Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat examine la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale réformant le système de répression des abus de marché transmise au fond à la commission des finances.
Pour sa part, la commission des lois a examiné pour avis les articles 1er, 2, 3, 4 et 5 du texte, visant à déterminer qui, entre l’Autorité des marchés financiers et le procureur de la République financier, sera chargé de conduire les poursuites en matière d’abus de marché, en cas de délit d’initié par exemple.
Ce travail législatif est rendu nécessaire et urgent à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 qui a élevé, au moins en l’espèce qui lui était soumise, au rang de principe constitutionnel la règle non bis in idem, selon laquelle on ne peut pas être poursuivi, jugé et puni deux fois pour les mêmes faits.
Le droit français comporte plusieurs régimes prévoyant pour la même personne et pour les mêmes faits le cumul de sanctions pénales et de sanctions administratives, infligées cumulativement par le juge pénal et par l’administration, cette dernière agissant le cas échéant par le biais d’une autorité administrative indépendante.
Le Conseil constitutionnel a rendu cette situation impossible pour certaines infractions entrant dans le champ de compétence de l’Autorité des marchés, en retenant comme essentielle la circonstance que le juge judiciaire intervient en qualité de voie de recours contre les sanctions prononcées dans certaines hypothèses par l’Autorité.
Toutefois, notre droit, lorsqu’il aura intégré les conséquences de cette décision, n’aura absolument pas terminé son évolution. En effet, l’application faite par la Cour européenne des droits de l’homme du protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui a été ratifié par la France et qui est afférent au principe non bis in idem, lui confère un domaine beaucoup plus large et d’application incontournable par la formulation de réserves.
Dans son avis, la commission des lois a répondu à l’impératif législatif résultant de la décision du Conseil constitutionnel, mais elle a également engagé les évolutions lui paraissant les plus urgentes, afin de parer à d’inévitables contentieux devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans un premier temps, la commission des lois et la commission des finances, dans un parfait travail commun, ont répondu aux exigences du Conseil constitutionnel en proposant, à l’article 1er, qui constitue l’essentiel de ce texte pour la commission des lois, une organisation précise et chronologique de la procédure. Ces dispositions permettront, conformément à la proposition de loi, qui ne remet pas en cause les compétences complémentaires du juge pénal et de l’Autorité des marchés financiers, d’instaurer en quelque sorte un mécanisme d’aiguillage au profit de l’intervention exclusive de l’une ou l’autre de ces autorités, sous l’arbitrage éventuel du procureur général près la cour d’appel de Paris.
Mes chers collègues, il est à noter que le texte qui vous est proposé, finalement très technique, a reçu, au moins au moment des auditions de la commission, l’accord du ministère des finances et de la chancellerie – à quelques réserves près, qui, me semble-t-il, ont été levées depuis lors ou qui pourront l’être tout à l’heure –, de Mme le procureur général de la cour d’appel de Paris, de Mme le procureur national financier et de l’Autorité des marchés financiers, ces dernières autorités étant les seules à mettre en œuvre le texte.
À l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi, qui doit être promulguée avant le 1er septembre 2016, date à laquelle les dispositions antérieures seront abrogées par la décision du Conseil constitutionnel, la commission des lois a proposé d’anticiper une prochaine décision du Conseil constitutionnel qui paraît inévitable : comme pour l’Autorité de la concurrence en 2015, le Conseil constitutionnel pourrait estimer contraire à la Constitution le recours aux « fadettes » par l’Autorité des marchés financiers selon la procédure actuelle. À cet effet, la commission a introduit dans le texte un article additionnel après l’article 1er.
Dans un second temps, la commission des lois soumettra à votre examen en séance publique des amendements visant à corriger un autre cas de cumul de poursuites, pénales et administratives, comparable à celui que je viens d’évoquer. Celui-ci intéresse les pratiques anticoncurrentielles cumulativement punies par des sanctions pénales et administratives, respectivement prononcées par le juge pénal et l’Autorité de la concurrence.
D’autres cas de cumul de sanctions pénales et administratives potentiellement problématiques au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et surtout de celle de la Cour européenne des droits de l’homme, nous conduiront immanquablement et rapidement à prendre des initiatives. Du reste, dans les prochaines semaines, les décisions du Conseil constitutionnel concernant deux questions prioritaires de constitutionnalité pourraient bien nous amener une nouvelle fois à légiférer dans l’urgence en matière de cumul de sanctions pénales et administratives, en l’espèce fiscales.
Ces amendements tendent par ailleurs à unifier devant le juge judiciaire l’examen des recours formés contre les sanctions prononcées par l’Autorité des marchés financiers, que ces sanctions concernent un professionnel ou une personne agissant à titre personnel.
Les dispositions soumises à vos débats et à vos votes, mes chers collègues, peuvent paraître très techniques. Il reste que le respect de dispositions fondamentales au regard des droits de l’homme n’est pas toujours assuré et que, en conséquence, la France risque une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme.
La commission des lois invite le Parlement tout entier à en être conscient et à agir dès à présent en adoptant la proposition de loi telle que nous l’avons amendée.