Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il me revient de vous présenter le sens de l’avis de la commission des lois sur le seul article 2 bis relatif au préjudice écologique, à la place de notre collègue Alain Anziani, en déplacement. Il m’est d’autant plus facile de le faire que la qualité du travail conjoint de notre collègue et du rapporteur, Jérôme Bignon, a été saluée par la commission des lois qui a suivi l’intégralité de leurs propositions.
Sans conteste, l’ajout de ce dispositif au projet de loi constituera l’un des apports importants du Sénat. Nous ne pouvons que nous féliciter du concours heureux de volontés qui ont permis cette avancée. Cela illustre, une nouvelle fois, le succès que rencontre le Sénat lorsqu’il s’empare, sans esprit partisan, de sujets d’une vive actualité.
Le premier mérite en revient à notre collègue Bruno Retailleau, qui a déposé, le 23 mai 2012, une proposition de loi sur le sujet. Celle-ci fut rapportée au nom de la commission des lois par notre collègue Alain Anziani et adoptée, dans la rédaction qu’il avait proposée, à l’unanimité par notre assemblée. Ni le Gouvernement ni les députés n’ayant souhaité s’emparer de ce sujet à leur tour, il nous aura fallu attendre l’heureuse initiative de notre collègue rapporteur Jérôme Bignon et de la commission du développement durable pour redonner vie à cette proposition de loi, à l’article 2 bis du présent texte.
Les députés ont, cette fois, accepté ce que nous leur proposions, en modifiant toutefois largement le dispositif.
Nos deux commissions ayant constitué un groupe de travail commun pour parfaire le dispositif proposé, nos deux rapporteurs, Jérôme Bignon et Alain Anziani, dont je loue, une nouvelle fois, la qualité de la collaboration, ont déposé une douzaine d’amendements, tous adoptés par nos deux commissions, et à l’unanimité par la commission des lois.
Quel est l’esprit de la réforme proposée ? Nos deux commissions ont tout d’abord veillé à la simplicité du dispositif. La simplicité, en matière de responsabilité, est en effet gage d’efficacité.
La rédaction des députés présentait un inconvénient. En prévoyant que « toute personne qui cause un dommage à l’environnement est tenue de le réparer », elle organisait un régime de responsabilité personnelle spécifique et supprimait toute référence à la responsabilité pour le fait des choses dont on a la garde ou pour le fait des personnes dont on répond. Ainsi, nous aurions pu poursuivre en responsabilité l’ouvrier qui a ouvert les vannes causant la pollution, mais pas la compagnie qui l’emploie !
Nous avons préféré retenir le principe que « toute personne responsable d’un dommage anormal causé à l’environnement est tenue de réparer le préjudice écologique qui en résulte ». Ainsi, nous pouvons nous appuyer sur tous les types de responsabilités, pour faute et sans faute, personnelle ou du fait d’autrui, que prévoient déjà les articles 1382 à 1385 du code civil, certes anciens, mais très bien rédigés. Pourquoi réinventer ce qui existe déjà ?
Le même souci de simplicité et d’efficacité nous a conduits à retenir une rédaction adaptée, dans sa précision et sa concision, au code civil. Plutôt que de parler « d’atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement », nous avons retenu la notion de « dommage anormal », qui fait directement écho aux troubles anormaux de voisinage.
De la même manière, nous avons supprimé les dispositifs prévoyant, systématiquement, que le juge civil devra surseoir à statuer lorsqu’une « procédure administrative » est engagée tendant à la réparation du même préjudice. Outre l’imprécision de cette rédaction – qu’est-ce qu’une procédure administrative ? –, il faut éviter d’encourager la guérilla procédurale, qui servirait seulement à différer, le plus longtemps possible, la condamnation de l’auteur du dommage.
Il est plus simple de s’en remettre à l’appréciation du juge, qui peut discrétionnairement, ou à la demande des parties, prononcer ce sursis à statuer, en vertu de l’article 378 du code de procédure civile. Pour la même raison, nous avons supprimé l’obligation faite au juge de tenir compte des mesures de réparation déjà ordonnées : cela va de soi et se pratique tous les jours dans nos tribunaux. Je suis conscient que cette précision superfétatoire est destinée à rassurer ceux qui craindraient le contraire, mais faut-il transformer la loi en panneau clignotant signalant un danger qui n’existe pas ?
Nos deux commissions ont par ailleurs veillé à garantir l’efficacité de la réparation du préjudice écologique. Nous avons tout d’abord précisé ce qu’il convient d’entendre par réparation en nature : il s’agit soit de supprimer le dommage, soit de le réduire, soit de le compenser. Cette rédaction s’inspire des propositions du groupe de travail présidé par François Terré sur la réforme du droit de la responsabilité.
Nous avons ensuite restreint le périmètre des personnes ayant qualité à agir : il faut éviter que l’action échoue, faute d’avoir été engagée par quelqu’un en mesure de la porter. Outre l’État, les collectivités territoriales et l’Agence française pour la biodiversité, seules les associations agréées ou celles ayant plus de cinq ans d’existence pourraient agir. Enfin, nous avons fait de l’Agence française pour la biodiversité la structure compétente en dernier ressort pour assurer la réparation du dommage ou sa compensation.
Je souhaite signaler deux dispositifs innovants créés sur l’initiative de nos deux commissions. Le premier consiste à prévenir, plutôt que guérir, en permettant aux requérants d’agir pour faire cesser le trouble illicite causé par l’auteur du dommage, afin d’éviter que le préjudice n’empire. Le second vise à permettre à ceux qui ont qualité pour agir d’être substitués aux droits du premier requérant défaillant : ainsi d’autres pourront prendre la suite de ceux qui n’auront pu conduire l’action en réparation jusqu’au bout.
Enfin, nous nous sommes attachés à la bonne application dans le temps du nouveau dispositif. Nous avons considéré qu’il convenait de traiter le préjudice écologique comme le préjudice corporel – ce n’est pas une révolution juridique ! –, en fixant le délai de prescription à dix ans, mais seulement à compter du moment où l’on connaît le dommage, sans le butoir à cinquante ans à partir du fait générateur du dommage.
Par ailleurs, nous avons confirmé que les nouvelles règles s’appliqueraient aussi aux dommages nés de faits générateurs antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi, sauf si une action judiciaire a déjà été engagée. Il s’agit, bien sûr, des dommages réparables sur le plan civil et certainement pas d’une éventuelle action pénale !
Mes chers collègues, notre responsabilité est grande, parce que le Sénat est à l’origine de l’intégration de cet article sur le préjudice écologique dans le texte. Ne décevons pas les attentes que nous avons fait naître. La rédaction que nous vous proposons aujourd’hui vise à donner à ce dispositif la force qu’il requiert, en l’assortissant des garanties que le bon sens commande.