portent atteinte à la transparence des marchés boursiers et au bon fonctionnement des échanges qui s’y déroulent.

L’urgence est double, puisque ces mêmes dispositions doivent évoluer, afin d’être conformes aux dispositions de la directive européenne dite « MAD » et du règlement européen dit « MAR » du 16 avril 2014 relatifs aux abus de marché, leur transposition devant intervenir au plus tard le 3 juillet prochain.

La proposition de loi est donc essentielle : si les mesures législatives qu’elle contient n’étaient pas adoptées, notre pays prendrait le risque de créer un vide juridique fortement préjudiciable à la continuité de la lutte contre la délinquance financière. D’ordre technique, elle réforme le système français de répression des abus de marché, afin de mettre notre droit en conformité avec les jurisprudences tant constitutionnelle que conventionnelle. Il s’agit de permettre que les abus de marché continuent d’être poursuivis et jugés par la voie administrative ou pénale.

Compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel, le principal enjeu de la proposition de loi était de trouver la bonne articulation entre les procédures administratives et judiciaires en matière financière, afin de mettre notre droit en conformité avec les jurisprudences constitutionnelle et conventionnelle, tout en préservant l’efficacité du système existant.

Rappelons que tant la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Grande Stevens de mars 2014, que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 18 mars 2015, ont jugé contraire au principe non bis in idem de poursuivre et de sanctionner administrativement et pénalement une même personne pour un même fait en matière financière. Yvon Collin vient de rappeler le délit d’initié dans l’affaire EADS.

De fait, le système français dual de répression des abus de marché en vigueur, où coexistaient la procédure administrative de l’Autorité des marchés financiers et la procédure pénale du Parquet national financier, devait être modifié.

Ainsi, la proposition de loi vient actualiser les bases légales de répression des abus de marché en maintenant deux voies, administrative et pénale, de poursuite et de sanction, tout en évitant le cumul des poursuites. Tel était l’objet des décisions citées. Le choix a été fait, parmi plusieurs propositions, de maintenir deux procédures possibles, l’une pénale et l’autre administrative, pour réprimer les abus de marché, chacune d’entre elles ayant ses avantages et ayant fait la preuve d’une certaine efficacité, avec deux instances distinctes.

En outre, ce choix nous paraît la traduction d’un consensus entre les deux autorités concernées, l’AMF et le Parquet national financier, sur la procédure de concertation, sur le système d’aiguillage et d’arbitrage par le procureur général près la cour d’appel de Paris en cas de désaccord – M. le rapporteur général de la commission des finances l’a rappelé – en fonction des affaires à poursuivre et à juger, selon la qualité des auteurs, la nature, la gravité et les conséquences éventuelles des faits incriminés. L’idée est de réserver la voie pénale aux cas les plus graves, commis par exemple en état de récidive ou en bande organisée, et à partir d’un certain montant de préjudice.

Précisons que le système semble fonctionner, les deux autorités ayant opportunément déjà commencé à mettre en pratique ce système de concertation depuis la décision du Conseil constitutionnel.

Au-delà de la question juridique du cumul des poursuites liée à la jurisprudence constitutionnelle, la réforme du système de répression des abus de marché qui nous est proposée est l’occasion d’améliorer celui-ci par la transposition du paquet dit « MAD-MAR ». Ces dispositions européennes visent à « renforcer la répression pénale en matière d’abus de marché dans les États de l’Union européenne en établissant des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives ».

Utiliser ce véhicule législatif pour transposer la nouvelle directive et le nouveau règlement européens sur les abus de marché nous semble cohérent, puisque ces textes traitent du même corpus juridique et participent à l’amélioration du système répressif en matière d’abus de marché.

Ces textes européens refondent les périmètres des trois délits principaux en matière d’abus de marché, afin de les rendre plus précis et plus opérants. Ils uniformisent et renforcent également les sanctions administratives et pénales, puisque les délits seront désormais punis d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement, contre un ou deux ans aujourd'hui, et d’une sanction pécuniaire d’un montant égal à celui de la sanction administrative, soit 100 millions d’euros.

L’uniformisation de la qualification des délits et des sanctions pécuniaires administratives et pénales à laquelle procède ce texte permettra d’améliorer l’efficacité du système répressif. En outre, la transposition des textes européens permet de clarifier le champ d’application des délits et de l’étendre à l’ensemble des marchés, ainsi que de renforcer le dispositif répressif en créant des infractions autonomes.

Je salue bien sûr le travail des rapporteurs de la commission des finances et de la commission des lois. Leurs propositions de modifications – je pense notamment à la création d’une circonstance aggravante lorsque les délits boursiers sont commis en bande organisée – permettent d’accroître encore l’efficacité, la rapidité et la sévérité de la répression, en particulier pénale, des abus de marché.

Améliorer la coordination entre l’Autorité des marchés financiers et le Parquet national financier est nécessaire. Alourdir les sanctions de ces infractions qui faussent le marché l’est également. Nous approuvons ces dispositions dont l’objectif est d’assurer une répression effective, rapide et dissuasive de ces pratiques. C’est pourquoi le groupe UDI-UC votera cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mme Colette Mélot applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si un consensus semble se dessiner sur les objectifs généraux du texte que nous examinons cette après-midi, il nous semble nécessaire de revenir, dans un premier temps, sur l’origine de la proposition de loi.

Ce qui fonde pour l’essentiel la position du Conseil constitutionnel sur la question des délits ou manquements d’initié, c’est la distinction qu’il convient d’effectuer entre l’exercice du pouvoir administratif par une autorité indépendante définie par la loi, et d’ailleurs aussi par la logique européenne de fonctionnement des marchés financiers, et l’exercice du pouvoir pénal par le parquet financier, manifestation de la volonté générale.

Un boursicoteur sanctionné par l’Autorité des marchés financiers rend des comptes à ses pairs. Quand il rend des comptes à la société, il est renvoyé devant le parquet financier. Et comme nous devons résoudre le problème de la nécessité des délits et des peines, il s’agit aujourd’hui de définir les sanctions susceptibles d’être prises respectivement par l’Autorité des marchés financiers et par le Parquet national financier.

À ce travail d’aiguillage des procédures s’ajoutent évidemment, dans le texte de la commission des finances, un alourdissement du quantum des peines applicable aux abus de marché et une plus large mise en œuvre de la composition pénale, ce que les États-Unis appellent le « plaider-coupable » et ce que nous qualifions aujourd’hui de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ».

Je formulerai quelques remarques à ce stade de la discussion.

Tout d’abord, notre controverse constitutionnelle provient sans doute aussi du fait que, depuis quelques années maintenant, la régulation des activités financières est confiée à une autorité indépendante, en l’espèce l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, qui ne saurait être qualifiée et dotée des mêmes prérogatives qu’une administration organiquement liée à l’État.

Si la régulation des marchés était assurée directement par le ministère des finances, au travers d’une direction dédiée, les choses seraient sans doute plus simples. Le moindre délit d’initié serait déféré aux juridictions compétentes et tout serait certainement plus clair.

Ensuite, on peut se demander, dans la procédure d’aiguillage, quels seront les critères objectifs qui feront que tel dossier sera traité par l’AMF et tel autre transmis au parquet financier. Je m’en réfère ici au règlement intérieur de l’Autorité des marchés financiers et au code monétaire et financier.

Le présent texte règle la question du partage des tâches, laissant de fait au parquet financier le soin de traiter des affaires les plus consistantes portant sur les montants et les enjeux les plus significatifs, et à la commission des sanctions de l’Autorité celui de résoudre les affaires plus simples, plus « bénignes ».

Le constat doit cependant être fait du caractère pour le moins réduit des enquêtes réalisées comme des transmissions au parquet. De 2004 à 2014, l’Autorité des marchés financiers a ainsi diligenté 933 enquêtes dont seulement 228 ont conduit, sur ces dix années d’activité, à l’énonciation de griefs à l’encontre des prestataires de services d’investissement concernés.

Par ailleurs, quelque 183 affaires ont été transmises au parquet, dont l’essentiel avait déjà fait l’objet d’une sanction administrative de l’AMF.

La tendance générale est cependant à la décrue du nombre des dossiers transmis, puisque nous sommes passés de 20 à 25 affaires entre 2005 et 2008, à une moyenne de 11 à 13 dossiers au tournant de la décennie et désormais à 7 affaires pour l’exercice 2014, par exemple.

En dépit des considérations que nous pouvons avoir sur le texte dont nous débattons, nous pouvons aussi nous demander s’il viendra à s’appliquer de manière significative, une fois clarifiée la « procédure d’aiguillage » qui constitue le corps actuel de la proposition de loi.

S’agissant des sanctions pénales qui ont pu être prises par le passé, il convient de remarquer en général que, si les amendes peuvent se révéler relativement importantes, les peines de prison fermes sont quasiment absentes.

Ainsi, dans le dossier Universal, transmis en 2003, la décision initiale du tribunal correctionnel de Paris de janvier 2011 a conduit à la relaxe de trois des sept prévenus, les quatre autres étant l’objet de condamnations allant de quinze mois à trois ans de prison avec sursis, et à des amendes pécuniaires comprises entre 150 000 euros et 5 millions d’euros. Une décision réformée par l’appel interjeté devant la Cour d’appel de Paris qui, en mai 2014, a pratiquement divisé par deux le montant des amendes dues.

Dans le dossier Pechiney, transmis à l’automne 2007, il a fallu là encore attendre l’automne 2014 pour voir les auteurs de délit d’initié condamnés à des peines de prison avec sursis de neuf à dix-huit mois et à des amendes allant de 150 000 euros à 2, 5 millions d’euros. Je ne sais pas si cette affaire a fait l’objet d’un appel, mais il s’agissait ici de montrer quelques-unes des limites de la démarche inscrite dans la proposition de loi.

Nous nous demandons, cela dit, ce que pèsent les sanctions pécuniaires prises dans le dossier, soit 6 millions d’euros environ, au regard des sommes colossales mobilisées dans les différentes OPA connues par Pechiney et ce qu’il en restait au moment où le groupe a disparu des écrans radars en 2003…

Je dois avouer, au terme de cette intervention, qu’il faudrait sans aucun doute s’interroger sur la qualité des sanctions susceptibles d’être prononcées par l’Autorité des marchés financiers, notamment sur la fréquence des décisions conduisant à l’interdiction d’exercer toute activité de prestation de services d’investissement.

Soulignons une fois encore que l’indulgence relative, rendue possible par la composition pénale et administrative, constitue également une forme d’obstacle à l’expression pleine et entière du droit et de la sanction. De la même manière, nous pourrions nous interroger sur la nature même de l’Autorité de régulation de nos activités financières – notre collègue André Gattolin y a fait référence dans son intervention.

Cela dit, nous comprenons fort bien le sens de l’initiative prise par nos collègues de l’Assemblée nationale, une initiative dont nous nous doutons bien qu’elle a été en grande partie guidée de l’extérieur, faute d’avoir, en temps et en heure, un texte support d’origine gouvernementale susceptible d’accueillir les dispositions rendues nécessaires par le risque de « vide juridique » né de la décision du Conseil constitutionnel.

Afin de favoriser le consensus sur l’existant et de permettre de contourner la difficulté ainsi créée, le choix a donc été fait de s’en tenir à une nouvelle articulation des relations entre l’Autorité des marchés financiers, c'est-à-dire un démembrement de la personne publique, et le parquet financier, qui en constitue l’une des formes les plus évidentes.

Nous n’avons toutefois pas d’opposition majeure à considérer cette proposition, puisqu’elle permet de prolonger et de poursuivre l’action publique à l’encontre d’une certaine forme de délinquance financière, à savoir la délinquance boursière.

Nous estimons cependant qu’il conviendrait, à l’avenir, de nous poser la question de la nécessité de l’existence d’une autorité indépendante de régulation des marchés, comme de ses pouvoirs de sanction au regard des prérogatives du pouvoir judiciaire.

Après l’expression de ces réserves et considérant la nécessité d’avancer sur le sujet, nous apporterons un soutien vigilant et lucide à ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur une proposition de loi adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale ayant pour objet la réforme du système de répression des abus de marché.

Comme cela a été dit par notre collègue Montgolfier, la commission des finances a constitué une mission d’information sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers, dont les conclusions avaient fait l’objet d’une première proposition de loi déposée dans les mêmes termes par le rapporteur général et par moi-même.

Cet intérêt du législateur a pour origine, outre une demande forte de l’opinion publique, eu égard à la multiplication des scandales financiers et à la nécessité d’y répondre, une cause juridique. En effet, depuis plus d’un an, ces travaux parlementaires, rapports, propositions de loi, ont pour origine, cela a été dit, la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 remettant en cause le système actuel de cumul des poursuites pénales et administratives et demandant d’y mettre fin avant le 1er septembre 2016, cette inconstitutionnalité faisant alors écho à l’absence de conventionnalité, prononcée dès 2014, du dispositif actuel au regard de la jurisprudence Grande Stevens de la Cour européenne des droits de l’homme.

Ce faisant, cette proposition de loi doit aussi permettre une régulation du secteur financier efficace, adossée à un système de sanctions proportionnées et justes, dont la crise financière et, plus encore, la crise économique, sociale et budgétaire qui en a résulté ont montré l’impérieuse nécessité.

Il est clair que l’opinion publique attend une répression plus sévère et plus juste face à la répétition des scandales financiers, qu’il s’agisse des systèmes de Ponzi échafaudés par certains opérateurs, ou encore des manipulations de cours et d’indices mis en place par certains acteurs du marché, y compris au sein de la direction des plus grands établissements. En effet, au-delà du problème juridique créé par l’application du principe ne bis in idem aux infractions financières, l’actualité récente montre, s’il en était besoin, la nécessité de légiférer.

Face aux pratiques régulièrement mises à jour, la remise à plat de l’attribution des poursuites entre le juge judiciaire et l’AMF est un prérequis nécessaire, mais insuffisant à la répression effective de ces infractions. En effet, au-delà, l’augmentation du quantum des peines, y compris des peines privatives de liberté, afin d’en renforcer le caractère dissuasif, est sans doute la meilleure réponse à apporter à cette criminalité « en col blanc ».

En la matière, on ne peut que constater la différence entre les peines prononcées par la justice américaine, fortement médiatisées, qui peuvent atteindre plusieurs milliards de dollars, et le total des peines prononcées par le juge pénal et les régulateurs en France, qui ne dépasse pas quelques dizaines de millions d’euros. Cette situation repose sur plusieurs faiblesses de notre système répressif.

La première, la plus visible, est celle, comme nous venons de le dire, des sanctions applicables, trop faibles pour être dissuasives auprès des principaux établissements financiers, en particulier bancaires, et des grands émetteurs.

Une bonne régulation des opérateurs du secteur financier implique que les autorités en charge de cette régulation puissent réagir rapidement lorsque des dérives sont constatées, qu’elles soient en mesure de tracer une ligne entre les comportements acceptables et ceux qui ne le sont pas et, pour cela, qu’elles disposent de pouvoirs répressifs propres, débouchant sur des sanctions rapides et dissuasives.

À cette fin, il convient que les pénalités financières susceptibles d’être infligées soient mieux adaptées à la taille des opérateurs.

Dans cette perspective, la présente proposition de loi prévoit, et c’était nécessaire, une hausse du plafond des sanctions pécuniaires, notamment pour les abus de marché qui sont désormais punis d’une amende de 100 millions d’euros contre seulement 1, 5 million d’euros précédemment, ce montant pouvant être porté au décuple du montant de l’avantage retiré du délit ou des pertes qu’il a permis d’éviter. Les peines d’emprisonnement passent, elles, de deux à cinq ans. Il importe, en effet, que les sanctions pénales constituent une peine effective, afin de mieux répondre au principe de responsabilité qui doit s’appliquer aux acteurs du secteur financier.

La deuxième faiblesse tient au manque d’articulation entre les deux voies répressives en matière d’abus de marché, la voie administrative auprès de l’Autorité des marchés financiers, et la voie pénale auprès du Parquet national financier, créé en 2014.

Notre système actuel de double répression se caractérise, d’abord, par une coopération perfectible au stade des enquêtes, qui nuit au traitement des affaires. Il se manifeste ensuite, quelquefois, par une concurrence au stade des poursuites, où la plus rapide des deux voies – la voie administrative, le plus souvent – se prononce la première, le juge pénal n’intervenant en général que dans un second temps, au terme d’une longue procédure, comme pour compléter une sanction administrative préalable.

L’inefficacité de cette procédure est, enfin, mise en évidence par la faiblesse des pénalités financières prononcées, en raison de plafonds particulièrement bas, sans lien avec la surface financière des établissements concernés, et par l’absence de peines de prison fermes et effectives prononcées par le juge pénal.

La troisième faiblesse, qui fera l’objet de mesures spécifiques dans le projet de loi dit « Sapin II », ce dont je me félicite, tient à l’absence de mesures véritablement protectrices en faveur des « lanceurs d’alerte » qui ont signalé aux autorités de contrôle les infractions dont ils ont eu connaissance en tant que salariés d’entreprises du secteur financier. Ce sujet est majeur ; il doit impérativement être traité.

C’est au regard de ces constats que cette proposition de loi vise à changer le cadre organisant les poursuites, en passant de la compétition à la coopération entre autorités de poursuite. Ce changement de paradigme repose sur un principe simple : la transmission permanente d’informations en amont de la notification des griefs par l’AMF ou de la mise en mouvement de l’action publique par le parquet financier.

En effet, si le lancement de l’une de ces procédures interdit l’autre, c’est en amont de ces procédures que la transmission systématique d’information doit conduire à un consensus sur l’opportunité des poursuites par l’une ou l’autre entité, chacune d’elle étant en mesure, avant même l’ouverture de la procédure, de présenter des observations ou, en cas de désaccord, de bloquer sa mise en œuvre.

En cas d’échec de cette concertation entre l’AMF et le Parquet national financier, et afin de respecter le principe ne bis in idem, plusieurs pistes ont été envisagées, de la mise en place d’une instance d’appel neutre et paritaire sur le modèle du Tribunal des conflits, formule qui avait notre préférence, à une prédominance de l’autorité judiciaire.

Après avis du Conseil d’État, c’est finalement cette dernière solution qui a été retenue comme plus sûre juridiquement. En effet, il appartiendrait désormais au procureur général près la cour d’appel de Paris de trancher, par une décision définitive et insusceptible de recours, en cas de désaccord entre les autorités chargées de poursuites.

Cette proposition de loi est donc la bienvenue, avant tout parce qu’elle répond à une demande du juge constitutionnel et qu’elle évite de se retrouver sans texte applicable au 1er septembre prochain. Elle propose une méthode de travail à l’AMF et au procureur financier qui permet de répondre avec célérité et, nous le croyons, économie de moyens aux infractions constatées. Elle aligne les sanctions pénales pécuniaires sur des montants nettement plus dissuasifs pour les personnes physiques et morales concernées. Enfin, elle rend effectives les éventuelles sanctions pénales, privatives de liberté, prononcées.

Il nous reste donc, aujourd'hui, à nous prononcer sur quelques amendements qui sont, selon moi, plus de forme que de fond. En tout cas, s’il advenait que quelques difficultés subsistent à l’issue de nos travaux, je forme le vœu que la commission mixte paritaire dégage la meilleure écriture possible de la loi, évitant ainsi le recours à une deuxième lecture.

Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi à la fois nécessaire, utile et ambitieuse.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la présente proposition de loi fait suite à une évolution récente de la jurisprudence constitutionnelle et européenne.

Une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel considère, en effet, que certains comportements sont susceptibles à la fois de sanctions pénales et administratives.

Ce distinguo entre la nature pénale et la nature administrative des sanctions avait, jusqu’à présent, permis de contourner la règle non bis in idem, selon laquelle une personne ne peut être poursuivie deux fois pour un même fait, en l’espèce, à la fois par la voie répressive administrative et la voie répressive judiciaire. En effet, jusqu’à maintenant, seul le cumul de procédures pénales était proscrit. Le cumul d’une procédure de sanction pénale avec une procédure de sanction administrative ne tombait donc pas, selon la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1989, sous le coup de la règle non bis in idem.

Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme a récemment fait évoluer cette jurisprudence. Les juges européens, saisis d’un abus de marché commis en Italie, ont, dans l’arrêt Grande Stevens du 4 mars 2014, pris en considération la sévérité de la sanction administrative pour l’assimiler à une sanction pénale et conclure qu’il y avait violation par l’Italie de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme consacrant la règle non bis in idem.

Ainsi, pour la Cour européenne des droits de l’homme, il importe peu que l’autorité menant les poursuites ne soit pas un tribunal répressif. Dès lors que la sanction susceptible d’être prononcée par cette autorité est assimilable, de par sa sévérité, à une sanction pénale, il est impossible de mener de front, contre une même personne et pour les mêmes faits, une procédure pénale et une procédure administrative de sanction.

Cette interprétation nouvelle émanant du juge européen a conduit le juge constitutionnel à considérer, dans deux décisions du 18 mars 2015, que le cumul de poursuites dans les voies administratives et pénales pour la même opération d’initié était contraire aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines, ainsi qu’au droit au maintien des situations légales acquises.

Selon le Conseil constitutionnel, les similitudes entre la procédure pénale et la procédure administrative en cas de répression des abus de marché étaient telles que « les sanctions du délit d’initié et du manquement d’initié ne peuvent être regardées comme de nature différente ».

Le juge constitutionnel ne s’est prononcé que sur les infractions qui peuvent être poursuivies devant le régulateur boursier et devant le juge pénal, et uniquement sur les opérations d’initié. Il cherche ainsi à éviter tout risque de « contamination » vers d’autres contentieux, notamment fiscaux.

À la suite des décisions du Conseil constitutionnel de mars 2015, une mission d’information du Sénat sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers, conduite par nos excellents collègues Albéric de Montgolfier et Claude Raynal, au nom de la commission des finances, a publié ses conclusions en juin 2015. Celles-ci ont été reprises dans deux propositions de loi sénatoriales identiques, relatives à la répression des infractions financières, déposées en octobre 2015.

La commission des finances du Sénat a parallèlement commandé la réalisation d’une étude de législation comparée portant sur la prévention du cumul des sanctions administratives et des sanctions pénales en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

La proposition de loi de l’Assemblée nationale que nous examinons aujourd’hui fait donc écho à un travail approfondi de la commission des finances du Sénat.

Elle définit les règles de répartition et d’aiguillage de l’action publique contre les délits boursiers entre l’autorité de sanction judiciaire et l’autorité de sanction administrative. Comme l’a rappelé notre excellent collègue Albéric de Montgolfier, différentes options avaient été envisagées jusqu’à présent.

Le Parquet national financier défendait l’idée de privilégier les poursuites au pénal.

Le groupe de travail de l’Autorité des marchés financiers soutenait, quant à lui, après une concertation obligatoire d’une durée de deux mois entre le PNF et l’AMF pour favoriser l’allocation optimale des dossiers pouvant relever du juge pénal ou de l’AMF, l’idée de privilégier la voie administrative pour réprimer les atteintes au bon fonctionnement du marché et de réserver la voie pénale aux cas d’abus de marché les plus graves, c'est-à-dire ceux qui portent atteinte à l’ordre social et nécessitent, en conséquence, une peine privative de liberté.

Albéric de Montgolfier et Claude Raynal proposaient, pour leur part, un dispositif de concertation entre le PNF et l’AMF pour la répartition des affaires, qui se ferait au cas par cas, les affaires les plus graves étant réservées au pénal.

En cas d’échec persistant de cette concertation, les conflits d’attribution seraient tranchés, sur le modèle du Tribunal des conflits, par une instance extérieure, neutre et paritaire, composée à parité de magistrats du Conseil d’État et de la Cour de cassation.

La solution retenue dans la présente proposition de loi est une procédure de concertation entre le PNF et l’AMF en vue d’un avis conforme de cette dernière pour la mise en œuvre de l’action pénale par le procureur de la République financier. En cas de désaccord, un arbitrage est rendu dans les deux mois par le procureur général de la Cour d’appel de Paris.

Les procédures prévues pour manquement d’initié devant l’AMF et délit d’initié devant le juge pénal seront donc désormais exclusives l’une de l’autre. Ainsi, en cas de déclenchement des poursuites au pénal, il ne pourra y avoir de notification de griefs. Inversement, si l’AMF a déclenché une procédure, les juges devront s’abstenir.

La présente proposition de loi met également en conformité les incriminations en matière d’abus de marché avec la législation communautaire, notamment la directive européenne sur les abus de marché du 16 avril 2014.

La proposition de loi modifie ainsi les périmètres des trois délits principaux en matière d’abus de marché, qui sont désormais : l’opération d’initiés, la divulgation illicite d’information privilégiée et la manipulation de marché.

Les peines sont considérablement renforcées et, surtout, harmonisées entre les sanctions pécuniaires administrative et pénale. En effet, l’auteur d’un délit d’initié peut actuellement être puni par le juge pénal d’une peine de deux ans d’emprisonnement ou d’une dissolution pour une personne morale et d’une amende de 1, 5 million d’euros maximum, alors que l’auteur d’un manquement d’initié encourt une sanction pécuniaire d’une sévérité sans comparaison de la part de la commission des sanctions de l’AMF, jusqu’à 100 millions d’euros ou dix fois le montant des profits éventuellement réalisés.

Ainsi, sur les 182 dossiers d’abus de marché traités depuis la création de l’Autorité des marchés financiers en 2004, les sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions de l’AMF se sont élevées à 117 millions d’euros contre 2, 9 millions d’euros pour les sanctions pénales et aucune peine de prison ferme – seulement treize peines de prison avec sursis.

Désormais, les trois nouveaux délits seront tous punis d’une peine maximale portée à cinq ans d’emprisonnement et d’une sanction pécuniaire d’un montant égal à celui de la sanction administrative, à savoir 100 millions d’euros. Ces nouvelles incriminations seront dupliquées à l’identique sous forme de manquements administratifs. La responsabilité pénale des personnes morales n’a pas été modifiée.

La commission des finances du Sénat a, de manière unanime, adopté la présente proposition de loi, après avoir adopté quinze amendements de son rapporteur, Albéric de Montgolfier et quatre amendements du rapporteur pour avis de la commission des lois, François Pillet. Notre groupe tient à saluer la qualité de leur travail. Ils ont, en effet, utilement complété le texte de l’Assemblée nationale.

Concernant les nouvelles incriminations, la commission a précisé que le délit de fausse information porte non seulement sur les actifs, mais aussi sur la situation économique et financière des émetteurs. Concernant les sanctions pécuniaires, nous avons limité l’amende pour les personnes morales à 500 millions d’euros. Concernant les peines d’emprisonnement, nous avons instauré une peine de dix ans pour les délits commis en bande organisée.

Nous avons également autorisé des écoutes téléphoniques dans les cas de délits en bande organisée et précisé que le délai de concertation entre l’AMF et le PNF serait de deux mois et demi au maximum.

La commission a de surcroît prévu la possibilité de l’utilisation de la composition administrative par l’AMF. L’accord transactionnel est, en effet, une procédure plus rapide et efficace, mais aussi plus sévère.

Nous avons renforcé la coopération entre le PNF et l’AMF. Enfin, nous avons prévu la possibilité pour l’AMF d’être présente à l’audience si elle n’est pas partie civile, pour pouvoir éclairer le juge pénal sur des aspects techniques.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera en faveur de cette proposition de loi, telle qu’elle a été modifiée par notre commission des finances.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Monsieur le président, je tiens tout d'abord à dire que j’ai plaisir à participer à ce débat de grande qualité sous votre présidence. Un travail considérable a été réalisé par le Parlement, à l’Assemblée nationale, mais aussi au Sénat, qui n’a d'ailleurs pas attendu d’être saisi de cette proposition de loi.

À cet égard, je veux saluer les travaux du rapporteur général de la commission des finances et de M. Claude Raynal, qui ont œuvré dans le même sens, même si deux textes ont été déposés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le caractère à la fois élaboré et extrêmement constructif du travail qui a été le vôtre s’est traduit dans ce débat, et je tiens à en remercier vivement les uns et les autres. Avouez qu’il est rare pour le Gouvernement de savourer une juxtaposition d’approbations concernant un texte qu’il soutient, même si les motifs peuvent légèrement différer ! Comme quoi, sur des sujets d’intérêt général comme celui-là, il est possible de faire converger nos travaux et nos votes.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Il serait difficile d’invoquer cet article dans cette assemblée, monsieur le sénateur, comme chacun le sait !

Je ne reviendrai pas sur les enjeux, qui ont été parfaitement décrits, avec beaucoup de pertinence, par les uns et les autres. Chacun s’accorde à reconnaître la nécessité d’aller vite. La jurisprudence du Conseil constitutionnel nous oblige à agir de sorte que le dispositif soit susceptible d’être applicable à compter du 1er septembre prochain. Entre l’adoption du texte et sa mise en œuvre, un travail de préparation, éventuellement d’ordre réglementaire, est nécessaire, ce qui suppose que les délibérations soient les plus brèves possible. Je vous remercie de vous être pliés à cette urgence.

Je constate des différences entre le texte qui vous a été soumis et celui qu’a adopté votre commission, en particulier sur les articles les plus centraux. Je pense à l’article 1er organisant la juxtaposition, qui ne doit pas être une confrontation, entre le pouvoir administratif indépendant et le pouvoir judiciaire. J’exprimerai d'ailleurs très brièvement, pour ne pas retarder les débats, les désaccords éventuels du Gouvernement ou sa préférence pour le texte initial.

Quoi qu’il en soit, je ne vois rien qui puisse vous empêcher, au-delà de ces travaux plus précis et techniques, de converger avec les députés en commission mixte paritaire. J’ai senti de part et d’autre, quelles que soient les sensibilités politiques, une vraie volonté d’y parvenir, et je ne puis que vous encourager en ce sens, afin que nous puissions travailler dans les meilleures conditions ultérieurement. Je vous remercie donc encore de vos travaux préalables, de la qualité de l’ensemble de vos interventions et de la convergence de vos approbations.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

I. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Les articles L. 465-1 à L. 465-3 sont remplacés par des articles L. 465-1 à L. 465-3-5 ainsi rédigés :

« Art. L. 465-1. – I. – A. – Est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 100 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple du montant de l’avantage retiré du délit, sans que l’amende puisse être inférieure à cet avantage, le fait, par le directeur général, le président, un membre du directoire, le gérant, un membre du conseil d’administration ou un membre du conseil de surveillance d’un émetteur concerné par une information privilégiée ou par une personne qui exerce une fonction équivalente, par une personne disposant d’une information privilégiée concernant un émetteur au sein duquel elle détient une participation, par une personne disposant d’une information privilégiée à l’occasion de sa profession ou de ses fonctions ou à l’occasion de sa participation à la commission d’un crime ou d’un délit, ou par toute autre personne disposant d’une information privilégiée en connaissance de cause, de faire usage de cette information privilégiée en réalisant, pour elle-même ou pour autrui, soit directement, soit indirectement, une ou plusieurs opérations ou en annulant ou en modifiant un ou plusieurs ordres passés par cette même personne avant qu’elle ne détienne l’information privilégiée, sur les instruments financiers émis par cet émetteur ou sur les instruments financiers concernés par ces informations privilégiées.

« B. – Le simple fait qu’une personne dispose d’une information privilégiée n’est pas constitutif de l’infraction prévue au A, si son comportement est légitime au sens de l’article 9 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.

« C. – Au sens de la présente section, les mots : ‟information privilégiée” désignent les informations privilégiées au sens des 1 à 4 de l’article 7 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 précité.

« II. – La tentative de l’infraction prévue au I du présent article est punie des mêmes peines.

« Art. L. 465-2. – I. – Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par l’une des personnes mentionnées au même article L. 465-1, de recommander la réalisation d’une ou plusieurs opérations sur les instruments financiers auxquels l’information privilégiée se rapporte ou d’inciter à la réalisation de telles opérations sur le fondement de cette information privilégiée.

« II. – Constitue l’infraction prévue au A du I du même article L. 465-1 le fait, par toute personne, de faire usage de la recommandation ou de l’incitation mentionnée au I du présent article en sachant qu’elle est fondée sur une information privilégiée.

« III. – Constitue l’infraction prévue au I de l’article L. 465-3 le fait, par toute personne, de communiquer la recommandation ou l’incitation mentionnée au I du présent article en sachant qu’elle est fondée sur une information privilégiée.

« IV. – La tentative de l’infraction prévue au I du présent article est punie des mêmes peines.

« Art. L. 465-3. – I. – Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par une personne disposant d’une information privilégiée concernant un émetteur au sein duquel elle exerce les fonctions de directeur général, de président, de membre du directoire, de gérant, de membre du conseil d’administration, de membre du conseil de surveillance ou une fonction équivalente ou au sein duquel elle détient une information, par une personne disposant d’une information privilégiée à l’occasion de sa profession ou de ses fonctions ou à l’occasion de sa participation à la commission d’un crime ou d’un délit, ou par toute autre personne disposant d’une information privilégiée en connaissance de cause, de la communiquer à un tiers, à moins qu’elle ne prouve que cette communication intervient dans le cadre normal de sa profession ou de ses fonctions, y compris lorsqu’elle relève d’un sondage de marché effectué conformément aux 1 à 8 de l’article 11 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.

« II. – La tentative de l’infraction prévue au I du présent article est punie des mêmes peines.

« Art. L. 465-3-1. – I. – A. – Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par toute personne, de réaliser une opération, de passer un ordre ou d’adopter un comportement qui donne ou est susceptible de donner des indications trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier ou qui fixe ou est susceptible de fixer à un niveau anormal ou artificiel le cours d’un instrument financier.

« B. – Le A du présent I n’est pas applicable dans les cas où l’opération ou le comportement mentionné au présent I est fondé sur un motif légitime et est conforme à une pratique de marché admise, au sens du 9 du 1 de l’article 3 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.

« II. – Est également puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par toute personne, de réaliser une opération, de passer un ordre ou d’adopter un comportement qui affecte le cours d’un instrument financier, en ayant recours à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d’artifice.

« III. – La tentative des infractions prévues aux I et II du présent article est punie des mêmes peines.

« Art. L. 465 -3 -2. – I. – Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par toute personne, de diffuser, par tout moyen, des informations qui donnent des indications fausses ou trompeuses sur la situation ou les perspectives d’un émetteur ou sur l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier ou qui fixent ou sont susceptibles de fixer le cours d’un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel.

« II. – La tentative de l’infraction prévue au I du présent article est punie des mêmes peines.

« Art. L. 465 -3 -3. – I. – Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par toute personne :

« 1° De fournir ou de transmettre des données ou des informations fausses ou trompeuses utilisées pour calculer un indice de référence ou des informations de nature à fausser le cours d’un instrument financier ou d’un actif auquel est lié un tel indice ;

« 2° D’adopter tout autre comportement aboutissant à la manipulation du calcul d’un tel indice.

« Constitue un indice de référence tout taux, indice ou nombre mis à la disposition du public ou publié, qui est déterminé périodiquement ou régulièrement par application d’une formule ou sur la base de la valeur d’un ou de plusieurs actifs ou prix sous-jacents, y compris des estimations de prix, de taux d’intérêt ou d’autres valeurs réels ou estimés, ou des données d’enquêtes, et par référence auquel est déterminé le montant à verser au titre d’un instrument financier ou la valeur d’un instrument financier.

« II. – La tentative de l’infraction prévue au I du présent article est punie des mêmes peines.

« Art. L. 465 -3 -4. – I. – La présente section s’applique :

« 1° Aux instruments financiers négociés sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation a été présentée ;

« 2° Aux instruments financiers autres que ceux mentionnés au 1° dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur d’un instrument financier mentionné au même 1° ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur d’un instrument financier mentionné audit 1° ;

« 3° Aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement.

« II. – Les articles L. 465-3-1 et L. 465-3-2 du présent code s’appliquent également :

« 1° Aux contrats au comptant sur matières premières, au sens du 15 du 1 de l’article 3 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission, qui ne sont pas des produits énergétiques de gros, au sens du 4 de l’article 2 du règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie, lorsque l’opération, le comportement ou la diffusion a ou est susceptible d’avoir un effet sur le cours ou la valeur d’un instrument financier mentionné au I du présent article ;

« 2° Aux instruments financiers dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur d’un contrat au comptant sur matières premières, au sens du 15 du 1 de l’article 3 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 précité, lorsque l’opération, le comportement ou la diffusion a ou est susceptible d’avoir un effet sur le cours ou la valeur du contrat au comptant sur matières premières.

« III. – La présente section ne s’applique pas :

« 1° Aux opérations de rachat par les sociétés de leurs propres actions, au sens des articles L. 225-206 à L. 225-216 du code de commerce, lorsque ces opérations sont réalisées conformément aux 1 à 3 de l’article 5 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 précité ;

« 2° Aux opérations de stabilisation, au sens du d du 2 de l’article 3 du même règlement, portant sur les instruments financiers mentionnés aux a et b du même 2, lorsque ces opérations sont réalisées conformément aux 4 et 5 de l’article 5 dudit règlement ;

« 3° Aux opérations ou comportements mentionnés aux 1 à 4 de l’article 6 du même règlement.

« Art. L. 465 -3 -5. – I. - Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal, des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du présent code encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues à l’article 131-38 du code pénal, les peines prévues à l’article 131-39 du même code. Les modalités prévues à l’article 131-38 dudit code s’appliquent uniquement à l’amende exprimée en valeur absolue.

« L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 du même code porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise. » ;

« II (nouveau). – Les infractions prévues aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du présent code sont punies de dix ans d’emprisonnement et de 100 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple du montant de l’avantage retiré du délit, lorsqu’elles sont commises en bande organisée. »

2° À la fin de la seconde phrase de l’article L. 466-1, la référence : « de l’article L. 465-1 » est remplacée par les références : « des articles L. 465-1 à L. 465-3-3 » ;

3° Au premier alinéa de l’article L. 621-12, les références : «, L. 465-2 et L. 465-2-1 » sont remplacées par la référence : « à L. 465-3-3 » ;

4° Au troisième alinéa de l’article L. 621-17-7, les références : « de l’article L. 465-1 et du premier alinéa de l’article L. 465-2 » sont remplacées par les références : « des articles L. 465-1 à L. 465-3-1 » ;

II. - Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa de l’article 705-1, les références : «, L. 465-2 et L. 465-2-1 » sont remplacées par la référence : « à L. 465-3-3 » ;

2° (nouveau) Après le 3 °de l’article 706-1-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 4° Aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 lorsqu’ils sont commis en bande organisée. »

III

Non modifié

IV

Non modifié

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la suite de François Pillet, je voudrais insister sur le caractère quelque peu précurseur de ce texte. En effet, s’il aborde le problème particulier des délits de marché, il est annonciateur d’autres types de difficultés.

Je pense en premier lieu aux problèmes liés à l’apparition, puis à la multiplication des autorités administratives dites « indépendantes », en tout cas d’autorités dotées de pouvoirs de sanction.

On a voulu y voir un progrès. J’ai pour ma part la faiblesse de penser que leur développement introduit plutôt de la confusion. Nous en voyons un exemple – il n’est pas isolé – avec l’Autorité de la concurrence qui, en 2014, me semble-t-il, a quand même infligé un milliard d’euros de sanctions. Je ne porte aucune appréciation sur ces dernières, mais cela donne une idée du pouvoir de ce type d’institutions ! Nous devrons donc progressivement traiter les problèmes posés par ces hautes autorités et sans doute poursuivre la tentative de mise en ordre que nous voulions opérer.

Le deuxième problème me semble être le traitement particulier réservé aux infractions et aux délits à caractère financier, c’est-à-dire, in fine, l’institution d’une justice où l’on se juge entre soi, que l’on aurait qualifiée en d’autres temps de justice pour clercs.

Cette juxtaposition d’autorités et l’existence, dans nombre de domaines financiers, de ces juridictions ad hoc commencent vraiment à poser problème. Pour moi, il faut traiter les délits financiers comme on traite les autres délits. Ils font autant de dégâts que les autres, et se réfugier derrière la technicité n’est certainement pas ce que l’on peut faire de mieux.

Nous avons commencé par l’urgence, et cette proposition de loi permettra d’avancer, même si je n’approuve pas dans le détail toutes ses dispositions. Je prends date pour l’avenir, car je crois que nous serons de nouveau confrontés à ce type de problèmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Arnell, Castelli, Collin et Fortassin, Mme Jouve et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :

Alinéas 31 à 34

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Dans la rédaction proposée, le texte exempte de sanctions un certain nombre d’opérations qui, pour moi, méritent parfois d’être sanctionnées, notamment le rachat d’actions, une pratique dont on sait pertinemment qu’elle peut permettre un certain nombre de manipulations. Je ne vois donc pas pourquoi elle serait exonérée de la rigueur que l’on exige dans la conduite de toutes les autres opérations.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

À son grand regret, la commission est défavorable à cet amendement, pour une raison simple : ces exemptions, loin d’être le fruit de l’imagination de la commission, sont très précisément prévues par les articles 5 et 6 du règlement européen, qui est en principe d’application directe.

Faute de prévoir ces exemptions, notre texte ne serait donc pas conforme avec la réglementation européenne.

C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Même avis défavorable, pour les mêmes raisons.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Notre groupe soutiendra l’amendement présenté par notre collègue Pierre-Yves Collombat. Sans diaboliser les marchés financiers « sans visage et sans nom », ce texte a pour but de renforcer les sanctions et d’imposer un cadre plus strict. Or introduire des exemptions, c’est déjà affaiblir le droit de demain.

Pour illustrer la pertinence de cet amendement, je citerai un extrait du communiqué de l’AMF du 19 mai 2015, selon lequel « les abus de marché sont très rarement sanctionnés au pénal par une peine privative de liberté. Au total, au cours des dix dernières années, aucune peine de prison ferme n’a été prononcée ». De même, lors d’un colloque en 2013, un professeur de l’université de Panthéon-Assas, M. Hervé Synvet, déclarait : « Aux États-Unis, il y a un risque réel d’aller en prison, alors qu’en France c’est totalement théorique. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, j’apprends quelque chose qui me ravit ! Je savais déjà que le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne permettait pas d’interdire les paradis fiscaux – finalement, l’argent peut toujours circuler et les conditions requises pour harmoniser la fiscalité ne sont jamais réunies.

Et voilà que trafiquer le cours des marchés en rachetant ses actions, c’est absolument prévu par le règlement européen. Elle est magnifique, cette Europe ! Comment voulez-vous ensuite que l’on croie à la réalité des efforts qui seraient faits pour éviter l’évasion fiscale et moraliser les marchés ?

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Je veux vous rassurer, chers collègues. Les articles 5 et 6 du règlement européen concerné ne prévoient pas une exemption générale, mais des exemptions très précises, notamment en cas de notification préalable obligatoire.

L'amendement n'est pas adopté.

L'article 1 er A est adopté.

La section 1 du chapitre V du titre VI du livre IV du code monétaire et financier est complétée par un article L. 465-3-6 ainsi rédigé :

« Art. L. 465 -3 -6. – I. – Sans préjudice de l’article 6 du code de procédure pénale, le procureur de la République financier ne peut mettre en mouvement l’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section lorsque l’Autorité des marchés financiers a procédé à la notification des griefs pour les mêmes faits et à l’égard de la même personne en application de l’article L. 621-15 du présent code.

« L’Autorité des marchés financiers ne peut procéder à la notification des griefs à une personne à l’encontre de laquelle l’action publique a été mise en mouvement pour les mêmes faits par le procureur de la République financier pour l’application des peines prévues à la présente section.

« II. – Avant toute mise en mouvement de l’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section, le procureur de la République financier informe de son intention l’Autorité des marchés financiers. Celle-ci dispose d’un délai de deux mois pour lui faire connaître si elle souhaite procéder à la notification des griefs à la même personne pour les mêmes faits.

« Si l’Autorité des marchés financiers ne fait pas connaître, dans le délai imparti, son intention de procéder à la notification des griefs ou si elle fait connaître qu’elle ne souhaite pas y procéder, le procureur de la République financier peut mettre en mouvement l’action publique.

« Si l’Autorité des marchés financiers fait connaître son intention de procéder à la notification des griefs, le procureur de la République financier dispose d’un délai de quinze jours pour confirmer son intention de mettre en mouvement l’action publique et saisir le procureur général près la cour d’appel de Paris. À défaut, l’Autorité des marchés financiers peut procéder à la notification des griefs.

« III

« Si le procureur de la République financier ne fait pas connaître, dans le délai imparti, son intention de mettre en mouvement l’action publique ou s’il fait connaître qu’il ne souhaite pas y procéder, l’Autorité des marchés financiers peut procéder à la notification des griefs.

« Si le procureur de la République financier fait connaître son intention de mettre en mouvement l’action publique, l’Autorité des marchés financiers dispose d’un délai de quinze jours pour confirmer son intention de procéder à la notification des griefs et saisir le procureur général près la cour d’appel de Paris. À défaut, le procureur de la République financier peut mettre en mouvement l’action publique.

« IV

« V §(nouveau). – Dans le cadre des procédures prévues aux II et III, toute décision par laquelle l’Autorité des marchés financiers renonce à procéder à la notification des griefs et toute décision par laquelle le procureur de la République financier renonce à mettre en mouvement l’action publique est définitive et n’est pas susceptible de recours. Elle est versée au dossier de la procédure. L’absence de réponse de l’Autorité des marchés financiers et du procureur de la République financier dans les délais prévus aux mêmes II et III est définitive et n’est pas susceptible de recours.

« La décision du procureur général près la cour d’appel de Paris prévue au IV est définitive et n’est pas susceptible de recours. Elle est versée au dossier de la procédure.

« VI. – Les procédures prévues aux II à IV du présent article suspendent la prescription de l’action publique et de l’action de l’Autorité des marchés financiers pour les faits auxquels elles se rapportent.

« VII. – Par dérogation à l’article 85 du code de procédure pénale, une plainte avec constitution de partie civile pour des faits susceptibles de constituer un des délits mentionnés à la présente section n’est recevable qu’à condition que le procureur de la République financier ait la possibilité d’exercer les poursuites en application du présent article, et que la personne qui se prétend lésée justifie qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou depuis qu’elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. La prescription de l’action publique est suspendue, au profit de la victime, du dépôt de la plainte jusqu’à la réponse du procureur de la République financier, ou, au plus tard, une fois écoulé le délai de trois mois.

« VIII. – Par dérogation au premier alinéa de l’article 551 du code de procédure pénale, la citation visant les délits mentionnés à la présente section ne peut être délivrée qu’à la demande du procureur de la République financier à condition qu’il ait la possibilité d’exercer les poursuites en application du présent article.

« IX

« X. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et modalités d’application du présent article. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L’amendement n° 7, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

La section 1 du chapitre V du titre VI du livre IV du code monétaire et financier est complétée par un article L. 465-3-6 ainsi rédigé :

« Art. L. 465-3-6. – I. – Sans préjudice de l’article 6 du code de procédure pénale, l’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section s’éteint par la notification des griefs pour les mêmes faits et à l’égard de la même personne effectuée en application du I de l’article L. 621-15 du présent code.

« II. – L’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section ne peut être mise en mouvement par le procureur de la République financier qu’après concertation avec l’Autorité des marchés financiers, et accord de celle-ci. L’accord de l'Autorité des marchés financiers est définitif et n'est pas susceptible de recours. Il est versé au dossier de la procédure.

« III. – En l’absence d’accord, le procureur général près la cour d’appel de Paris autorise le procureur de la République financier à mettre en mouvement l’action publique, ou donne son accord à l’Autorité des marchés financiers pour procéder à la notification des griefs. Cette décision est rendue dans un délai de deux mois à compter de la saisine du procureur général près la cour d’appel de Paris par le procureur de la République financier ou par l’Autorité des marchés financiers. Elle est définitive et n’est pas susceptible de recours. Elle est versée au dossier de la procédure.

« IV. – Par dérogation à l’article 85 du code de procédure pénale, une plainte avec constitution de partie civile n’est recevable qu’à condition que le procureur de la République financier ait été autorisé à exercer les poursuites à l’issue de la procédure prévue aux II et III du présent article, et que la personne justifie qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou depuis qu’elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. La prescription de l’action publique est suspendue, au profit de la victime, du dépôt de la plainte jusqu’à la réponse du procureur de la République financier.

« V. – Par dérogation au premier alinéa de l’article 551 du code de procédure pénale, la citation visant les délits prévus aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du présent code ne peut être délivrée qu’à la requête du ministère public.

« VI. - Les procédures prévues aux II et III du présent article suspendent la prescription de l'action publique pour les faits auxquels elles se rapportent.

« VII. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et modalités d’application du présent article. »

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Nous sommes ici au cœur du nouveau dispositif qui a été élaboré. Je le répète, il n’y a pas de divergence de principe entre l’Assemblée nationale, le Gouvernement et le Sénat. Certaines préoccupations sont toutefois légèrement différentes, ce qui explique que le Gouvernement propose de revenir à la rédaction initiale de l’article, avant son examen par la commission du Sénat.

La nouvelle rédaction entre beaucoup plus dans le détail de la procédure que la rédaction initiale, qui s’attachait surtout à indiquer les principes de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui « l’aiguillage » : une phase de concertation, puis, en cas de désaccord, l’arbitrage du procureur général. Elle renvoyait ensuite à un décret en Conseil d’État le soin d’en préciser les modalités et les conditions d’application.

Au-delà de ces questions d’ordre formel, cette rédaction soulève également quelques difficultés de fond, auxquelles nous devrons être attentifs dans la suite des débats. En effet, votre proposition instaure un mécanisme dit « silence vaut accord », aux termes duquel le Parquet national financier ou l’AMF, en l’absence de réponse de l’AMF ou du Parquet national financier au bout de deux mois, pourra engager des poursuites.

Le Gouvernement estime que ce mécanisme est inadapté à une procédure de concertation entre deux institutions publiques et qu’il pourrait être préjudiciable à la bonne coopération entre elles.

C’est la raison pour laquelle, sur ce point aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement préférerait que vous en reveniez à la rédaction initiale du texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

La commission souhaite évidemment en rester à son texte, qui vise à améliorer la procédure de concertation et à la rendre plus opérationnelle.

Il me semble que le principe selon lequel le silence vaut acceptation a été posé récemment par le Président de la République, même s’il y a des exceptions.

Dans la pratique, nous faisons confiance à l’AMF et au PNF, qui vont appliquer ce texte. J’ai reçu le président de l’AMF et le procureur national financier : ils nous ont donné leur accord sur cette rédaction, considérant que la procédure fonctionnerait parfaitement.

D’ailleurs, dans une contribution écrite, Mme Houlette a bien voulu préciser que « la réécriture de la proposition de loi par le Sénat et les amendements proposés sont parfaitement adaptés au mécanisme de concertation voulu par le législateur entre l’Autorité des marchés financiers et le procureur de la République financier. Tous les problèmes sont traités et réglés avec intelligibilité ».

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

M. Michel Sapin, ministre. C’est trop !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Il en est de même de l’AMF, M. Rameix estimant que le dispositif fonctionnait parfaitement et que la réécriture du Sénat améliorait sans doute la rédaction de l’article 1er. Il ne faut donc pas s’inquiéter.

Quoi qu’il en soit, le fait que le silence vaille acceptation conduira les acteurs à s’entendre dans le délai voulu.

La commission émet donc un avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Sur ce texte, fruit d’un travail commun de la commission des finances et de la commission des lois, je veux à la fois vous alerter et vous rassurer, monsieur le ministre.

Vous évoquez le fait que l’action publique, pour l’application des peines, ne peut être mise en mouvement par le procureur de la République financier qu’après concertation avec l’Autorité des marchés financiers. Auparavant, vous envisagiez un avis conforme de sa part. À présent, vous prévoyez l’« accord de celle-ci ».

Le fait qu’une autorité administrative ou que l’administration conditionne ainsi l’engagement d’une action par le pouvoir judiciaire constituerait, me semble-t-il, une nouveauté assez révolutionnaire dans notre droit. Cela poserait, à mon sens, un problème au regard du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs. On pourra certes m’opposer le cas de la Commission des infractions fiscales, ce à quoi je répondrai que cette commission ne donne pas un accord, mais un avis, que ni l’administration ni le parquet ne sont obligés de suivre.

Dans votre texte, monsieur le ministre, vous voulez également indiquer sans ambiguïté que, lorsque l’AMF a notifié des griefs à une personne, l’action publique à l’égard de celle-ci et pour les mêmes faits est éteinte. Monsieur le ministre, sur ce point, je vous rassure : je suis parfaitement d’accord, comme en témoigne l’amendement purement rédactionnel que je proposerai tout à l’heure.

Quant aux délais introduits par la commission des finances, on ne peut guère reprocher au législateur de vouloir être précis et imposer des délais dans une procédure quasi pénale. Or, en matière pénale, c’est au législateur de fixer les termes et les développements de la procédure, contrairement à la procédure civile. Certes, je veux bien l’admettre, en l’espèce, ce n’est pas nettement une procédure pénale. Mais ce n’est sûrement pas une procédure civile, et c’est la raison pour laquelle les délais introduits par la commission doivent selon moi être maintenus.

Sur le principe « silence vaut accord », M. le rapporteur vous a répondu.

Enfin, pour vous rassurer définitivement, monsieur le ministre, je vous indique que dans toutes nos consultations, nous avons reçu l’accord enthousiaste – pour une fois, je peux le dire ! – de l’Autorité des marchés financiers, du procureur national financier et du procureur général près la cour d’appel, c’est-à-dire des autorités qui appliqueront ce texte. Ce dernier leur paraît plus applicable, ou en tout cas plus techniquement maîtrisé que celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale.

Toutefois, j’ai bien compris que vous n’étiez finalement pas opposé à ce que ce texte soit conservé, monsieur le ministre !

Sourires.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par MM. Collombat, Mézard, Arnell, Castelli, Collin et Fortassin, Mme Jouve et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 465-3-6. – I. – Sans préjudice de l’article 6 du code de procédure pénale, l’Autorité des marchés financiers ne peut procéder à la notification des griefs à une personne à l’encontre de laquelle l’action publique a été mise en mouvement pour les mêmes faits de la même personne en application de l’article L. 621-15 du présent code par le procureur de la République financier pour l’application des peines prévues à la présente section.

II. – Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

III. – Alinéa 6, première phrase

Supprimer les mots :

et saisir le procureur général près la cour d’appel de Paris

IV. – Alinéa 9

1° Première phrase

a) Remplacer les mots :

dispose d’un délai de quinze jours pour confirmer son intention de

par les mots :

n’est pas habilitée à

b) Supprimer les mots :

et saisir le procureur général près la cour d’appel de Paris

2° Seconde phrase

Supprimer cette phrase.

V. – Alinéas 10 et 12

Supprimer ces alinéas.

VI. – Alinéa 14

Supprimer cet alinéa.

VII. – Alinéa 15

Remplacer les mots :

la possibilité

par le mot :

décidé

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Je constate le primat du judiciaire sur l’administratif, mais tout cela est bien compliqué !

Je propose tout simplement que, après les concertations nécessaires, le procureur financier décide s’il y a lieu ou non de poursuivre. Cela réglerait aussi un problème de ce texte : dans certaines conditions, il ne peut pas y avoir de parties civiles, ce qui est un peu bizarre dans un État de droit.

Avec ma solution, le procureur sera enclin à poursuivre lorsqu’il sera saisi, et nous aurons donc un système beaucoup plus simple.

Pour conclure, je le répète, il n’est pas normal que les délits financiers soient considérés comme de simples fautes techniques. Ce sont des infractions très graves, dont les conséquences le sont tout autant, mais nous ne voulons pas le voir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L’amendement n° 2, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

A. – Alinéa 2, au début de cet alinéa

Supprimer les mots :

Sans préjudice de l’article 6 du code de procédure pénale,

B. – Après l’alinéa 15

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« VIII bis. – Sans préjudice de l’article 6 du code de procédure pénale, l’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section s’éteint, à l’issue des procédures prévues aux II à IV du présent article, par la notification des griefs par l’Autorité des marchés financiers pour les mêmes faits et à l’égard de la même personne en application de l’article L. 621-15 du présent code.

La parole est à M. le rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Il s'agit d’un amendement purement rédactionnel, dont les dispositions vont pleinement dans le sens des souhaits du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

L’économie du dispositif réside dans un aiguillage. Or, dès lors qu’il y a un aiguillage, il peut y avoir un désaccord, et il faut finalement désigner un arbitre.

Claude Raynal et moi-même avions initialement défendu une autre proposition, mais nous nous sommes ensuite ralliés à cette solution. Dans 99 % des cas, nous sommes convaincus qu’il n’y aura pas de désaccord persistant entre l’AMF et le PNF et que le dossier sera orienté soit vers l’AMF, soit vers le PNF. En cas de désaccord, nous proposons l’arbitrage de la cour d’appel.

L’amendement n° 5 rectifié bis vise à revenir sur l’économie du dispositif. Or il n'y a pas de crainte à avoir : les affaires les plus importantes, celles qui peuvent éventuellement être sanctionnées de peines d’emprisonnement ou de sanctions qui seront largement aggravées si nos amendements sont adoptés, feront sans doute l’objet de poursuites pénales.

Enfin, je le rappelle, ce dispositif a recueilli l’assentiment tant de l’AMF que du PNF – je vous ai rappelé les écrits de Mme Houlette. Ne soyons pas plus royalistes que le roi et n’allons pas au-devant de désidératas qui n’ont pas même été exprimés.

La commission émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 5 rectifié bis. En revanche, elle est bien entendu favorable à l’amendement n° 2, qui vise à améliorer encore la rédaction du texte.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Je ne puis que reprendre les arguments qui viennent d’être développés par le rapporteur général s’agissant de l’amendement n° 5 rectifié bis, monsieur Collombat. Nous pouvons bien entendu en approuver le principe, mais pas les modalités, qui apparaissent contradictoires et qui compliqueraient le dispositif.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Par ailleurs, je suis favorable à l’amendement n° 2, présenté par M. le rapporteur pour avis de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote sur l'amendement n° 5 rectifié bis.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Quand on voit ce qui s’est passé et ce qui continue de se passer, je vous trouve très optimistes. Croire que tout baigne et que toutes les petites et grosses malversations seront dûment sanctionnées, cela me paraît un peu fort !

L'amendement n’est pas adopté.

L’amendement n° 2 est adopté.

L’article 1 er est adopté.

La sous-section 3 de la section 4 du chapitre unique du titre II du livre VI du même code est ainsi modifiée :

1° La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 621-10 est supprimée ;

2° Après l’article L. 621-10-1, il est inséré un article L. 621-10-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 621 -10 -2. – Pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et des faits susceptibles d’être qualifiés de délit contre les biens et d’être sanctionnés par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers en application de l’article L. 621-15, le juge des libertés et de la détention peut, sur demande motivée du secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers, autoriser par ordonnance les enquêteurs de l’autorité à se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques en application de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et par les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et à en obtenir la copie. La demande d’autorisation comporte tous les éléments d’information en possession de l’autorité de nature à la justifier. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L’amendement n° 8, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Le Gouvernement n’est pas défavorable sur le fond à cet article, qui a pour objectif de sécuriser l’accès aux données de connexion des opérateurs téléphoniques lorsque ces opérations sont demandées par l’AMF. Le nombre de ces opérations réalisées sur demande de l’AMF est absolument considérable. Elles sont utiles à l’établissement des faits et permettent ensuite aux poursuites d’avoir lieu.

La volonté de la commission des finances de faire relever du droit commun la capacité de l’AMF d’avoir accès aux données de connexion des opérateurs téléphoniques paraît légitime. Toutefois, ce problème se pose aussi pour d’autres institutions outre l’AMF, et je préférerais vous faire une proposition ou agréer une proposition du Parlement qui concernerait l’ensemble des autorités ayant aujourd’hui besoin d’avoir accès aux données de connexion des opérateurs téléphoniques.

C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cette rédaction, qui ne me semble pas suffisamment large. Peut-être pourrions-nous continuer à réfléchir ensemble à la recherche d’une solution globale.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

La commission des finances est favorable à l’article 1er bis A, introduit par la commission des lois, et ne peut donc qu’être défavorable à l’amendement du Gouvernement, qui tend à revenir sur cette disposition.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Il fut un temps, très court, où l’Autorité des marchés et l’Autorité de la concurrence disposaient des mêmes droits d’accès aux données de connexion. Toutefois, le Conseil constitutionnel, saisi de la loi Macron, a indiqué que l’Autorité de la concurrence ne pouvait pas y avoir accès, car cela posait un problème au regard des libertés individuelles.

Or le texte sanctionné par le Conseil constitutionnel est exactement le même, à quelques mots près, que celui qui autorise actuellement l’Autorité des marchés à avoir recours à ces données de connexion. Ce qui vaut pour l’une de ces institutions vaudra sans doute pour l’autre et, lors d’une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité, ou QPC, certaines procédures actuellement pendantes devant l’Autorité des marchés dans lesquelles ont été utilisées les données de connexion risquent d’être déclarées inconstitutionnelles.

La commission des lois et la commission des finances proposent de mettre immédiatement un terme à cette insécurité juridique. Lors de nos auditions, nous avons reçu confirmation que les enquêtes de l’AMF sont extrêmement fragilisées par le risque de voir cette technique invalidée par le Conseil constitutionnel.

C’est la raison pour laquelle nous émettons un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement, qui, nonobstant les termes très mesurés employés par M. le ministre, vise à revenir sur cette proposition très responsable du Sénat.

C’est certain, monsieur le ministre, tout n’est pas réglé, mais, pour autant, il me semble que nous devons fortifier les prochaines décisions de l’AMF en adoptant le texte proposé par la commission des lois.

L'amendement n’est pas adopté.

L'article 1 er bis A est adopté.

I. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Le II de l’article L. 621-14 est ainsi modifié :

a)

b) Au troisième alinéa :

- les mots : « à l’alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « au premier alinéa du présent II » ;

- les mots : « cours ou la diffusion de fausses informations » sont remplacés par les mots : « marché et la divulgation illicite d’informations privilégiées mentionnées aux c et d du II de l’article L. 621-15 » ;

- après le mot : « financiers », sont insérés les mots : «, des unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » ;

- après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;

2° Les c et d du II de l’article L. 621-15 sont ainsi rédigés :

« c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l’étranger :

« 1° S’est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d’initié ou à une manipulation de marché, au sens des articles 8 ou 12 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE et 2004/72/CE de la Commission ;

« 2° A recommandé à une autre personne d’effectuer une opération d’initié, au sens de l’article 8 du même règlement, ou a incité une autre personne à effectuer une telle opération ;

« 3° S’est livrée à une divulgation illicite d’informations privilégiées, au sens de l’article 10 dudit règlement ;

« 4° Ou s’est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du II de l’article L. 621-14,

« dès lors que ces actes concernent :

« – un instrument financier ou une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement, négociés sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation situés sur le territoire français ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur de tels marchés a été présentée ;

« – un instrument financier ou une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement autres que ceux mentionnés à l’alinéa précédent dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur d’un instrument financier ou d’une unité mentionné au même alinéa précédent ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur d’un instrument financier ou une unité mentionné audit alinéa précédent ;

« – un contrat au comptant sur matières premières au sens du 1° du II de l’article L. 465-3-4 lorsque l’opération, le comportement ou la diffusion est de nature ou est destiné à avoir un effet sur le cours d’un instrument financier ou d’une unité mentionné au septième ou au huitième alinéa du présent c ;

« – un indice mentionné à l’article L. 465-3-3 ;

« d) Toute personne qui, sur le territoire français :

« 1° S’est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d’initié ou à une manipulation de marché, au sens des articles 8 ou 12 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 précité ;

« 2° A recommandé à une autre personne d’effectuer une opération d’initié, au sens de l’article 8 du même règlement, ou a incité une autre personne à effectuer une telle opération ;

« 3° S’est livrée à une divulgation illicite d’informations privilégiées, au sens de l’article 10 dudit règlement ;

« 4° Ou s’est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du II de l’article L. 621-14,

« dès lors que ces actes concernent :

« – un instrument financier ou une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement, négociés sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation d’un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’Espace économique européen ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur de tels marchés a été présentée ;

« – un instrument financier ou une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement autres que ceux mentionnés à l’alinéa précédent dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur d’un instrument financier ou d’une unité mentionné au même alinéa précédent ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur d’un instrument financier ou une unité mentionnés audit alinéa précédent ;

« – un contrat au comptant sur matières premières au sens du 1° du II de l’article L. 465-3-4 du présent code lorsque l’opération, le comportement ou la diffusion est de nature ou est destiné à avoir un effet sur le cours d’un instrument financier ou d’une unité mentionnés au septième ou au huitième alinéa du présent d ;

« - un instrument financier ou une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur d’un contrat au comptant sur matières premières mentionné au 2° du II de l’article L. 465-3-4 du présent code, lorsque l’opération, le comportement ou la diffusion a ou est susceptible d’avoir un effet sur le cours ou la valeur d’un contrat au comptant sur matières premières ;

« – un indice mentionné à l’article L. 465-3-3 ; ».

II. – Le 1° du I de l’article L. 465-3-4 du code monétaire et financier est ainsi rédigé :

« 1° Aux instruments financiers négociés sur une plate-forme de négociation ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur une plate-forme de négociation a été présentée ; ».

II bis (nouveau). – 1° Le septième alinéa du c du II de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant du I du présent article est ainsi rédigé :

« - un instrument financier ou une unité mentionnés à l’article L. 229-7 du code de l’environnement, négociés sur une plate-forme de négociation située sur le territoire français ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur une telle plate-forme de négociation a été présentée » ;

2° Le septième alinéa du d du II de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant du I du présent article est ainsi rédigé :

« – un instrument financier ou une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement, négociés sur une plate-forme de négociation d’un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’Espace économique européen ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur une telle plate-forme de négociation a été présentée ».

III

Non modifié

IV

– Le II et le II bis du présent article entrent en vigueur à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance prise en application de l’article 28 de la loi n° 2014-1662 du 30 décembre 2014 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière. –

Adopté.

La section 4 du chapitre unique du titre II du livre VI du code monétaire et financier est ainsi modifiée :

2° L’article L. 621-15-1 est abrogé ;

3° À l’article L. 621-17-3, les mots : « conformément aux articles L. 621-15-1 et » sont remplacés par les mots : « en application de l’article » ;

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L'amendement n° 9, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéas 2 à 5

Remplacer ces alinéas par sept alinéas ainsi rédigés :

1° L'article L. 621-15-1 est ainsi rédigé :

« Art. L. 621-15-1. - I. - L'Autorité des marchés financiers ne peut notifier de griefs aux personnes contre lesquelles, à raison des mêmes faits, l'action publique pour l'application des peines prévues à la section 1 du chapitre V du titre VI du livre IV a été mise en mouvement par le procureur de la République financier.

« II. - Les griefs relatifs à des faits susceptibles de constituer un des délits mentionnés aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 ne peuvent être notifiés qu'après concertation avec le procureur de la République financier et accord de celui-ci. L’accord du procureur de la République financier est définitif et n'est pas susceptible de recours. Il est versé au dossier de la procédure.

« III. - En l'absence d’accord, le III de l'article L. 465-3-6 est applicable.

« IV. - Les procédures prévues aux II et III du présent article suspendent la prescription mentionnée au I de l’article L.621-15 pour les faits auxquels elles se rapportent.

« V. - Un décret en Conseil d'État précise les conditions et modalités d'application du présent article. » ;

2° À l’article L. 621-17-3, les mots : « conformément aux » sont remplacés par les mots : « en application des »

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Compte tenu du rejet de l'amendement n° 7, je retire cet amendement, qui n’a plus d’objet, monsieur le président.

L'article 2 est adopté.

Au premier alinéa de l’article L. 621-14-1 du code monétaire et financier, les références : « a et b » sont remplacées par les références : « a à d ». –

Adopté.

La section 4 du chapitre unique du titre II du livre VI du code monétaire et financier est ainsi modifiée :

1° Au premier alinéa de l’article L. 621-20-4, le mot : « financier » est supprimé ;

2° Après la sous-section 7, est insérée une sous-section 7 bis ainsi rédigée :

« Sous-section 7 bis

« Coopération avec le procureur de la République financier

« Art. L. 621 -20 -5. - Le procureur de la République financier et l’Autorité des marchés financiers coopèrent entre eux. Ils se communiquent les renseignements utiles à l’accomplissement de leurs missions respectives dans les conditions prévues à la présente sous-section. Lorsqu’ils mènent une enquête ou un contrôle portant sur des mêmes faits, ils s’informent des actes d’enquête ou de contrôle qu’ils prévoient de réaliser et coordonnent leur action.

« Art. L. 621 -20 -6. - Avant la mise en mouvement de l’action publique, les procès-verbaux ou les rapports d’enquête ou toute autre pièce de la procédure pénale ayant un lien direct avec des faits susceptibles de constituer un manquement défini aux c et d du II de l’article L. 621-15 sont communiqués sans délai par le procureur de la République financier au secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers.

« Sous réserve de l’article L. 632-1 A, l’Autorité des marchés financiers communique sans délai au procureur de la République financier les procès-verbaux ou les rapports ou toute autre pièce recueillie ou établie dans le cadre d’une enquête ou d’un contrôle portant sur des faits susceptibles de constituer un délit mentionné aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3.

« Art. L. 621 -20 -7. - Dans le cadre d’une procédure pénale portant sur un délit mentionné aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3, le procureur de la République financier peut demander au secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers la réalisation d’expertises entrant dans le champ de compétence de cette dernière.

« Dans le cadre d’une enquête portant sur un manquement défini aux c et d du II de l’article L. 621-15, le secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers peut demander au procureur de la République financier la réalisation d’actes d’enquêtes judiciaires. Le procureur de la République financier peut refuser d’accéder à cette demande. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L’amendement n° 10, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

M. Michel Sapin, ministre. Je ne sais pas si j’aurai plus de succès avec cet amendement, mais, en tout cas, je salue la constance du Sénat.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

M. Gérard Longuet. C’est rare un gouvernement qui fait l’unanimité !

Nouveaux sourires.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Je la salue d'ailleurs aussi pour ce qui concerne le soutien global apporté à ce texte !

S’agissant de l’amendement n° 10, l’article 2 ter, introduit par la commission des finances du Sénat, vise à renforcer la coopération entre l’AMF et le parquet, ce qui part bien entendu d’un très bon sentiment.

Ce renforcement ne nous paraît toutefois pas nécessaire. La pratique démontre en effet que les dispositions déjà existantes en la matière posent un cadre satisfaisant d’échange d’informations, et la formalisation proposée risque de créer un déséquilibre entre les deux autorités, en donnant au parquet une forme de prééminence sur les enquêtes de l’AMF. Elle risque également de nuire à la qualité des enquêtes, qui requièrent le plus souvent d’agir dans la plus grande confidentialité et selon une stratégie propre à chacune des institutions en cause.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite supprimer l’article 2 ter.

Je sais que le débat se poursuivra, mais, sur des sujets aussi délicats, cet amendement de suppression me semble participer d’une forme de sagesse. Nous parlons en effet d’opérations qui peuvent avoir un effet sur les cours d’entreprises cotées si la confidentialité d’un certain nombre de données n’est pas préservée. Nous devons donc être très vigilants, et la procédure elle-même n’est pas neutre au regard de ce risque d’atteinte à la confidentialité.

Cela étant, la proposition du Gouvernement n’est absolument pas hostile. Au contraire, elle se veut constructive.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Le parquet serait-il moins respectueux du secret que l’AMF, monsieur le ministre ? Je ne le crois pas. Les équipes du PNF, comme celles de l’AMF, sont réduites et très techniques, et la confidentialité me semble parfaitement garantie. Au travers de cet article, nous avons souhaité renforcer la coopération et éviter tout enlisement.

Aujourd’hui, les choses se passent bien, notamment parce que le président de l’AMF et le procureur national financier s’entendent bien. Mais il peut être utile de prévoir dans la loi cette coopération au stade de l’enquête. Tel est le souhait de la commission.

Le risque de fuites ne nous paraît pas plus avéré pour le parquet que pour l’AMF. Ces deux institutions sont soumises aux mêmes règles strictes de secret.

Nous souhaitons donc en rester à la rédaction de la commission et émettons un avis défavorable sur cet amendement.

L'amendement n'est pas adopté.

L'article 2 ter est adopté.

(Non modifié)

À l’article L. 621-16 du même code, les mots : « les mêmes faits ou » sont supprimés. –

Adopté.

L’article L. 621-16-1 du même code est ainsi modifié :

À la première phrase, les références : «, L. 465-2 et L. 465-2-1 » sont remplacées par la référence : « à L. 465-3-3 » ;

2° La seconde phrase est ainsi rédigée :

« À défaut, le président de l’Autorité des marchés financiers ou son représentant peut être présent à l’audience de la juridiction saisie et peut déposer des conclusions et les développer oralement. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Longuet et Doligé, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Remplacer les mots :

peut être présent

par les mots :

est présent

La parole est à M. Gérard Longuet.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Cet amendement a pour objet de clarifier une situation qui pourrait être équivoque. Selon le texte de la commission, l’AMF peut être présente à l’audience. Pour ma part, je préfère que le texte prévoie que l’AMF y assiste. En effet, la décision de l’AMF d’assister à l’audience est une forme d’expression de conviction, qui peut nuire à l’objectivité de la décision du tribunal.

Je souhaite profondément que cette présence soit automatique. Certes, elle revêtira un caractère peut-être superfétatoire dans de nombreux cas, mais elle évitera de donner à l’audience le sentiment d’un engagement, positif ou négatif, de l’AMF au regard de l’action diligentée par le parquet. En effet, c’est le parquet qui a renvoyé devant l’audience correctionnelle les personnes soupçonnées d’abus, mais celles-ci ne sont jamais que soupçonnées.

C’est la raison pour laquelle je souhaite cette présence. J’ajoute que celle-ci peut permettre à l’AMF, à tout moment et à la demande du président du tribunal correctionnel, d’exprimer un point de vue technique, si besoin en est.

Je ne me ferai pas tuer pour cet amendement, mais je pense que le dispositif serait plus clair et plus neutre s’il était adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Je suis contraint de dire, monsieur le président, que telle était la position que j’avais initialement proposée… Par la suite, nous avons eu un débat, au sein de la commission, sur la question de savoir s’il fallait imposer une présence systématique de l’AMF au procès, ce qui peut constituer une obligation lourde.

À la réflexion, le nombre d’affaires qui seront traitées au pénal risque d’être réduit. Surtout, il serait paradoxal que, pour les affaires les plus graves – ce sont bien celles-là qui feront l’objet de poursuites pénales –, l’AMF, qui dispose de capacités techniques, ne soit pas systématiquement présente.

Je suis donc tiraillé et je m’en remets à la sagesse du Sénat, avec, vous l’aurez compris, mes chers collègues, une certaine bienveillance.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Il semblait au Gouvernement que les débats au sein de la commission des finances étaient, de façon en quelque sorte naturelle, empreints de sagesse ! En ne souhaitant pas adopter une rédaction comme celle que vous proposez, monsieur Longuet, elle faisait œuvre constructive.

Nous ne sommes certes pas dans de grands débats idéologiques. Nous cherchons, les uns et les autres, à être le plus efficace possible, mais il nous semble que rendre obligatoire la présence de l’AMF, comme vous le souhaitez, pourrait créer des situations finalement ambiguës.

En effet, l’AMF n’est pas une autorité de poursuite, puisque c’est la voie pénale qui aura été choisie. Elle ne représente pas les intérêts du marché dans son ensemble, puisqu’elle aura décidé de ne pas se constituer partie civile. Bien entendu, si elle se constitue partie civile, elle est présente de droit pendant l’ensemble de la procédure.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Elle n’est pas non plus une experte à la disposition de l’autorité judiciaire, de par son statut d’autorité administrative indépendante.

C’est la raison pour laquelle je préférerais que l’on maintienne le texte tel qu’il a été approuvé en commission des finances, plutôt que d’adopter votre amendement. Je le dis avec tout le respect que je dois au ministre que vous êtes.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

L'amendement est adopté.

L'article 4 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L’amendement n° 3, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 621-30 du même code est ainsi modifié :

1° Au début de cet article, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’examen des recours formés contre les sanctions prononcées par l’Autorité des marchés financiers est de la compétence de la cour d’appel de Paris. L’examen des recours formés contre les autres décisions individuelles de l’Autorité des marchés financiers est de la compétence du Conseil d’État lorsque ces décisions sont relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l’article L. 621-9 et de la compétence de la cour d’appel de Paris dans les autres cas. » ;

2° La première phrase du premier alinéa est supprimée.

La parole est à M. le rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Le présent amendement, particulièrement technique, vise à unifier, devant le juge judiciaire, l’examen des recours formés contre les sanctions prononcées par l’Autorité des marchés financiers, que ces sanctions concernent un professionnel des marchés financiers ou une personne agissant à titre personnel.

Actuellement, les sanctions qui sont infligées aux premiers relèvent, en appel et en dernier ressort, du Conseil d’État, tandis que celles qui sont infligées aux seconds relèvent de la cour d’appel de Paris, alors qu’il s’agit en pratique de faits absolument comparables. Ainsi, dans certains cas, une même affaire peut relever, en appel, de deux ordres de juridiction différents.

Aucun argument objectif solide ne justifie cette disparité de traitement juridictionnel. On peut même s’inquiéter de cette situation, puisque, pour la même affaire et les mêmes faits, on peut imaginer – ce n’est pas uniquement une hypothèse d’école – que le Conseil d’État donne une sanction forte et la cour d’appel une sanction faible, voire qu’elle relaxe les prévenus. Cela donnerait une image désastreuse de la justice.

Mes chers collègues, c’est la raison pour laquelle je vous propose cet amendement, dont les dispositions se placent sur un plan purement technique.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Le Gouvernement préférerait qu’on en reste à la répartition actuelle des compétences entre les deux ordres de juridiction et que les recours contre les sanctions prononcées par l’AMF se déroulent devant le Conseil d’État.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Sans argumenter à nouveau devant vous, il me semble naturel de maintenir cette autorité administrative dans le ressort du juge administratif. Il est vrai que, dans certains cas, l’ensemble des compétences a été unifié sous l’autorité du juge judiciaire ; je pense, en particulier et sauf erreur de ma part, à l’Autorité de la concurrence.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4.

I. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa de l’article L. 621-1 est ainsi modifié :

a) À la première phrase, après les mots : « instruments financiers », sont insérés les mots : «, les unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » ;

b) À la deuxième phrase, après le mot : « financiers », sont insérés les mots : «, d’unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » ;

c) Aux deux premières phrases, après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;

2° L’article L. 621-7 est ainsi modifié :

a) Au I, après les mots : « des instruments financiers », sont insérés les mots : «, des unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » et les mots : « qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations » sont supprimés ;

b) Au 6° du IV, après le mot : « sur », sont insérés les mots : « des unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ou » et sont ajoutés les mots : « du présent code » ;

c) Aux 1° et 6° du VII, après les mots : « instruments financiers », sont insérés les mots : «, unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » et, après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;

d) Le IX est ainsi modifié :

– au premier alinéa, après le mot : « concernant », sont insérés les mots : « des unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ou » et, après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;

– au second alinéa, après le mot : « financier », sont insérés les mots : «, à une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » et, après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;

3° La première phrase du second alinéa du I de l’article L. 621-9 est ainsi modifiée :

a) Après la seconde occurrence du mot : « financiers », sont insérés les mots : «, unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » ;

a bis) Après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;

b) À la fin, les mots : « qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations » sont supprimés ;

4° À la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 621-9-2, les deux occurrences des mots : « qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations » sont supprimées ;

5° À l’article L. 621-17-1, après le mot : « concernant », sont insérés les mots : « les unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ou » et, après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;

6° À l’article L. 621-17-3, les mots : « prévue à l’article L. 621-17-2 » sont remplacés par les mots : « ou la notification prévue à l’article 16 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission » ;

7° À l’article L. 621-17-5, la référence : « l’article L. 621-17-2 du présent code » est remplacée par la référence : « l’article 16 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission », après le mot : « déclarées », sont insérés les mots : « ou notifiées » et, après le mot : « déclaration », sont insérés les mots : « ou de la notification » ;

8° À la fin de la première phrase du premier alinéa de l’article L. 621-17-6, la référence : « l’article L. 621-17-2 » est remplacée par la référence : « l’article 16 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission » ;

9° Les deux premiers alinéas de l’article L. 621-17-7 sont ainsi rédigés :

« Concernant les opérations ayant fait l’objet de la déclaration ou de la notification mentionnée à l’article 16 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission, aucune poursuite fondée sur l’article 226-13 du code pénal ne peut être engagée contre les dirigeants et les préposés des personnes mentionnées à l’article 16 du même règlement qui, de bonne foi, ont effectué cette déclaration ou cette notification.

« Aucune action en responsabilité civile ne peut être engagée contre une personne mentionnée au même article 16, ses dirigeants ou ses préposés qui ont effectué de bonne foi cette déclaration ou cette notification. » ;

10° L’article L. 621-18-2 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa du I est ainsi rédigé :

« Sont communiquées par les personnes mentionnées aux a à c à l’Autorité des marchés financiers et rendues publiques par cette dernière, dans les conditions mentionnées par le règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission, les opérations mentionnées à l’article 19 du même règlement, lorsque ces opérations sont réalisées par : » ;

b) Le dernier alinéa du même I est ainsi rédigé :

« Le règlement général de l’Autorité des marchés financiers fixe le seuil au-dessus duquel les opérations doivent être communiquées et les modalités d’application de ce seuil. » ;

c) Les II et III sont abrogés ;

11° Les articles L. 621-17-2, L. 621-17-4 et L. 621-18-4 sont abrogés ;

11° bis À la fin du 3° de l’article L. 511-34, les mots : « opérations d’initié ou des manipulations de cours mentionnées à l’article L. 621-17-2 » sont remplacés par les mots : « abus de marché mentionnée à l’article 16 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission » ;

11° ter Au second alinéa de l’article L. 532-18 et au deuxième alinéa de l’article L. 532-18-1, la référence : « L. 621-17-2 » est remplacée par les références : « L. 621-17-3, L. 621-17-5 » ;

12° Le II de l’article L. 632-7 est ainsi modifié :

a) Le a est complété par les mots : « et d’unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » ;

b) Après le f, il est inséré un f bis ainsi rédigé :

« f bis ) Responsables de la régularité des opérations effectuées sur des contrats commerciaux relatifs à des marchandises liés à un ou plusieurs instruments financiers ; ».

II

Non modifié

– Le présent article entre en vigueur le 3 juillet 2016. –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L’amendement n° 4, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Après l’article 4 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 420-6 du code de commerce, il est inséré un article L. 420-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 420-6-1. – Par dérogation à l’article 121-2 du code pénal, l’article L. 420-6 du présent code n’est pas applicable aux personnes morales. »

La parole est à M. le rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Le présent amendement vise à apporter un début de cohérence à notre système, même si, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, nous aurons certainement à y revenir.

Cet amendement a pour objet de corriger un cas de cumul de poursuites et de sanctions pénales et administratives de même nature au sein d’un même ordre de juridiction, tout à fait comparable à celui que nous examinons aujourd’hui à l’occasion de cette proposition de loi.

En l’état du droit, certaines pratiques anticoncurrentielles prohibées par le code de commerce, comme les cartels ou les abus de position dominante, et commises par une personne morale peuvent être cumulativement punies par des sanctions pénales, prononcées par le juge pénal, et des sanctions administratives, prononcées par l’Autorité de la concurrence.

Conformément à une recommandation du rapport Coulon de 2008, nous vous invitons à corriger cette incohérence de notre système juridique, en écartant l’application des sanctions pénales pour les personnes morales.

Outre la cohérence dont je parlais, cette mesure pourra nous apporter de la sérénité pour l’avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Cet amendement, qui vise les pratiques anticoncurrentielles, a le mérite de poser la question du non bis in idem dans d’autres matières. Plusieurs secteurs pourraient, en fait, être concernés ; il existe, par exemple, des questions prioritaires de constitutionnalité en matière fiscale.

Ce sujet, qui est assez technique, est à la limite de l’objet de la proposition de loi. Nous souhaitons donc connaître l’avis du Gouvernement sur l’amendement.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Pour reprendre l’expression de M. le rapporteur, cet amendement est à la limite ou à la périphérie du texte.

Le Gouvernement souhaiterait que l’on conservât, là aussi, le cœur de la proposition de loi, qui répond à une question précise, celle qui a été posée par la décision du Conseil constitutionnel sur l’affaire EADS.

Il existe en effet d’autres cas, dans lesquels il faudra, peut-être, légiférer. Cela dépendra des décisions que le Conseil constitutionnel adoptera, dans un sens ou dans un autre. Et nous préférons laisser cet ensemble de questions en délibération, afin de tenir compte du contenu précis des décisions du Conseil, qui souhaitera certainement apporter, dans ses considérants, des indications suffisantes pour que, à l’avenir, nous ayons moins de problèmes dans l’application du principe non bis in idem.

C’est la raison pour laquelle, avec respect pour cette proposition et, plus encore, pour son auteur, le Gouvernement souhaiterait que cet amendement soit retiré.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Monsieur le rapporteur pour avis, l'amendement n° 4 est-il maintenu ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Les explications apportées par M. le ministre sont exactes, mais le Sénat est dans la position d’un guetteur, d’une sentinelle. En effet, des difficultés risquent en effet de se poser, si ce n’est auprès du Conseil constitutionnel, en tout cas devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Cela dit, ce point est peut-être moins urgent que ceux qui ont été traités dans l’après-midi, y compris au travers du dernier amendement que vous avez eu la justesse et la clairvoyance d’adopter, mes chers collègues.

C’est pourquoi je me rends aux explications M. le ministre. Nous aurons la possibilité de légiférer plus globalement, sur ce point et sur les autres. Et si ce mouvement ne venait pas du Gouvernement, je serais ravi que le Sénat en prenne l’initiative.

Je retire donc cet amendement, monsieur le président.

I. – La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.

II. – Le I des articles L. 744-12, L. 754-12 et L. 764-12 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° La référence : « et L. 465-2 » est remplacée par la référence : « à L. 465-3-6 » ;

2° Avant les mots : « sous réserve », sont insérés les mots : «, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché, ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L’amendement n° 11, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéas 2 à 4

Remplacer ces alinéas par 36 alinéas ainsi rédigés :

II. – Le livre VII du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° La section 3 du chapitre III du titre Ier est complétée par un article L. 713-… ainsi rédigé :

« Art. L. 713-… – I. – Sous réserve des adaptations prévues aux II, sont applicables à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna les dispositions du Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.

« II. – Pour l’application du I :

« 1° Les références à l'Union européenne et aux États membres sont remplacées par celles de la France ;

« 2° Les actes délégués de la Commission européenne ou les normes techniques adoptées par elle sur proposition de l'Autorité européenne des marchés financiers peuvent être rendus applicables par arrêté du ministre chargé de l'économie ;

« 3° Les dispositions relatives à la communication d'informations à l'Autorité européenne des marchés financiers ainsi qu’à l’Agence de coopération des régulateurs d’énergie et la coopération avec ces derniers ne sont pas applicables ;

« 4° Les dispositions relatives aux marchés de quotas d’émission ainsi que les références au Règlement (UE) n° 1031/2010 de la Commission du 12 novembre 2010 relatif au calendrier, à la gestion et aux autres aspects de la mise aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre, ne sont pas applicables ;

« 5° Les dispositions des articles 4, 13, 16, 17, 19, 22, 24, 25, 26 et 28 à 39 relatives aux pouvoirs de l'Autorité européenne des marchés financiers ne sont pas applicables. » ;

2° Les articles L. 744-12, L. 754-12 et L. 764-12 sont ainsi modifiés :

a) Le I est ainsi modifié :

- les références : «, L. 465-1 et L. 465-2 » sont remplacés par les références : « et L. 465-1 à L. 465-3-6 » ;

- sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les articles L. 465-1 à L. 465-3-6 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché.

« Pour l’application du premier alinéa, les références au code de commerce sont remplacées par les dispositions applicables localement ayant le même effet. » ;

b) Le II est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Pour l’application des articles L. 465-1 et L. 465-3-5, le montant : « 100 millions d’euros » est remplacé par le montant : « 11 933 millions de francs CFP » ;

« Pour l’application de l’article L. 465-3-4, la référence aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement n’est pas applicable. » ;

3° Les articles L. 744-13, L. 754-13 et L. 764-13 sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :

« L’article L. 466-1 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché. » ;

4° Au premier alinéa des articles L. 745-1-1, L. 755-1-1 et L. 765-1-1, les références : «, des 1°, 3° et 4° de l’article L. 511-34 » sont supprimées ;

5° Les articles L. 746-5, L. 756-5 et L. 766-5 sont ainsi modifiés :

a) Au premier alinéa du I, les références : « à L. 621-18-4 » sont remplacées par les références : « à L. 621-17-1-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5 à L. 621-18-3 » et la référence : « L. 621-20-3, » est remplacée par les références : « L. 621-20-3 à L. 621-20-7 » ;

b) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les articles L. 6211, L. 621-7, L. 621-9, L. 621-9-2, L. 621-10, L. 621-10-2, L. 621-12, L. 621-14, L. 621-14-1, L. 621-15, L. 621-15-1, L. 621-16, L. 621-16-1, L. 621-17-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5, L. 621-17-6, L. 621-17-7, L. 621-18-2 et L. 621-4 à L. 621-20-7 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché. » ;

c) Après le 3° du III, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« …°Pour l’application de l’article L. 621-10-2, la référence au code des postes et des communications électroniques est remplacée par la référence aux dispositions applicables localement ayant le même effet. » ;

6° Après le sixième alinéa des articles L. 746-5 et L. 756-5 et après le cinquième alinéa de l’article L. 766-5, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour l’application du premier alinéa, les références aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ne sont pas applicables. » ;

7° Les articles L. 746-8, L. 756-8 et L. 766-8 sont ainsi modifiés :

a) Au premier alinéa du I, après la référence : « L. 632-7 », sont insérés les mots : « à l’exception des g et h de son II ainsi que de son II bis » ;

b) Après le premier alinéa du I, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’article L. 632-7 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché. » ;

c) Le 4° du II est ainsi modifié :

- les mots : « Au III de » sont remplacés par le mot : « À » ;

- sont ajoutés les mots : « et les références aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ne sont pas applicables ».

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Mesdames, messieurs les sénateurs, cet amendement relativement long vise des sujets que vous avez l’habitude de traiter lorsque vous adoptez de nouvelles législations : application de ces dernières dans les territoires d’outre-mer qui ne font pas partie de l’Union européenne.

Il a pour objet de rendre applicable, dans ces territoires, les dispositions du règlement sur les abus de marché, afin que la prévention et la répression de ces abus puissent s’exercer, de la même manière, sur l’ensemble du territoire de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Le sous-amendement n° 12, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Amendement n° 11, alinéas 24 à 38

Remplacer ces alinéas par vingt-neuf alinéas ainsi rédigés :

5° Les articles L. 746-5 et L. 756-5 sont ainsi modifiés :

a) Au premier alinéa, les références : « à L. 621-18-4 » sont remplacées par les références : « à L. 621-17-1-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5 à L. 621-18-3 » et la référence : « L. 621-20-3, » est remplacée par les références : « L. 621-20-3 à L. 621-20-7 » ;

b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les articles L. 621-1, L. 621-7, L. 621-9, L. 621-9-2, L. 621-10, L. 621-10-2, L. 621-12, L. 621-14, L. 621-14-1, L. 621-15, L. 621-15-1, L. 621-16, L. 621-16-1, L. 621-17-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5, L. 621-17-6, L. 621-17-7, L. 621-18-2 et L. 621-20-4 à L. 621-20-7 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché. » ;

c) Après le sixième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour l’application du premier alinéa, les références aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ne sont pas applicables. » ;

d) Au début du septième alinéa, la mention : « II. – » est remplacée par la mention : « III. – » ;

e) Après le dix-huitième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 3°bis Pour l’application de l’article L. 621-10-2, la référence au code des postes et des communications électroniques est remplacée par la référence aux dispositions applicables localement ayant le même effet. » ;

f) Le 3° bis du II devient le 3° ter du II ;

6° L’article L. 766-5 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les références : « à L. 621-18-4 » sont remplacées par les références : « à L. 621-17-1-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5 à L. 621-18-3 » et la référence : « L. 621-20-3, » est remplacée par les références : « L. 621-20-3 à L. 621-20-7 » ;

b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les articles L. 621-1, L. 621-7, L. 621-9, L. 621-9-2, L. 621-10, L. 621-10-2, L. 621-12, L. 621-14, L. 621-14-1, L. 621-15, L. 621-15-1, L. 621-16, L. 621-16-1, L. 621-17-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5, L. 621-17-6, L. 621-17-7, L. 621-18-2 et L. 621-20-4 à L. 621-20-7 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché. » ;

c) Après le cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour l’application du premier alinéa, les références aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ne sont pas applicables. » ;

d) Après le dix-septième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 3°bis Pour l’application de l’article L. 621-10-2, la référence au code des postes et des communications électroniques est remplacée par la référence aux dispositions applicables localement ayant le même effet. »

e) Le 3° bis du II devient le 3° ter du II ;

7° Le quatorzième alinéa de l’article L. 756-5 et le treizième alinéa de l’article L. 766-5 sont ainsi modifiés :

a) Au début, est ajouté le signe : « “ » ;

b) Après le mot : « France », la fin est ainsi rédigée : « ” ; »

8° Les articles L. 746-8, L. 756-8 et L. 766-8 sont ainsi modifiés :

a) Au premier alinéa du I, après la référence : « L. 632-7 », sont insérés les mots : « à l’exception des g et h de son II ainsi que de son II bis » ;

b) Après le premier alinéa du I, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’article L. 632-7 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché. » ;

c) Le 4° du II est ainsi modifié :

- les mots : « Au III de » sont remplacés par le mot : « À » ;

- sont ajoutés les mots : « et les références aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ne sont pas applicables ».

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter ce sous-amendement et pour donner l’avis de la commission sur l'amendement n° 11.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Le sous-amendement n° 12 vise à corriger des erreurs de références présentes dans l’amendement.

Sous réserve de son adoption, la commission émet un avis favorable sur l’amendement n° 11 du Gouvernement, qui tend à procéder à des coordinations pour l’outre-mer.

Debut de section - Permalien
Michel Sapin, ministre

Le Gouvernement y est favorable et remercie la commission de sa vigilance.

Le sous-amendement est adopté.

L'amendement est adopté.

L'article 5 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché.

La proposition de loi est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (projet n° 484, texte de la commission n° 578 rectifié, rapport n° 577, avis n° 569).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que vous vous apprêtez à examiner en deuxième lecture s’inscrit dans une histoire législative.

Je ne peux pas ne pas penser, depuis cette tribune, à celles et ceux qui, ici même, il y a quarante ans, adoptèrent la première grande loi de protection de la nature. Cette loi de 1976, dont chacun reconnaît aujourd’hui les bienfaits, fut adoptée par de larges majorités dans les deux chambres. On aurait tort de croire, pour autant, que les débats qui se déroulèrent alors furent toujours empreints d’un esprit d’unanimisme béat.

Le chef de file du principal groupe de l’opposition parlementaire de l’époque avait apporté, je cite, « un soutien critique et, d’une certaine manière, désabusé » à un projet qu’il jugeait « trop timide pour être significatif ».

À l’inverse, un parlementaire de la majorité de l’époque s’était écrié : « Je suis affolé par la masse de règlements et d’interdictions que nous introduisons dans notre droit dans le souci de protéger la nature. » Il disait redouter que, je cite encore, « dans quelques siècles, les historiens puissent dire : “Ces hommes édictèrent librement une réglementation qui fit de leur génération la dernière qui pût agir en toute liberté” ».

À l’occasion des dix ans du vote de la loi, en 1986, le journal Le Monde écrivait : « Ceux qui la redoutaient le plus – industriels et aménageurs – la jugent aujourd’hui “excellente”. Ceux qui sont chargés de l’appliquer se disent “désarmés”. Quant aux protecteurs de la nature, qui plaçaient dans cette loi les plus grands espoirs, ils se partagent entre “déçus” et “impatients”. »

Pourtant, ensemble, nous allons célébrer, en juillet prochain, les quarante ans de cette loi, les quarante ans de ce que chacun s’accorde à considérer aujourd’hui, et à juste titre, comme une grande loi.

Si j’ai tenu à commencer par ce rappel ce propos introductif à l’examen du projet de loi qui va occuper nos prochaines journées et nuits, c’est qu’il me semble utile de replacer ce texte dans son contexte.

La loi de 1976 sur la protection de la nature, celle de 1993 sur les paysages, présentée, déjà, par Ségolène Royal, ont doté notre pays d’un arsenal législatif, qu’il convient aujourd’hui de compléter et d’adapter aux enjeux d’aujourd’hui.

La biodiversité est essentielle non seulement à notre qualité de vie, mais désormais, tout simplement, à la survie même de l’humanité.

Cette vie est la résultante de l’interaction entre les espèces : la conscience de l’importance des pollinisateurs, par exemple, s’est imposée dans le débat public, et nous devons nous en réjouir.

La diversité des espaces naturels concourt à l’équilibre de la planète : le débat sur le climat, par exemple, a mis en évidence l’importance des forêts et des zones humides pour les écosystèmes. Et chacun a bien conscience que cette biodiversité est menacée. Le rythme actuel de disparition des espèces animales et végétales est 100 à 1 000 fois supérieur au taux naturel d’extinction !

Notre action publique – ce projet de loi nous y invite – doit viser à lutter contre les facteurs qui menacent la biodiversité. Ces facteurs, on les connaît. Ils sont au nombre de cinq : la disparition des habitats et des milieux naturels dans lesquels les espèces évoluent ; la surexploitation des ressources ; les pollutions ; le développement d’espèces exotiques envahissantes ; le réchauffement climatique.

La biodiversité, c’est un enjeu pour la planète, mais également pour notre quotidien : elle conditionne notre santé, la qualité de notre alimentation, mais elle est également un facteur de développement économique. C’est pourquoi l’action publique ne doit pas seulement être défensive. Elle doit également favoriser le développement de l’économie de la biodiversité, parce que le génie écologique, c’est de l’emploi durable, non délocalisable et rentable.

Debut de section - Permalien
Barbara Pompili, secrétaire d'État

L’économie de la biodiversité, ce sont bientôt 40 000 emplois dans les parcs nationaux et régionaux et les aires marines protégées et plus de 150 000 emplois dans le secteur des jardins et des paysages.

Les activités fortement dépendantes de la biodiversité, comme la pêche, l’agriculture, la sylviculture et la première transformation pèsent 2 millions d’emplois en France. Les emplois indirects, induits par la protection et la valorisation de la biodiversité – par exemple, dans le tourisme, la filière du bois ou les cosmétiques – se chiffrent à près de 5 millions. Les travaux du dixième programme des agences de l’eau soutiennent près de 70 000 emplois.

En outre, soutenues par le plan d’investissements d’avenir, se développe, dans notre pays, un réseau de start-up et de PME qui sont à la pointe de l’ingénierie écologique dans le secteur du biomimétisme et de la bioinspiration. J’ajoute que la chimie verte, affranchie des hydrocarbures et qui mise sur la nature et sur l’industrialisation des bioprocédés, c’est l’avenir de la chimie française.

C’est tout cela, directement ou indirectement, par les cadres qu’il crée ou qu’il prévoit, par les synergies qu’il organise, dont il est question dans le projet de loi que vous examinez aujourd’hui. Et tout cela peut sembler consensuel. Dans les déplacements de terrain que j’effectue depuis quelques semaines, on me demande même parfois si c’est bien politique. Eh bien, ça l’est !

Tout d’abord, répondre à ces défis demande à adapter des comportements, à changer des habitudes, et cela par le dialogue, progressivement et en définissant des partenariats gagnants-gagnants. C’est ce à quoi s’emploie ce texte.

Ensuite, parce que ce projet de loi arrive en appui de décisions politiques concrètes, par exemple celles qui ont été prises pour l’interdiction de vente aux particuliers de pesticides nocifs ou pour les sacs plastiques, mais aussi en complément de décisions de soutien à l’investissement dans la recherche et l’innovation des entreprises.

Ce projet de loi s’inscrit ainsi dans une politique volontariste et cohérente, menée par Ségolène Royal à la tête du ministère de l’environnement. Enfin, ces questions sont des questions politiques, parce qu’y répondre impose de concilier des intérêts parfois divergents, de les faire converger et de résister à des intérêts puissants. Ces intérêts économiques ont toute leur légitimité : notre rôle, le vôtre, c’est de les entendre et de définir, au-delà, l’intérêt général.

On peut aussi se demander si les questions de biodiversité relèvent des pouvoirs nationaux. Et la tentation est grande de renvoyer un certain nombre de décisions à l’Union européenne.

Pour certains domaines, l’Europe est certes l’échelon pertinent, mais cette Europe a aussi besoin de pionniers. Sachons, sur les questions d’environnement, dès lors que nos décisions ne viennent pas, évidemment, mettre en danger la compétitivité de nos acteurs économiques, par les dispositifs que nous imaginons, par les structures que nous créons – je pense notamment à l’Agence française pour la biodiversité, dont le concept suscite un intérêt croissant hors de nos frontières –, oui, sachons faire de la France un pays pionnier.

En effet, pour la France, la biodiversité est aussi une question nationale, j’allais dire une question d’identité. Notre pays est l’un des plus riches au monde en merveilles de la nature, tout particulièrement dans les outre-mer, qui concentrent plus de 80 % de la biodiversité nationale.

Nous figurons parmi les dix pays du monde qui abritent le plus grand nombre d’espèces ; notre domaine maritime est le deuxième de la planète et nous sommes le quatrième pays au monde pour ses récifs coralliens.

Toutefois, nous sommes aussi au sixième rang des pays abritant le plus grand nombre d’espèces menacées. Nous avons donc une responsabilité particulière à assumer.

Cette responsabilité singulière et cette ambition que porte ce projet de loi viennent de loin, et Ségolène Royal a associé, lors de sa conception, de nombreux acteurs de la société civile : associations, ONG, usagers et gardiens de la nature, entreprises, etc. Cette volonté de coproduction a également prévalu lors des étapes précédentes de l’examen parlementaire du projet de loi.

Avant d’aborder les points qui restent à trancher et qui feront l’objet de cette deuxième lecture, je voudrais rappeler qu’une partie du projet a déjà été adoptée en termes identiques par les deux assemblées et que d’autres dispositions semblent avoir atteint, à l’issue des travaux de votre commission, un point d’équilibre qui devrait, sans difficulté, trouver l’assentiment de tous.

Ce socle constitue une fondation solide pour ce qui deviendra, à l’issue des débats parlementaires, la loi.

Je veux en premier lieu, évidemment, saluer le maintien de la vision dynamique de la biodiversité et de sa définition à l’article 1er. C’est essentiel, car cela permet d’identifier le défi qui est le nôtre de donner à voir la nature, non comme une sorte de juxtaposition d’espèces végétales et animales, mais dans sa dimension d’interactions. Mais c’est essentiel, aussi, parce que cela démontre la volonté du législateur de ne pas mettre la nature sous cloche, comme certains le craignent parfois.

Je salue également, même s’il conviendra sans doute de le préciser encore à la marge, le travail de votre commission des lois et de votre commission du développement durable sur la question de la réparation du préjudice écologique.

Nous avons là une avancée du droit, due à l’initiative du président Retailleau, qui permettra d’inscrire dans la loi la jurisprudence de l’Erika, donc de la sécuriser juridiquement, tout en garantissant aux acteurs économiques un cadre stable et clair.

J’aurais pu parler de la non-brevetabilité des gènes natifs – levier pour lutter contre le brevetage du vivant et la biopiraterie –, de la nouvelle gouvernance de l’eau – plus équilibrée pour les usagers non professionnels – ou du point d’équilibre proche sur le régime d’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation.

J’aurais aussi pu parler, de manière très concrète, du maintien de l’obligation, pour les centres commerciaux, de répondre à des critères environnementaux dans leurs nouveaux bâtiments : cela portera sur les sources d’énergie privilégiant le renouvelable, sur la végétalisation de toitures ou encore sur la perméabilité des sols.

Demeure en suspens la question du délai d’application, mais le principe semble désormais rencontrer un large assentiment.

J’ajoute, bien entendu, et c’est un point essentiel du projet de loi, que l’Agence française pour la biodiversité, l’AFB, est sur de bons rails. Le président de la République a garanti, dans le discours prononcé lors de la dernière conférence environnementale, que l’agence bénéficierait des moyens nécessaires à son action et annoncé un renforcement des moyens, notamment humains, qui seront mis à sa disposition.

Je rappelle que le Gouvernement a tenu à faire preuve, sur ce projet, d’une grande souplesse et d’un grand pragmatisme. J’assume le choix opéré de ne pas intégrer l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, dans l’Agence française pour la biodiversité, même s’il m’est souvent reproché, je ne vous le cache pas, lors des visites de terrain que j’effectue.

Debut de section - Permalien
Barbara Pompili, secrétaire d’État

Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. À l’évidence, les résistances et les préventions étaient trop fortes. Reconnaissons que les mariages forcés ne sont pas généralement les plus heureux !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Barbara Pompili, secrétaire d’État

Nous avons donc fait un pari : celui d’une collaboration fructueuse entre les agents, sur le terrain. Il me semblerait souhaitable que cet esprit, en retour, guide la suite de vos travaux et que le choix de ne pas scinder les polices administratives et judiciaires s’accompagne de la pleine préservation des missions actuellement assignées aux agents des établissements constitutifs de l’AFB.

C’est ce même pragmatisme qui prévaut pour l’organisation territoriale de l’agence et ses collaborations avec les collectivités. En effet, il serait paradoxal de défendre la biodiversité sans, dans le même temps, reconnaître la diversité des acteurs, des enjeux et des structures déjà existantes sur les divers territoires. Il s’agit de ne surtout pas imposer d’en haut un modèle unique qui ferait fi des spécificités territoriales.

Debut de section - Permalien
Barbara Pompili, secrétaire d’État

Il reviendra aux collectivités territoriales de s’emparer de cet outil, en fonction des entités en place et des sujets prioritaires, qu’il s’agisse de l’eau, du milieu maritime ou des espèces menacées.

L’outil est conçu pour être décliné à la carte, au rythme et en fonction des spécificités de chaque territoire. L’AFB aura des antennes sur tout le territoire et pourra monter des structures conjointes avec les régions, notamment via les établissements publics de coopération environnementale, les EPCE, en associant les départements qui le souhaitent.

Outre-mer, ces délégations territoriales pourront être créées à la demande de plusieurs collectivités. J’insiste sur ce point, car je sais que votre assemblée, par essence et par tempérament, est attachée à la liberté et à l’autonomie des territoires qui forment notre République. L’AFB, dans son fonctionnement sur le terrain, devra respecter pleinement nos territoires, et le texte que vous examinez aujourd’hui y concourra.

Un certain nombre de principes très importants et de dispositifs attendus font donc désormais consensus, ou sont très près de trouver un équilibre partagé, mais il ne faut pas oublier que seul le vote de la loi pourra leur donner une concrétisation réelle.

Je me réjouis par ailleurs que, sur un autre sujet de discussion lors de lectures précédentes du projet de loi – je veux parler de l’action de groupe sur les sujets environnementaux –, nous soyons parvenus à une proposition qui me semble répondre aux attentes. Nous en débattrons certes dans le cadre de l’examen d’un autre texte législatif, à savoir le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, mais ce qui compte, c’est que l’objectif soit atteint et la mesure rapidement effective. Les travaux que les assemblées avaient menés sur cette question dans le cadre du présent projet de loi trouveront donc un aboutissement concret, et c’est bien là l’essentiel.

Voilà pour l’acquis, ou presque, et ce n’est pas rien, mais de nombreux points restent également en suspens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte issu de votre commission, je vous le dis en toute franchise, comporte des remises en cause d’avancées qui avaient été actées lors de la première lecture dans votre assemblée et qui avaient pu être formulées avec davantage de précision lors de la seconde lecture à l’Assemblée nationale. C’est sur ces points qu’il nous faut donc désormais concentrer notre travail commun, avec la volonté, partagée je l’espère, d’aboutir à des équilibres crédibles, concrets et opérationnels.

Je n’en citerai ici que quelques-uns, que le rôle de notre discussion sera de détailler.

En effet, la remise en cause du principe de non-régression environnementale ou l’amoindrissement de la compensation des atteintes à la biodiversité sont de mauvais signaux. Je suis certaine que nous pourrons avancer sur ces points, dès lors que la volonté commune existera.

La question de la taxation de l’huile de palme, que votre assemblée avait intégrée en première lecture à un niveau extrêmement élevé, …

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Disons, à un niveau quelque peu exagéré !

Debut de section - Permalien
Barbara Pompili, secrétaire d’État

… j’allais dire excessivement élevé !

Cette question ne peut pour autant être balayée. Je rappelle que le texte issu de l’Assemblée nationale ne proposait rien d’autre que de revenir sur une niche fiscale assez incompréhensible au bénéfice de cette huile par rapport à l’huile d’olive importée.

M. Michel Raison proteste.

Debut de section - Permalien
Barbara Pompili, secrétaire d’État

Sa mise en œuvre progressive s’accompagnait d’un dispositif vertueux, puisque les huiles de palme certifiées durables auraient été exclues de son champ d’application. Un tel dispositif, introduit à l’Assemblée nationale par le Gouvernement, avait pour but d’accompagner un mouvement de fond, qui a vu en quelques années les huiles certifiées passer de 1 % à 21 % de la production mondiale, comme le note une récente étude du WWF.

Sur cette question également, remettons l’ouvrage sur le métier, car nos concitoyens expriment une attente forte. La solution qui avait été trouvée apportait une réponse pragmatique et concrète à un véritable enjeu de biodiversité à l’échelle de la planète et permettait à la France, comme je le disais tout à l’heure, d’être pionnière pour un sujet qui occupe tous les défenseurs de la biodiversité.

De même, sur la question sensible, et très présente dans les préoccupations de nos concitoyens, des produits néonicotinoïdes, je vous confirme que le Gouvernement est ouvert à la discussion pour rendre le principe d’interdiction, sur lequel l’Assemblée nationale s’était prononcée, pleinement opérationnel et crédible.

Toutefois, des visites que j’ai menées, je retiens la très forte mobilisation citoyenne sur cette question et les attentes des populations. Il convient donc de dessiner de manière pragmatique, sous le contrôle permanent de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, une trajectoire de sortie des néonicotinoïdes, incluant un accompagnement de nos agriculteurs dans de nouvelles pratiques alternatives.

Cela permettra de protéger les pollinisateurs indispensables à la production agricole, notamment fruitière, mais également de garantir l’attractivité des produits agricoles pour les consommateurs et, enfin, de préserver la santé de tous, en premier lieu celle des agriculteurs.

Nous avons donc du travail devant nous, et ce sera l’objet de ces trois jours de séance.

Je souhaite que l’état d’esprit qui préside à ces travaux soit marqué du sceau de la responsabilité. Je n’ignore pas que, depuis le début du mois de janvier dernier, nous sommes entrés dans un cycle politique particulier. Je n’ignore rien du contexte préélectoral dans lequel vous êtes amenés à légiférer

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Barbara Pompili, secrétaire d'État

… mais j’ai confiance dans votre volonté de ne pas en tenir compte dans vos délibérations.

Parce que nous agissons ensemble pour la génération qui vient et pour la nature que nous léguerons à nos enfants, et non en fonction d’une échéance de court terme, je fais confiance à la sagesse du Sénat pour ne pas céder à de petits calculs politiciens qui ne seraient conformes ni à la tradition de votre assemblée ni à l’esprit qui avait guidé vos travaux en janvier dernier.

M. Joël Labbé applaudit. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

En matière de calculs politiciens, les écologistes s’y connaissent !

Debut de section - Permalien
Barbara Pompili, secrétaire d'État

Vous pouvez faire confiance au Gouvernement, qui souhaite bâtir avec vous une loi partagée, équilibrée, expression d’une coproduction législative et non de la suprématie d’une assemblée sur l’autre, mais soyez également conscients de notre détermination à faire que ce texte soit réellement ambitieux, réellement opérationnel et réellement à la hauteur des enjeux que j’évoquais au début de mon propos.

Je commençais cette intervention en vous parlant de la loi de 1976, qui fut le fruit d’un consensus. Personne ne s’en souvient comme de la loi Fosset, ou Granet : c’est la loi de la République tout simplement, et une grande loi de la République.

C’est au même exercice que nous sommes appelés aujourd’hui. Je vous appelle à faire de ce projet de loi non la loi d’une ministre, encore moins celle d’une secrétaire d’État, mais la loi de la France, la loi d’une France exemplaire sur les questions écologiques, d’une France qui aura su entraîner le monde dans un accord historique sur le climat et en tirer la conséquence dans sa transition énergétique, d’une France moteur des actions internationales sur la biodiversité, qui prendra toute sa place dans la COP sur la biodiversité de Mexico à la fin de l’année et qui aura su tirer les conséquences de cet engagement dans son droit interne en adoptant le texte sur lequel nous allons désormais ensemble travailler.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bignon

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous commençons aujourd’hui la deuxième lecture du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Je souhaite tout d’abord me réjouir du temps dont nous avons disposé pour examiner ce texte, puisque nous avons eu deux lectures, la procédure accélérée n’ayant pas été engagée. Cela devient rare, suffisamment en tout cas pour être noté ! Certains points du texte font d’ailleurs aujourd’hui, selon moi, l’objet d’un équilibre réaliste et intelligent, vous l’avez noté, madame la secrétaire d’État, et je crois que c’est grâce aux vertus de la procédure normale d’examen du texte.

Plus de deux ans se sont écoulés depuis l’adoption du projet de loi par le conseil des ministres, en mars 2014. Le projet de loi initial comportait 72 articles et, après en avoir compté 160 à l’issue de la première lecture au Sénat, il n’en comprend plus aujourd’hui que 102, qui sont soumis à notre discussion. Vous l’avez compris, un certain nombre d’articles ont fait l’objet d’un accord entre les deux assemblées et se trouvent ainsi « fermés », pour reprendre une expression de notre jargon.

Un mot sur les travaux de la commission, qui s’est réunie mardi et mercredi derniers pour adopter son texte. Le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale montre que celle-ci a réellement fait un pas dans notre direction et témoigne d’une volonté de trouver des compromis constructifs. Le Sénat avait d’ailleurs déjà adopté la même démarche en première lecture. L’Assemblée nationale a ainsi adopté 58 articles conformes à la rédaction issue des travaux du Sénat, c’est-à-dire plus du tiers.

Elle a également conservé un grand nombre de dispositions nouvelles insérées par le Sénat. Je citerai, par exemple, la ratification du protocole de Nagoya, l’équilibre trouvé pour les instances de gouvernance de la biodiversité, et notamment la composition du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité, ou encore la suppression de l’interdiction de la chasse à la glu et de la chasse aux mammifères en période de dépendance et de reproduction. Ces apports du Sénat ont été entérinés par l’Assemblée nationale et sont désormais acquis.

Au sein de la commission, nous avons continué à travailler dans le même état d’esprit, puisque, la semaine dernière, nous avons adopté 142 amendements sur les 323 que nous avons examinés. Notre objectif a été de conserver les priorités qui étaient déjà les nôtres en première lecture.

Tout d’abord, nous avons réaffirmé la volonté de concilier tous les usages de la nature avec les activités économiques présentes sur le territoire, sans faire primer l’un sur un autre ou renforcer l’un au détriment d’un autre.

Notre deuxième priorité consiste à simplifier autant que possible, conformément d'ailleurs au souhait du président du Sénat. Il s’agit de veiller à ne pas ajouter des contraintes excessives aux différents acteurs sur les territoires ni des lourdeurs administratives inutiles. Cette priorité revendiquée par le président du Sénat l’est également par de nombreux membres du groupe auquel j’appartiens.

La troisième priorité est un engagement complet en faveur d’une nouvelle approche de la biodiversité, plus moderne, résiliente, mouvante, changeante, dynamique et dont nos outre-mer offrent l’exemple le plus magnifique. La biodiversité y est d’une richesse incomparable : elle est source d’atouts et d’innovations dans des secteurs variés comme l’économie, la recherche ou encore la santé ; mais elle est aussi en danger, en régression souvent, et victime de l’action des hommes.

Sur le fond de ce que nous avons adopté la semaine dernière, je voudrais m’arrêter un instant sur l’article 2 bis, qui inscrit le préjudice écologique dans le code civil et constitue, je le pense, la plus grande avancée permise par l’ensemble du projet de loi, la vraie révolution juridique qui fera avancer la protection de la nature et la protection de nos sites naturels.

Je ne voudrais pas que l’on oublie que c’est le Sénat qui aura permis cette immense avancée. C’est le Sénat, souvent taxé de conservatisme, qui fait preuve d’audace et de modernité en remettant le préjudice écologique sur la table, trois ans après l’avoir déjà adopté à l’unanimité, alors que l’Assemblée nationale comme le Gouvernement n’avaient pas beaucoup bougé sur ce sujet.

Nous avons adopté en commission une série d’amendements présentés par la commission des lois saisie pour avis, sur l’initiative de son rapporteur, Alain Anziani, qui n’est pas présent aujourd’hui, mais que je tiens à saluer. Nous avons pu réaliser un excellent travail ensemble et je me réjouis de pouvoir vous le présenter dans les heures qui viennent.

J’avais également déposé des amendements identiques, afin de bien montrer qu’ils résultaient d’un travail commun, comme nous en étions convenus en séance en première lecture, et toujours en lien avec le président Retailleau, auteur de la proposition de loi originelle de 2013, dont Alain Anziani avait été le rapporteur. Nous avons mené ensemble dix-sept auditions et sommes parvenus à une rédaction qui, si elle n’est peut-être pas encore parfaite, consolide réellement, je le crois, le nouveau régime introduit.

En quelques mots, nous avons souhaité simplifier le dispositif en veillant à sa bonne articulation avec le droit commun de la responsabilité civile, garantir l’efficacité de la réparation et veiller à sa bonne application dans le temps. Notre commission des lois, qui est composée d’excellents juristes et présidée par un conseiller d’État, a voté à l’unanimité les amendements présentés par Alain Anziani et moi-même. Je ne m’étends pas davantage, car nous aurons l’occasion d’y revenir pendant nos débats.

Concernant le reste du projet de loi, sur le titre Ier, la commission a, de manière pragmatique, opéré quelques modifications, afin de rendre le texte plus lisible, surtout sur les principes introduits dans le code de l’environnement. Nous ne sommes pas encore complètement sûrs de leur portée, ce qui suscite des réticences.

À l’article 3 ter, nous avons conforté le rôle essentiel du Muséum national d’histoire naturelle dans la conception, la mise à jour et la diffusion de l’inventaire du patrimoine naturel.

Sur le titre II, l’Assemblée nationale ayant validé l’essentiel de l’équilibre que nous avons adopté en première lecture, nous avons seulement supprimé l’article 7 ter A, qui prévoit un rapport sur les recettes de la part départementale de la taxe d’aménagement destinée à financer les espaces naturels sensibles.

Au titre III, relatif à l’Agence française pour la biodiversité, dont vous avez longuement parlé, madame la secrétaire d'État, nous avons réintroduit la mission d’appui technique à l’évaluation des dommages agricoles et forestiers causés par les espèces animales protégées et nous avons adopté un amendement de notre collègue Jean-Noël Cardoux et du groupe socialiste et républicain prévoyant que les missions de police seront exercées par l’agence et l’ONCFS, dans le cadre d’unités communes, sous l’autorité d’un directeur commun, nommé par les directeurs des établissements concernés. J’ai compris que nous aurions l’occasion d’en reparler.

Au titre III bis, nous avons entériné la réforme des comités de bassin et de la composition des conseils d’administration des agences de l’eau introduite à l’Assemblée nationale, mais qui ne sera effective qu’au prochain renouvellement des instances, c’est-à-dire en 2020, pour ne pas créer de perturbation pour ces dernières.

En revanche, nous avons substitué des règles de déontologie au régime d’incompatibilité que l’Assemblée nationale souhaitait mettre en place pour les membres de ces conseils d’administration, ce qui revenait, selon moi, à nier l’esprit même de la gouvernance de l’eau en France. De nombreuses professions appliquent des règles de déontologie, les membres des agences de l’eau peuvent donc parfaitement en faire autant.

Au titre IV, nous avons sécurisé juridiquement le dispositif d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages, ou APA, en supprimant les références aux « communautés autochtones et locales », pour les remplacer par la notion de « communauté d’habitants », sans vouloir heurter la fierté légitime de nos collègues ultramarins, mais simplement pour éviter tout risque d’inconstitutionnalité et éviter à ces communautés de perdre le bénéfice de l’APA.

Nous avons rétabli la procédure, supprimée par les députés, d’accès et de partage des avantages pour les ressources génétiques et les connaissances traditionnelles associées, qui étaient déjà en collection avant l’entrée en vigueur de la loi et qui feraient l’objet d’une utilisation ultérieure.

Sur l’initiative de Sophie Primas, nous avons également rétabli la rédaction du Sénat concernant les motifs pour lesquels l’administration pourra refuser une autorisation pour l’accès à une ressource génétique.

Au titre V, la commission a supprimé, sur l’initiative de notre collègue Catherine Deroche, la contribution additionnelle sur les huiles de palme, de palmiste et de coprah, considérant qu’elle créerait des difficultés commerciales et diplomatiques disproportionnées par rapport aux buts poursuivis, en particulier au regard des règles de l’Organisation mondiale du commerce – cet élément nous avait échappé lors de la première lecture –, et qu’une réforme plus globale et cohérente de la taxation des huiles devait plutôt être débattue dans une loi de finances. J’ajoute qu’une mission d’information sur la taxation des produits agroalimentaires est en cours à l’Assemblée nationale.

La commission a également modifié l’article 32, relatif aux établissements publics de coopération environnementale, les EPCE, en vue d’élargir leurs missions à toute action visant à préserver la biodiversité et d’associer des établissements publics locaux à leur création et à leur gestion, notamment afin de permettre aux offices de l’eau des territoires ultramarins de participer à la gouvernance de ces établissements. Nous donnons ainsi un coup d’accélérateur à la création de ce nouveau type d’établissement public.

La commission a rétabli l’article 32 bis BA, adopté au Sénat, visant à permettre l’incorporation au domaine public des terrains acquis au titre de la politique des espaces naturels sensibles. Elle a aussi clarifié le dispositif de compensation prévu par l’article 33 A et a supprimé l’obligation d’agrément préalable des opérateurs de compensation, afin d’encourager cette activité et, surtout, de la simplifier, en évitant la création d’une de ces usines à gaz que notre pays ne connaît que trop.

Elle a rétabli plusieurs dispositions que nous avions adoptées en première lecture sur le mécanisme d’obligations réelles environnementales, notamment sur le point de la concertation préalable.

Elle a aussi supprimé l’article 34, créant des zones prioritaires pour la biodiversité, comme en première lecture. À l’occasion d’un déplacement en Alsace, en compagnie de plusieurs collègues, j’ai pu constater que cet outil, certes intéressant d’un point de vue intellectuel, n’était pas efficace pour assurer la survie du grand hamster d’Alsace, alors que les agriculteurs nous ont montré que d’autres moyens plus pertinents fonctionnaient sur le terrain.

De même, la commission a supprimé l’article 36 quater, relatif aux espaces de continuités écologiques, dans la mesure où le code de l’urbanisme prévoit déjà des outils en ce sens.

À l’article 51 quaterdecies, relatif aux produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes, nous aurons de longs débats, car les positions et les solutions proposées diffèrent.

La commission a rétabli, contre mon avis, la rédaction votée par le Sénat en première lecture, qui revient sur l’interdiction et renvoie à un arrêté du ministre de l’agriculture, pris dans les six mois après la promulgation de la loi, le soin de définir les conditions d’utilisation de ces produits, afin de tenir compte de l’avis de l’ANSES de janvier dernier. L’article a été complété par l’adoption d’un sous-amendement de Sophie Primas visant à ajouter à l’interdiction de vente de produits phytopharmaceutiques en libre-service à compter de 2017 une exception pour les produits dont l’utilisation est autorisée en agriculture biologique.

Enfin, nous avons supprimé en commission un certain nombre d’articles ou de dispositions relevant clairement du domaine réglementaire ou étant redondantes avec le droit existant, comme le détail du contenu du volet du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, le SRADDET, consacré à la gestion du trait de côte, la consultation des usagers détenteurs d’autorisations avant le classement d’une réserve naturelle ayant une zone maritime, ou encore l’obligation de boucher tous les poteaux téléphoniques et anti-éboulement creux qui sont déjà installés et l’interdiction de poser de nouveaux poteaux creux et non bouchés.

Notre commission propose ainsi au Sénat un texte qui reste ambitieux, tout en étant réaliste. Je suis sûr que les travaux que nous allons mener permettront d’aboutir à un texte équilibré, comme l’a dit Mme la secrétaire d’État, qui fera progresser la biodiversité. En effet, celle-ci est notre bien commun, que nous léguerons à nos enfants le moment venu, en ayant conscience d’avoir bien travaillé pour l’avenir de notre pays.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il me revient de vous présenter le sens de l’avis de la commission des lois sur le seul article 2 bis relatif au préjudice écologique, à la place de notre collègue Alain Anziani, en déplacement. Il m’est d’autant plus facile de le faire que la qualité du travail conjoint de notre collègue et du rapporteur, Jérôme Bignon, a été saluée par la commission des lois qui a suivi l’intégralité de leurs propositions.

Sans conteste, l’ajout de ce dispositif au projet de loi constituera l’un des apports importants du Sénat. Nous ne pouvons que nous féliciter du concours heureux de volontés qui ont permis cette avancée. Cela illustre, une nouvelle fois, le succès que rencontre le Sénat lorsqu’il s’empare, sans esprit partisan, de sujets d’une vive actualité.

Le premier mérite en revient à notre collègue Bruno Retailleau, qui a déposé, le 23 mai 2012, une proposition de loi sur le sujet. Celle-ci fut rapportée au nom de la commission des lois par notre collègue Alain Anziani et adoptée, dans la rédaction qu’il avait proposée, à l’unanimité par notre assemblée. Ni le Gouvernement ni les députés n’ayant souhaité s’emparer de ce sujet à leur tour, il nous aura fallu attendre l’heureuse initiative de notre collègue rapporteur Jérôme Bignon et de la commission du développement durable pour redonner vie à cette proposition de loi, à l’article 2 bis du présent texte.

Les députés ont, cette fois, accepté ce que nous leur proposions, en modifiant toutefois largement le dispositif.

Nos deux commissions ayant constitué un groupe de travail commun pour parfaire le dispositif proposé, nos deux rapporteurs, Jérôme Bignon et Alain Anziani, dont je loue, une nouvelle fois, la qualité de la collaboration, ont déposé une douzaine d’amendements, tous adoptés par nos deux commissions, et à l’unanimité par la commission des lois.

Quel est l’esprit de la réforme proposée ? Nos deux commissions ont tout d’abord veillé à la simplicité du dispositif. La simplicité, en matière de responsabilité, est en effet gage d’efficacité.

La rédaction des députés présentait un inconvénient. En prévoyant que « toute personne qui cause un dommage à l’environnement est tenue de le réparer », elle organisait un régime de responsabilité personnelle spécifique et supprimait toute référence à la responsabilité pour le fait des choses dont on a la garde ou pour le fait des personnes dont on répond. Ainsi, nous aurions pu poursuivre en responsabilité l’ouvrier qui a ouvert les vannes causant la pollution, mais pas la compagnie qui l’emploie !

Nous avons préféré retenir le principe que « toute personne responsable d’un dommage anormal causé à l’environnement est tenue de réparer le préjudice écologique qui en résulte ». Ainsi, nous pouvons nous appuyer sur tous les types de responsabilités, pour faute et sans faute, personnelle ou du fait d’autrui, que prévoient déjà les articles 1382 à 1385 du code civil, certes anciens, mais très bien rédigés. Pourquoi réinventer ce qui existe déjà ?

Le même souci de simplicité et d’efficacité nous a conduits à retenir une rédaction adaptée, dans sa précision et sa concision, au code civil. Plutôt que de parler « d’atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement », nous avons retenu la notion de « dommage anormal », qui fait directement écho aux troubles anormaux de voisinage.

De la même manière, nous avons supprimé les dispositifs prévoyant, systématiquement, que le juge civil devra surseoir à statuer lorsqu’une « procédure administrative » est engagée tendant à la réparation du même préjudice. Outre l’imprécision de cette rédaction – qu’est-ce qu’une procédure administrative ? –, il faut éviter d’encourager la guérilla procédurale, qui servirait seulement à différer, le plus longtemps possible, la condamnation de l’auteur du dommage.

Il est plus simple de s’en remettre à l’appréciation du juge, qui peut discrétionnairement, ou à la demande des parties, prononcer ce sursis à statuer, en vertu de l’article 378 du code de procédure civile. Pour la même raison, nous avons supprimé l’obligation faite au juge de tenir compte des mesures de réparation déjà ordonnées : cela va de soi et se pratique tous les jours dans nos tribunaux. Je suis conscient que cette précision superfétatoire est destinée à rassurer ceux qui craindraient le contraire, mais faut-il transformer la loi en panneau clignotant signalant un danger qui n’existe pas ?

Nos deux commissions ont par ailleurs veillé à garantir l’efficacité de la réparation du préjudice écologique. Nous avons tout d’abord précisé ce qu’il convient d’entendre par réparation en nature : il s’agit soit de supprimer le dommage, soit de le réduire, soit de le compenser. Cette rédaction s’inspire des propositions du groupe de travail présidé par François Terré sur la réforme du droit de la responsabilité.

Nous avons ensuite restreint le périmètre des personnes ayant qualité à agir : il faut éviter que l’action échoue, faute d’avoir été engagée par quelqu’un en mesure de la porter. Outre l’État, les collectivités territoriales et l’Agence française pour la biodiversité, seules les associations agréées ou celles ayant plus de cinq ans d’existence pourraient agir. Enfin, nous avons fait de l’Agence française pour la biodiversité la structure compétente en dernier ressort pour assurer la réparation du dommage ou sa compensation.

Je souhaite signaler deux dispositifs innovants créés sur l’initiative de nos deux commissions. Le premier consiste à prévenir, plutôt que guérir, en permettant aux requérants d’agir pour faire cesser le trouble illicite causé par l’auteur du dommage, afin d’éviter que le préjudice n’empire. Le second vise à permettre à ceux qui ont qualité pour agir d’être substitués aux droits du premier requérant défaillant : ainsi d’autres pourront prendre la suite de ceux qui n’auront pu conduire l’action en réparation jusqu’au bout.

Enfin, nous nous sommes attachés à la bonne application dans le temps du nouveau dispositif. Nous avons considéré qu’il convenait de traiter le préjudice écologique comme le préjudice corporel – ce n’est pas une révolution juridique ! –, en fixant le délai de prescription à dix ans, mais seulement à compter du moment où l’on connaît le dommage, sans le butoir à cinquante ans à partir du fait générateur du dommage.

Par ailleurs, nous avons confirmé que les nouvelles règles s’appliqueraient aussi aux dommages nés de faits générateurs antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi, sauf si une action judiciaire a déjà été engagée. Il s’agit, bien sûr, des dommages réparables sur le plan civil et certainement pas d’une éventuelle action pénale !

Mes chers collègues, notre responsabilité est grande, parce que le Sénat est à l’origine de l’intégration de cet article sur le préjudice écologique dans le texte. Ne décevons pas les attentes que nous avons fait naître. La rédaction que nous vous proposons aujourd’hui vise à donner à ce dispositif la force qu’il requiert, en l’assortissant des garanties que le bon sens commande.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer une nouvelle fois le travail exceptionnel mené par Jérôme Bignon, ainsi que son engagement et son implication sur ce texte qui lui doit beaucoup.

Je voudrais aussi me féliciter de l’excellente collaboration de notre commission avec la commission des lois pour élaborer le dispositif qui vous est proposé sur la réparation du préjudice écologique.

Nous avions, en effet, introduit en première lecture dans ce projet de loi les dispositions de la proposition de loi adoptée il y a trois ans sur l’initiative de Bruno Retailleau. Nous étions convenus de la nécessité d’améliorer ce texte entre les deux lectures. Nous avons souhaité que ce travail soit effectué en collaboration étroite avec la commission des lois. C’est un bon exemple de travail en commun, et je remercie le président de la commission, Philippe Bas, et le rapporteur pour avis, Alain Anziani, que François Pillet représente aujourd’hui.

Je voudrais souligner les très substantiels apports du Sénat au texte que nous examinons aujourd’hui, madame la secrétaire d’État. En effet, entre le texte initial déposé par le Gouvernement il y a maintenant un peu plus de deux ans et le texte qui résulte de nos délibérations de première lecture et des deux examens successifs par la commission que je préside, on peut incontestablement relever une différence. Celle-ci tient à l’approche du Sénat, que l’on peut caractériser d’un triple point de vue.

Première différence d’approche, le Sénat, comme toujours lorsqu’il imprime sa marque sur les projets de loi, a vraiment pris en compte la réalité économique.

Cela signifie que, tout en étant convaincus de la nécessité de préserver notre exceptionnelle biodiversité, nous n’en avons pas moins écouté celles et ceux qui sont à son contact quotidiennement, que ce soient les agriculteurs, les chasseurs, les gestionnaires d’espaces naturels ou encore nos compatriotes ultramarins, tant la richesse de la biodiversité dans nos territoires d’outre-mer est grande.

Le texte que nous avons élaboré a donc un aspect pragmatique, ancré dans la réalité économique, qui manquait au texte de l’Assemblée nationale. Cela s’est traduit directement en première lecture dans l’équilibre trouvé pour la gouvernance de la biodiversité. Je pense au conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité et à celui de l’ONCFS, à propos desquels l’Assemblée nationale nous a en très grande partie suivis.

Dans un autre ordre d’idées, la suppression par la commission de la taxe sur l’huile de palme, que l’on soit pour ou contre cette mesure, s’est exclusivement appuyée sur un impératif économique, celui du respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce, qui interdisent de mettre en place ce type de taxation discriminatoire.

Deuxième différence d’approche avec l’Assemblée nationale : le souci permanent de la simplification. Chaque fois que cela était possible, nous avons eu à cœur de simplifier, d’alléger ou de supprimer des dispositifs excessivement complexes ou procéduriers.

Je pense par exemple à la compensation écologique. Celle-ci répond à une finalité dont nous ne remettons à aucun moment en question le caractère indispensable. Toutefois, son succès et sa bonne mise en œuvre dépendent à l’évidence de la souplesse des outils et des procédures pour les acteurs de terrain.

Est-il utile d’instituer une procédure d’agrément, inévitablement lourde et coûteuse, pour ceux qui savent faire cette compensation et qui, de toute façon, sont soumis à des contrôles ?

Je prendrai un autre exemple, que l’on a déjà évoqué, à savoir le préjudice écologique. Notre choix n’est pas d’instituer une construction juridique ultra-élaborée intellectuellement, pour nous faire plaisir. Nous avons cherché à insérer cette nouvelle responsabilité dans le droit existant et dans les procédures que connaissent les juges, à savoir celles du droit de la responsabilité dans le code civil. C’est à cette condition que la notion de préjudice écologique sera acceptée et efficace. Le Sénat a, là encore, le souci de ceux qui auront à mettre en œuvre les règles et procédures que nous votons.

Enfin, troisième différence d’approche, la confiance aux acteurs de terrain. Par exemple, quand notre commission décide de nouveau, en deuxième lecture, de supprimer les zones de protection de la biodiversité, c’est qu’elle a de bonnes raisons de le faire ! Nous sommes allés en Alsace, sur le terrain du grand hamster, à la rencontre de tous ceux qui sont concernés par cette question. Nous avons vu que, grâce au dialogue et à la concertation, on peut trouver des solutions adaptées et pragmatiques, sans avoir à les imposer brutalement de Paris. Nous croyons en la nécessité de systématiser une telle approche, en faisant confiance aux acteurs.

Vous l’avez compris, madame la secrétaire d’État, nous souhaitons que le bon sens du Sénat, qui n’a jamais remis en cause l’ambition du projet de loi, soit présent dans le texte jusqu’à son vote final. Nous comptons d’ailleurs sur vous pour porter cette exigence auprès de nos collègues députés.

En effet, nous espérons, je le dis dès à présent, que la commission mixte paritaire sera en mesure d’adopter un texte. De notre côté, il n’y a nulle volonté électoraliste et politicienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Sur tous les sujets, y compris sur celui, très difficile, des néonicotinoïdes, sur lequel les médias se sont focalisés – nous en avons pour preuve les nombreux mails qui nous sont envoyés et les tweets qui sont émis –, nous pensons qu’une solution est possible, si nous réussissons à sortir des postures idéologiques.

C’est en tout cas le vœu que je forme. Si nous adoptons un texte permettant d’aboutir à un texte commun en commission mixte paritaire, nous aurons fait œuvre utile pour la préservation du patrimoine naturel inestimable de notre pays.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, protéger la nature sans entraver le progrès, préserver l’existant tout en préparant l’avenir, concilier biodiversité et activités humaines, assurer la compatibilité de ces dernières entre elles pour garantir un accès équitable de tous au patrimoine commun, tel est le périlleux exercice auquel nous nous soumettons à nouveau au sein de cet hémicycle.

Les deux assemblées ont pleinement joué leur rôle et apporté des améliorations notables à chaque lecture de ce projet de loi, pour lequel la procédure accélérée n’a pas été engagée. Au cours de cette dernière lecture par le Sénat, nous continuerons d’agir ainsi.

La création de l’Agence française pour la biodiversité, sa composition en cinq collèges représentant tous les acteurs socioéconomiques et la très grande majorité de ses missions ont été actées.

L’instauration de nouveaux instruments dans notre droit que sont les obligations réelles environnementales ou les mesures de compensation permettra de préserver la biodiversité sans remettre en cause les activités humaines. Des sujets d’une grande complexité à la fois technique et juridique ont été au cœur de nos débats.

Il en a été ainsi de la mise en place du dispositif d’accès aux ressources génétiques et du partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. La « biopiraterie » doit être combattue, et nous avons tous à l’esprit des exemples tels que la stévia, édulcorant naturel, dont les effets gustatifs et thérapeutiques ont été découverts par des Indiens guarani d’Amérique du Sud. Elle fait désormais l’objet de demandes de brevets déposés par les grandes firmes.

Nous maintiendrons notre position en proposant, une nouvelle fois, de limiter les contributions financières dues par les entreprises utilisant les ressources génétiques à des fins commerciales à 1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes, au lieu des 5 % proposés par l’Assemblée nationale. À notre sens, c’est une réponse plus équilibrée si l’on ne veut pas entraver la recherche, qui bénéficie, elle aussi, à tous.

Je me félicite en outre de la réintroduction en commission des dispositions relatives à l’entrée en vigueur du dispositif, car ce n’est pas en ignorant le problème que celui-ci disparaît.

Par voie d’amendement, le Sénat a intégré dans le débat des questions essentielles, qui ont toute leur place au sein du présent projet de loi. J’en évoquerai deux : la brevetabilité du vivant et la reconnaissance du préjudice écologique.

S’agissant du préjudice écologique, le dispositif a été utilement complété par l’Assemblée nationale, puis en commission, grâce au travail de nos collègues Alain Anziani et Jérôme Bignon. Après une longue gestation, juridictions, juristes et législateurs auront permis la reconnaissance par le droit du préjudice écologique pur, devant être réparé en priorité en nature. Ce qui nous fera encore défaut pour l’application de ce texte, c’est la nécessaire expertise de tribunaux et de juges spécialisés dans un droit qui demeure complexe.

Sur la brevetabilité du vivant, nous ne contestons pas, par principe, les évolutions intervenant en matière de biotechnologie. Nous aurons, dans les prochaines années, à relever un défi alimentaire, en augmentant la production agricole tout en produisant durablement.

Il reste du chemin à parcourir pour simplifier et adapter le droit national et le droit européen aux nouvelles techniques, alors que la frontière entre ce qui est brevetable et ce qui ne l’est pas est ténue et que des dérives peuvent toujours avoir lieu.

Enfin, je tiens à évoquer les dispositions concernant les produits phytopharmaceutiques de la famille des néonicotinoïdes. Si nos points de vue convergent s’agissant de la nécessité de trouver des moyens de substitution lorsque l’évaluation scientifique établit que certains usages et substances comportent des risques avérés sur la santé et/ou l’environnement, ils divergent pour ce qui concerne les solutions.

Faut-il interdire toutes ces substances ? Ne peut-on pas encadrer leur usage efficacement ? Peut-on véritablement le contrôler ? Mes chers collègues, gardons à l’esprit que les néonicotinoïdes sont venus remplacer les organophosphorés et les carbamates à fort impact neurotoxique chez les mammifères. Le pragmatisme s’impose : le progrès scientifique est aussi une réalité, qu’il ne faut pas refuser.

Exclamations sur les travées du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Il reste à étudier des solutions de substitution et les risques qu’elles impliquent. Toutefois, n’oublions pas que la mortalité des pollinisateurs est multifactorielle : autres pesticides, changements climatiques, pollutions en tout genre, agents pathogènes tels que la varroase, ou encore espèces exotiques envahissantes.

Mes chers collègues, notre intime conviction, c’est qu’il convient d’utiliser modérément et raisonnablement le principe de précaution. La recherche est par nature incertaine et il n’y a pas de savants fous. Il y a surtout des personnes passionnées par la science et le progrès, qui n’ont pas attendu l’insertion de ce principe dans la Constitution pour l’appliquer. Nous devons avoir confiance en eux. N’ayons pas peur de la science !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

M. Jean-Claude Requier. Cessons d’opposer science et biodiversité. L’homme a besoin des deux, et les radicaux, comme le groupe du RDSE, ont toujours eu pour priorité l’avenir de l’homme.

Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis désolée de le dire, nous sommes entrés de plain-pied dans la campagne électorale, et ce texte est l’un des premiers à en souffrir.

La « reconquête de la biodiversité » a cédé la place à la reconquête politique. J’en veux pour preuve les reculs, retours en arrière et offensives menées sur tous les sujets, qui visent purement et simplement à illustrer le slogan devenu célèbre : « L’environnement, ça commence à bien faire. »

M. Ronan Dantec applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Pourtant, en première lecture, c'est-à-dire dans un passé pas si lointain, un travail sérieux et approfondi avait été mené, avec la volonté de trouver des compromis satisfaisants, d’imprimer la marque du Sénat et de s’inscrire dans une trajectoire de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Cela attestait, semblait-il, d’une prise de conscience, sur toutes les travées, des atteintes à la biodiversité, de l’effondrement des espèces – je me souviens que tous les orateurs en ont parlé dans la discussion générale –, de la prolifération anarchique des déchets en milieu marin ou encore des risques pour la santé liés à l’utilisation massive de produits chimiques nuisibles aux êtres vivants.

La deuxième lecture, destinée habituellement à préciser ou améliorer un texte et à trouver un accord avec l’Assemblée nationale, se veut ici une réécriture. En témoigne notamment la volonté de changer le titre du projet de loi par voie d’amendement.

Les lobbys s’en sont donné à cœur joie, nous le sentons bien au travers de l’ensemble des amendements déposés dans le cadre de cette deuxième lecture.

Pourtant, nous sommes plus que jamais persuadés que l’état de notre environnement, les questions de climat, de préservation des ressources et de protection de la biodiversité sont déterminants pour l’avenir de l’humanité et de l’économie.

Bien sûr, des avancées ont été obtenues, qu’il ne convient pas de nier. Ainsi 58 articles ont-ils déjà été votés conformes, M. le rapporteur l’a dit. Des questions importantes, comme le travail de définition, la création d’outils de protection adaptés à la biodiversité terrestre, aquatique et marine, les obligations et sanctions renforcées en cas d’atteinte à la biodiversité comme la reconnaissance du préjudice écologique et la transposition du protocole de Nagoya, ont trouvé une traduction législative utile.

Les avancées en matière de protection, comme la brevetabilité du vivant et la lutte contre les pollutions de la mer, sont à mettre au crédit de ce texte. Même si, concernant le brevetage du vivant, sujet qui me tient particulièrement à cœur, l’adoption d’un amendement de notre collègue Cyril Pellevat a affaibli le principe posé en première lecture par notre Haute Assemblée, selon lequel personne ne peut s’approprier la nature. Ce sujet me paraissant important, j’y reviendrai à l’article 4 bis.

De même, nous pouvons regretter la timidité du Parlement français concernant le chalutage en eaux profondes, un sujet que notre groupe avait introduit en commission en première lecture.

J’ajoute aussi à cette liste une prise de conscience grandissante, grâce aux débats, des parlementaires et de nos concitoyens, qui se mobilisent de plus en plus sur des questions de santé, l’usage des pesticides, l’utilisation souvent abusive et monopolistique des OGM. Toutes ces problématiques se rejoignent et relèvent au fond d’une seule question : pouvons-nous continuer à empoisonner la planète en pensant que cela n’aura pas d’incidence, à terme, sur le vivant et l’activité économique ? La réponse est clairement non !

C’est la raison pour laquelle nous ne devons pas baisser les bras. Ce texte peut encore évoluer positivement, et nous nous y emploierons.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Nous porterons des propositions et des questions, notamment sur l’action de groupe dans le domaine environnemental, les limites du secret industriel et commercial, le frelon asiatique, le principe ERC – éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel –, l’agrément des opérateurs et les néonicotinoïdes, pour n’en citer que quelques-unes.

Je voudrais maintenant aborder la question de l’Agence française pour la biodiversité, qui est au cœur de ce texte.

Si les communistes ont toujours regretté la perte de compétences des ministères, qui vise à réduire le rôle de l’État en transférant lesdites compétences à des agences, nous pensons qu’il est nécessaire de favoriser la lisibilité et la cohérence des actions menées. C’est la raison pour laquelle nous continuerons à proposer que l’Agence française pour la biodiversité soit le lieu de la concertation de toutes les parties concernées par la biodiversité. L’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, n’en est pas la moindre. De ce fait, il doit tout faire pour collaborer avec les autres acteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Allons, mon cher collègue, personne ne dépouille personne ! On est allé chercher un gros canon pour détruire une mouche.

Je dois dire à ce sujet que la charge menée par les partisans de cet office, sur tous les bancs, est disproportionnée et, in fine, contraire à l’intérêt général. C’est une défense partisane et catégorielle, alors qu’il existe, j’en suis convaincue, des voies pour une coopération fructueuse de toutes les parties, qu’il convient d’appeler de nos vœux.

Pour en revenir à l’AFB, les moyens qui lui seront donnés et la reconnaissance des métiers et des personnes conditionnent la réussite de ce projet. En première lecture, j’avais fait le vœu que les personnels soient davantage reconnus et associés et les métiers, valorisés. J’aimerais d’ailleurs, madame la secrétaire d’État, que vous puissiez faire le point sur ce sujet au cours de nos débats.

Nous aborderons bien sûr les questions fiscales. La fiscalité carbone a surtout fait la preuve de son inutilité et de son échec. Les redevances nouvelles envisagées dans ce texte, si elles taxent à nouveau les citoyens de manière disproportionnée, à l’instar des redevances des agences de l’eau, seront injustes socialement. Faisons donc attention !

Enfin, nous devrons, sur la question du vivant, abandonner le vocabulaire et les outils de l’économie de marché : rentabilité, productivité, banque d’actifs, n’ont rien à faire, nous en sommes convaincus, dans la protection des conditions de la survie des espèces, particulièrement de l’espèce humaine.

Plus que jamais, nous devons le dire, ce qui compte, c’est d’abord l’humain.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Jean-Jacques Filleul applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Filleul

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après la loi relative à la transition énergétique et la COP 21, ce projet de loi pour la reconquête de la biodiversité est un nouveau pas en faveur de l’avenir de notre planète. L’érosion de la biodiversité, ainsi que l’accélération de la disparition d’espèces végétales et animales, est bien liée aux activités humaines : il y a donc urgence à agir.

Ce projet de loi vise des objectifs ambitieux. Pour les atteindre, il prévoit la création de l’Agence française pour la biodiversité et du Comité national de la biodiversité. Plus généralement, il vise à trouver un équilibre entre une reconquête dynamique et la mise en valeur des usages.

Notre excellent rapporteur a repris, dans le cadre de cette deuxième lecture, l’ensemble des problématiques soulevées par le texte, sur lesquels nous reviendrons au cours de nos débats.

Avec ce projet de loi, il s’agit de mieux prendre en compte l’impact de l’activité humaine sur la biodiversité, et plus largement sur l’environnement. Le texte arrive à point pour apporter des réponses, qui ne sont pas forcément toutes parfaites. C’est à l’honneur de notre pays de poser les problématiques qui permettront, nous l’espérons, de préserver une faune, une flore, des eaux et des forêts de qualité, afin de contribuer à l’épanouissement des générations futures.

L’examen de ce projet de loi me permet de mesurer le chemin parcouru. Non seulement notre engagement à le défendre et à l’améliorer a été constant, mais surtout nous faisons œuvre utile, en consolidant la conscience, que je situe bien au-delà du sentiment, que la planète n’est pas renouvelable.

Ce texte, par tous les domaines qu’il touche, soutient et renforce les expériences et actions engagées depuis de nombreuses années, très souvent localement.

Faire reconnaître la biodiversité est un combat, que j’ai pu mener lors de mon premier mandat de maire de Montlouis-sur-Loire. La biodiversité ligérienne méritait d’être mieux identifiée. Tout d’abord, en 1984, nous avons pris un arrêté de protection de biotope, pour assurer la protection des sites des oiseaux migrateurs. Puis, nous avons créé, en 1986, la première Maison de Loire à Montlouis. Ce fut un événement majeur pour l’observation et l’identification des milieux ligériens, événement reconnu à l’époque par la ministre de l’environnement, Mme Huguette Bouchardeau, venue l’inaugurer.

Depuis lors, cette formidable collecte d’informations nourrit la recherche, en relation avec l’université et les associations. Ce combat a permis de faire découvrir et d’ouvrir à un large public, y compris aux enfants, les formidables richesses écologiques de la Loire, au cœur du Val de Montlouis.

Ce regard localisé renforce ce projet de loi et en montre la pertinence. Il est en phase avec de nombreuses expériences et permet d’ancrer la place de la biodiversité dans les grandes politiques publiques. Il n’est pas inutile de le rappeler, ces dernières s’accompagnent, dans notre pays, d’une multitude d’autres actions sur de nombreux sites du territoire, sur l’initiative des élus et des associations.

Plusieurs articles ont animé nos débats en première lecture. Ils reviennent aujourd’hui avec la même acuité : je pense notamment aux néonicotinoïdes. En effet, la problématique soulevée par ces produits toxiques employés comme insecticides est complexe. Les députés l’ont résolue radicalement en votant en deuxième lecture l’interdiction de tous les néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018, sans tenir compte des avis de l’ANSES.

Dans le cadre de cette deuxième lecture, le groupe socialiste et républicain défend une position équilibrée, fondée sur des avis scientifiques tenant compte de l’existence de solutions de rechange. En effet, pourquoi faudrait-il attendre septembre 2018 pour interdire certaines substances si les études demandées à l’ANSES conduisent à agir plus rapidement ?

L’huile de palme est un autre sujet sur lequel nous avions suivi, en première lecture, l’amendement présenté par nos collègues écologistes. Cette question fait partie intégrante de ce dont traite le projet de loi, à savoir la lutte contre la destruction des espaces naturels ou encore contre la pollution liée à certaines cultures. Nous nous sommes engagés sans état d’âme au regard de ce que l’huile de palme représente en termes de danger pour la biodiversité, particulièrement dans les pays producteurs. Elle est synonyme de déforestation.

Les députés ont modifié l’article voté au Sénat et ont réduit la taxe à 30 euros, avec une augmentation graduelle jusqu’à 90 euros en 2018, ajoutant une exemption très importante pour les productions certifiées. La progressivité doit inciter les pays producteurs à produire de façon responsable.

Notre commission a supprimé cet article. Nous souhaitons que le Sénat le rétablisse sur les mêmes bases que celui qui a été voté à l’Assemblée nationale, laquelle nous a suivis concernant le principe d’une taxation.

Bien que l’amendement concerné ait été rejeté ce matin en commission, je veux revenir sur la reconnaissance de la permaculture, introduite en première lecture par des collègues du groupe socialiste et républicain. J’étais intervenu pour défendre ces dispositions, car il s’agit d’un mode de culture soutenable, économe en énergie et bien adapté à la biodiversité du lieu.

Des expériences sont actuellement menées sur plusieurs années. Elles sont suivies scientifiquement par l’INRA, le ministère de l’agriculture et bien d’autres organismes scientifiques. Sa reconnaissance dans la loi me paraît de nature à présenter de façon positive cette forme de culture de proximité, en particulier pour les grands centres urbains, comme d’autres pourraient tout aussi bien l’être.

Je conclus mon propos en évoquant le rapport du Conseil économique, social et environnemental Agir pour la biodiversité, publié en 2013. Ses auteurs montrent que la biodiversité continue de se dégrader. Ils écrivent : « En dépit des évolutions […] qui témoignent, dans leur principe, d’une volonté de prise en compte de la biodiversité, une appréciation circonstanciée sur leur portée s’avère difficile. »

Ainsi, madame la secrétaire d’État, ce projet de loi s’inscrit-il bien dans un processus de reconquête destiné à faire de la France un pays pionnier, dans la mesure où il est, je crois, le seul à légiférer aujourd'hui sur la biodiversité.

Le groupe socialiste et républicain est tout à fait favorable à ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Jean-Claude Requier et Mme Chantal Jouanno applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la discussion au sein de la commission, un amendement, non retenu, visait à supprimer le mot « reconquête » du titre de ce projet de loi. Ce n’était pas absurde, car plusieurs amendements adoptés la semaine dernière en commission ont effectivement vidé en partie le projet de loi de cette ambition.

Les signaux d’alerte sur l’effondrement de la biodiversité en France sont pourtant nombreux, comme la baisse massive des populations de passereaux – moins 30 % en 13 ans en Île-de-France, le chiffre vient d’être donné – ou le fait que les trois quarts des habitats naturels en France soient aujourd'hui considérés comme en état de conservation défavorable.

De toute évidence, malgré l’urgence, ce projet de loi est encore jugé démesuré dans son ambition par un certain nombre de sénateurs. Au sein de la commission, nous avons ainsi supprimé le principe de non-régression dans le code de l’environnement ou encore la précision selon laquelle les mesures de compensation visent un objectif de zéro perte nette de biodiversité.

Ainsi, d’amendement en amendement, nombre de sénateurs, principalement de droite, il faut bien le reconnaître, et heureusement pas toujours majoritaires – je salue ceux qui ont évité que ce texte ne soit encore pire et qui se reconnaîtront –, ont dessiné une vision qui ne considère toujours pas la préservation de la biodiversité comme un enjeu majeur pour notre propre avenir, notamment notre alimentation, notre santé et notre développement économique. Pour eux, la nature reste ce monde hostile qu’il s’agit de repousser aux lisières de la civilisation, de ne garder que pour quelques activités secondaires de loisirs, en se félicitant d’éradiquer les loups, les ours et les mauvaises herbes sur les trottoirs.

Dix ans après le Grenelle de l’environnement, ce rapport atavique à la nature trouve donc encore ici à s’exprimer. « L’environnement, ça commence à bien faire » est une musique à laquelle certains restent sensibles, surtout quand elle est reprise par de puissants chœurs de lobbys, pour lesquels l’enjeu immédiat de leur propre business passera toujours avant l’intérêt général.

L’exemple des néonicotinoïdes incarne cette position. Nous connaissons aujourd’hui, par des travaux scientifiques non contestés, leur toxicité, pour les abeilles bien sûr, mais aussi pour la santé humaine. Le coût de leur utilisation est considérable et ne se limite pas à la production de miel. C’est toute la pollinisation qui est concernée, avec notamment une baisse de la production de fruits. La responsabilité du législateur est donc bien de préserver l’intérêt général, ce qui passe par leur interdiction rapide, sans pour autant nier l’impact d’une telle décision sur les activités agricoles existantes.

L’Assemblée nationale a ainsi dessiné un compromis acceptable, et mon collègue Joël Labbé, que je salue pour son engagement sur ce dossier, vous proposera de le rétablir. Nous pouvons encore craindre que le Sénat ne cherche ici qu’à retarder les échéances, sans considération pour leurs effets négatifs globaux.

La taxation de l’huile de palme est un autre de ces sujets qui disent le poids des lobbys. Les gouvernements indonésien et malaisien, que nous avons rencontrés, se sont légitimement inquiétés de nos décisions audacieuses, prises au cours de la première lecture de ce texte au Sénat. Il ne s’agit pas de balayer leurs arguments, car leurs propres enjeux de développement doivent aussi être considérés.

Personnellement, je me méfie toujours de nos propres simplismes, de notre capacité à nous mobiliser pour exiger la protection des lions et des orangs-outans à l’autre bout du monde, alors que nous échouons à construire nos propres consensus collectifs pour relâcher quelques ours dans les Pyrénées.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Pour autant, il est aberrant de nous retrouver avec des huiles de palme moins taxées que nos productions locales, telles que l'huile d'olive, et de ne pas chercher à développer des filières écologiquement responsables et certifiées. Car ce sont bien aussi nos propres consommations qui détruisent la planète. Développer une consommation mondiale responsable fait également partie des responsabilités du législateur.

L’Assemblée nationale avait trouvé, après le Sénat – nous y étions allés un peu fort, je le reconnais –, un bon compromis. Sur ce dossier également, nous sommes revenus en arrière, par souci, peut-être, de compréhension des arguments des pays producteurs, mais aussi, plus probablement, parce que nos géants de l’agroalimentaire veulent continuer à disposer d’une matière première bon marché pour la fabrication de leurs biscuits et autres productions, sans se soucier, pour la plupart d’entre eux, des enjeux de biodiversité. Il faudra rétablir cette taxation de l’huile de palme.

Le débat politique sur l’environnement est probablement le plus schizophrénique qui soit, entre multiplication des envolées lyriques sur l’avenir de nos enfants et petits-enfants, et mobilisation permanente pour que rien ne change de la part de tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ont une activité à défendre, qui les céréaliers, qui l’agro-business, qui la pêche en eau profonde, qui les chasses traditionnelles – la liste est sans fin.

Où il faudrait trouver des compromis pour faire évoluer rapidement les pratiques en accompagnant cette évolution, c’est quasiment toujours autour du report des échéances que se construit en définitive une grande coalition du refus.

Il existe néanmoins une exception à ce tableau assez pessimiste du travail du Sénat en deuxième lecture : il s’agit du travail effectué sur le préjudice écologique par Alain Anziani et Jérôme Bignon, que je salue. J’en profite pour saluer tout particulièrement notre rapporteur, dont l’action a été extrêmement importante, et dont l’engagement a soufflé sur la première lecture, même si le soufflé est un peu retombé en deuxième lecture.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Chers collègues, la gravité des crises environnementales est telle que c’est bien notre système économique traditionnel qui risque de sedésagréger. Nous connaissons déjà les premières manifestations de cette désagrégation : des crises des réfugiés en Europe, très liées aux crises climatiques – on ne le dit pas suffisamment –, aux incendiesgigantesques du nord du Canada, elles font tellement l’actualité, elles sont tellement sous nos yeux que nous ne le voyons même pas.

Tout immobilisme est aujourd’hui coupable ; cette loi est un outil modeste pour amorcer le sursaut nécessaire. Ne nous en privons pas !

En tout état de cause, le groupe écologiste votera contre le texte du Sénat si celui-ci apparaît trop en retrait par rapport au texte de l’Assemblée nationale. Mais il nous reste deux jours pourmontrer notre compréhension des enjeux et assumer notre part de la responsabilité globale face à ces désastres annoncés.

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à saluer le travail considérable réalisé par notre rapporteur Jérôme Bignon. Sur un texte sur lequel il était difficile de faire l’unanimité, il a finalement réuni une majorité au Sénat, en préservant, à l’issue de la première lecture, un texte équilibré. Malheureusement, depuis, cet équilibre a été rompu par l’Assemblée nationale.

La biodiversité est un concept beaucoup plus vaste que la simple collection d’espèces animales et végétales à laquelle on l’a trop souvent réduite : il renvoie à la diversité de la vie à tous ses niveaux d’organisation, du gène aux espèces et aux écosystèmes. Il ne doit par conséquent impliquer aucune « mise sous cloche » ou sanctuarisation : la vie, en effet, évolue sans cesse depuis des siècles et des millénaires ; elle évoluait même bien avant que l’on ne parle de changement climatique, de pollution, de pesticides, de révolution industrielle.

Les paysages qui nous entourent expriment la diversité des écosystèmes, fruit de l’histoire, de l’évolution et des influences humaines.

La France héberge 4 900 espèces de plantes endémiques, ce qui fait d’elle le troisième pays européen du point de vue de la richesse floristique.

La France abrite 950 espèces de vertébrés, ce qui fait d’elle l’un des premiers pays européens en termes de richesse faunistique.

La France possède des richesses naturelles considérables – habitats naturels, parcs naturels, espaces naturels.

Et pourtant, nous parlons de « reconquête ». Devons-nous vraiment dresser un tableau si sombre de la biodiversité dans notre pays, au regard des efforts de tous, et surtout de ceux qui vivent au plus près de la nature, agriculteurs, viticulteurs, éleveurs, pêcheurs, chasseurs ? Tous ont contribué à façonner nos paysages, notre nature, nos prairies, nos forêts.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

Lors de la première lecture du texte discuté et voté au Sénat, nous avions réussi, avec notre rapporteur, à faire reconnaître leurs rôles respectifs en termes de gestion de la biodiversité, des espaces naturels, de la faune et de la flore.

D’ailleurs, les organisations syndicales agricoles, les chambres consulaires et les agriculteurs étaient d’accord pour agir en faveur de la biodiversité. Ils étaient plutôt satisfaits des conclusions de la première lecture, quand bien même elles les obligeaient à se soumettre encore à de nouvelles normes, de nouvelles tracasseries administratives, de nouvelles contraintes environnementales.

En occultant nos travaux, l’Assemblée nationale a ravivé les braises de la division opposant l’idéologie au pragmatisme, les environnementalistes aux agriculteurs, les « zadistes » aux porteurs de projets, …

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

… en oubliant que le développement durable devait marcher sur deux jambes : l’économie et l’environnement.

C’est pourquoi je souhaite que nous revenions au texte voté par le Sénat en première lecture. J’ai déposé, à cet effet, un certain nombre d’amendements, et je me réjouis qu’ils aient obtenu un avis favorable en commission.

Ainsi, à l’article 33, les députés ont supprimé les modalités de suivi des mesures compensatoires lors de la mutation d’un bien. Nous avions pourtant précisé qu’il était préférable de prévoir explicitement la conclusion d’un contrat définissant la nature des mesures, les modalités et la durée de leur mise en œuvre.

Sur ce point comme sur d’autres, je remercie notre rapporteur d’avoir fait en sorte de nous sortir de ce « rendez-vous en terre inconnue », en précisant la nature juridique de l’acte organisant la mise en œuvre de la compensation.

En ce qui concerne l’article 34, perçu par les agriculteurs comme une provocation, le dispositif rétabli par l’Assemblée nationale prévoit à la fois une obligation et un zonage pour la biodiversité. Les critères retenus sont difficiles à admettre pour les agriculteurs.

Je me réjouis que nous ayons supprimé cet article. On ne peut en effet imposer un système coercitif sans en discuter avec les personnes concernées : c’est une question de respect !

Un article a fait débat plus que d’autres au sein de notre commission. Il s’agit de l’article 51 quaterdecies, qui prévoit d’interdire, à partir du 1er septembre 2018, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes.

En première lecture, nous pensions avoir trouvé une position équilibrée en votant l’amendement de Mme Nicole Bonnefoy, du groupe socialiste et républicain – c’est d’ailleurs ce que nous avons fait de nouveau, en commission, en deuxième lecture –, qui vise à renvoyer à un décret le soin de déterminer les conditions d’utilisation de ces produits, afin de tenir compte de l’avis de l’ANSES. L’Assemblée nationale a tout simplement rétabli l’interdiction.

Contrairement à l’interdiction brutale, le renvoi au décret permet pourtant d’encadrer l’utilisation de ces produits, sans pour autant conduire les productions agricoles dans des impasses techniques.

À ce jour, si leur application est effectuée dans les règles, les néonicotinoïdes sont les produits les plus efficaces et les moins polluants pour l’environnement, …

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

… par comparaison avec les produits foliaires, qui, eux, restent sur le marché, qui doivent être appliqués à répétition, deux à trois fois, pour lesquels les risques de résistance sont plus importants, et dont les coûts sont plus élevés.

Toutes les matières actives efficaces, le parathion, le diméthoate, ont été retirées du marché. Elles étaient jusqu’alors autorisées pour les cerises un mois avant la récolte, et interdites, depuis dix ans, pour les grandes cultures – cherchez l’erreur. Bien utilisées, elles étaient pourtant, en définitive, les moins dangereuses pour l’être humain et les abeilles, aux dires des nombreux apiculteurs avec qui j’en ai longuement discuté. Il n’existe pas, aujourd’hui, de produits alternatifs.

Oui, la mortalité des abeilles est un problème ! Certes, nous devons le résoudre, car nous avons besoin de pollinisateurs, notamment pour la production de semences.

Faut-il pour autant que l’agriculture devienne le bouc émissaire de cette mortalité ? Je dis non !

Faut-il pour autant que la France agisse de façon unilatérale en s’adonnant de nouveau à la « surtransposition » du droit européen, mettant en danger la compétitivité de nos agriculteurs ? Nous ne pouvons nous le permettre, et, là encore, je dis non !

Nous ne sommes pas des scientifiques. Il nous faut faire confiance aux organismes tels que l’ANSES, en France, et les agences européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

M. Rémy Pointereau. Si le Parlement interdit un produit dit « dangereux », alors il faudra interdire tous les produits dangereux pour la santé humaine et la biodiversité

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Ronan Dantec applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

Ce n’est pas là le rôle des parlementaires.

Comme l’a proposé notre collègue Michel Raison, il serait souhaitable que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable se penche spécifiquement sur la question de la mortalité des abeilles, domestiques ou sauvages. L’observation des populations selon les zones géographiques révèle de grandes surprises : il a ainsi été constaté que la mortalité des abeilles était plus importante dans les zones de montagne, non cultivées, dans les Vosges par exemple.

Notre collègue Daniel Gremillet en parlera mieux que moi, puisqu’il a présidé la commission des apiculteurs du CNJA, le Centre national des jeunes agriculteurs.

Madame la secrétaire d’État, nous sommes des élus responsables et favorables à la protection de la biodiversité. Toutefois, je maintiens que la mise en œuvre de cette protection doit reposer sur la confiance accordée aux acteurs de terrain et aux organismes scientifiques, et cela, madame la secrétaire d’État, sans arrière-pensées électorales. Madame Didier, vous le savez, nous n’entretenons aucune arrière-pensée, que ce soit à l’égard des ayatollahs de l’environnement ou des grands céréaliers.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’aube de cette deuxième lecture, il n’est nul besoin de très longs discours. Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité divise et continuera à diviser. Cette division est selon moi légitime : il faut l’assumer sans réserve.

Le débat véritable, s’agissant de ce projet de loi, ne se situe pas dans les très nombreuses dispositions techniques qu’il comporte, mais dans l’opposition de fond entre deux conceptions de la biodiversité, et donc de la société.

Une première conception, assez classique, intègre l’humanité dans le grand continuum de la biodiversité ; l’autre conception l’en extrait.

La première a donné lieu aux dérives de ce qu’on a appelé la deep ecology, et même à des excès parfois violents. La seconde, plus anthropocentrée, plus utilitariste, tient que la biodiversité n’est pas légitime en elle-même, mais seulement en tant qu’elle contribue au développement économique. Cette seconde conception a également donné lieu à des excès : marchandisation et brevetabilité du vivant.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

Mais le progrès est l’alliance de la science et de la conscience, et, depuis la loi de 1976, la seule et dernière grande loi sur la biodiversité, nous avons appris énormément de choses.

Nous savons que l’homme est partie intégrante de la biodiversité, qu’il est même une ode à la biodiversité, puisque le corps humain comprend davantage de cellules non humaines que de cellules humaines.

Nous savons que la vie, depuis 3, 9 milliards d’années, se construit par associativité, que son principe n’est donc pas la concurrence entre espèces et la domination de certaines sur les autres.

Nous savons en partie évaluer la valeur des services écosystémiques et du biomimétisme. Nous découvrons des espèces incroyables dont nous avons tant à apprendre, comme le fameux tardigrade.

Nous savons que les animaux sont des êtres sensibles.

Bref, nous avons aujourd’hui tant d’éléments à notre disposition pour faire avancer la loi que nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. L’objectif de ce projet de loi est bien de traduire cette connaissance dans le droit.

Les dispositions techniques sont trop nombreuses dans ce texte, et j’invite vraiment le président du Sénat à continuer d’opposer l’article 41 à tous les amendements dont l’objet est d’introduire dans la loi des mesures à caractère réglementaire.

Il est d’ailleurs parfois proposé d’écrire dans la loi : « peut faire ». Or, par principe, ce qui n’est pas interdit est autorisé. Ces propositions sont donc inutiles.

Même les dispositions si polémiques sur les néonicotinoïdes sont en réalité des dispositions techniques. Le législateur ne devrait pas avoir à se substituer aux scientifiques, …

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

… seuls capables de dire quelles sont les substances dangereuses et les substances non dangereuses.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

En revanche, nous devrions être capables d’écrire dans la loi que toute substance mortelle pour les pollinisateurs est interdite, que tel est le principe, et que leur autorisation, c’est l’exception !

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

Je crains malgré tout que, si nous allons dans cette voie, des polémiques encore plus virulentes que celles qui existent déjà ne naissent autour de ce projet de loi.

L’essentiel de ce texte était dans l’article 2, et tout particulièrement dans son alinéa 9. Nous sommes passés assez rapidement sur ce point dans le cadre de nos débats en première lecture, puis, en deuxième lecture, en commission, mais c’était là le véritable point central du projet de loi. Cet alinéa disposait que le principe d’action préventive et de correction « doit viser un objectif d’absence de perte nette, voire tendre vers un gain de biodiversité », le principe corollaire étant le principe de non-régression.

Supprimer ces principes du texte reviendrait à écrire un projet de loi sur l’emploi en supprimant l’objectif de plein-emploi. L’objectif de reconquête de la biodiversité n’est pas simple à atteindre, évidemment ; mais ce n’est pas une raison pour nous résigner à la perte de biodiversité, pour considérer que ces objectifs sont inatteignables, ou que cette situation n’est pas si grave. Si nous admettons, d’un point de vue scientifique, qu’elle est grave, alors nous devons inscrire ces principes dans la loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

Au cours des débats, chacun aura à cœur de défendre son territoire, ainsi que ses convictions. Mais – j’ai un petit peu trop entendu cette rengaine dans la discussion générale, et même dans votre discours préliminaire, madame la secrétaire d’État – il n’y a pas les bons d’un côté, les méchants de l’autre : les bons « écolos » et les méchants agriculteurs, ou les bons ruraux et les méchants « bobos ».

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

Il y a simplement des clivages politiques qu’il faut assumer, et qui d’ailleurs, en général, traversent les partis. En commission, nous étions loin du « méchants à droite, bons à gauche », …

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

… les divergences sont beaucoup plus transpartisanes que cela, et renvoient à des convictions beaucoup plus profondes que ce que suggère une telle vision caricaturale des clivages politiques.

Je n’ai aucune illusion sur l’issue du débat que nous nous apprêtons à avoir. Je souhaite néanmoins que chacun s’écoute avec bienveillance et respect, sans vociférations inutiles. Au sein de notre groupe politique, le groupe centriste, il n’existe pas de consensus autour de ce texte, mais des positions divergentes, parfaitement assumées, que nous exposons dans le respect mutuel de chacun. Le principe même de la politique, c’est en effet de produire du clivage : c’est tout à fait naturel !

Pour conclure, je voudrais souligner l’exceptionnel travail des administratrices, des administrateurs, de notre rapporteur et du président de notre commission, qui ont cherché à trouver des compromis autour de ce texte, et à entendre les différents arguments mobilisés par les uns et les autres à l’appui de leurs positions respectives.

Enfin, madame la secrétaire d’État, vous allez participer à votre premier véritable débat de fond au Sénat. Vous allez donc découvrir que cette assemblée est différente de l’Assemblée nationale : il s’agit d’une assemblée indépendante, y compris, d’ailleurs, le plus souvent, des directions de partis elles-mêmes ; d’une assemblée respectueuse, mais extrêmement déterminée sur le fond des arguments qu’elle défend. Par conséquent, tout ce qui renverrait à d’éventuels calculs politiques n’y a pas vraiment sa place.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur et cher Jérôme, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, lors de la première lecture de ce texte, en janvier dernier, j’avais rappelé que l’enjeu de la préservation de la biodiversité est évidemment un enjeu majeur et un objectif partagé par tous, bien au-delà de nos positionnements politiques respectifs, comme Chantal Jouanno vient de le rappeler.

J’avais également affirmé, et je le répète aujourd’hui, que nous ferions collectivement une erreur stratégique, politique et sociale en opposant économie et environnement. L’erreur serait de soutenir que la biodiversité serait mieux protégée et mieux garantie si nous pénalisions les activités économiques, qui sont pourtant essentielles à nos territoires – je pense bien entendu, en particulier, à l’activité agricole.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Il ne s’agit pas de pénaliser l’activité agricole !

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Ce message a été entendu par le Sénat : nous avons beaucoup fait évoluer le texte, souvent, très souvent, en accord avec la ministre Mme Ségolène Royal, au fil d’une discussion qui fut longue, parfois polémique certes – notre rôle n’est-il pas aussi de défendre des avis différents de ceux de la majorité gouvernementale ? –, mais bien souvent constructive.

Je veux ici saluer le rôle essentiel de notre rapporteur, Jérôme Bignon, dont l’infatigable volonté de concilier les points de vue est tout à fait reconnue.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a repris certaines de nos propositions. Mais il reste encore des divergences qu’il nous faut aplanir.

Je me consacrerai ici, compte tenu du peu de temps dont je dispose, au débat très sensible qui porte sur les néonicotinoïdes.

Sur ce sujet, mes chers collègues, il est légitime que nous ayons des avis très différents, et ces différences doivent pouvoir être entendues. Il est vrai que les lobbiesvont bon train pour faire valoir leurs arguments, mais tous les lobbies, monsieur Dantec, tous, y compris les vôtres, …

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Mme Sophie Primas. … et parfois avec beaucoup d’insistance, voire même avec beaucoup de violence morale !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Mais, ici, au Sénat, notre rôle est de rechercher l’efficacité, le sérieux, la solidité de la loi, …

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

… plus que l’effet d’annonce ou d’affichage.

Qu’en est-il ?

Je rappelle d’abord que seule l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, a le pouvoir de délivrer les autorisations d’utilisation de ces principes actifs.

Un moratoire de deux ans avait été décidé par la Commission européenne, en 2013, sur certaines substances de cette famille, et pour certaines utilisations, comme l’enrobage de semences.

L’EFSA poursuit d’ailleurs son analyse sur la toxicité de ces substances, ce qui doit la conduire à renforcer ses exigences et à délivrer ou non, dans quelques semaines, des renouvellements d’autorisation.

C’est pourquoi la proposition de l’Assemblée nationale, qui consiste à instaurer une interdiction générale et inconditionnelle de tous les produits de la famille des néonicotinoïdes, …

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

… n’est pas pertinente, car non conforme à l’architecture prévue par le règlement européen, lequel confie l’autorisation des substances au seul échelon européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Mme Sophie Primas. Une telle interdiction par la loi aurait toutes les chances d’être écartée par le juge en cas de contentieux. Elle est donc totalement contre-productive, et de pur affichage.

Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Par ailleurs, en janvier dernier, notre Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a publié un avis très complet et très sérieux, comme toujours, sur les produits contenant des néonicotinoïdes. Cet avis indique très précisément des prescriptions d’emploi, comme le font d’autres agences s’agissant de prescriptions d’emploi de médicaments.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

L’évaluation de l’ANSES est naturellement fondée sur le risque sanitaire pour l’homme et pour l’environnement, et donc, bien entendu, pour les pollinisateurs. J’insiste sur le fait que cet avis ne dit en aucun cas qu’il faut interdire tous les néonicotinoïdes, en toutes circonstances, comme je l’entends parfois dire.

Nous aurons donc, mes chers collègues, un débat sur l’article 51 quaterdecies du projet de loi, afin de préciser la rédaction de cet article, issu d’un amendement de notre collègue Nicole Bonnefoy que j’avais moi-même sous-amendé, et qui a été rétabli par notre commission du Sénat.

Je propose que nous entrions dans une logique vertueuse fondée sur la science, et donc sur la confiance que nous entretenons à l’égard de l’ANSES. Cette logique est la suivante : en premier lieu, suivre les prescriptions d’utilisation publiées par l’ANSES dans son rapport de janvier 2016, afin de mettre un terme à toute utilisation qui présenterait des risques avérés pour les pollinisateurs, et ceci sans perdre de temps ; en second lieu, privilégier le remplacement progressif, pour les autres usages, des produits contenant des néonicotinoïdes, dès lors que l’ANSES aura validé un produit ou une méthode de substitution présentant un rapport bénéfice/risque plus favorable pour la santé et l’environnement, …

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Mme Sophie Primas. … sans préjudice pour la protection des plantes.

MM. René-Paul Savary et Gérard Bailly applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Dès lors que cette logique sera suivie, il me semble d’ailleurs que les industriels accéléreront leurs recherches pour proposer de nouvelles solutions et, surtout, pour être, d’un point de vue commercial, les premiers et les plus novateurs.

Je sais que nos débats seront parfois passionnés. Mais je souhaite que notre sens des responsabilités l’emporte sur les considérations dogmatiques, ou « politiques », comme il a été dit, quelles qu’elles soient, et surtout sur le désir de communiquer à tout prix.

Je veux vous rappeler qu’en tant que présidente de la mission d’information sur les risques liés à l’utilisation des produits phytosanitaires, nous avons, avec Nicole Bonnefoy, rapporteur, mené neuf mois d’auditions, entendu tous les acteurs, dans leur diversité, et établi des recommandations, à l’unanimité. Ces recommandations se fondaient avant tout sur l’expertise scientifique. En la matière, je pense qu’il est absolument indispensable de s’appuyer sur la qualité internationalement enviée des travaux de l’ANSES et sur la qualité de ses scientifiques.

Si nous travaillons dans cet esprit, je suis certaine, madame la secrétaire d’État, que nous trouverons le juste équilibre entre, d’une part, les intérêts sanitaires et environnementaux et, d’autre part, la raison.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Dubois applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en décembre dernier, les représentants de 195 pays étaient réunis à Paris autour du Président de la République, François Hollande, et de notre ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, pour faire de la COP 21 un immense succès.

Quelques semaines avant la première lecture au Sénat du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, ils nous avaient lancé un signal extrêmement fort en reconnaissant enfin, collectivement, la réalité du réchauffement climatique et des dérèglements liés à l’activité humaine, et en se fixant par accord un objectif de limitation du réchauffement mondial entre 1, 5 et 2 degrés d’ici à 2100.

Cette deuxième lecture a quant à elle été précédée par la signature, le 22 avril dernier, au siège de l’ONU, de l’ « accord de Paris » par 175 pays, soit le plus grand nombre de pays jamais réunis pour la signature d’un accord international, ces pays représentant plus de 93 % des émissions de gaz à effet de serre.

Ils nous montrent la voie. Comme le Président de la République l’a en effet rappelé à la tribune de New York, il est temps désormais de traduire en actes cet engagement, de faire face à l’urgence climatique et à la perte de biodiversité, sachant que les mois qui viennent de s’écouler ont été les plus chauds de ces cent dernières années sur le globe, et que, depuis seulement quelques décennies, nous poursuivons avec vigueur la destruction avancée d’une biodiversité terrestre et marine qui s’est constituée en plusieurs millions d’années.

Notre première responsabilité est de prendre la pleine mesure des coûts occasionnés pour la collectivité par la dégradation de notre environnement.

Notre modèle de développement économique et industriel détruit chaque jour davantage notre planète, et ce de manière irréversible. Cela nous coûte très cher. Lorsqu’une activité est envisagée d’un point de vue économique, la norme est de ne considérer que les coûts directs supportés par les entrepreneurs privés, en comparaison avec les revenus qu’ils en tirent. Les externalités négatives sont quant à elles systématiquement écartées.

Mme Corinne Bouchoux opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

C’est pourtant la société qui supporte les coûts induits de la pollution de l’eau, de l’air et des sols, des émissions de gaz à effet de serre et des atteintes multiples à la biodiversité, occasionnées par l’agriculture intensive, la surexploitation des ressources halieutiques ou forestières, la production d’énergie carbonée.

Ces coûts induits vont des travaux de dépollution aux dépenses de santé, en passant par la dégradation de l’attractivité de nos territoires.

L’accumulation corollaire des normes environnementales, dont se plaignent notamment bon nombre de nos agriculteurs, constitue un vrai problème. Je pense en particulier aux réglementations anti-nitrates ou aux conditions d’utilisation et d’épandage de pesticides, de plus en plus strictes.

Nous devons entendre la détresse de ceux qui doivent composer avec des contraintes toujours plus dures à assumer, malgré un travail très difficile, et dont la rémunération ne reflète pas toujours le haut degré d’investissement.

Pour autant, devant ce constat, notre responsabilité est précisément d’accepter de prendre conscience que l’accumulation des contraintes est d’abord la conséquence de pratiques parfois déraisonnables, que nous pourrions corriger si nous acceptions de nous y confronter réellement.

L’environnement et la biodiversité ne sont pas des notions à la mode Ce sont des réalités que nous devons prendre en compte, pour nous, pour notre présent, pour notre avenir, pour nos enfants et pour les générations futures. Un cours d’eau pollué l’est souvent, en effet, de manière irréversible ; une espèce disparue ne réapparaît plus.

Sur le sujet des néonicotinoïdes, le Sénat avait soutenu, en première lecture, la proposition que j’avais formulée par voie d’amendement, visant à assurer la prise en compte du dernier avis de l’ANSES, dès la promulgation de la loi, dans les normes d’utilisation des produits néonicotinoïdes édictées par l’autorité administrative.

Dans son avis de janvier 2016, l’Agence sanitaire constate qu’en l’absence de mesures de gestion adaptées, l’utilisation des insecticides néonicotinoïdes a de « sévères effets négatifs » pour les abeilles et les autres pollinisateurs, y compris à des doses d’exposition faibles.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Considérant qu’il existe, même lorsque les agriculteurs respectent à la lettre les préconisations d’utilisation, des impondérables, tels que les variations météorologiques, qui continuent de faire peser des risques élevés sur la santé humaine, la santé animale et l’environnement, l’Agence appelle à ce que plusieurs usages actuellement autorisés et pratiqués fassent l’objet de mesures de gestion renforcées. Il s’agit en particulier des usages en traitement de semences pour les céréales d’hiver et des usages en pulvérisation après la floraison sur vergers et vignes.

Au terme d’un compromis passé avec la majorité sénatoriale, il avait été précisé qu’outre les questions sanitaire et environnementale, il convenait de prendre en considération la dimension économique d’une telle interdiction, au regard des alternatives disponibles.

La navette parlementaire s’est poursuivie, et l’Assemblée nationale a décidé de voter pour une disposition plus maximaliste, en prévoyant l’interdiction générale des produits néonicotinoïdes au 1er septembre 2018, sans prévoir de dérogation explicite visant à tenir compte de l’existence ou de l’absence d’alternatives présentant un moindre risque sanitaire et environnemental.

À l’occasion de cet examen en deuxième lecture, le groupe socialiste et républicain entend tenir compte de la position des députés sans omettre la question de la disponibilité d’alternatives pertinentes.

Aussi la disposition que nous proposons vise-t-elle à apporter une réponse équilibrée à ce problème, permettant de satisfaire une exigence sanitaire aussi élevée que celle demandée par l’ANSES, dans l’état actuel de ses connaissances, tout en tenant compte des alternatives disponibles et en se conformant au travail mené par la France en vue d’obtenir une réponse harmonisée au niveau communautaire.

Nous voulons encourager l’émergence de solutions ayant un bilan risques/bénéfices positif au regard des conséquences pour la santé humaine, animale, l’environnement et des incidences économiques pour les exploitants agricoles.

Le dispositif envisagé dans notre amendement s’appliquerait en deux temps. Dans un premier temps, interdiction, au plus tard au 1er juillet 2018, des produits néonicotinoïdes dont le bilan est négatif par rapport aux autres options existantes, en nous fondant sur l’expertise scientifique de l’ANSES. Dans un deuxième temps, interdiction générale de l’utilisation des néonicotinoïdes en 2020, cette échéance garantissant le développement réel d’autres solutions par les fabricants.

Notre débat sera sans doute riche. J’espère que nous pourrons trouver un compromis intelligent, comme nous avions su le faire en première lecture.

J’en viens à un autre sujet qui me tient à cœur. Au nom du groupe socialiste et républicain, j’ai redéposé l’amendement visant à instaurer une action de groupe en matière environnementale. Il s’agit de mettre en place un dispositif juridique majeur pour défendre les citoyens ayant subi de manière sérielle et analogue un préjudice individuel suite à une atteinte causée à l’environnement. Nous nous fondons sur le dispositif « socle » de l’action de groupe proposé dans le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle.

Notre amendement, qui avait été adopté par le Sénat en première lecture, a été rejeté par l’Assemblée nationale. Aussi, à défaut d’une confirmation par le Sénat de sa position de première lecture, j’espère au moins un engagement ferme de la part du Gouvernement pour faire aboutir cette disposition majeure, soit dans le présent projet de loi, soit dans un autre texte, comme celui sur la justice du XXIe siècle.

En première lecture, le groupe socialiste et républicain avait voté en faveur du projet de loi issu des travaux du Sénat, au regard de la démarche ambitieuse et constructive que nous avions collectivement défendue.

J’espère que nous saurons poursuivre dans cette voie en deuxième lecture, afin d’aborder la commission mixte paritaire avec le meilleur texte possible comme base de discussion !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Daniel Dubois et Michel Mercier applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais d’abord saluer le travail de M. le rapporteur, Jérôme Bignon, et la passion qu’il a mise dans ce texte.

Je le prie donc de me pardonner des propos que je m’apprête à tenir. Je ne remets pas en cause les objectifs ; j’évoque des moyens de les atteindre.

Comme cela a été rappelé, lors de la première lecture au Sénat, nous avions pu enrichir et préciser le projet de loi, mais aussi trouver des points d’équilibre. À ce titre, le texte adopté contenait des avancées. Je pense notamment aux mesures en faveur du renforcement de la brevetabilité du vivant que nous avons introduites.

Néanmoins, c’est avec une certaine gravité que je souhaiterais m’exprimer devant vous aujourd’hui.

Gravité d’abord, car les enjeux liés à la préservation de la biodiversité sont considérables, alors que la France possède le deuxième domaine maritime le plus vaste du monde, avec 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive.

Gravité ensuite, car la biodiversité, au-delà de son apport fondamental à l’environnement, est un formidable levier de développement économique et de création d’emplois ancrés sur les territoires.

Gravité enfin, car les enjeux environnementaux, mais également humains n’ont jamais été aussi importants.

À l’aune de cette réflexion, et à la lecture du présent projet de loi, je voudrais vous faire part de mon inquiétude, en particulier sur deux points.

Premièrement, je déplore l’amoncellement de nouvelles contraintes administratives pour les acteurs économiques et les collectivités territoriales. C’est en totale contradiction avec les engagements qui avaient été pris pour rendre l’action publique plus lisible !

Certes, l’exigence de simplification du droit et d’allégement des contraintes pour les acteurs avait marqué les travaux du Sénat. Mais, avec ses 102 articles actuels, le projet de loi devrait aboutir à quelque 500 créations de dispositions nouvelles ou modifications de dispositions existantes. Et ce n’est qu’une approximation ! Au demeurant, la pertinence de certaines mesures est toute subjective, quand leur contenu ne relève pas purement et simplement d’un simple verbiage intellectuel.

Je suis au contraire convaincu de la nécessité de ne pas adopter de posture prescriptive au regard de l’objectif de préservation de la biodiversité. Plaçons notre confiance dans l’innovation et le génie humain !

Pourquoi faire des lois alors que nous avons été capables hier de perfectionner nos techniques pour appréhender la nature, bien souvent hostile au développement humain, et d’en tirer le meilleur ? §C’est le propre de l’histoire de l’humanité. L’amélioration des techniques de production s’est toujours opérée de manière continue, au fil des connaissances scientifiques.

Deuxièmement, et cela me paraît encore plus préoccupant, je regrette le manque de considération pour le monde scientifique et les chercheurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Absolument ! Il y a un refus d’écouter ce que disent les scientifiques !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Le contenu du texte et les débats qui ont pu déchirer les députés mais aussi les nôtres en témoignent.

Le fait de ne pas laisser une place de choix dans le projet de loi à nos scientifiques constitue une faute grave ! Historiquement, la France a été à la pointe de la recherche sur le potentiel infini de la biodiversité.

Je pense aux travaux de chercheurs français réalisés sur les ferments laitiers, qui ont permis de révéler l’existence d’un mécanisme naturel de défense par suppression et insertion de gènes. Aujourd’hui, les discussions portent sur des applications dans le domaine de la thérapie génique.

Autre exemple, une start-up française, Algo, pour ne pas la citer, vient de recevoir un prix d’innovation pour le projet de fabrication d’une peinture bio-sourcée à base d’algues. Pourra-t-elle toujours se fournir auprès de producteurs bretons avec une telle loi ? L’entreprise et le monde économique ont besoin de stabilité.

Les travaux de nos scientifiques sont malmenés à plusieurs reprises dans le projet de loi. Cela ne devrait pas être le rôle du législateur !

De telles mesures, qui ne sont pas fondées sur les données scientifiques, créent des précédents et seront des freins à la recherche française.

Notre rôle d’élus nous impose de ne pas nous aligner sur les lobbies. Je rejoins ma collègue Sophie Primas, il y en a des deux côtés !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Il faudrait mieux définir ce qu’est un lobby !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Les postures des lobbies court-circuitent toute rationalité, au profit des émotions.

Construisons nos politiques publiques sur la base des avis scientifiques, en particulier dans le domaine que nous abordons aujourd’hui.

J’aurais également pu formuler une troisième critique, en déplorant les contraintes nouvelles imposées aux acteurs économiques, notamment les agriculteurs. Là encore, ne nous méprenons pas.

De tout temps, les agriculteurs et les forestiers ont été les façonneurs de nos paysages et du développement de la biodiversité.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Et c’est de l’agriculture qu’est née notre extraordinaire diversité raciale de bovins !

Madame la secrétaire d’État, la France est le pays du monde qui a su garder la plus grande biodiversité raciale, naturellement, sans contrainte, grâce à ses paysans !

Je tenais à le mentionner, car on oublie trop souvent cette richesse, qui est née naturellement du travail des femmes et des hommes sur nos territoires.

Pour moi et mon collègue Jackie Pierre, qui venons du département des Vosges, troisième département le plus boisé de France, l’obligation de boisement compensateur quand on touche à un hectare de forêt est une absurdité. Nous le savons, pour reconquérir de la biodiversité, il faudrait même parfois une certaine déforestation.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Ronan Dantec s’exclame également.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

D’ailleurs, c’est financé par les collectivités locales. Une telle mesure n’a donc ni sens ni cohérence.

L’équilibre est plus subtil. Je ne pense pas qu’on puisse le trouver dans un texte législatif.

À la lumière de ces inquiétudes, je constate que le projet de loi fait, à bien des égards, la démonstration de son insuffisance.

Insuffisance d’abord, car une politique de protection de la biodiversité doit avoir une base scientifique forte. Or ce n’est pas le cas dans ce texte.

Insuffisance également, car une politique en faveur du développement de la biodiversité doit pouvoir s’articuler avec notre volonté en matière économique, notre conception du rôle de la France au sein de l’Union européenne et dans le monde et, bien entendu, notre ambition sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.