Intervention de André Gattolin

Réunion du 10 mai 2016 à 14h30
Répression des abus de marché — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on serait tenté de croire que la répression exemplaire des abus qui font aujourd'hui l’objet de notre débat suffirait à rendre le marché irréprochable. Or, on le sait, les difficultés suscitées par la financiarisation de l’économie dépassent évidemment de très loin la question des délits boursiers.

Pour autant, cette question doit être traitée, avec d’autant plus d’empressement que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a cassé le mécanisme de poursuite de ces infractions, lequel reposait à la fois sur l’AMF et sur le parquet.

Ce débat présente un caractère juridique très pointu, articulant les grands principes fondamentaux du droit avec de récentes jurisprudences européennes. Il revêt également une dimension politique, du fait du conflit de légitimité entre les sanctions administratives, d’une part, et pénales, d’autre part, que le Conseil constitutionnel ne nous permet plus, en l’espèce, de superposer.

L’AMF, autorité administrative de régulation, est au plus près du fonctionnement du marché. Ses sanctions, pécuniaires ou disciplinaires, sont décidées par une commission largement composée de professionnels du secteur. Dans ce contexte, la sanction devient un aléa boursier parmi d’autres. C’est une variable de plus susceptible de s’imputer aux profits. De son côté, le Parquet national financier, avec sa lourde procédure pénale, ne s’inscrit pas dans le dynamisme du marché.

L’hypothèse d’une détention carcérale, même si le parquet, il faut bien le dire, n’en abuse pas, vient rappeler que toutes les fautes ne sont pas convertibles en pénalités, certaines pouvant valoir élimination de la partie.

Évidemment, cette dualité s’interprète différemment selon l’appréciation politique que l’on porte sur la contribution de la finance à notre économie. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, pour protéger le bien commun des excès de la finance, les écologistes considèrent qu’il vaut mieux compter sur la protection de la justice que sur l’autorégulation de la profession.

La commission des sanctions de l’AMF, décrite sur le site internet de l’Autorité, comprend douze membres, dont quatre sont des magistrats et huit des professionnels du secteur. Deux de ces huit professionnels sont recommandés par les syndicats de salariés et six par les organisations de sociétés cotées. Il est assez édifiant de constater que seuls ces six-là sont recrutés « en raison de leur compétence financière et juridique ». C’est révélateur d’une faible considération pour les syndicalistes. En outre, associer la compétence à la direction des entreprises dit assez bien l’absence de réels contre-pouvoirs, aujourd'hui, face à la sphère financière.

Seule Finance Watch, maigre organisation non gouvernementale, dispose d’une expertise financière de pointe sans pour autant défendre les intérêts des lobbys. À cet égard, il faut reconnaître à Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, le mérite d’avoir nommé au collège de l’AMF, qui comporte seize personnes, l’un des anciens secrétaires généraux de Finance Watch. Toutefois, on est encore assez loin d’un équilibre raisonnable.

En réponse aux interrogations, on entend souvent dire que les sanctions de l’AMF sont globalement plus sévères que celle du parquet financier. Il me semble que cette assertion mérite d’être nuancée, d’abord, parce que les chiffres dont on dispose sont des agrégats assez peu précis ; ensuite, parce que, la plupart du temps, le juge judiciaire tient évidemment compte de la sanction administrative précédemment appliquée ; enfin, parce que l’on dispose d’un contre-exemple qui, du fait de son ampleur, mérite que l’on s’y arrête.

En 2006, dans l’affaire EADS, plus de 4 milliards d’euros de titres ont été cédés par des actionnaires et des dirigeants, soupçonnés de délit d’initié. À la surprise générale, la commission des sanctions a écarté tous les griefs, contre l’avis de son rapporteur. Puis, alors que le juge estimait dans son ordonnance de renvoi que les faits étaient établis, est survenue la fameuse QPC qui nous occupe aujourd’hui.

Si la voie administrative n’est donc manifestement pas adaptée aux cas les plus importants, je n’en conclus pas pour autant qu’il faille judiciariser la moindre affaire. Pour les cas les moins graves, dans lesquels on peut imaginer que la maladresse a pu l’emporter sur la malveillance, la commission des sanctions a un rôle à jouer, le tout étant de trouver les bons critères d’aiguillage.

La pertinence du compromis porté, à quelques nuances près, par l’Assemblée nationale et le Sénat ne pourra bien entendu être évaluée qu’à l’usage. Toutefois, l’unité de vue qui semble prévaloir entre les deux juridictions concurrentes, l’AMF et le parquet, est de nature à nous rassurer, de même que le fait que l’arbitrage soit confié en dernier ressort à un procureur.

Le relèvement substantiel des sanctions pénales devrait également améliorer le caractère dissuasif de notre arsenal de peines et nous permettre de nous rapprocher des normes internationales.

J’en profite d’ailleurs pour saluer, une fois de plus, le travail remarquable effectué par notre commission des finances, en l’occurrence par M. le rapporteur général, et par notre collègue Claude Raynal, qui se sont saisis du problème très en amont. Je ne doute pas que, une fois le texte adopté, ils auront à cœur d’observer le fonctionnement du nouveau régime, ainsi que les résultats du mécanisme de transaction.

En attendant, il nous semble que, à ce stade, la version portée par le Sénat est plus précise sur les modalités de l’aiguillage et sur la nécessaire collaboration entre les deux instances.

Aussi, malgré les quelques réserves que j’ai exprimées, le groupe écologiste s’achemine vers un vote favorable de ce texte.

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