Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à réformer le système de répression des abus de marché, c’est-à-dire des délits d’initié, de la diffusion de fausses informations et de la manipulation de cours ou d’indice.
Nos collègues de l’Assemblée nationale ont pris cette initiative six mois après le dépôt au Sénat de deux propositions de loi identiques sur le même sujet, par M. Claude Raynal et votre rapporteur. Nous ne pouvons que nous réjouir d’avoir largement inspiré ce texte, même si nous avons souhaité y apporter quelques améliorations.
Comme vous le savez, la réforme du système de répression des abus de marché ne peut plus attendre. En effet, les dispositions qui permettent aujourd’hui de sanctionner ces agissements ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 mars 2015, rendue à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité déposée dans le cadre de l’affaire EADS ; ces dispositions, ou du moins, celles qui sont relatives aux délits d’initié seront donc abrogées le 1er septembre prochain.
C’est en raison de cette urgence que la présente réforme a été dissociée du projet de loi dit « Sapin II », dans lequel il avait été envisagé, dans un premier temps, qu’elle trouve sa place.
Le Conseil constitutionnel reproche à notre système de permettre le cumul de poursuites devant l’AMF et devant le juge pénal, dans des conditions contraires au principe de nécessité des peines. Auparavant, dans son arrêt Grande Stevens de 2014, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné l’Italie, dont le système de répression des abus de marché est identique au nôtre, au nom du principe ne bis in idem.
Le texte que nous examinons aujourd’hui propose en matière d’abus de marché un aiguillage des poursuites fondé sur une concertation entre l’AMF et le Parquet national financier. Il écarte ainsi d’autres solutions, qui auraient pu être envisagées, telles que la dépénalisation, la suppression de la répression administrative ou encore la création d’une juridiction spéciale. Nous étions arrivés à la conclusion qu’une procédure d’aiguillage était la meilleure réponse au problème posé.
Par ailleurs, la décision d’orientation des poursuites découlera en première intention d’une concertation entre l’AMF et le Parquet national financier. Aucune des deux autorités ne pourra ainsi engager de poursuites sans que l’autre y consente.
La présente proposition de loi diffère cependant de nos propositions antérieures dans la manière de régler le cas d’un désaccord persistant entre l’AMF et le Parquet national financier.
Nous avions fait le choix de préconiser la création d’une instance neutre. Celle-ci, qui ne se serait réunie que dans les cas exceptionnels d’absence d’accord, aurait été composée à parité de magistrats du Conseil d’État et de la Cour de cassation, sur le modèle du Tribunal des conflits.
Postérieurement au dépôt de notre proposition, le Conseil d’État, interrogé par le Gouvernement, a toutefois indiqué qu’il n’y avait pas d’obstacle constitutionnel à prévoir le caractère prioritaire de la voie pénale sur la voie administrative et à subordonner par conséquent l’engagement de poursuites devant la commission des sanctions de l’AMF à l’accord du parquet. La présente proposition de loi confie donc le rôle d’arbitre au procureur général près la cour d’appel de Paris. Compte tenu de l’avis du Conseil d’État, mais aussi du consentement des acteurs concernés, que j’ai été amené à rencontrer, la commission des finances a choisi de se rallier à cette proposition.
Nous estimons néanmoins que le dispositif, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, peut encore être amélioré. C’est pourquoi, en collaboration avec la commission des lois, la commission des finances a modifié l’article 1er de la proposition de loi pour préciser la procédure de concertation et d’arbitrage afin d’en garantir la transparence, l’efficacité et la rapidité. Nous ne jugeons pas satisfaisant de renvoyer la détermination des modalités de cette procédure à un décret, d’autant que sont en cause à la fois des éléments de procédure pénale et les relations entre une autorité publique indépendante et l’autorité judiciaire.
Nous jugeons également qu’une répression plus efficace des abus de marché passera par une meilleure coopération, dès le stade de l’enquête, entre l’AMF et le parquet. Voilà pourquoi notre commission a ajouté un article 2 ter imposant à ces deux entités de s’informer mutuellement de l’ouverture d’une enquête et de coordonner leurs investigations.
Dans le même souci d’efficacité, nous avons modifié l’article 1er A pour autoriser le Parquet national financier à réaliser en cas de délit en bande organisée des écoutes téléphoniques, sous le contrôle, bien sûr, du juge des libertés et de la détention, et ce sans attendre l’ouverture d’une information judiciaire.
Afin de ne pas allonger les délais, la justice pénale devra recourir plus souvent à la citation directe devant le tribunal correctionnel ou au « plaider-coupable ». Le procureur de la République financier comme le président du tribunal de grande instance de Paris ont déclaré publiquement y être prêts.
Par souci de symétrie, la commission des finances a décidé, en adoptant un article 2 bis, d’élargir aux abus de marché la possibilité pour l’AMF de conclure des accords transactionnels. Nous avons également modifié l’article 4, pour que l’AMF puisse être représentée à l’audience du tribunal correctionnel lorsqu’elle a choisi de ne pas se porter partie civile.
J’en viens maintenant aux autres dispositions de la proposition de loi, qui visent à transposer la directive européenne et le règlement relatifs aux abus de marché, c’est-à-dire le paquet « MAD-MAR ».
Je rappelle que c’est sur l’initiative de notre commission et particulièrement de notre collègue Richard Yung, rapporteur en 2014 de la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dite « loi DDADUE », que le Parlement a refusé au Gouvernement l’autorisation de réaliser cette transposition par voie d’ordonnance.
Nous avions alors estimé que nous ne pouvions nous dessaisir de la transposition de ces textes qui conduisent à la refonte des dispositions incriminant les abus de marché, sur le plan tant pénal qu’administratif, et qui imposent aux États membres des plafonds minimaux de sanction.
En outre, il nous semblait nécessaire que cette transposition aille de pair avec la réforme du système de cumul des poursuites. La présente proposition de loi nous donne raison.
La fin du cumul des poursuites implique en effet que la voie pénale soit à la fois plus rapide et plus sévère : plus rapide, car les délais sont inacceptables, et plus sévère, car les peines de prison restent aujourd'hui théoriques et les montants des amendes relativement faibles – quelque 140 000 euros en moyenne par la juridiction pénale, contre plus d’un million d’euros par l’AMF.
Si elle ne correspond pas tout à fait à ce nous proposions, la nouvelle échelle des sanctions proposée nous semble globalement plus satisfaisante. En effet, les peines sont largement revues à la hausse. Il s’agit là du corollaire indispensable de la fin du cumul des poursuites et de l’aiguillage : il ne serait pas acceptable que les cas les plus graves soient orientés vers une voie répressive – le parquet, puis les tribunaux –, où ils seraient potentiellement moins sévèrement réprimés.
En conséquence, les peines d’emprisonnement sont relevées à cinq ans, contre deux ans actuellement, pour tous les abus de marché. Dans le même sens, les sanctions pécuniaires sont alignées sur celles qui sont prévues pour la voie administrative, soit un plafond de 100 millions d’euros.
Notre commission a simplement modifié l’article 1er A, afin de créer une circonstance aggravante si les faits sont commis en bande organisée, avec dix ans de prison à la clef, et de préciser le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales.
Au total, l’objectif de la présente réforme doit être double : une AMF confortée comme le régulateur et le garant du bon fonctionnement des marchés financiers ; une juridiction pénale renforcée et crédibilisée par des procédures plus rapides et des sanctions potentiellement plus sévères.
Compte tenu des nombreux points de convergence avec nos collègues députés sur ce double objectif, je ne doute pas, mes chers collègues, d’autant que les délais nous y contraignent, que nous parviendrons à un texte qui saura faire consensus.