Je vais expliquer plus longuement pourquoi je suis défavorable à ces amendements.
À mes yeux, la séquence « éviter-réduire-compenser » est très importante, et je suis enthousiaste à l’idée qu’elle existe dans notre droit positif. Pendant des années, en effet, on n’a ni évité, ni réduit, ni compensé. Nous avons institué cette règle, et nous nous réjouissons qu’elle existe.
J’ai de nombreux exemples en tête de services de l’État qui instruisent des projets sans mettre en œuvre la séquence ERC : ils ne se demandent même pas si on peut éviter ou réduire, et ils compensent mal. Cela se passe dans mon département !
Lorsque j’étais président d’une commission locale de l’eau, j’ai été consulté par un syndicat intercommunal à vocation multiple, un SIVOM, qui voulait construire une station d’épuration. Le maître d’ouvrage délégué pour la construction de cette station était l’État, ou plutôt les services de l’équipement, à Amiens.
On me présente donc ce projet pour connaître l’avis de la commission locale de l’eau et savoir si ledit projet est conforme aux prescriptions du schéma d’aménagement et de gestion des eaux, le SAGE.
Je demande alors quelles sont les mesures préconisées dans le cadre de la séquence ERC, et notamment pour « éviter ». Il était prévu de construire la station, non pas à 100 ou 200 mètres, mais au bord du lit mineur du fleuve, j’ai bien dit : au bord ! On me répond alors qu’il n’est pas possible de prendre des mesures d’évitement. Or ils n’avaient cherché ni à éviter ni à réduire, et quand ils ont essayé de compenser, leur plan de compensation était nul !
Les principes, c’est magnifique, mais il faudrait commencer par appliquer ceux qui existent !
L’application de la séquence « éviter-réduire-compenser » relève du pouvoir de l’État, qui doit mettre en place des politiques organisées vis-à-vis des services, des maîtres d’ouvrage et des architectes. Ce n’est pas en disant que l’on va tendre à une absence de perte nette ! Comment mesure-t-on d’ailleurs l’absence de perte nette ?
Si tant est que je sois d’accord avec votre texte, il est vrai qu’avec la séquence « éviter-réduire-compenser », si on a un tout petit peu de bon sens, de bonne volonté écologique, on ne pense qu’à une chose : comment éviter de massacrer le paysage, les terrains sur lesquels on intervient ?
Puisque vous parlez de reconquête de la biodiversité, on devrait commencer par se poser la question de l’obtention du gain de biodiversité. Ce serait positif ! À défaut, si on ne peut pas faire de gain, comment éviter une perte ? Mais, je le redis, comment mesurer une perte nette ? Il faut être très calé… Nous n’avons aucun instrument de mesure.
On peut mener une politique de communication : je ne suis pas contre l’idée de faire de la pédagogie, d’expliquer aux services, aux maîtres d’ouvrage et aux ingénieurs ce qu’il convient de faire. Mais il faut voir la façon dont tout cela est actuellement appliqué sur le territoire national ! La preuve en est, d’ailleurs, que l’on s’est demandé comment allaient fonctionner les services de compensation. On s’est dit que ce ne serait pas une mauvaise idée que l’Agence française pour la biodiversité s’empare de ce sujet et tienne un registre des compensations.
On est là en train de se projeter dans un monde moderne : dans cinquante ans, on peut imaginer que nous aurons fait de grands progrès en matière d’ingénierie et que nous pourrons nous demander comment « éviter ». L’enfer est pavé de bonnes intentions, tout comme ce texte. Trouver, un jour, le moyen d’éviter la perte nette, je rêve qu’on y parvienne, mais ce ne sera pas aujourd’hui !
Actuellement, nous sommes incapables de faire des politiques de l’application de la règle ERC. §Or on essaye déjà d’éviter les pertes nettes.
Il faut revenir sur terre ! On est en train de construire une loi pour la reconquête de la biodiversité, et pas de rêver à des objectifs comme des Bisounours – pardonnez-moi d’être un peu trivial ! –, alors même que la règle ERC ne fonctionne pas. Appliquons déjà cette règle et, dans cinq ans, dans une loi moderne – madame la secrétaire d'État, comme vous êtes très jeune, vous aurez la chance de présenter d’autres textes ; quant à moi, je ne serai plus là ! –, je verrai avec plaisir que l’on a fait un pas.
En tout cas, ne disons pas qu’on régresse parce qu’on n’est pas d’accord avec cette proposition ! Pour l’instant, cette histoire, c’est de la littérature !