Intervention de Christian Poncelet

Réunion du 23 octobre 2007 à 16h30
Éloge funèbre de jacques pelletier sénateur de l'aisne

Photo de Christian PonceletChristian Poncelet, président :

Car Jacques n'était pas seulement une grande figure de notre assemblée. Pour nombre d'entre nous, il était aussi, avant tout, un ami ; j'aurais pu dire : pour la quasi-totalité d'entre nous !

À peine avions-nous suspendu les travaux de la session extraordinaire de juillet qu'un communiqué nous informait, le 12 août, que Jacques Pelletier avait été victime d'un malaise cérébral et hospitalisé en urgence au Val-de-Grâce. Surpris et atterrés, nous le fûmes tous car, jusqu'aux derniers jours de la session, Jacques Pelletier avait été présent dans cet hémicycle et rien ne laissait pressentir un tel accident.

C'est à Villers-en-Prayères dans l'Aisne, à quelques kilomètres du Chemin des Dames, que Jacques Pelletier naquit le 1er août 1929. Issu d'une lignée d'agriculteurs, d'élus locaux et d'anciens combattants de la Grande Guerre, il inscrivit très tôt sa vie dans ces solides et valeureuses traditions. Après des études secondaires au lycée Janson-de-Sailly à Paris, il accomplit des études d'ingénieur agronome à l'École supérieure d'agriculture d'Angers avant de revenir dans son village natal pour y exercer, à son tour, le beau métier d'agriculteur.

Dès son jeune âge, Jacques Pelletier montrera un goût pour l'engagement au service d'autrui. Membre fondateur du Cercle des jeunes agriculteurs de l'Aisne, il en devient très vite président départemental, puis vice-président national de 1956 à 1960. Simultanément à cet engagement militant dans le monde agricole, Jacques Pelletier allait suivre un parcours d'élu local, puis national.

Ce parcours fut aussi précoce que brillant. En avril 1953, à peine âgé de 24 ans, il était élu maire de son village natal. Il le restera sans discontinuer jusqu'à sa mort, cinquante-quatre ans plus tard. À 29 ans, il est élu conseiller général du canton de Braine, devenant le plus jeune conseiller général de France. En 1964, il est porté à la présidence du conseil général de l'Aisne. Ce qui constituait déjà une performance pour un si jeune élu allait trouver son débouché naturel lors d'une élection sénatoriale partielle, en juin 1966, à la suite du décès de Louis Roy.

À 36 ans, Jacques Pelletier fait ainsi son entrée dans notre assemblée. Celui qui en fut alors le benjamin allait y siéger constamment jusqu'à cet été. Il ne s'éloignera de notre hémicycle que quelques années pour assumer des responsabilités gouvernementales ou administratives incompatibles avec un mandat parlementaire.

Cette précocité et ce parcours exceptionnel ne devaient rien au hasard. Tout au long de sa vie, Jacques Pelletier a été un homme de contact, un homme d'écoute, un homme de tolérance et d'ouverture aux autres. Son attachement aux valeurs humanistes était consubstantiel à sa personne. Il s'exprimait autant dans ses interventions publiques que dans sa manière naturelle d'être.

Sa silhouette toujours fine, son regard clair et ouvert, sa juvénilité - qu'il conservera jusqu'à ses derniers jours - révélaient une personnalité aussi attachante que sans détours.

Poursuivant son ascension dans les responsabilités au sein du Sénat, Jacques Pelletier fut élu secrétaire du bureau dès 1968, deux ans après son arrivée au palais du Luxembourg. Inscrit au Centre démocrate, il manifestera - au-delà des appellations et des évolutions circonstancielles et superficielles - une fidélité sans faille à sa famille politique. Membre du groupe de la Gauche démocratique dès son entrée au Sénat, il en gravira tous les échelons pour accéder aux fonctions de vice-président, puis de président.

Homme du juste milieu, foncièrement hostile à la bipolarisation, il s'attachera toujours - fidèle en cela à ses convictions les plus intimes - à dépasser les clivages entre la gauche et la droite. Il exprimera le souci permanent d'éviter les affrontements directs, préférant jeter des ponts et ouvrir des voies à la recherche de solutions consensuelles et équilibrées.

Si Jacques Pelletier était l'homme du dialogue et de la médiation, il était aussi capable d'engagements forts. Ainsi, dès 1968, il prit une part active au combat contre la réforme du Sénat proposée par le référendum d'avril 1969, avec le résultat que l'on sait.

En 1974, il fait son entrée au conseil régional de Picardie pour parfaire son engagement électif au service de la région. Dans la même période, il devient vice-président de l'Assemblée des présidents des conseils généraux et de l'Association des maires de France.

Ses engagements, sa personnalité et ses qualités le font remarquer par le président Valéry Giscard d'Estaing. En avril 1978, Jacques Pelletier fait sa première entrée dans un gouvernement, celui de Raymond Barre. Nommé secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation, Christian Beullac, il se démettra de son portefeuille après sa réélection au Sénat en 1980.

Pendant les huit années qui vont suivre, Jacques Pelletier va déployer au sein de notre assemblée une activité inlassable, comme président du groupe de la Gauche démocratique, mais aussi comme président de l'intergroupe de défense des droits de l'homme, créé quelques années plus tôt par Adolphe Chauvin.

C'est aussi pendant cette période que Jacques Pelletier approfondit sa connaissance et son intérêt pour l'Afrique, au sein des groupes d'amitié dont il assumera la responsabilité. Il se prendra de passion pour ce continent complexe, divers et en constante mutation. Là encore, l'esprit ouvert de Jacques Pelletier, son sens aigu de l'échange et du dialogue feront merveille auprès des dirigeants africains. À l'occasion de visites d'État où il accompagnera François Mitterrand, il se fera remarquer du Président, qui lui demandera, en 1988, d'entrer dans le gouvernement de Michel Rocard.

Comme ministre de la coopération et du développement, Jacques Pelletier déploiera une activité inlassable au service du développement. Confiant dans les potentialités des peuples africains et dans leur capacité à assumer leur destin, il favorisera toutes les initiatives susceptibles de les y aider.

Multipliant l'action des ONG, jetant les bases de la coopération décentralisée, persuadé que l'implication des collectivités locales était le plus sûr moyen d'associer les Françaises et les Français à l'aide au développement, il mena une action féconde, à bien des égards, prophétique.

La fin de sa carrière gouvernementale ne signifiait évidemment pas le terme de son engagement au service de l'État. En mars 1992, il est nommé Médiateur de la République, fonction qu'il occupera six années durant. Ce poste était parfaitement assorti à sa vocation et à son tempérament. Il instituera les délégués départementaux pour rapprocher les citoyens de la Médiature. Face aux lourdeurs de la bureaucratie, ses recommandations seront toujours pertinentes et appréciées.

En 1998, il retrouvera son cher palais du Luxembourg et le groupe de la Gauche démocratique. Il reprendra ses activités au sein des groupes d'amitié avec l'Afrique et du groupe d'études des droits de l'homme. Son expérience gouvernementale lui vaudra aussi d'être porté à la présidence du Haut conseil de la coopération internationale. Sa connaissance des problèmes et son sens du dialogue lui vaudront, dans ces importantes fonctions, l'estime de toutes et de tous.

Je veux, à cet instant, saluer dans la personne de Jacques Pelletier un grand Français, un élu local d'exception et, surtout, un éminent serviteur de la République.

Partout et en toute occasion, il montrera comment un homme du centre peut favoriser le rapprochement entre les hommes. Méfiant à l'égard de toute pensée dogmatique, il professait une aversion certaine pour toutes les théories et tous les sectarismes qui en découlent. Plus qu'aucun autre, Jacques Pelletier fut un grand humaniste, et c'est sans doute ce trait de sa personnalité qui restera dans la mémoire de celles et de ceux qui l'ont connu, apprécié et, comme nous tous, aimé.

Aux membres de la commission des finances, dont il était le rapporteur écouté des crédits de l'urbanisme et du logement, j'exprime la sympathie attristée de toute notre assemblée.

À son groupe politique du Rassemblement démocratique social et européen, qui perd en sa personne un collègue insigne et attachant, un président écouté et attentif à toutes et à tous, j'adresse les condoléances du Sénat tout entier.

Jacques Pelletier avait un attachement très profond à sa famille.

Il eut la joie d'avoir cinq enfants, qu'il aimait profondément. Mais il connut la dure épreuve de la perte cruelle d'un gendre, Loïc Caradec, et il subit avec autant de souffrance que de dignité - je puis en témoigner -, il y a dix mois, la mort brutale de son cher fils Benjamin.

Je vous assure, chère Isabelle Pelletier, vous et votre attachante famille, de la sympathie profonde et émue du Sénat de la République. Je vous exprime avec chaleur et affection toute la part personnelle que je prends à votre peine.

Je vous invite maintenant, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à observer une minute de silence en mémoire de notre collègue.

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