Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi, déposée par le groupe socialiste à l’Assemblée nationale, réformant le système de répression des abus de marché, en particulier les délits d’initié lors des opérations en bourse.
C’est un sujet passionnant, certes technique, mais de la plus haute importance, puisqu’il a trait à la fois à la régulation et à la moralisation de la vie économique.
Nous nous souvenons tous de la forte médiatisation d’affaires comme celle des stock-options d’EADS, évoquée à l’instant par notre collègue André Gattolin. Plusieurs cadres dirigeants et des anciens actionnaires du consortium aéronautique ont été mis en cause entre 2005 et 2006, alors que les retards de livraison de l’A380 avaient entraîné une chute du cours des actions.
On se souvient également du scandale mondial déclenché par l’affaire Enron, cette entreprise américaine de courtage en énergie qui, à la suite d’un délit d’initié massif, avait provoqué en 2001 la ruine de ses petits actionnaires.
Les abus de marché, qu’ils soient intentionnels ou non, qu’ils soient avérés ou non, suscitent toujours beaucoup d’intérêt et de réprobation dans l’opinion publique. La condamnation des responsables à des amendes lourdes, de plusieurs millions d’euros, voire à des peines d’emprisonnement, connaît toujours un très fort retentissement.
Cette proposition de loi vise à refondre le système français de répression des abus de marché, de façon à le mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015.
Dans cette décision, le juge constitutionnel a invalidé les dispositions en vigueur, qui autorisaient jusqu’ici le cumul des sanctions administratives et pénales des abus de marché. En vertu du principe juridique non bis in idem, hérité du droit romain et énoncé à l’article 4 du protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi dans le code pénal français, une personne ne peut être ni poursuivie ni punie deux fois pour les mêmes faits. De ce principe découle la remise en cause du cumul des modes de sanctions applicable jusqu’à présent.
Pour réformer le système de répression des abus de marché, les parlementaires de l’Assemblée nationale et de la commission des finances du Sénat ont décidé de conserver un système dual, avec une voie administrative, sous la houlette de l’Autorité des marchés financiers, et une voie judiciaire, sous la responsabilité du Parquet national financier institué en 2011. Afin d’éviter le cumul des deux, un mécanisme d’aiguillage est proposé, le procureur général près la cour d’appel de Paris étant chargé d’arbitrer en cas de conflit de compétence.
Dans la pratique, les amendes administratives se révèlent significativement plus élevées que les amendes pénales. Ainsi, le rapporteur a évoqué une moyenne d’un million d’euros pour les amendes administratives, contre seulement 140 000 euros pour les amendes pénales. Toutefois, seul le Parquet national financier peut requérir des peines d’emprisonnement, même si l’AMF peut se porter partie civile lorsque la voie judiciaire est retenue.
Dans les faits, la réforme aura pour conséquence de renforcer le pouvoir de l’AMF, en particulier de sa commission des sanctions, dans la mesure où le Parquet national financier ne pourra plus se saisir de toute affaire, comme c’est le cas actuellement.
En revanche, si la répression pénale est choisie, le texte prévoit d’associer l’AMF de plusieurs manières, en tant que partie civile ou auditrice. Cette asymétrie s’explique notamment par la différence de moyens entre l’AMF et le Parquet national financier. Forte d’un budget annuel de 80 millions d’euros et de près de 500 agents, l’Autorité des marchés financiers, en l’état actuel, est manifestement la seule à disposer des moyens nécessaires pour lutter efficacement contre les abus de marché, qui restent, nous le savons, difficiles à démontrer.
Ainsi, les enjeux liés à la régulation du trading à haute fréquence illustrent à quel point la question des moyens matériels et des capacités technologiques est essentielle pour permettre au régulateur d’assurer correctement ses missions et de réprimer les abus.
Comme la majorité des membres de mon groupe, j’approuve l’économie générale de cette proposition de loi. J’approuve également le relèvement des plafonds de sanctions pécuniaires et des peines d’emprisonnement, qui seront plus dissuasives qu’auparavant.
On peut toutefois regretter que la proposition de loi ait pour origine une décision pour le moins étonnante du juge constitutionnel, prise à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, ayant entraîné l’extinction des poursuites dans l’affaire EADS et laissé le grand public et les professionnels du secteur sur leur faim.
Par ailleurs, ce texte n’épuise pas la question du contrôle de l’organisation et de l’activité de l’AMF, autorité administrative dont la capacité et l’indépendance doivent être assurées en toutes circonstances, afin d’éviter sa « capture », comme on dit en théorie économique, par des acteurs malveillants.
Enfin, je rappelle l’importance, au moins d’un point de vue symbolique, de la répression pénale. La délinquance financière doit, si nécessaire, continuer d’être réprimée par cette voie. C’est une exigence citoyenne.
Ces remarques étant faites, j’ai le plaisir de confirmer que les membres du RDSE voteront très majoritairement en faveur de cette proposition de loi.