Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous commençons aujourd’hui la deuxième lecture du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Je souhaite tout d’abord me réjouir du temps dont nous avons disposé pour examiner ce texte, puisque nous avons eu deux lectures, la procédure accélérée n’ayant pas été engagée. Cela devient rare, suffisamment en tout cas pour être noté ! Certains points du texte font d’ailleurs aujourd’hui, selon moi, l’objet d’un équilibre réaliste et intelligent, vous l’avez noté, madame la secrétaire d’État, et je crois que c’est grâce aux vertus de la procédure normale d’examen du texte.
Plus de deux ans se sont écoulés depuis l’adoption du projet de loi par le conseil des ministres, en mars 2014. Le projet de loi initial comportait 72 articles et, après en avoir compté 160 à l’issue de la première lecture au Sénat, il n’en comprend plus aujourd’hui que 102, qui sont soumis à notre discussion. Vous l’avez compris, un certain nombre d’articles ont fait l’objet d’un accord entre les deux assemblées et se trouvent ainsi « fermés », pour reprendre une expression de notre jargon.
Un mot sur les travaux de la commission, qui s’est réunie mardi et mercredi derniers pour adopter son texte. Le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale montre que celle-ci a réellement fait un pas dans notre direction et témoigne d’une volonté de trouver des compromis constructifs. Le Sénat avait d’ailleurs déjà adopté la même démarche en première lecture. L’Assemblée nationale a ainsi adopté 58 articles conformes à la rédaction issue des travaux du Sénat, c’est-à-dire plus du tiers.
Elle a également conservé un grand nombre de dispositions nouvelles insérées par le Sénat. Je citerai, par exemple, la ratification du protocole de Nagoya, l’équilibre trouvé pour les instances de gouvernance de la biodiversité, et notamment la composition du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité, ou encore la suppression de l’interdiction de la chasse à la glu et de la chasse aux mammifères en période de dépendance et de reproduction. Ces apports du Sénat ont été entérinés par l’Assemblée nationale et sont désormais acquis.
Au sein de la commission, nous avons continué à travailler dans le même état d’esprit, puisque, la semaine dernière, nous avons adopté 142 amendements sur les 323 que nous avons examinés. Notre objectif a été de conserver les priorités qui étaient déjà les nôtres en première lecture.
Tout d’abord, nous avons réaffirmé la volonté de concilier tous les usages de la nature avec les activités économiques présentes sur le territoire, sans faire primer l’un sur un autre ou renforcer l’un au détriment d’un autre.
Notre deuxième priorité consiste à simplifier autant que possible, conformément d'ailleurs au souhait du président du Sénat. Il s’agit de veiller à ne pas ajouter des contraintes excessives aux différents acteurs sur les territoires ni des lourdeurs administratives inutiles. Cette priorité revendiquée par le président du Sénat l’est également par de nombreux membres du groupe auquel j’appartiens.
La troisième priorité est un engagement complet en faveur d’une nouvelle approche de la biodiversité, plus moderne, résiliente, mouvante, changeante, dynamique et dont nos outre-mer offrent l’exemple le plus magnifique. La biodiversité y est d’une richesse incomparable : elle est source d’atouts et d’innovations dans des secteurs variés comme l’économie, la recherche ou encore la santé ; mais elle est aussi en danger, en régression souvent, et victime de l’action des hommes.
Sur le fond de ce que nous avons adopté la semaine dernière, je voudrais m’arrêter un instant sur l’article 2 bis, qui inscrit le préjudice écologique dans le code civil et constitue, je le pense, la plus grande avancée permise par l’ensemble du projet de loi, la vraie révolution juridique qui fera avancer la protection de la nature et la protection de nos sites naturels.
Je ne voudrais pas que l’on oublie que c’est le Sénat qui aura permis cette immense avancée. C’est le Sénat, souvent taxé de conservatisme, qui fait preuve d’audace et de modernité en remettant le préjudice écologique sur la table, trois ans après l’avoir déjà adopté à l’unanimité, alors que l’Assemblée nationale comme le Gouvernement n’avaient pas beaucoup bougé sur ce sujet.
Nous avons adopté en commission une série d’amendements présentés par la commission des lois saisie pour avis, sur l’initiative de son rapporteur, Alain Anziani, qui n’est pas présent aujourd’hui, mais que je tiens à saluer. Nous avons pu réaliser un excellent travail ensemble et je me réjouis de pouvoir vous le présenter dans les heures qui viennent.
J’avais également déposé des amendements identiques, afin de bien montrer qu’ils résultaient d’un travail commun, comme nous en étions convenus en séance en première lecture, et toujours en lien avec le président Retailleau, auteur de la proposition de loi originelle de 2013, dont Alain Anziani avait été le rapporteur. Nous avons mené ensemble dix-sept auditions et sommes parvenus à une rédaction qui, si elle n’est peut-être pas encore parfaite, consolide réellement, je le crois, le nouveau régime introduit.
En quelques mots, nous avons souhaité simplifier le dispositif en veillant à sa bonne articulation avec le droit commun de la responsabilité civile, garantir l’efficacité de la réparation et veiller à sa bonne application dans le temps. Notre commission des lois, qui est composée d’excellents juristes et présidée par un conseiller d’État, a voté à l’unanimité les amendements présentés par Alain Anziani et moi-même. Je ne m’étends pas davantage, car nous aurons l’occasion d’y revenir pendant nos débats.
Concernant le reste du projet de loi, sur le titre Ier, la commission a, de manière pragmatique, opéré quelques modifications, afin de rendre le texte plus lisible, surtout sur les principes introduits dans le code de l’environnement. Nous ne sommes pas encore complètement sûrs de leur portée, ce qui suscite des réticences.
À l’article 3 ter, nous avons conforté le rôle essentiel du Muséum national d’histoire naturelle dans la conception, la mise à jour et la diffusion de l’inventaire du patrimoine naturel.
Sur le titre II, l’Assemblée nationale ayant validé l’essentiel de l’équilibre que nous avons adopté en première lecture, nous avons seulement supprimé l’article 7 ter A, qui prévoit un rapport sur les recettes de la part départementale de la taxe d’aménagement destinée à financer les espaces naturels sensibles.
Au titre III, relatif à l’Agence française pour la biodiversité, dont vous avez longuement parlé, madame la secrétaire d'État, nous avons réintroduit la mission d’appui technique à l’évaluation des dommages agricoles et forestiers causés par les espèces animales protégées et nous avons adopté un amendement de notre collègue Jean-Noël Cardoux et du groupe socialiste et républicain prévoyant que les missions de police seront exercées par l’agence et l’ONCFS, dans le cadre d’unités communes, sous l’autorité d’un directeur commun, nommé par les directeurs des établissements concernés. J’ai compris que nous aurions l’occasion d’en reparler.
Au titre III bis, nous avons entériné la réforme des comités de bassin et de la composition des conseils d’administration des agences de l’eau introduite à l’Assemblée nationale, mais qui ne sera effective qu’au prochain renouvellement des instances, c’est-à-dire en 2020, pour ne pas créer de perturbation pour ces dernières.
En revanche, nous avons substitué des règles de déontologie au régime d’incompatibilité que l’Assemblée nationale souhaitait mettre en place pour les membres de ces conseils d’administration, ce qui revenait, selon moi, à nier l’esprit même de la gouvernance de l’eau en France. De nombreuses professions appliquent des règles de déontologie, les membres des agences de l’eau peuvent donc parfaitement en faire autant.
Au titre IV, nous avons sécurisé juridiquement le dispositif d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages, ou APA, en supprimant les références aux « communautés autochtones et locales », pour les remplacer par la notion de « communauté d’habitants », sans vouloir heurter la fierté légitime de nos collègues ultramarins, mais simplement pour éviter tout risque d’inconstitutionnalité et éviter à ces communautés de perdre le bénéfice de l’APA.
Nous avons rétabli la procédure, supprimée par les députés, d’accès et de partage des avantages pour les ressources génétiques et les connaissances traditionnelles associées, qui étaient déjà en collection avant l’entrée en vigueur de la loi et qui feraient l’objet d’une utilisation ultérieure.
Sur l’initiative de Sophie Primas, nous avons également rétabli la rédaction du Sénat concernant les motifs pour lesquels l’administration pourra refuser une autorisation pour l’accès à une ressource génétique.
Au titre V, la commission a supprimé, sur l’initiative de notre collègue Catherine Deroche, la contribution additionnelle sur les huiles de palme, de palmiste et de coprah, considérant qu’elle créerait des difficultés commerciales et diplomatiques disproportionnées par rapport aux buts poursuivis, en particulier au regard des règles de l’Organisation mondiale du commerce – cet élément nous avait échappé lors de la première lecture –, et qu’une réforme plus globale et cohérente de la taxation des huiles devait plutôt être débattue dans une loi de finances. J’ajoute qu’une mission d’information sur la taxation des produits agroalimentaires est en cours à l’Assemblée nationale.
La commission a également modifié l’article 32, relatif aux établissements publics de coopération environnementale, les EPCE, en vue d’élargir leurs missions à toute action visant à préserver la biodiversité et d’associer des établissements publics locaux à leur création et à leur gestion, notamment afin de permettre aux offices de l’eau des territoires ultramarins de participer à la gouvernance de ces établissements. Nous donnons ainsi un coup d’accélérateur à la création de ce nouveau type d’établissement public.
La commission a rétabli l’article 32 bis BA, adopté au Sénat, visant à permettre l’incorporation au domaine public des terrains acquis au titre de la politique des espaces naturels sensibles. Elle a aussi clarifié le dispositif de compensation prévu par l’article 33 A et a supprimé l’obligation d’agrément préalable des opérateurs de compensation, afin d’encourager cette activité et, surtout, de la simplifier, en évitant la création d’une de ces usines à gaz que notre pays ne connaît que trop.
Elle a rétabli plusieurs dispositions que nous avions adoptées en première lecture sur le mécanisme d’obligations réelles environnementales, notamment sur le point de la concertation préalable.
Elle a aussi supprimé l’article 34, créant des zones prioritaires pour la biodiversité, comme en première lecture. À l’occasion d’un déplacement en Alsace, en compagnie de plusieurs collègues, j’ai pu constater que cet outil, certes intéressant d’un point de vue intellectuel, n’était pas efficace pour assurer la survie du grand hamster d’Alsace, alors que les agriculteurs nous ont montré que d’autres moyens plus pertinents fonctionnaient sur le terrain.
De même, la commission a supprimé l’article 36 quater, relatif aux espaces de continuités écologiques, dans la mesure où le code de l’urbanisme prévoit déjà des outils en ce sens.
À l’article 51 quaterdecies, relatif aux produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes, nous aurons de longs débats, car les positions et les solutions proposées diffèrent.
La commission a rétabli, contre mon avis, la rédaction votée par le Sénat en première lecture, qui revient sur l’interdiction et renvoie à un arrêté du ministre de l’agriculture, pris dans les six mois après la promulgation de la loi, le soin de définir les conditions d’utilisation de ces produits, afin de tenir compte de l’avis de l’ANSES de janvier dernier. L’article a été complété par l’adoption d’un sous-amendement de Sophie Primas visant à ajouter à l’interdiction de vente de produits phytopharmaceutiques en libre-service à compter de 2017 une exception pour les produits dont l’utilisation est autorisée en agriculture biologique.
Enfin, nous avons supprimé en commission un certain nombre d’articles ou de dispositions relevant clairement du domaine réglementaire ou étant redondantes avec le droit existant, comme le détail du contenu du volet du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, le SRADDET, consacré à la gestion du trait de côte, la consultation des usagers détenteurs d’autorisations avant le classement d’une réserve naturelle ayant une zone maritime, ou encore l’obligation de boucher tous les poteaux téléphoniques et anti-éboulement creux qui sont déjà installés et l’interdiction de poser de nouveaux poteaux creux et non bouchés.
Notre commission propose ainsi au Sénat un texte qui reste ambitieux, tout en étant réaliste. Je suis sûr que les travaux que nous allons mener permettront d’aboutir à un texte équilibré, comme l’a dit Mme la secrétaire d’État, qui fera progresser la biodiversité. En effet, celle-ci est notre bien commun, que nous léguerons à nos enfants le moment venu, en ayant conscience d’avoir bien travaillé pour l’avenir de notre pays.