La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.
La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la discussion générale a été très riche. Elle nous a permis d’aborder le cœur des débats.
Monsieur le rapporteur, j’ai pu constater combien votre travail était apprécié. J’ai hâte de me rendre compte par moi-même de votre pragmatisme et de votre sens de la synthèse, si souvent salués.
Vous avez souligné l’intérêt de la procédure parlementaire normale. Certes, il est vrai qu’elle peut parfois sembler un peu longue. Mais, en l’occurrence, elle a clairement permis d’enrichir le texte. La version à laquelle nous sommes parvenus répond, je le crois, à un niveau d’exigences tout à fait respectable.
J’apprécie également l’hommage que vous avez rendu au travail, en effet très constructif, des députés. Vous l’avez souligné, l’Assemblée nationale a fait des pas en direction du Sénat. Je souhaite qu’il y ait une certaine réciprocité, afin que nous puissions trouver des compromis et que la commission mixte paritaire soit conclusive.
Monsieur Pillet, vous avez eu raison de rappeler la qualité des travaux et le sérieux dans l’analyse juridique des textes de la commission des lois.
Chacun le reconnaît, votre travail sur le préjudice écologique nous permettra d’avancer. Il constitue, me semble-t-il, une base intéressante. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Certes, quelques petits ajustements sont sans doute nécessaires. Mais, grâce au travail du Sénat et de l’Assemblée nationale – il y a eu une vraie concertation –, nous sommes aujourd'hui près du but !
Monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, vous avez salué le travail commun des différentes commissions, ainsi que les changements très substantiels par rapport au texte initial du Gouvernement.
Je ne puis que saluer l’action du Parlement. C’est en cela que la démocratie parlementaire est riche. Elle permet d’améliorer un texte par le contradictoire. Le projet de loi a été largement enrichi et complété par de nouvelles mesures, sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir.
Je partage votre souci de prise en compte des réalités économiques et de simplification. D’ailleurs, il n’est pas toujours facile de mettre tout le monde d'accord tout en tenant compte des réalités du terrain ! Mais un texte ne peut réellement s’appliquer que s’il en tient compte.
Je l’ai indiqué, je souhaite, tout comme vous, que la commission mixte paritaire aboutisse.
Monsieur Requier, j’ai aimé votre référence à la nécessité de préserver l’existant en préparant l’avenir. À mes yeux, c’est effectivement très important. Mais, ainsi que d’autres orateurs l’ont rappelé, préserver ne signifie évidemment pas mettre sous cloche. L’approche dynamique de la biodiversité est absolument essentielle.
Vous avez salué des avancées, notamment sur l’accès aux ressources génétiques, et évoqué le chemin qu’il reste encore à parcourir pour l’adaptation au droit européen, par exemple sur les brevets.
Il me paraît effectivement essentiel de faire preuve de pragmatisme. Évitons les faux débats et les postures !
Vous dites qu’il faut faire confiance à la science. Je suis totalement d'accord avec vous ! La science peut apporter des progrès extraordinaires dans de nombreux domaines, en particulier ceux qui sont liés à la biodiversité. Elle peut aussi favoriser le développement des activités économiques, notamment agricoles. L’écologie n’a jamais consisté à prôner un retour en arrière ! Nous pouvons être fiers du génie humain ! N’ayons donc pas peur du progrès ; n’ayons pas peur du progrès pour construire l’avenir de l’humanité !
Madame Didier, vous nous avez fait part de vos inquiétudes quant à la manière dont le débat pourrait se tenir au regard de futures échéances électorales. Vous avez obtenu des réponses ; je les ai également entendues. J’espère tout comme vous que vos craintes sont infondées et que la discussion sera la plus constructive possible.
Je crois que nous voulons tous faire de ce texte une grande loi pour l’avenir de notre pays et de nos enfants. J’ai bon espoir que nous pourrons travailler en ce sens.
L’Agence française pour la biodiversité, que vous avez évoquée, est au cœur du projet de loi. Je vous remercie d’avoir insisté sur la reconnaissance du travail de ses futurs agents. On ne le souligne pas suffisamment, l’Agence ne pourrait pas se faire sans les très grandes compétences et la passion de ces hommes et ces femmes !
Vous avez soulevé des questions sur l’évolution du statut de ces personnels et sur les moyens qui seront transférés à l’Agence.
Une des premières choses que j’ai faites à la suite de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, c’était évidemment d’aller à la rencontre, sur le terrain, des agents des quatre organismes qui constitueront l’AFB. Cette initiative m’a permis de mieux connaître leurs métiers et de discuter avec eux des légitimes interrogations qu’ils pouvaient avoir sur la manière dont allait s’organiser la fusion.
La question du quasi-statut, par exemple, leur importe beaucoup, d’autant qu’elle traîne depuis assez longtemps. C’est un point sur lequel nous sommes en train d’aboutir. Les organisations syndicales ont été associées aux discussions et ont eu connaissance des premiers éléments du décret. Nous continuons à essayer d’avancer, mais d’autres questions se posent, notamment celle du passage de la catégorie C à la catégorie B ou celle des plafonds d’emplois, qui est absolument essentielle. Sur ce point, je vous rappelle que le Président de la République a fait des annonces. Je compte bien les lui rappeler si jamais il le fallait, …
… mais je ne doute pas qu’elles seront suivies d’effet !
Quoi qu’il en soit, je suis très attentive à toutes ces questions. Ces personnels méritent que l’on s’occupe d’eux : ils construiront cette agence avec nous.
Jean-Jacques Filleul a évoqué Montlouis-sur-Loire, où il a œuvré en faveur de la biodiversité. J’ai été intéressée dans son propos par l’idée de faire connaître ces enjeux, que ce soit auprès des populations, mais aussi auprès des élus et des associations. On le constate encore aujourd'hui, les enjeux autour de la nature, qu’il s’agisse de la préservation de la faune ou de la flore, sont moins bien compris que ceux sur le changement climatique. À l’heure actuelle, ces derniers font à peu près consensus et chacun a bien assimilé l’urgence qu’il y a à agir. En revanche, en ce qui concerne la biodiversité, tout le travail de pédagogie reste encore à approfondir. Je m’y emploierai au cours de l’année à venir. Néanmoins, toutes les initiatives locales sont essentielles. Vous avez bien fait, monsieur le sénateur, de citer Montlouis-sur-Loire et de décrire le travail accompli autour de la Loire, qui est un fleuve magnifique.
Nous reparlerons ultérieurement de la reconnaissance de la permaculture. Je suis très favorable pour ma part à son développement. C’est une forme d’agriculture très intéressante. Cela étant, ce texte est-il le bon véhicule ? En tout état de cause, vous pouvez compter sur moi pour promouvoir ce type d’agriculture.
J’ai entendu les remarques de Ronan Dantec au sujet des personnes pouvant douter de la nécessité de reconquérir la biodiversité. Il a cité la population des passereaux, qui a diminué de 30 % en treize ans en Île-de-France. Le défi est donc toujours à relever. L’artificialisation des sols, notamment, crée de graves problèmes en termes de biodiversité, ce qui ne signifie pas que rien n’a été réalisé et qu’il n’y a pas eu de prise de conscience sur un certain nombre de points. Cependant, ce travail de reconquête est un impératif réel. C’est la raison pour laquelle je serai très attentive à ce que le projet de loi conserve son intitulé initial.
Vous avez relevé à juste titre, monsieur le sénateur, en évoquant notamment les néonicotinoïdes, le fait que nous soyons très prompts à demander aux pays lointains de préserver des populations d’orangs-outans ou de lions alors que la protection des espèces sensibles nous semble un point plus délicat lorsqu’il s’agit de nos propres espèces. Je pense à l’ours par exemple. Nous est-il possible de donner des leçons à l’extérieur si nous ne sommes pas capables de nous les appliquer à nous-mêmes ? C’est un vrai débat ! Nous devons donc faire preuve d’un peu d’humilité et cesser de vouloir donner des leçons au reste du monde.
Vous avez évoqué également la question de l’huile de palme. Au lieu de la surtaxer, comme vous l’aviez proposé, ce qui finalement ne fournit pas d’issue aux pays producteurs, notamment la Malaisie et l’Indonésie, nous avons trouvé une solution à l’Assemblée nationale. Je souhaite véritablement que nous puissions aboutir sur ce point dans les jours qui viennent, car elle nous permettra de travailler avec ces pays pour qu’ils développent des filières prenant en compte la question environnementale et mettant un terme à la déforestation. Il ne s’agit pas de dire à ces pays : votre production repose sur la déforestation, donc nous n’en voulons pas. Mais il s’agit de leur dire : nous allons travailler avec vous pour que vos petits producteurs notamment puissent développer des filières leur permettant de vivre. Nombre de ces producteurs sont sortis de la misère grâce à l’huile de palme.
C’est un sujet complexe à propos duquel il convient d’éviter les postures. Nous avons avancé à l’Assemblée nationale. J’espère que nous avancerons également ici au Sénat.
Je veux rassurer Rémy Pointereau
Ah ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Même dans les réserves, des activités économiques sont possibles. Du développement économique se fait même grâce aux réserves, qui sont pourtant les endroits les plus protégés. Sortons donc de ces postures qui nous empêchent d’avancer.
Je suis néanmoins contente, monsieur Pointereau, que vous ayez reconnu ne pas éprouver personnellement une telle crainte.
Vous avez évoqué le développement économique et la préservation de l’environnement. La question sociale me semble aussi un aspect important. Quelqu’un l’a souligné, on oppose souvent les questions écologiques et les questions économiques. Mais le monde de l’entreprise l’a aujourd'hui compris : écologie et économie riment ensemble. Quand on veut développer l’écologie, en général, on crée du développement économique et de l’emploi, souvent non délocalisable et à forte valeur ajoutée. Bref, les perspectives de développement économique sont très intéressantes.
Vous avez aussi souligné que l’agriculture est trop souvent prise comme bouc émissaire, notamment au sujet de la surmortalité des abeilles. Je suis fermement opposée aux caricatures. Vous avez raison, ne jetons pas l’opprobre sur telle ou telle profession, qui serait responsable de tous les problèmes du monde. Les agriculteurs peuvent, dans de nombreux cas, être des alliés de la biodiversité. Beaucoup sont très sensibilisés à cette question et travaillent à sa protection. Dans certains endroits, le fait qu’il n’y ait plus d’agriculture a même fait perdre de la biodiversité. Je l’ai vu récemment sur l’île d’Ouessant, mais ce phénomène se rencontre bien sûr également sur le continent.
Sortons des caricatures, reconnaissons, ce que nul n’ignore, que le système agricole a été un choix politique, fait à la fin de la guerre 39-45 et qu’il correspond à une époque. Il s’agissait d’une période où il fallait reconstruire, nourrir des populations dans des situations de disettes, voire de famines. C’était le temps des restrictions. Cette période est absolument révolue. Souvenons-nous également qu’à cette époque les enjeux environnementaux et la préservation de la biodiversité n’étaient pas réellement pris en compte. L’état des connaissances était bien moindre.
Aujourd'hui la prise de conscience a monté en puissance, car nous ne partons pas de zéro. Nous sommes tous conscients du fait que c’est notre société qui a entraîné les agriculteurs dans un système dont nous apercevons les limites et sur lequel nous devons travailler ensemble pour qu’il bouge. Voilà pourquoi je ne rejetterai pas la responsabilité de tout cela sur les agriculteurs. C’est la société dans son ensemble qui a choisi un mode de développement, ce qui n’est pas du tout la même chose !
Mme Chantal Jouanno a parlé des deux visions de la biodiversité : d’un côté, nous faisons partie d’un tout ; de l’autre, prédomine une vision anthropocentriste. Vous avez évoqué, madame la sénatrice, les tardigrades. Je vous avoue que je ne connaissais pas cette espèce. J’ai donc grâce à vous découvert cet animal extraordinaire. Je vous quitterai ce soir encore plus riche.
Je suis d’accord avec vous : on ne peut pas élaborer une loi sur la biodiversité si on n’est pas capable de se mettre d’accord sur des principes de base. La suppression de l’objectif d’absence de perte nette et de l’objectif de non-régression entraîne une confusion sur les ambitions de cette loi. C’est un signal réellement négatif. J’espère que l’on réussira très rapidement, puisque ce point sera examiné dans quelques instants, à résoudre cette difficulté.
Vous avez dit que les débats qui ont lieu ici même n’étaient pas des débats droite-gauche, que c’était un peu plus compliqué et que sur certains points les discussions dépassaient les clivages politiques. Je suis d’accord avec vous. Même nous, au Gouvernement, nous avons eu des débats parfois très durs, notamment sur la question des néonicotinoïdes. Il n’aura échappé à personne que les points de vue du ministère de l’environnement et du ministère de l’agriculture divergeaient. Le ministère de l’agriculture abordait cette question sous l’angle des agriculteurs, qui devront gérer une potentielle interdiction. Le ministère de l’environnement partait, lui, du point de vue de la protection des pollinisateurs et de la préservation de l’avenir.
Je suis très fière de vous annoncer que, sur ce point, nous sommes parvenus à nous entendre. C’est pourquoi je suis optimiste pour la suite des travaux au Sénat. Si le ministère de l’agriculture et le ministère de l’environnement ont réussi à trouver un point d’accord et de compromis sur la question des néonicotinoïdes, tout est possible !
Sourires.
Madame Primas, je partage votre volonté d’une discussion constructive. C’est un aspect important. Je retiendrai les propositions des uns et des autres en fonction du fond et non en fonction de ceux qui les formulent. Je le dis clairement : je ne tiendrai compte que de la qualité des demandes. Cela me paraît être une évidence, mais parfois il est bon de rappeler certaines évidences.
Concernant les néonicotinoïdes, vous avez évoqué les lobbies. Bien évidemment, ceux-ci existent, …
… mais la transparence est un peu plus de mise, ce qui est bien mieux sur le plan démocratique. Il est important de savoir quels lobbies s’adressent aux parlementaires. Que des groupes d’intérêts défendent leurs intérêts ne me pose pas de problème particulier, dès lors que les parlementaires et le Gouvernement prennent le recul nécessaire, après avoir entendu tous ces avis, pour s’élever au niveau de l’intérêt général et prendre des décisions. C’est dans cet état d’esprit que nous travaillons.
Vous avez parlé de la qualité des travaux de l’ANSES. Nous avons là un excellent outil qui pourra nous aider, notamment sur la question des néonicotinoïdes, mais pas seulement, dans l’élaboration du compromis sur lequel nous allons travailler.
Nicole Bonnefoy a évoqué la COP 21 et l’accord de Paris. En tant qu’écologiste, il n’y a encore pas si longtemps, je n’espérais pas qu’un tel accord puisse être signé par 175 pays. C’est une avancée historique. Lors des précédentes COP, la prise de conscience n’avait pas évolué à ce point-là. Nous avons tous à l’esprit les échecs cuisants qui ont eu lieu il y a quelques années. Aujourd'hui, la prise de conscience avance. Des pays qui auparavant étaient complètement fermés à toutes ces questions s’engagent. De l’engagement à la réalité des faits et des politiques publiques mises en place, il y a toujours un pas, mais l’on sent aujourd'hui que l’on avance beaucoup. Il faut maintenant avancer également sur la biodiversité.
Vous avez aussi évoqué un aspect très important du problème. Vous avez parlé d’économie et d’écologie. Vous avez raison : ne pas s’occuper d’écologie a un coût pour la société. Ne l’oublions pas ! Ce coût pour la société de la non-prise en compte des impératifs climatiques, mais aussi des impératifs en termes de biodiversité doit aujourd'hui faire partie de notre réflexion. À défaut, on perd un élément absolument essentiel. Quand on s’occupe d’écologie, on évite des coûts de plus en plus importants qui s’imposeront à nous, qu’on le veuille ou non. Autant les anticiper.
En outre, vous avez souligné que l’utilisation de pesticides s’est développée de manière de plus en plus forte. Vous l’avez dit dans une phrase pleine de bon sens : l’accumulation des contraintes est souvent la conséquence de pratiques déraisonnables. Nous sommes ici au cœur du problème. Sur l’agriculture, pour des raisons historiques, nous avons eu des pratiques déraisonnables. Maintenant, nous devons faire ce travail de préservation. Je salue à ce titre l’action de Stéphane Le Foll, qui œuvre beaucoup pour revenir à des pratiques agricoles raisonnables, en association bien sûr avec nos agriculteurs.
Enfin, madame la sénatrice, je salue votre travail sur l’action de groupe dans le domaine environnemental. J’y reviens très brièvement, car j’en ai parlé dans mon propos liminaire. L’action de groupe dans le domaine environnemental a été portée grâce aux débats qui ont eu lieu au Sénat et à l’Assemblée nationale. Elle a été intégrée dans la loi sur la justice du XXIe siècle puisqu’un amendement a été accepté par le ministère de la justice. Elle figurera donc dans le texte. Cela doit nous satisfaire. Que l’action de groupe figure dans la loi sur la biodiversité ou dans la loi sur la justice du XXIe siècle, peu importe. L’important c’est qu’elle soit inscrite dans la loi. Je puis vous garantir d’expérience que si elle figure aujourd'hui dans la loi sur la justice du XXIe siècle, c’est grâce au travail réalisé durant la loi sur la biodiversité !
Daniel Gremillet a exprimé son inquiétude sur l’amoncellement de nouvelles contraintes. Il a souligné qu’il fallait veiller à ne pas grever l’activité économique à travers les contraintes créées dans cette loi. Il y a un point sur lequel je suis totalement d’accord vous, monsieur le sénateur : les entreprises et les agriculteurs ont besoin d’avoir de la visibilité pour l’avenir. Il est très difficile d’investir, notamment si les investissements sont lourds, s’il faut tout changer après, sans avoir eu même le temps de rentabiliser son investissement ou de rembourser ses frais. Je suis attentive à ce point, car on ne peut pas négliger le degré d’embêtement engendré par des lois belles en théorie mais inapplicable en pratique.
Cette loi, justement, essaie de mettre en place une législation qui permette d’anticiper ce phénomène pour l’éviter. Nous avons peu parlé du triptyque « éviter-réduire-compenser », qui a tout de même été évoqué. Pourquoi ce texte organise-t-il un tel triptyque ? Je ne parle pas forcément d’agriculture, mais de tous les nouveaux aménagements. Qu’il s’agisse des nouveaux projets d’urbanisme, des routes ou autres, peu importe, aujourd'hui, ce triptyque ne s’applique pas réellement. Les promoteurs mettent sur pied leurs projets, commencent à investir, puis, d’un seul coup, on s’aperçoit qu’il y a un problème avec une espèce rare sur le territoire. Ils se retrouvent donc le bec dans l’eau au moment où les investissements sont déjà réalisés et où tout le dispositif est déjà mis en branle.
Cette loi permettra d’anticiper ces difficultés. Elles seront prises en compte dès le début du projet afin d’éviter les mauvaises surprises à la fin du processus, lorsqu’il n’est plus possible de revenir en arrière. C’est typiquement un exemple qui montre pourquoi nous voulons de la visibilité et de l’anticipation.
Enfin, monsieur le sénateur, vous avez évoqué le manque d’égard pour le monde scientifique. J’ai répondu à cette question tout à l’heure. Pour le coup, nous n’avons pas la même lecture que vous de la loi. §Selon moi, ce texte, contrairement à ce que vous pensez, accorde à raison une grande place au monde scientifique, puisque nous avons besoin de la science et des chercheurs pour avancer en matière de biodiversité.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
TITRE IER
PRINCIPES FONDAMENTAUX
Le I de l’article L. 110-1 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Après le mot : « naturels », sont insérés les mots : « terrestres et marins » ;
2°
Supprimé
3° Les mots : « la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent » sont remplacés par les mots : « et la biodiversité » ;
4° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Les processus biologiques et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine.
« On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants. »
Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 119 est présenté par MM. Mézard, Amiel, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall.
L'amendement n° 158 rectifié est présenté par Mme Jouanno, MM. Cigolotti et Guerriau, Mme Billon et MM. Roche et Capo-Canellas.
L'amendement n° 218 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Rétablir le 2° dans la rédaction suivante :
« 2° Les mots : « sites et paysages » sont remplacés par les mots : « sites, les paysages diurnes et nocturnes » ;
La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l’amendement n° 119.
M. Jean-Claude Requier. Cet amendement est identique à un amendement de l’UDI-UC, mais surtout, ce qui est plus rare, à un amendement du groupe écologiste !
Rires.
L’alternance entre le jour et la nuit, permise par la rotation de la Terre, conditionne les fonctions physiologiques d’un grand nombre d’espèces animales.
La multiplication des points lumineux et l’augmentation des durées d’éclairement est préoccupante, ce qui va à l’encontre des orientations prises dans le cadre du Grenelle de l’environnement qui se sont traduites par des dispositions législatives visant à prévenir, à réduire ou à limiter les nuisances lumineuses.
Outre les effets sur notre consommation énergétique, les nuisances lumineuses affectent les rythmes biologiques des espèces animales, leur visibilité du ciel et les désorientent. Elles ont également une répercussion sur la santé humaine.
C’est la raison pour laquelle il nous paraît essentiel de rétablir la précision introduite par l’Assemblée nationale selon laquelle les paysages tant diurnes que nocturnes font partie du patrimoine commun de la nation.
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l'amendement n° 158 rectifié.
Cet amendement est identique à celui qui vient d’être présenté. L’objectif est d’intégrer dans le texte la notion de biodiversité nocturne, notion qui était bien évidemment totalement absente de la loi de 1976, époque à laquelle nous n’avions pas le même niveau de connaissances.
Il s’agit d’un texte relatif à la biodiversité et uniquement relatif à la biodiversité. La biodiversité nocturne est centrale : 64 % des invertébrés et 28 % des vertébrés vivent la nuit. Il est absolument essentiel de reconnaître cette biodiversité spécifique dans une telle loi.
Je m’interroge sur les raisons qui ont conduit à supprimer cet alinéa, rétabli par l’Assemblée nationale, puisque l’article 1er énonce les grands principes qui doivent nous guider. Il s’agit de préciser les questions qui seront posées relativement à l’action publique. Nous ne sommes pas en train de créer une réglementation supplémentaire ni d’introduire une nouvelle complexité. Quand on traite des questions de biodiversité, on ne peut pas ne pas intégrer les paysages diurnes et nocturnes, puisqu’il s’agit d’une part importante de la diversité des milieux naturels. Pourquoi a-t-on supprimé cette notion, qui donne une orientation pour l’action publique sans revêtir aucun caractère réglementaire ?
La commission a maintenu la position qu’elle avait adoptée en première lecture, c’est-à-dire supprimer cette disposition parce qu’elle ne voit pas très bien, si j’ose dire, s’agissant de paysages nocturnes, ce qu’est un paysage nocturne.
Poser de grands principes et utiliser de grands mots c’est bien, mais la loi est faite pour établir des règles de vie en commun. Ce n’est pas en précisant qu’il existe des paysages diurnes et nocturnes que l’on fera avancer la reconquête de la biodiversité, qui n’est en rien pénalisée par cette suppression.
La commission est donc défavorable à ces trois amendements identiques.
Contrairement à la commission, il me semble que la notion de paysage nocturne est assez claire. Il paraît au Gouvernement très important d’inscrire dans le texte la notion de paysage nocturne puisque la pollution lumineuse a divers impacts négatifs sur la biodiversité. Je pense notamment aux insectes, aux chauves-souris, aux rapaces nocturnes, aux oiseaux migrateurs nocturnes. Je suis donc favorable à ces trois amendements.
Le groupe socialiste et républicain est également favorable au rétablissement de cet alinéa sur les paysages diurnes et nocturnes.
M. Daniel Dubois. J’aimerais poser une question préalable. En matière de paysages nocturnes, les feux rouges – pas tricolores, car ils ne sont que rouges – sur les éoliennes que l’on installe à tour de bras dans les territoires ruraux sont-ils pris en compte ?
Sourires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
M. Gérard Bailly. Je ne voterai pas non plus ces amendements. Permettez-moi de citer une anecdote. J’ai vu arriver un jour un maire avec une lettre de l’un de ses administrés, responsable de l’environnement, en pleine activité – il ne s’agissait pas d’un retraité avec un peu d’Alzheimer –, dans laquelle celui-ci demandait suppression de tout éclairage public dans son secteur, car la lumière gênait son poisson rouge la nuit ! Voilà où on en arrive avec ce genre d’abus !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste
Autre motif de plainte : certaines personnes souhaitent mieux voir les étoiles la nuit. Elles font donc des procès !
J’ai bien ri en lisant dans le texte que les paysages s’apprécient de jour comme de nuit. J’habite en pleine campagne : si ce n’est pas la pleine lune, je ne vois rien la nuit ! Je ne vois ni site ni paysage ! Soyons sérieux et arrêtons avec toutes ces bêtises !
Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Mais c’est sérieux ! En revanche votre histoire de poisson rouge est grotesque !
Quand je relis ce que vous avez écrit, madame Jouanno, je ne peux pas l’accepter !
Si vous voulez préserver la biodiversité nocturne, il faut s’attaquer aux voitures. Ce sont elles qui, sur les routes, la nuit, gênent la faune avec leurs phares ! Puisque vous êtes ici dans les extrêmes, pourquoi ne pas fermer les routes la nuit pour ne pas gêner le passage des chevreuils, ni la reproduction de la faune et de la flore !
Dans le Jura, la Transjurassienne, qui est une grande course, a été interdite à cause du Grand Tétras. In fine, aujourd'hui, les animaux passent avant les hommes. Si l’on ouvre ainsi le débat, je crains que nos échanges pour les trois jours à venir ne soient pas toujours agréables.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 119, 158 rectifié et 218.
Les amendements ne sont pas adoptés.
L'amendement n° 120, présenté par MM. Mézard, Amiel, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Après le mot : « végétales », sont insérés les mots : «, les sols » ;
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
Les sols sont fortement dégradés par l’érosion, l’acidification, la salinisation, le tassement ou encore la pollution chimique.
Pourtant, nous savons qu’ils sont essentiels pour l’agriculture et la foresterie, la production de biomasse ou encore le stockage de carbone.
L’importance des fonctions écologiques, économiques et sociales des sols mérite d’être soulignée dans le cadre du présent projet de loi, alors qu’ils ne cessent d’être dégradés.
Le présent amendement vise donc à introduire la mention des sols parmi les éléments constitutifs du patrimoine commun de la nation.
Comme en première lecture, l’avis de la commission est défavorable. L’ajout des « sols » comme faisant partie du patrimoine commun de la Nation est inutile puisque le mot géodiversité comprend les sols. Étymologiquement, ce point ne fait aucune difficulté. Ajouter les sols à la géodiversité serait donc un pléonasme !
La notion des sols est fondamentale. Néanmoins, l’introduction de cette mention a entraîné des craintes, notamment à l’égard de l’agriculture. Le sol résulte d’éléments géologiques et d’interactions vivantes, animales et végétales. Dès lors que l’on protège la biodiversité végétale et animale, on protège les sols. Le texte inclut cette notion comme celle de géodiversité, qui intègre la diversité géologique, géomorphologique et pédologique.
Je demande donc le retrait de cet amendement.
L'article 1 er est adopté.
I A. –
Non modifié
I. – Le II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° La première phrase du premier alinéa est ainsi modifiée :
a) Au début, sont ajoutés les mots : « Leur connaissance, » ;
b) Les mots : « et leur gestion » sont remplacés par les mots : «, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu’ils fournissent » ;
1° bis (Supprimé)
2° Le 2° est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ce principe implique d’éviter les atteintes significatives à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées. » ;
2° bis
Supprimé
3° Sont ajoutés des 6° à 9° ainsi rédigés :
« 6° Le principe de solidarité écologique, qui appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l’environnement des territoires directement concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés ;
« 7° Le principe de l’utilisation durable, selon lequel la pratique des usages peut être un instrument qui contribue à la biodiversité ;
« 8° Le principe de complémentarité entre l’environnement, l’agriculture, l’aquaculture et la gestion durable des forêts, selon lequel les surfaces agricoles, aquacoles et forestières sont porteuses d’une biodiversité spécifique et variée et les activités agricoles, aquacoles et forestières peuvent être vecteurs d’interactions écosystémiques garantissant, d’une part, la préservation des continuités écologiques et, d’autre part, des services environnementaux qui utilisent les fonctions écologiques d’un écosystème pour restaurer, maintenir ou créer de la biodiversité ;
« 9° §(Supprimé) »
I bis et II. –
Supprimés
Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 122 est présenté par MM. Bertrand, Amiel, Arnell, Barbier, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall.
L’amendement n° 156 est présenté par MM. Carrère et Bérit-Débat, Mme D. Michel, M. Courteau, Mme Bataille, MM. Cabanel et Camani, Mme Cartron, MM. Labazée, Raynal, Vaugrenard, Montaugé, Lorgeoux et Lalande et Mme Génisson.
L’amendement n° 259 rectifié est présenté par M. L. Hervé, Mme Billon et MM. Bonnecarrère, D. Dubois, Gabouty, Guerriau, Médevielle, Roche et Tandonnet.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 6
Rétablir le 1°bis dans la rédaction suivante :
1°bis Après la première phrase du premier alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Elles prennent en compte les valeurs intrinsèques ainsi que les différentes valeurs d’usage de la biodiversité reconnues par la société. » ;
La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l’amendement n° 122.
Contrairement aux valeurs d’usage que sont, par exemple, l’alimentation, la chasse ou l’énergie, la valeur intrinsèque et la valeur patrimoniale de la biodiversité ont été consacrées dans notre droit.
Le présent amendement a pour objet de rétablir le texte voté en première lecture par le Sénat, en précisant que les mesures prises en faveur de la biodiversité doivent prendre en compte ces valeurs d’usage.
La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour présenter l’amendement n° 156.
En France, la Stratégie nationale pour la biodiversité et les travaux de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité auxquels elle a donné lieu ont permis de reconnaître deux points fondamentaux : la biodiversité comme fin en soi, ce que l’on appelle communément la valeur intrinsèque, et la biodiversité comme patrimoine, c’est-à-dire la valeur patrimoniale.
Ce qui nous préoccupe, en tant que ruraux, c’est qu’une troisième catégorie, la valeur d’usage, ne soit pas clairement reconnue dans le cadre de la biodiversité. La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature avait en effet consacré les deux premières valeurs, mais aucune loi postérieure n’avait fait mention de celle d’usage.
Alors que nous débattons du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, et au vu des propos précédents de Mme la secrétaire d’État, qui nous a expliqué qu’il fallait rompre avec la conception de la biodiversité comme une mise sous cloche et impossibilité de mener à bien des activités tout en assurant la promotion de cette biodiversité, il faut que cet amendement prospère. Tous les ruraux pourront ainsi voir que l’on a pensé à eux au moment de voter ce texte.
L’article L. 110–1, paragraphe I du code de l’environnement prend en compte au titre de la biodiversité les espaces, les ressources, les milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l’air… Mais pas les usages !
Or, mes chers amis, les usages, c’est la vie. Il faut donc prendre, gentiment, Mme la secrétaire d’État au mot, et les inclure dans la loi en adoptant cet amendement.
La parole est à M. Daniel Dubois, pour présenter l’amendement n° 259 rectifié.
Jean-Louis Carrère vient de défendre cet amendement avec une grande sensibilité rurale, que je partage, même si nous avons des désaccords sur d’autres points. Je suis entièrement d’accord avec ce qu’il a dit.
Né à la campagne et y vivant depuis très longtemps, je partage complètement les objectifs qui viennent d’être énoncés. L’amendement a été parfaitement défendu.
Un amendement similaire avait déjà été débattu au Sénat en première lecture.
Ces amendements visent à préciser que sont prises en compte, dans le cadre de la préservation et de la restauration de la biodiversité, la valeur intrinsèque et la valeur d’usage reconnues par la société. Or cet objectif est satisfait, car les députés Les Républicains ont rétabli en séance publique un amendement du Sénat prévoyant que le patrimoine commun de la Nation génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage.
Cet apport du Sénat ayant été repris à l’Assemblée nationale, je ne vois pas ce que la phrase proposée dans les amendements ajouterait de plus.
Par ailleurs, malgré les efforts déployés par notre collègue Jean-Louis Carrère pour nous expliquer ce qu’est une valeur intrinsèque, je ne vois pas encore très bien ce que cela recouvre.
Ce débat ne me paraît pas utile à ce stade. Cela fait trois fois que l’on revient sur le sujet, et je n’ai pas constaté d’avancée substantielle quant à l’explication des termes « valeurs intrinsèques ». En revanche, je vois bien ce qu’est la valeur d’usage, mais à cet égard les amendements sont satisfaits. Je suggère donc que l’on en reste là.
L’avis est défavorable.
Je partage l’avis du rapporteur : la reconnaissance des valeurs et des services retirés des écosystèmes est globalement cohérente avec la vision qui est promue dans ce projet de loi, selon laquelle notre société peut retirer des avantages de l’interaction avec la nature.
La préservation de la biodiversité ne peut pas être incluse dans un rapport d’opposabilité avec les valeurs intrinsèques et les valeurs d’usage. J’ajoute qu’il y aurait un risque à vouloir dresser une liste, de plus non exhaustive, des valeurs associées à la biodiversité. Il faut s’en tenir à un texte lisible.
L’avis est donc défavorable.
J’avais présenté le même amendement en première lecture, et il avait été adopté par le Sénat. J’ai écouté avec attention les propos de Mme la secrétaire d’État et de M. le rapporteur, selon lesquels il serait satisfait.
Je vais développer de nouveau ce que j’avais dit en première lecture, même si je n’ai pas voulu prolonger les débats en déposant encore une fois l’amendement. Vous savez quelle est la richesse territoriale de la France, avec ses provinces, ses usages, ses coutumes et la transmission de ce savoir-faire populaire qui a prospéré au fil du temps. C’est le pays aux 365 fromages, comme disait le général de Gaulle…
Nous sommes en train de nous priver de cette richesse culturelle et patrimoniale. Je veux bien que l’on joue sur les mots, mais il me semble que faire mention dans ce texte sur la biodiversité du patrimoine légué au cours des siècles par les populations rurales serait un signe fort, confirmant que l’activité humaine fait bien partie de la biodiversité, comme nous l’avions souligné en première lecture.
Pardonnez-moi d’anticiper – je le fais toujours ! –, mais je sais que vous allez me demander, monsieur Dantec, comme vous l’avez fait en première lecture, si la crucifixion des chouettes sur la porte des étables fait partie de ces usages que nous défendons. Non, naturellement !
M. Jean-Noël Cardoux. Veuillez m’excuser, madame Blandin : rendons à César ce qui est à César !
Sourires.
J’ajoute que, pour la faune et la flore, la biodiversité n’est pas toujours une bonne chose. Je pense ainsi aux plantes invasives, comme la jussie, qui colonise les cours et plans d’eau, ou au frelon asiatique, dont nous a parlé Mme Didier. Toutes ces espèces font partie de la biodiversité, et pourtant on n’est pas favorable à leur développement ! De même que l’on ne saurait cautionner la crucifixion des chouettes…
Il faut certes faire un tri dans ces usages, mais se priver de cette richesse patrimoniale qui s’est développée au fil des siècles dans notre pays serait une erreur.
Vouloir parler des valeurs d’usage, c’est normal, car la biodiversité est par essence patrimoniale. Elle est aussi dynamique, c’est-à-dire qu’elle repose, à la fois, sur la nature dans sa variété et sur la culture, c’est-à-dire tout ce qu’on fait les femmes et les hommes pour la modifier.
Je ne suis cependant pas favorable à ces amendements car, comme l’ont dit Mme la secrétaire d’État et M. le rapporteur, cela figure déjà dans le texte.
J’ai été sensible à votre argumentation, monsieur Carrère, mais je ne peux que la contrer. Vous avez fait l’éloge des valeurs d’usage pour les ruraux. Mais que croyez-vous ? En ville, on mange du miel, on mange toutes les variétés de légumes et de fruits dans leur diversité, on isole nos maisons avec du chanvre, on s’habille avec du lin.
Il n’y a pas que les ruraux qui bénéficient des valeurs d’usage, mais aussi les urbains. Sinon, ils seraient morts depuis longtemps !
Sourires.
Le texte prévoit déjà ce que vous voulez y inscrire ; il est inutile de l’alourdir.
Je suis un peu étonné par la pâleur des arguments opposés à ces amendements.
On me dit que mon amendement est satisfait et qu’il faut éviter les bis repetita… Cela veut bien dire qu’il a un fondement et qu’il n’est pas aussi dérisoire qu’il y paraît !
Que l’on y soit opposé, pour certaines raisons, je peux le comprendre. Mais j’attire votre attention sur le fait que ma conviction n’est pas partisane. Elle vient de mon vécu et de ma sensibilité. Comment ne pas admettre qu’il serait justifié d’insister sur des valeurs d’usage reconnues comme légitimes, telles que la chasse, la pêche, mais aussi la cueillette, la randonnée, l’alimentation, l’énergie ?
Dès lors qu’il n’y a pas de divergence sur ces valeurs d’usage, qui existent réellement et authentiquement, je suis favorable, non pas à ce que l’on dresse une liste préjudiciable à la qualité du texte, mais à ce qu’on les reconnaisse en tant que telles, de façon nette et tranchée.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 122, 156 et 259 rectifié.
Les amendements ne sont pas adoptés.
L’amendement n° 123 rectifié, présenté par MM. Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve et Laborde et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Supprimer le mot :
significatives
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
L’article 2 du projet de loi précise le contenu du principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement. Ce principe implique, dans l’ordre, de les éviter, de les réduire et de les compenser : c’est le triptyque ERC.
La commission du développement durable a maintenu sa position en restreignant la portée de ce principe aux atteintes « significatives » à la biodiversité, ce qui constitue à notre sens une régression qui ne va pas dans le sens du projet de loi.
Le présent amendement vise à permettre que toute atteinte à la biodiversité soit concernée par le triptyque ERC.
Sur mon initiative, nous avions restreint en commission le champ d’application du principe d’action préventive, afin que celui-ci n’ait pas d’impact complètement disproportionné.
Ce principe, c’est-à-dire le triptyque ERC, ne doit concerner que les atteintes significatives à la biodiversité. Les juges ont l’habitude d’évaluer et de qualifier ce type d’atteinte. Chacun le sait, de minimis non curat pr a etor, comme dit l’adage : le juge ne s’intéresse pas aux petites choses, mais seulement à celles qui sont susceptibles de donner lieu à une décision de justice.
L’amendement vise à revenir sur cette restriction afin de prévenir toutes les atteintes à la biodiversité, y compris les plus mineures. L’avis est donc défavorable.
Le juge peut tout à fait apprécier par lui-même l’atteinte portée à la biodiversité. Si celle-ci est minime, on peut se douter qu’il ne s’en saisira pas.
Supprimer la disposition selon laquelle la séquence « éviter-réduire-compenser » ne s’applique qu’aux atteintes significatives à la biodiversité répond à un enjeu simple : faire en sorte que ce triptyque s’applique à toutes les atteintes à l’environnement.
La formulation actuelle risque de restreindre considérablement la portée de cette séquence, qui est structurante pour le projet de loi relatif à la biodiversité.
L’avis est favorable.
L'amendement n'est pas adopté.
L’amendement n° 46, présenté par Mme Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Si les atteintes à la biodiversité ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, le projet de travaux ou d’ouvrage ou la réalisation d’activités ou l’exécution d’un plan, d’un schéma, d’un programme ou d’un autre document de planification à l’origine de ces atteintes doit être révisé.
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Jouanno a raison de dire que l’article 2 pose tous les principes et qu’il est donc fondamental.
Cet article consacre la connaissance de la biodiversité comme action d’intérêt général, précise le principe d’action préventive par le triptyque « éviter-réduire-compenser », et consacre les principes de solidarité écologique et de non-régression dans la liste des principes généraux du droit de l’environnement. C’est important !
Objet de vision divergente entre l’Assemblée nationale et le Sénat, il a subi de nombreuses évolutions durant les débats, notamment concernant les questions de perte et de gain net de biodiversité.
Avec cet amendement, nous vous proposons d’aller plus loin encore dans la définition du principe ERC. Ainsi, nous souhaitons prévoir que si l’application du principe ne permet pas d’éviter, de réduire et de compenser de façon satisfaisante les atteintes à la biodiversité, le projet de travaux ou d’ouvrage et la réalisation d’activités à l’origine de ces atteintes doivent être révisés.
J’insiste, mes chers collègues, sur le mot « révisé » : il ne veut pas dire « complètement transformé », mais peut signifier « amendé ».
Lors de la lecture à l’Assemblée nationale, une telle idée a été insérée à l’article 33 A sur la compensation. Cet apport a été supprimé en commission au Sénat, au motif qu’il prévoyait dans ce cas un abandon pur et simple. Or il ne s’agit pas d’abandonner, mais d’amender !
Nous proposons un juste milieu au regard des impacts environnementaux. Il semble utile de rappeler ce principe de bon sens dans cet article.
Je comprends votre idée, ma chère collègue. Néanmoins, je ne partage pas votre avis sur l’utilité de cette mention.
Quels cas seraient visés, selon vous ? Je le rappelle, nous sommes à l’article L. 110–1 du code de l’environnement, qui énonce des grands principes du droit de l’environnement. Si l’on suit votre raisonnement, pour tous les principes, on devrait ajouter l’interprétation qui doit être faite de ce principe.
Je suis opposé à cette façon de procéder. Ici, nous disons que la protection, la restauration, la mise en valeur et la gestion de la biodiversité s’inspirent d’un certain nombre de principes.
Si ces principes ne sont pas respectés en découleront des conséquences qui n’ont pas à être fixées par la loi. Par exemple, vous dites que si le principe d’action préventive n’est pas respecté, le projet doit être révisé ; mais dans certains cas, il devra peut-être être abandonné. Il est très compliqué d’aller dans votre sens.
L’avis est donc défavorable.
Vous proposez la révision du projet, du plan ou du programme de travaux lorsque les dommages portés à la biodiversité ne peuvent être ni évités, ni réduits, ni compensés de façon satisfaisante. Or il s’agit de l’application même du principe ERC !
Pour parvenir au bon équilibre entre l’évitement, la réduction et la compensation, des échanges entre le maître d’ouvrage et les autorités compétentes sont nécessaires. De tels projets pourront donc, le cas échéant, être révisés. Il ne me paraît pas particulièrement judicieux d’inscrire cette notion parmi les principes listés à l’article 2.
Je m’en remets néanmoins à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
J’entends ce que dit M. le rapporteur.
Une idée se développait, selon laquelle lorsqu’il n’était pas possible de compenser, on ne faisait rien. Dire que le projet peut au moins être révisé, c’est donner une piste, c’est proposer une possibilité de l’amender.
Très souvent, en effet, on a interprété ce principe comme s’il autorisait à ne rien faire ou à abandonner le projet. Je souhaite, quant à moi, que l’on prévoie la possibilité de le réviser, de l’amender.
Je suis sensible à l’argument défendu, avec sa conviction habituelle, par Mme Didier. Mais ce qu’elle souhaite voir inscrit dans le texte y figure déjà.
Si la compensation n’est pas possible, personne au monde ne peut empêcher que l’on révise un projet, que l’on en propose un qui soit différent ou simplement révisé, ou qu’on l’abandonne, ou qu’on l’amende, comme on dit souvent ici.
Nos travaux parlementaires permettront peut-être d’éclairer ceux qui auraient des doutes quant à l’opportunité de réviser leur projet.
L’amendement n° 46 est retiré.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L’amendement n° 82 est présenté par M. Filleul et Mme Bonnefoy.
L’amendement n° 159 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau, Roche et Capo-Canellas.
L’amendement n° 219 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 9
Rétablir le 2°bis dans la rédaction suivante :
2° bis Le même 2° est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ce principe doit viser un objectif d’absence de perte nette, voire tendre vers un gain de biodiversité ; »
La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, pour présenter l’amendement n° 82.
Dans un objectif de reconquête, l’article 2 du projet de loi actualise les principes gouvernant la gestion de la biodiversité afin de préserver notre patrimoine commun.
Cet article précise notamment le principe d’action préventive et de correction, déjà présent dans le code de l’environnement au travers de la séquence « éviter, réduire, compenser ».
Il s’agit « d’éviter les atteintes significatives à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées. » Ce nouveau principe met l’accent sur les fonctions et les services rendus par la biodiversité.
Les députés ont précisé que cette séquence ERC avait un objectif : l’absence de perte nette, voire l’obtention d’un gain de biodiversité. Cette précision est importante, car elle implique une compensation intégrale de la biodiversité détruite, conformément à l’objectif même du présent projet de loi.
Nous déplorons que cette précision ait été supprimée par notre commission de l’aménagement et du développement durable. En effet, le principe d’absence de perte nette est un objectif à atteindre et n’est pas assorti de mesures de contrainte ou d’interdiction. C’est pourquoi cet amendement vise à le rétablir.
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l'amendement n° 159 rectifié.
Nous sommes là au cœur des principes que pose ce texte, puisqu’il s’agit de rédiger une partie de l’article L. 110–1 du code de l’environnement, qui pose le principe d’action préventive et de correction.
Au travers de notre amendement, nous souhaitons adjoindre à ce principe un objectif qui vise l’absence de perte nette, voire l’obtention d’un gain de biodiversité.
Si le présent projet de loi, normalement consacré à la reconquête ou à la biodiversité – nous avons eu un débat sur l’intitulé du texte – ne pose pas cet objectif, qui est général et engage l’ensemble des actions publiques, mais n’est pas décliné avec des outils directement contraignants dans l’article L. 110–1, on autorisera une régression de la biodiversité en France.
Je le disais lors de la discussion générale, c’est comme si on adoptait un texte de loi sur l’emploi sans fixer l’objectif de plein-emploi. Cela revient exactement au même !
Il serait légitime que notre débat soit clivé et que nous assumions nos différences sur ce point. En revanche, renoncer à cet objectif reviendrait à faire perdre tout son sens à ce projet de loi.
Avec ce texte, nous sommes au cœur de la fracture politique : on voit bien qu’il n’y a pas de consensus et que deux positions s’expriment, même si les divergences ne recroisent pas exactement les positions partisanes classiques.
Cet amendement permet l’aménagement et vise à le sécuriser, et c’est sur ce point qu’il faut réfléchir. Il prévoit que, dans tous les cas de figure, il n’y aura pas de perte de biodiversité en cas d’aménagement.
Ne pas faire figurer cela dans la loi reviendrait à encourager ceux qui sont très attachés à la lutte contre la perte de biodiversité à se mobiliser contre les projets de travaux. En effet, ils n’auront pas la garantie que cette perte ne se produira pas.
L’enjeu est, à ce stade, d’apaiser la société française, eu égard notamment à certains aménagements. Il faut donc donner des garanties, ce que nous faisons en rétablissant cet alinéa. Il s’agit de dire clairement que nous sommes tous conscients de la gravité de la perte de biodiversité.
Les chiffres sont là : la biodiversité s’effondre en France. Tous les rapports scientifiques vont dans le même sens à cet égard !
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Non, c’est un consensus scientifique !
On ne peut plus se permettre de continuer ainsi. Il faut trouver de nouveaux compromis dynamiques dans la société, non pas pour figer la société et laisser la biodiversité reconquérir le territoire. Cela ne se produira pas, à moins que ne survienne une régression de l’espèce humaine dont nous ne voulons ni les uns ni les autres.
Des compromis dynamiques : voilà ce que nous proposons avec cet amendement. Ne pas le voter, c’est renforcer l’exacerbation des conflits dans la société sur les questions de biodiversité. En outre, cela irait à l’encontre de ce que pensent certains de ceux qui s’apprêtent à voter contre !
Je demeure convaincu qu’il y a un véritable problème de dialogue entre nous sur le sens de ce projet de loi et sur la manière de sortir des conflits. Je regrette qu’il n’y ait pas consensus pour rétablir cette disposition qui permet la réalisation d’aménagements. Elle prévoit l’inverse de ce que vous craignez !
L’amendement n° 124, présenté par MM. Bertrand, Amiel, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Rétablir le 2°bis dans la rédaction suivante :
2° bis Le même 2° est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ce principe doit viser un objectif d’absence de perte nette de la biodiversité ; »
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
Le principe de prévention et l’application du triptyque « éviter-réduire-compenser » implique de fixer un objectif d’absence de perte nette de biodiversité.
L’Assemblée nationale va plus loin puisqu’elle a précisé que ce principe doit également « tendre vers un gain de biodiversité ». Le Sénat en première lecture et la commission du développement durable en deuxième lecture ont préféré supprimer toute référence à un objectif.
À travers cet amendement, nous vous proposons d’adopter une voie intermédiaire entre les positions de nos deux assemblées en consacrant dans la loi l’objectif de perte nette de biodiversité, sans pour autant retenir l’objectif de gain de biodiversité, qui ne nous semble pas relever du principe de prévention.
Cette voie intermédiaire que nous proposons, certains l’appelleraient la synthèse, d’autres le compromis. Pour nous, c’est une solution radicale !
Sourires.
Je vais expliquer plus longuement pourquoi je suis défavorable à ces amendements.
À mes yeux, la séquence « éviter-réduire-compenser » est très importante, et je suis enthousiaste à l’idée qu’elle existe dans notre droit positif. Pendant des années, en effet, on n’a ni évité, ni réduit, ni compensé. Nous avons institué cette règle, et nous nous réjouissons qu’elle existe.
J’ai de nombreux exemples en tête de services de l’État qui instruisent des projets sans mettre en œuvre la séquence ERC : ils ne se demandent même pas si on peut éviter ou réduire, et ils compensent mal. Cela se passe dans mon département !
Lorsque j’étais président d’une commission locale de l’eau, j’ai été consulté par un syndicat intercommunal à vocation multiple, un SIVOM, qui voulait construire une station d’épuration. Le maître d’ouvrage délégué pour la construction de cette station était l’État, ou plutôt les services de l’équipement, à Amiens.
On me présente donc ce projet pour connaître l’avis de la commission locale de l’eau et savoir si ledit projet est conforme aux prescriptions du schéma d’aménagement et de gestion des eaux, le SAGE.
Je demande alors quelles sont les mesures préconisées dans le cadre de la séquence ERC, et notamment pour « éviter ». Il était prévu de construire la station, non pas à 100 ou 200 mètres, mais au bord du lit mineur du fleuve, j’ai bien dit : au bord ! On me répond alors qu’il n’est pas possible de prendre des mesures d’évitement. Or ils n’avaient cherché ni à éviter ni à réduire, et quand ils ont essayé de compenser, leur plan de compensation était nul !
Les principes, c’est magnifique, mais il faudrait commencer par appliquer ceux qui existent !
L’application de la séquence « éviter-réduire-compenser » relève du pouvoir de l’État, qui doit mettre en place des politiques organisées vis-à-vis des services, des maîtres d’ouvrage et des architectes. Ce n’est pas en disant que l’on va tendre à une absence de perte nette ! Comment mesure-t-on d’ailleurs l’absence de perte nette ?
Si tant est que je sois d’accord avec votre texte, il est vrai qu’avec la séquence « éviter-réduire-compenser », si on a un tout petit peu de bon sens, de bonne volonté écologique, on ne pense qu’à une chose : comment éviter de massacrer le paysage, les terrains sur lesquels on intervient ?
Puisque vous parlez de reconquête de la biodiversité, on devrait commencer par se poser la question de l’obtention du gain de biodiversité. Ce serait positif ! À défaut, si on ne peut pas faire de gain, comment éviter une perte ? Mais, je le redis, comment mesurer une perte nette ? Il faut être très calé… Nous n’avons aucun instrument de mesure.
On peut mener une politique de communication : je ne suis pas contre l’idée de faire de la pédagogie, d’expliquer aux services, aux maîtres d’ouvrage et aux ingénieurs ce qu’il convient de faire. Mais il faut voir la façon dont tout cela est actuellement appliqué sur le territoire national ! La preuve en est, d’ailleurs, que l’on s’est demandé comment allaient fonctionner les services de compensation. On s’est dit que ce ne serait pas une mauvaise idée que l’Agence française pour la biodiversité s’empare de ce sujet et tienne un registre des compensations.
On est là en train de se projeter dans un monde moderne : dans cinquante ans, on peut imaginer que nous aurons fait de grands progrès en matière d’ingénierie et que nous pourrons nous demander comment « éviter ». L’enfer est pavé de bonnes intentions, tout comme ce texte. Trouver, un jour, le moyen d’éviter la perte nette, je rêve qu’on y parvienne, mais ce ne sera pas aujourd’hui !
Actuellement, nous sommes incapables de faire des politiques de l’application de la règle ERC. §Or on essaye déjà d’éviter les pertes nettes.
Il faut revenir sur terre ! On est en train de construire une loi pour la reconquête de la biodiversité, et pas de rêver à des objectifs comme des Bisounours – pardonnez-moi d’être un peu trivial ! –, alors même que la règle ERC ne fonctionne pas. Appliquons déjà cette règle et, dans cinq ans, dans une loi moderne – madame la secrétaire d'État, comme vous êtes très jeune, vous aurez la chance de présenter d’autres textes ; quant à moi, je ne serai plus là ! –, je verrai avec plaisir que l’on a fait un pas.
En tout cas, ne disons pas qu’on régresse parce qu’on n’est pas d’accord avec cette proposition ! Pour l’instant, cette histoire, c’est de la littérature !
Mme Sophie Primas applaudit.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Monsieur le rapporteur, malgré ma très grande jeunesse
Sourires.
Essayons de regarder où on veut aller. Vous avez cité un exemple qui me touche particulièrement, puisqu’il concerne ma chère ville d’Amiens, mais qui m’amène à la conclusion exactement inverse de la vôtre ! Il s’agit justement d’un problème de pédagogie et de définition d’objectifs. Il faut faire comprendre que l’enjeu est essentiel et que nous ne pouvons plus revenir dessus. Nous ne devons plus perdre de biodiversité, car nous en avons déjà trop perdu. Nous n’avons pas assez prêté attention à cette question.
L’exemple que vous avez cité est terrible parce qu’il concerne les services de l’État. Je peux vous dire que je vais regarder avec une très grande attention un certain nombre de projets qui doivent mettre en œuvre le triptyque « éviter-réduire-compenser » et qui ne le font peut-être pas. Je pense notamment à des gros projets. Cela montre de manière cruelle à quel point la prise en compte de la biodiversité n’est pas aujourd’hui dans les esprits.
Pour en arriver là, il faut que le projet de loi qui porte justement sur la reconquête de la biodiversité prévoie des objectifs clairs. L’article 2 dont nous débattons pose des objectifs, donne la direction à prendre, fixe une ligne.
On ne va pas résoudre le problème en cinq minutes. On ne fera pas entrer la séquence « éviter-réduire-compenser » d’un coup de baguette magique dans toutes les têtes. Mais il est plus simple de faire comprendre le principe de base – arrêter de perdre de la biodiversité – que la séquence « éviter-réduire-compenser », qui nécessite d’être explicitée. Certes, le « zéro perte nette » est difficile à définir, mais « réduire » ou « éviter » le sont tout autant ! Le problème se pose de la même manière.
Encore une fois, une loi n’est pas simplement une série d’articles de code ; c’est aussi des directions et des grands principes. Les articles 1er et 2 sont là pour ça ! L’objectif de « zéro perte nette » est, selon moi, un principe fondamental pour faire comprendre de façon très pédagogique où nous voulons aller. Encore une fois, nous ne pouvons plus nous permettre de perdre de la biodiversité dans notre pays, et nous savons que, même en faisant figurer cet objectif dans la loi, il mettra encore longtemps à germer dans l’esprit de nos concitoyens.
L’avis est donc favorable sur ces amendements.
Je ne vis certainement pas dans le même monde, ou alors les services de l’État dans mon département sont particulièrement efficaces ! En effet, chaque fois que l’on veut monter un projet, on se heurte à un problème d’appréciation de la loi.
Je ne vous parlerai pas de l’oedicnème criard, un oiseau magnifique, qui justifie que l’on ne puisse plus rien faire dans la vallée de la Seine, alors même que l’on en trouve partout !
Pour chaque projet, les services de l’État viennent mesurer la biodiversité, ce qui est très bien, sur les plantes, les oiseaux, les vers de terre, les escargots… On a le droit à tout ! Parfois, on est dans la quadrature du cercle pour compenser, mais on essaie de le faire. Les compensations sont d’ailleurs excessivement chères.
Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas le faire. Il est nécessaire de préserver la biodiversité, de compenser quand on fait des projets. Mais il me semble – en tout cas, c'est ainsi dans mon département – que les services de l’État sont déjà particulièrement attentifs à cet objectif.
Le rajouter dans l’article 2 relatif aux grands principes, qui n’a aucun pouvoir normatif et ne sera pas appliqué, ne sert à rien ! §Je suis sur la même ligne que le rapporteur. Je ne voterai donc pas ces amendements, qui n’apportent aucun gain en termes d’efficacité par rapport à la prise de conscience déjà bien réelle des services de l’État.
Mon propos va dans le même sens que celui de Sophie Primas. Il y a clairement deux France ! Nous ne vivons pas du tout ce que vous décrivez en termes d’atteinte à la biodiversité. Dans les villes et les grandes agglomérations, il y a sans doute peu de rétablissement, mais je vais vous parler de nos campagnes.
De nombreux élus locaux sont venus nous trouver, nous qui représentons les campagnes, pour nous dire qu’ils n’arrivaient pas à réaliser tel ou tel projet. J’ai en tête l’exemple d’un champ photovoltaïque qui devait faire treize hectares. On n’avait pas vu un animal sur cette parcelle de terrain depuis au moins quarante ans, parce qu’il n’y avait ni bois ni terre. C’était donc un bon terrain pour le photovoltaïque. Il a fallu réduire le projet à sept hectares parce que la DREAL a trouvé des papillons !
Je peux aussi vous citer l’exemple d’une scierie qui a brûlé il y a bientôt un an maintenant. Elle aurait pu être installée dans une autre commune, sur un terrain qui n’avait pas de vocation agricole. Cela n’a pas été possible, car il y avait une espèce qui ne vivait que là. Au bout d’un an, le projet est toujours arrêté, et les emplois ne sont pas là !
Avec de telles contraintes – je parle du milieu rural, car je connais très mal les problèmes urbains –, on veut mettre tout le monde dans le même moule. En zone rurale, combien de maires se sont vu refuser des certificats d’urbanisme, car il y a toujours quelque chose qui empêche l’exécution du projet ?
On est en train de paralyser notre France ! Dans nos campagnes – je vous prie de m’excuser, chers collègues des villes –, on ne peut plus rien faire. Venez-vous en rendre compte : je suis prêt à vous organiser, madame la secrétaire d'État, une ou deux journées pour vous montrer tous les projets qui n’ont pas pu être réalisés parce que la DREAL est sans arrêt sur notre dos.
Vous dites, madame la secrétaire d'État, qu’il n’y a pas de compensation. Or, certains grands ouvrages comme l’A39, qui traverse mon département, ont été compensés. J’étais président du conseil général, je sais tout ce qui a été donné ! Il en va de même pour le TGV Rhin-Rhône qui passe dans le sud du département. J’étais avec le président du Sénat vendredi dernier quand le maire de Dole nous a expliqué que la collégiale de sa ville avait été restaurée avec des crédits de compensation de la ligne TGV. Alors, n’allez pas nous dire qu’il n’y a pas de compensation !
Dans le Jura – je suis désolé de parler encore de mon département –, je ne sais pas si c'est à cause de la proximité avec la Suisse, mais j’ai vraiment l’impression que nous ne sommes pas en France, car la loi ne s’applique pas comme cela est souvent décrit dans cette enceinte. Je vous parle de la réalité de ce que nous vivons vraiment !
Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Dubois applaudit également.
Madame la secrétaire d'État, il y a encore quelques mois, alors que j’achevais mon mandat écourté de maire, j’avais dans l’idée de présenter un projet assez intéressant dans l’esprit de la séquence « éviter-réduire-compenser ». Puis j’ai vu les contraintes qui étaient demandées pour la réalisation d’un lotissement : près de 150 % de compensation. Les investisseurs vous disent qu’ils aimeraient bien faire le projet, mais que, s’il faut acheter 4 hectares de terrain pour bâtir 5 000 mètres carrés, cela n’est plus possible…
Par ailleurs, je propose de nous revoir dans cinq ans pour voir ce que l’application d’un dogme comme celui-là, qui peut être un enfer pavé de bonnes intentions, pourrait donner sur la loi SRU ou la loi ALUR. On demande à des communes d’avoir un taux de logements sociaux suffisamment important, mais elles ne pourront plus construire au travers de leur PLU, car on va exiger des compensations en foncier qu’elles n’auront pas. Faisons attention !
J’ai interrogé à plusieurs reprises la précédente ministre du logement et je n’ai jamais eu de réponse à ce sujet. Il faut voir l’avenir : la France, ce n’est pas seulement du milieu urbain, c'est aussi du rural. On demande aux communes rurales des taux de logements sociaux importants, qui ont été définis dans la loi. Or les communes ne pourront pas les atteindre et, je vous le rappelle, elles seront pénalisées.
Alors, la double peine, non merci !
Il est bien d’avoir ce débat au Sénat où l’on a des praticiens, alors que, pour avoir fait trois mandats de députés, je peux vous dire qu’il aurait été beaucoup moins intéressant à l’Assemblée nationale.
On voit là vraiment le décalage entre des principes et leur mise en œuvre sur le terrain. Les principes, j’y adhère totalement, y compris d’ailleurs celui de la reconquête de la biodiversité. Je ne partage pas l’avis de mes collègues qui considèrent que les problèmes existent à l’étranger et pas dans notre pays, où la biodiversité ne s’éroderait pas.
Le problème se pose non seulement sur un plan philosophique, mais aussi sur un plan utilitaire et très anthropocentriste, si on considère que la biodiversité est le premier gisement de la pharmacopée.
Mais, dans le même temps, ce que mes collègues ont dit, madame la secrétaire d'État, est exact : les services de l’État font une application zélée de la loi dans nos collectivités territoriales, où il n’y a pas de véritable décentralisation et où les fonctionnaires prétendent faire de l’urbanisme à la place des élus. Il n’y a pas que les collectivités locales qui sont gênées par l’application absurde des normes. L’armée s’est vu imposer de prévoir une accessibilité pour les personnes à mobilité réduite sur des simulateurs de vol de Rafale ! Je le redis, on est dans l’application absurde des normes, ce qui pousse nombre de nos collègues à jeter le bébé avec l’eau du bain.
Le Gouvernement a toujours refusé qu’on prenne en compte les principes d’adaptation au contexte local et de proportionnalité dans la mise en œuvre des normes. Toute la difficulté vient aujourd'hui de là. On pourrait se fixer des objectifs de reconquête de la biodiversité et vérifier qu’ils ont été atteints, mais en laissant les élus beaucoup plus libres des modalités, comme on le ferait dans n’importe quel autre pays européen.
Nous n’aurions pas aujourd’hui ce blocage et cette opposition d’élus qui ne sont pas forcément hostiles au principe, mais qui constatent tous les jours la mise en œuvre absurde des normes.
Je suis même très tenté de voter des amendements qui posent le principe de la reconquête de la biodiversité, et ne se contentent pas de limiter les dégâts. Dans le même temps, je suis tous les jours le témoin de ces exagérations et de ces blocages sur le terrain.
MM. Gérard Bailly, François Bonhomme et Jackie Pierre applaudissent.
Mon cher collègue Grosdidier, lorsque vous êtes acteur de la nature en tant que maire et que l’administration vous oppose certains blocages, vous trouvez cela complètement anormal. En revanche, lorsque ce sont les acteurs de la nature que sont les agriculteurs qui vivent des blocages au quotidien, cela ne vous dérange pas, et vous êtes même prêt à encourager ces situations !
C'est comme cela que je ressens les choses : des corporations se forment.
Par ailleurs, je voudrais parler de la reconquête de la biodiversité. Certes, la biodiversité a connu certaines vicissitudes, mais dans notre pays, comme dans d’autres, elle est beaucoup plus riche que certains veulent bien l’avouer. On peut dire ce qu’on veut avec les rapports : il suffit de choisir ceux qui sont négatifs si l’on veut faire la promotion de la reconquête
Mme Évelyne Didier s’exclame.
On a besoin d’améliorer, de protéger la biodiversité, mais nous n’en sommes pas dans notre pays au stade de la reconquête. La situation n’est pas apocalyptique : on n’a pas détruit la biodiversité, …
… de même qu’on n’a pas non plus détruit les paysages.
Il s’agit bien d’une loi de protection de la biodiversité, et non d’une loi de reconquête. N’employons pas des mots apocalyptiques !
MM. Gérard Bailly et Jackie Pierre applaudissent.
Je crois que l’on tient la phrase de la soirée : reconquérir la biodiversité, c'est l’apocalypse ! Avec cette phrase, nous sommes partis pour deux jours et demi de franche rigolade…
On savait déjà que les paysages nocturnes nuisaient aux poissons rouges dans leur bocal ; on sait maintenant que la loi SRU en région parisienne est victime de l’œdicnème criard et que c'est la raison principale pour laquelle un certain nombre de communes de cette région ne l’appliquent pas !
Nous améliorons la qualité du débat à une vitesse supersonique…
Malgré tout, j’essaie d’écouter les arguments des uns et des autres. Je suis souvent d’accord avec Jérôme Bignon, mais pas toujours. Là, je l’ai trouvé extrêmement fataliste : s’il se projette à cinquante ans pour la reconquête de la biodiversité, à la vitesse à laquelle celle-ci chute, il ne restera que très peu d’exemplaires et il faudra faire du bricolage génétique pour retrouver un certain nombre d’espèces disparues…
J’écoute ce que vous dites avec beaucoup plus d’intérêt que vous ne l’imaginez, et je me demande où est le problème. Je sens bien une envie de faire disparaître les DREAL. Aucun amendement sur ce sujet n’a été déposé, mais on voit que l’idée est dans l’esprit de certains de mes collègues.
Si les choses sont bloquées, c'est parce qu’il n’y a pas de stratégie de reconquête. S’il y avait un consensus dans ce pays sur une telle stratégie, on n’aurait absolument pas les mêmes problèmes en termes de compensation. Par exemple, sur la trame verte et bleue, certains vont intervenir pour dire qu’elle est une contrainte supplémentaire insupportable pour les collectivités territoriales. L’argument va arriver un peu plus tard dans le débat. Pourtant, si on avait une trame verte et bleue opérationnelle, nous aurions beaucoup moins de difficultés à faire de la compensation, puisque l’on aurait une grille sur laquelle s’appuyer.
Or, comme vous refusez d’avoir des trames opérationnelles efficientes sur lesquelles s’appuyer et que vous vous plaignez dans le même temps que la compensation ne marche pas, nous sommes évidemment en train de bloquer notre pays et d’aller de plus en plus vers l’affrontement.
Essayez de réfléchir à notre vision de la reconquête de la biodiversité. Quelle stratégie réelle de reconquête mettez-vous sur la table ? Nous n’aurons peut-être pas la même, mais il faudrait au moins que l’on échange des arguments sur une stratégie efficiente. Pour le moment, la majorité des orateurs interviennent pour dire qu’une reconquête n’est pas possible et qu’il faut continuer d’aménager. Comme si le monde ne vivait pas une disparition massive de la biodiversité, y compris en France… Il y a un consensus scientifique sur ce point, n’en déplaise à certains !
Le débat est extrêmement intéressant parce qu’il porte sur le cœur du sujet.
Premièrement, sur le plan scientifique, quelles que soient les études, le constat de l’effondrement de la biodiversité – notamment la biodiversité dite commune ou ordinaire, qui est l’une des plus importantes – est totalement partagé. On ne peut donc pas contester ce point.
Nous avions un objectif en 2010, celui de stopper la perte de biodiversité, qui a été complètement manqué en France, en Europe et dans la plupart des pays. La dégradation de la biodiversité se poursuit donc.
On peut considérer qu’il est possible de s’extraire de cet objectif, que cela n’est pas si grave, qu’on conservera simplement les espèces utiles et pas les autres. Mais les scientifiques nous disent que l’on ne peut pas s’engager dans cette voie, car il y a une interaction permanente entre les espèces.
Deuxièmement, il faut revenir au texte de la loi dont nous discutons, c'est-à-dire au 2° de l’article L. 110–1 du code de l’environnement, aux termes duquel le principe d’action préventive et de correction doit être pris en compte, mais à un coût économiquement acceptable. Qu’il y ait des excès de zèle de certains services, c'est possible, dans ce domaine comme dans d’autres. Certains estiment que les services ne sont pas assez zélés, et d’autres qu’ils le sont trop. Il n’empêche que c’est à nous de rédiger la loi et qu’on ne peut pas se fonder toujours sur les plus mauvais exemples.
Troisièmement, et je tiens vraiment à insister sur ce point, dans le II de l’article L. 110–1 du code de l’environnement qui vise la protection des espaces et des espèces, il est clairement précisé que ces espaces et ces espèces « sont d’intérêt général et concourent à l’objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Il s’agit bien là de principes généraux.
Vous allez tous me demander comment mesurer cela. Je ne sais pas, mais il n’empêche que c’est un principe auquel nous sommes attachés en tant que législateurs. Je ne vois personne qui votera contre.
De la même manière, l’objectif d’amélioration de la biodiversité, de gain net de biodiversité, est un objectif global et général qui s’inscrit exactement dans le même cadre. Par conséquent, on peut trouver tous les arguments pour ne pas le faire figurer dans le texte, mais, à mes yeux, il s’insère parfaitement dans l’article L. 110–1 du code de l’environnement.
Vous le savez, la France a pris des engagements en 2010 : ce sont les objectifs d’Aichi, selon lesquels il faut stopper la perte de biodiversité.
Nous disions précédemment, à raison, que nous devions faire confiance à la science. Je rejoins les propos de Chantal Jouanno. Les chiffres sont clairs, je vais vous en rappeler quelques-uns pour que nous soyons tous bien d’accord.
Lorsqu’on parle de perte de biodiversité, il faut savoir que 165 hectares étaient artificialisés par jour en 2011. En dix-huit ans, on a constaté une baisse de 28 % des oiseaux communs typiques de certains lieux, notamment agricoles. En métropole, 9 % des mammifères, 19 % des reptiles, 21 % des amphibiens et 27 % des oiseaux nicheurs sont menacés de disparition.
S’agissant de l’outre-mer, un tiers des oiseaux, 14 % des papillons et 33 % des poissons d’eau douce sont menacés à La Réunion ; c'est le cas également pour une espèce de flore sur deux à Mayotte et pour un tiers des oiseaux nicheurs en Guadeloupe.
Voilà la réalité ! C’est sur cela que nous devons travailler. Alors, soyons bien d’accord sur l’analyse : aujourd’hui, la perte de biodiversité est une réalité. Nous devons la stopper. Pour cela, il y a évidemment le triptyque « éviter-réduire-compenser », mais il faut aussi donner des directions. La loi est aussi faite pour cela. C’est pourquoi l’objectif de « zéro perte nette », qui est fondé sur des faits, est très réel.
Je finirai par un point qui me paraît important. Je suis en effet sensible aux arguments qui ont été avancés, je suis quelqu’un de pragmatique et j’ai été aussi une élue de terrain. J’ai vu, comme vous, des problèmes d’application de la loi dans les territoires. La création de l’Agence française pour la biodiversité permettra aussi d’aider à la réalisation de cet objectif. Elle sera aux côtés notamment des maîtres d’ouvrage pour les aider à identifier les lieux où ils peuvent installer leurs projets et à déterminer ce qu’ils peuvent éviter et ce qu’ils ne peuvent pas éviter, ce qu’ils peuvent réduire et ce qu’ils ne peuvent réduire, et pour leur donner des conseils sur la compensation.
Le travail de l’Agence française pour la biodiversité ne portera pas seulement sur ce point, mais l’aide aux collectivités et aux donneurs d’ordre en général pour l’application de la loi sera une part importante de son activité. Effectivement, une loi n’est bonne que si elle peut être appliquée.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 82, 159 rectifié et 219.
Les amendements ne sont pas adoptés.
L'amendement n'est pas adopté.
Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 179 rectifié bis, présenté par MM. D. Dubois, Canevet, L. Hervé, Marseille, Luche et Longeot et Mme Doineau, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Daniel Dubois.
Nous allons pouvoir poursuivre notre débat, car l’alinéa 11 relève de la même logique : on ne parle plus de perte nette, mais du principe de solidarité écologique, qu’il faut prendre en compte dans toute décision publique ayant une incidence notable sur l’environnement.
Je considère que l’incidence notable est une notion extrêmement large et peu précise. Je ne sais pas ce qu’elle signifie en droit, mais sa prise en compte pourra conduire à empêcher la décision publique sur tel ou tel dossier dans les collectivités locales.
Avec le principe de solidarité écologique, on va ouvrir la boîte de Pandore des recours et de la judiciarisation : il faudra tenir compte de l’interprétation des juges et des jurisprudences qui vont s’établir.
Avec ce principe de solidarité écologique auquel devront se conformer les futurs textes réglementaires, on va mettre sous cloche tous les territoires, en particulier ruraux. C'est faire fi de l’action de l’homme qui – j’en citerai quelques exemples tout à l’heure – peut être bénéfique en matière d’environnement et de biodiversité.
Je propose donc la suppression de l’alinéa 11.
Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 83 est présenté par M. Filleul, Mme Bonnefoy, MM. Madrelle, Bérit-Débat, Camani et Cornano, Mme Herviaux, MM. J.C. Leroy, Miquel et Roux, Mmes Tocqueville et Claireaux, MM. Lalande, Courteau et les membres du groupe socialiste et républicain.
L'amendement n° 121 est présenté par MM. Mézard, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 11
Supprimer le mot :
directement
La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, pour présenter l'amendement n° 83.
Nous nous plaçons ici dans une autre perspective. L’article 2 introduit le principe de solidarité écologique qui a pour objectif la prise en compte des interactions entre les écosystèmes, les êtres vivants et les milieux naturels dans toute prise de décision publique ayant une incidence sur l’environnement.
Il s’agit donc de développer une nouvelle vision de la biodiversité : une vision plus globale intégrant l’ensemble des êtres vivants, et pas seulement les espèces végétales et animales, une vision incluant la notion d’écosystèmes et la question de leur interdépendance.
J’insiste sur le fait que le principe de solidarité écologique n’est pas pénalisant et invite simplement à une réflexion sur les critères de décision publique.
Ce concept particulièrement important figure d’ailleurs déjà dans notre droit positif de l’environnement. Ainsi, placer au niveau législatif ce principe, qui ne figurait jusqu’alors que dans la Stratégie nationale pour la biodiversité, est une avancée importante. Il convient dans le même temps de ne pas en diminuer la portée.
Or notre commission a choisi de supprimer la notion de territoires « indirectement concernés » visés par le principe de solidarité écologique.
Il faut dès lors supprimer également la référence aux territoires « directement » concernés, qui juridiquement n’a pas plus de sens, mais qui pourrait induire un affaiblissement du principe de solidarité écologique.
Tel est l’objet de cet amendement.
La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l'amendement n° 121.
Cet amendement étant identique à celui que vient de présenter mon collègue Jean-Jacques Filleul, je considère qu’il est défendu, monsieur le président.
Sur l’amendement n° 179 rectifié bis, qui vise à supprimer le principe de solidarité écologique, l’avis est défavorable. Cette suppression a déjà été rejetée à la fois par le Sénat et par l'Assemblée nationale. Le débat a été tranché. Nous avions au Sénat encadré ce principe afin de ne pas insécuriser les projets.
Les amendements n° 83 et 121 ont pour objet d’étendre le principe de solidarité écologique à tous les territoires concernés.
En commission, nous avons choisi de restreindre l’application du principe de solidarité écologique, en prévoyant que ce principe « appelle à prendre en compte […] les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels » dans les prises de « décision publique ayant une incidence notable sur l’environnement des territoires directement concernés ».
En effet, viser aussi, comme ces amendements tendent à le faire, les décisions publiques qui ont une incidence sur les territoires même indirectement concernés a paru trop large à la commission, les impacts pouvant être importants, notamment pour la réalisation des études d’impact. Cela nous a paru peu réaliste, car que veut dire « indirectement concernés » ? Jusqu’où un territoire est-il indirectement concerné ? Par exemple, la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des Landes pourrait-elle avoir un impact sur la baie de Somme ?
Sourires.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. N’exagérons rien !
Nouveaux sourires.
Je ne sais pas si ce que je dis est très réaliste, mais « indirectement concernés » peut désigner un territoire gigantesque. Je suis donc extrêmement prudent et je préfère conserver la notion de « territoires directement concernés », pour ne pas encourir de risques supplémentaires.
En ce qui concerne l’amendement n° 179 rectifié bis, visant à supprimer le principe de solidarité écologique, le Gouvernement émet évidemment un avis défavorable.
Au contraire, il convient de renforcer et de généraliser ce principe, qui existe déjà. Il est en effet appliqué, pour la gestion de l’eau, dans les bassins versants au titre de la solidarité amont-aval, ainsi que dans les parcs nationaux – entre le cœur de parc et la zone d’adhésion –, et cela ne conduit pas du tout à une « mise sous cloche ».
Au contraire, cela conduit à un développement concerté plus respectueux des équilibres des territoires et des dynamiques écologiques. Je vous invite, monsieur le sénateur, à visiter les parcs nationaux pour constater comment ils fonctionnent et à quel point cela crée des dynamiques de développement économique.
Aussi, encore une fois, ne nous trompons pas de combat.
S’agissant des amendements identiques n° 83 et 121, le Gouvernement émet bien sûr un avis favorable. Vous évoquiez précédemment, monsieur le rapporteur, les « territoires directement concernés », mais il ne faut pas conserver cette notion ; il faut étendre la solidarité écologique à tous les territoires concernés. Pourquoi ? Parce que, par exemple, un territoire en aval d’un cours d’eau peut être concerné par des aménagements, même lointains, en amont.
Ainsi, si vous maintenez l’adverbe « directement », cela ne tient plus compte des territoires qui ne sont pas directement liés. Je suis donc favorable à la modification visée par ces amendements identiques.
La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote sur l’amendement n° 179 rectifié bis.
Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, je veux revenir sur cet alinéa 11. Au-delà de sa rédaction, qui me paraît manifestement imprécise et qui mènera à une judiciarisation importante, il est dans de nombreux cas très difficile d’estimer, M. le rapporteur vient de le préciser avec raison, les impacts de l’action de l’homme sur la biodiversité. Je pense que nous ne disposons pas aujourd’hui de l’ingénierie nécessaire pour mesurer les interactions entre écosystèmes, à plus forte raison sur des territoires très vastes. Cela me paraît extrêmement compliqué.
Prenons quelques exemples. La vallée de la Somme – vous la connaissez bien, madame la secrétaire d’État – est aujourd’hui une zone humide, classée Natura 2000, parmi les plus importantes d’Europe.
Si la main de l’homme n’avait pas créé les intailles en Haute-Somme pour extraire la tourbe, ce qui a constitué des marais en partie sur la Haute-Somme, la richesse de la biodiversité de ce territoire n’existerait pas. C’est donc l’homme qui, à travers son action au XIXe siècle, a modelé un environnement, qui a lui-même créé une biodiversité que nous sommes tous enclins à défendre aujourd’hui.
Je vous pose une question, madame la secrétaire d’État : si aujourd’hui l’on devait recreuser dans la vallée de Somme pour extraire non pas de la tourbe, mais un minerai quelconque par exemple, comment ferait-on avec le principe inscrit à l’alinéa 11 de l’article 2 et quel bureau d’ingénierie pourrait affirmer qu’il n’y a aucun risque ? Ces bureaux diraient qu’il y a trop de risque et qu’il ne faut pas y aller parce qu’on n’est pas capable de mesurer les impacts.
Second exemple : quand les autoroutes ont été construites, dans de nombreux cas, les écologistes, notamment, sont montés au créneau en affirmant que ce serait une catastrophe du point de vue de la biodiversité. Aujourd’hui, dans le cadre des conventions d’entretien des abords de ces autoroutes, signées généralement avec les fédérations de chasseurs, ces abords ne sont pas ouverts à la chasse et, dès lors qu’il y a un entretien raisonné, ils deviennent des réserves extraordinaires de biodiversité. Encore une fois, avec les grands principes que nous sommes en train d’instaurer, on ne ferait plus aujourd’hui un seul grand chantier !
… a bloqué une zone d’activité de cinq hectares pendant quatre ans en empêchant l’implantation d’une entreprise qui devait créer 250 emplois à proximité de la vallée de la Somme.
Voilà les risques que nous faisons prendre, en votant cet alinéa, à toutes les collectivités publiques pour demain.
Merci, mon cher collègue. Je vous demande de respecter votre temps de parole.
Veuillez m’excuser, monsieur le président, je me suis laissé emporter par mon élan !
Vous vous êtes laissé emporter par votre passion…
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Je serai très brève, monsieur le président. Je veux simplement dire que le groupe écologiste ne votera pas pour l’amendement n° 179 rectifié bis.
Je veux aussi souligner une erreur dans la dernière phrase de l’objet de votre amendement, monsieur Dubois : vous affirmez que « le “principe de solidarité écologique” nie l’apport de l’homme » ; mais vous ne vous comptez pas dans la nature ? L’écologie, c’est étymologiquement la science de la maison, de l’habitat. Nous faisons partie de la nature.
Donc, la solidarité écologique nous concerne, c’est le soin de notre environnement.
L’amendement n’est pas adopté.
Les amendements ne sont pas adoptés.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 160 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau et Capo-Canellas.
L’amendement n° 220 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 14
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 9° Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante. »
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l’amendement n° 160 rectifié.
Nous traitons toujours de la réécriture de l’article L. 110-1 du code de l’environnement avec l’intégration de nouveaux principes ; il s’agit ici de celui de non-régression, qui figurait dans le texte issu de l’Assemblée nationale.
Dans le domaine de la protection de l’environnement, qui constitue théoriquement l’objectif de la loi, ce principe existe et est très largement répandu dans la communauté internationale et dans les conventions internationales, en particulier dans le droit de la mer. Il est aussi très utilisé dans de nombreux pays anglo-saxons.
Il permet d’instaurer un effet de cliquet, d’exclure tout abaissement du niveau d’exigence en matière de protection de l’environnement dans le domaine de la biodiversité.
La discussion est maintenant assez avancée : s’agit-il d’une loi qui acte le fait que nous nous mettons nous-mêmes en danger par la perte régulière et de plus en plus rapide de la biodiversité dans notre pays – il y a à ce sujet, n’en déplaise à certains ici, un consensus scientifique – et nous plaçons-nous dans la dynamique de la reconquête ?
On peut d’ailleurs avoir des débats d’échange, non de déni et de frein à main comme c’est le cas depuis le début de la soirée, mais sur les différentes solutions de reconquête. Tel devrait être le vrai débat dans l’hémicycle.
Ce principe de non-régression ouvre ce débat. Un vrai débat politique doit avoir lieu sur les choix à faire pour assurer la reconquête. On voit bien que, avant d’avoir ce débat politique noble, il faut déjà instaurer un cliquet sur la non-régression. C’est le sens du projet de loi et je regrette que cet alinéa ait été supprimé en commission. C’est pourquoi nous cherchons à le restaurer.
Défavorable.
Ces amendements visent à rétablir, les deux orateurs viennent de le dire, le principe de non-régression, que nous avons supprimé en commission.
Retraçons l’historique de nos débats sur ce sujet, parce que cela éclaire la solidité de l’argumentation sur l’instauration ou non du principe de non-régression dans notre droit positif. En première lecture à l’Assemblée nationale, le député Bertrand Pancher avait introduit dans le projet de loi l’idée de faire un rapport sur le principe de non-régression afin de pouvoir mesurer quels seraient les impacts éventuels de son insertion dans le droit français. Je le sais bien, c’était il y a très longtemps, mais les choses n’ont pas tellement évolué et aucun rapport n’est venu.
Cela me paraissait, à titre personnel, une très bonne idée dans la mesure où ce principe devient de plus en plus actuel, notamment au sein des instances internationales, comme l’a dit Mme Jouanno avec pertinence, comme souvent. Des sommités juridiques – j’ai lu beaucoup de choses sur ce point – s’y interrogent et contribuent à ce sujet.
Pour une raison que je ne m’explique pas, le rapport a été supprimé en séance publique. L’Assemblée nationale a rétabli, non pas un rapport, mais l’inscription dans le dur, dans la loi, de ce principe, « selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante ».
On passe ainsi brutalement d’une interrogation – il existe une notion intéressante, discutée, qui mérite une réflexion et l’Assemblée nationale, dont la majorité n’est pas aussi conservatrice que vous pourriez dire qu’elle l’est ici, veut y réfléchir en demandant un rapport – à une inscription immédiate, sans transition, dans le droit, le rapport ayant été évacué. On n’a pas réfléchi une demi-minute de plus entre la suggestion du rapport et l’inscription du principe « dans le dur ».
La commission l’a supprimé dans la mesure où, à ce stade, aucune étude d’impact ni aucun élément ne nous permettent de mesurer précisément quel sera l’impact de l’introduction de ce nouveau principe.
Je ne suis pas défavorable à ce principe, je pourrais même dire que j’y suis favorable. Il ne me paraît pas, à titre personnel, absurde. Mais ce n’est pas une formulation écrite au hasard, un peu à l’emporte-pièce, alors que nous n’avons ni circonscrit le débat ni étudié plus avant cette question, que nous devons adopter.
Je ne serais pas hostile à une demande de rapport, si quelqu’un prenait l’initiative de la rétablir. Je ne suis pas trop favorable aux rapports en général mais, sur ce type de questions, intéressantes, réelles et qui doivent être posées, où l’on n’a pas le début du commencement d’une réflexion approfondie, je trouverais dommage de s’en passer.
Peut-être que l’on va botter en touche en affirmant que l’on ne veut pas de rapport et que l’on n’en fera pas, mais je considère que ce rapport serait vraiment utile. Je regrette que l’on ne puisse l’inscrire dans le texte.
S’il n’y a pas de rapport, je suis défavorable à ces amendements.
Le Gouvernement a émis un avis favorable.
J’entends bien la demande d’un rapport et je peux, moi aussi, y être favorable en certaines occasions mais, en l’occurrence, il y a déjà eu de nombreuses réflexions sur le sujet ; il ne s’agit pas d’une page blanche. J’ai l’impression que nous sommes au moment où l’on peut prendre la décision, que nous disposons des éléments nécessaires pour le faire, mais que l’on ne saute pas le pas parce qu’il serait « urgent d’attendre ».
Je considère que la réflexion approfondie a été menée sur le sujet, Mme Jouanno l’a dit, et qu’il s’agit maintenant de passer aux actes. Le Gouvernement est donc favorable à ces amendements identiques.
J’ai écouté avec attention les explications de notre rapporteur, auxquelles je souscris totalement. Il a parfaitement exposé les conditions dans lesquelles le Sénat avait supprimé, en première lecture, ce projet de rapport sur la non-régression écologique.
Le texte nous revient de l’Assemblée nationale en boomerang, avec l’application immédiate de ce principe. J’avoue – je prends mes collègues à témoin – que, quand j’essaie de formaliser ce que ce principe peut être, je suis extrêmement dubitatif et, même, je crois rêver. Cela signifierait que, en mai 2016, on fige toute évolution pouvant toucher la faune, la flore, l’environnement et les écosystèmes à partir de nos connaissances d’aujourd’hui.
En première lecture, j’avais donné un exemple – c’est bien entendu mon âme de chasseur qui revient à la surface
Mme Évelyne Didier s’exclame.
Si, au cours d’une procédure – on sait comment se passe l’application des directives en France –, on était confronté à un tel sujet en devant appliquer le principe de non-régression écologique, on affirmerait que c’est terminé, que la protection de telle ou telle espèce a été décidée et qu’on ne revient pas en arrière. Je prends le pari que telle serait l’interprétation franco-française d’un tel texte. Je dis donc simplement que c’est extrêmement pernicieux.
Je vais faire hurler certaines personnes, je le sais, mais le principe de précaution, inscrit dans la Constitution, montre les freins que cela a conduit à créer dans l’innovation et dans certains progrès.
Je dis simplement : danger !
J’avais présenté un amendement de repli, que la commission, bien entendu, a rejeté puisqu’elle a supprimé ce principe de non-régression, mais je pense que l’on pourrait y réfléchir à nouveau en commission mixte paritaire. Si l’on devait conserver ce principe, il faudrait au moins que cette non-régression écologique soit liée à l’évolution des écosystèmes et des connaissances scientifiques, ce qui serait la moindre des choses.
Sans vouloir être cruel, madame la secrétaire d’État, je vous rappelle tout de même que, dans le projet initial du Gouvernement, qui est à l’initiative de ce texte sur la reconquête de la biodiversité, l’idée même de ce principe ne figurait pas ; il n’y avait pas un mot à son sujet.
En outre, ce rapport a été demandé par Bertrand Pancher, qui, sauf erreur de ma part, ne fait pas partie de la majorité gouvernementale. On a donc dû demander l’avis du Gouvernement et j’imagine – je n’ai pas cherché cette information, parce que vous m’obligez à improviser
Sourires.
Nouveaux sourires sur les travées du groupe Les Républicains.
… puisque cette demande de rapport a été adoptée par l’Assemblée nationale.
Je trouve donc un peu dommage que l’on évacue sans raison ce rapport, qui n’était pas dans le projet initial. Il y a un vrai sujet, dont tout le monde dit qu’il est intéressant et consistant – ce n’est pas quelque chose de vide –, alors essayons d’avancer plutôt que de nous balancer des choses qui ne sont pas positives. Il ne s’agit pas de se dire qui a tort ou qui a raison. Je propose qu’on essaie de construire quelque chose de concret, qui nous permette de faire un progrès substantiel sur ce principe.
Proposez-vous un amendement, monsieur le rapporteur ?
Je ne suis pas certain d’être en mesure de proposer un amendement parce que je suis mandaté par la commission pour défendre une position défavorable sur ces amendements, mais vous pourriez le faire, madame la secrétaire d’État. Je regrette qu’on ne saisisse pas cette occasion…
Les amendements ne sont pas adoptés.
La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote sur l’article 2.
Je viens de m’exprimer sur le principe de solidarité écologique, en insistant sur les risques qu’il représente pour les décisions publiques, en particulier dans les territoires ruraux.
Je veux rappeler à mes collègues que nous avons adopté dans cet hémicycle, il n’y a pas très longtemps, la loi ALUR, qui gèle 80 % des terrains à bâtir dans les territoires ruraux. J’ajoute que nous avons constitutionnalisé voilà quelques années le principe de précaution. Personnellement, je n’ai pas voté pour, nous étions rares à ne pas le faire. Aujourd’hui, tout le monde veut le supprimer.
On est en train de prendre des décisions majeures, qui vont mettre les territoires ruraux sous cloche. Bientôt, nous serons des réserves d’Indiens…
… et nous viendrons avec nos plumes dans cet hémicycle.
Je voterai naturellement contre l’article 2.
L’article ayant perdu une bonne part de sa substance, nous voterons contre aussi.
L’article 2 est adopté.
I. – Le code civil est ainsi modifié :
1° Après le titre IV bis du livre III du code civil, il est inséré un titre IV ter ainsi rédigé :
« TITRE IV TER
« DE LA RÉPARATION DU PRÉJUDICE ÉCOLOGIQUE
« Art. 1386 -19. – Toute personne responsable d’un dommage anormal causé à l’environnement est tenue de réparer le préjudice écologique qui en résulte.
« Art. 1386 -19 -1 et Art. 1386 -19 -2. –
Supprimés
« Art. 1386 -20. – La réparation du préjudice écologique s’effectue par priorité en nature. Elle vise à supprimer, réduire ou compenser le dommage.
« En cas d’impossibilité ou d’insuffisance d’une telle réparation, ou si son coût est manifestement disproportionné au regard de l’intérêt qu’elle présente pour l’environnement, le juge peut allouer des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l’environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l’Agence française pour la biodiversité.
« L’évaluation du préjudice tient compte, le cas échéant, des mesures de réparation déjà intervenues, en particulier dans le cadre de la mise en œuvre des articles L. 160-1 et suivants du code de l’environnement.
« Art. 1386 -21. – L’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à l’État, à l’Agence française pour la biodiversité, aux collectivités territoriales et à leurs groupements dont le territoire est concerné. Elle est également ouverte aux établissements publics, aux fondations reconnues d’utilité publique et aux associations agréées ou ayant au moins cinq années d’existence à la date d’introduction de l’instance, qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.
« Art. 1386 -22. – En cas d’astreinte, celle-ci peut être liquidée par le juge au profit du demandeur ou de l’Agence française pour la biodiversité, qui l’affecte à la réparation de l’environnement.
« Le juge se réserve le pouvoir de la liquider.
« Art. 1386 -23. – Les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage, pour éviter son aggravation ou en réduire les conséquences, constituent un préjudice réparable, dès lors qu’elles ont été raisonnablement engagées.
« Art. 1386 -24 (nouveau). – Indépendamment de la réparation du dommage éventuellement subi, le juge, saisi d’une demande en ce sens par l’une des personnes mentionnées à l’article 1386-21, peut prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage anormal causé à l’environnement. » ;
« Art. 1386 -25 (nouveau). – Toute personne mentionnée à l’article 1386-21 peut demander au juge sa substitution dans les droits du demandeur défaillant aux fins d’obtenir la mise en œuvre du jugement.
2° Après l’article 2226, il est inséré un article 2226-1 ainsi rédigé :
« Art. 2226 -1. – L’action en responsabilité tendant à la réparation du préjudice écologique réparable en vertu du titre IV ter du présent livre se prescrit par dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice. » ;
3° Au second alinéa de l’article 2232, après la référence : « 2226 », est insérée la référence : «, 2226-1 ».
II. – Le livre Ier du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° À la fin de l’article L. 152-1, les mots : « trente ans à compter du fait générateur du dommage » sont remplacés par les mots : « dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice » ;
2° Le chapitre IV du titre VI est complété par un article L. 164-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 164 -2. – Les mesures de réparation prises en application du présent titre tiennent compte de celles ordonnées, le cas échéant, en application du titre IV ter du livre III du code civil. »
II bis (nouveau). – Les articles 1386-19 à 1386-25 sont applicables à la réparation des dommages dont le fait générateur est antérieur à la promulgation de la présente loi. En revanche, ils ne sont pas applicables aux actions judiciaires déjà engagées à cette date.
III. – §(Non modifié) Le présent article est applicable :
1° À l’exception du 1° du II, dans les îles Wallis et Futuna ;
2° Dans les Terres australes et antarctiques françaises.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il s’agit d’un article important puisqu’il traite du préjudice écologique, que nous connaissons bien. En effet, c’est au Sénat, sur une proposition de loi que j’avais signée et dont le rapporteur était Alain Anziani, que le principe de la consécration dans le code civil du préjudice écologique a été adopté à l’unanimité. Je le rappelle, le code civil est en quelque sorte, selon l’expression d’un grand juriste, la Constitution de la société civile.
Il s’agit au départ d’une construction jurisprudentielle ; je vous renvoie à la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 septembre 2012, concernant l’affaire de l’Erika, qui a fait émerger le concept de préjudice écologique, qui n’a rien à voir avec le préjudice matériel ni avec le préjudice moral.
Il existe aussi d’ailleurs une décision, peu connue, du Conseil constitutionnel, en date du 8 avril 2011 ; elle précise, d’une part, qu’il existe un devoir de vigilance vis-à-vis des atteintes à l’environnement et, d’autre part, qu’il est possible d’engager une action en responsabilité concernant les dommages à l’environnement.
Finalement, les choses en étaient restées là. Je veux remercier la commission de l’aménagement du territoire et son rapporteur, ainsi que la commission des lois, qui a produit un énorme travail juridique. D’ailleurs, le texte de l’article 2 bis sur lequel nous devrons nous prononcer a fait l’objet d’un vote unanime de la commission des lois
M. le rapporteur pour avis opine.
Le régime de réparation, tel qu’il est pour l’instant conçu dans le code civil – nous parlons sous le regard de Portalis – est complètement inadapté à la prise en compte de la réparation du dommage écologique. En effet, la nature n’étant pas une personne – traditionnellement, le régime de la réparation dans le code civil exige qu’un préjudice soit personnel pour être réparable –, elle ne peut être une victime ; donc s’il n’y a pas de victime, on ne peut réparer le dommage. Un raisonnement spécieux, bien sûr…
En même temps, le code civil pose un autre problème : en droit de la réparation, le juge est confronté à la fois à une liberté, celle de décider si le dommage est réparé en nature ou sous forme monétaire, et à une contrainte, puisque le juge n’a pas la faculté de décider de l’affectation de la réparation à un usage donné. Or il convient de réparer le préjudice écologique en nature et d’affecter cette réparation à un usage donné.
C’est la raison pour laquelle il convient désormais de consacrer ce que la jurisprudence a produit. Victor Hugo disait qu’il faut faire entrer le droit dans la loi ; en d’autres termes, il est nécessaire de légaliser la jurisprudence, parce que celle-ci est foisonnante, contradictoire
Mme la secrétaire d’État opine.
Si nous sommes attachés à la liberté en économie, alors nous sommes aussi attachés à la responsabilité. Si nous sommes attachés à la liberté d’entreprise, nous voulons en même temps créer un cadre stable, qui évite l’insécurité juridique.
C’est pourquoi, mes chers collègues, le législateur doit prendre le relais du juge, qui a fait son travail ; ce travail touchant à sa limite, chacun d’entre nous doit prendre ses responsabilités.
Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
L’amendement n° 182 rectifié quater, présenté par MM. D. Dubois, Détraigne, Bonnecarrère, Canevet, Guerriau, Marseille et Gabouty, Mme Gatel, MM. L. Hervé et Longeot, Mme Doineau et M. Cigolotti, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 1386 -19. – Toute personne qui cause un préjudice écologique grave et durable est tenue de le réparer.
La parole est à M. Daniel Dubois.
Je viens d’écouter Bruno Retailleau avec beaucoup d’attention et d’intérêt et je partage complètement ses propos.
Simplement, je me pose une question à propos de la précision et de la définition d’un dommage « anormal ». Tel est mon problème. Il me semble plus intéressant de faire mention à un « préjudice grave et durable ». La notion juridique de la gravité de la faute me semble plus forte et plus claire que celle d’anormalité, qui laissera au juge une marge extrêmement large d’interprétation.
Je suis désolé d’indiquer à mon cher collègue Daniel Dubois que suis défavorable à son amendement.
Cet amendement vise deux objectifs. Premièrement, il s’agit de remplacer la formulation « toute personne responsable d’un dommage » par « toute personne qui cause un préjudice écologique ». Or cette formulation pose un réel problème, car elle reste dans l’incertitude, introduite à l’Assemblée nationale, portant sur le régime de responsabilité applicable.
Avec la formule « toute personne qui cause un préjudice écologique », on ne sait pas si l’on est dans un régime de responsabilité sans faute, pour faute ou encore du fait d’autrui ; surtout, il y a une vraie incertitude juridique conduisant à penser qu’il ne sera pas possible de poursuivre, par exemple, les entreprises pour le compte desquelles un employé aura causé le préjudice. Or c’est bien un régime de responsabilité sans faute que l’on souhaite introduire.
Secondement, l’amendement tend à qualifier le dommage réparable de « grave et durable ». Cette formulation n’a pas été retenue par l’Assemblée nationale et, effectivement, elle semble incertaine. En effet, dès lors que le dommage cesse, il n’y a plus de dommage, donc je ne vois pas pourquoi il faudrait préciser qu’il doit être durable.
Le texte que nous avons adopté en commission est juridiquement plus solide, avec la notion de « dommage anormal », née au XIXe siècle et qui a donc une assise historique et juridique solide. Elle est connue du juge, qui l’applique depuis bien longtemps et, surtout, elle satisfait le critère de gravité. Je ne rappelle pas l’adage latin que j’ai cité tout à l’heure, car je finirais par passer pour un cuistre…
Je partage les arguments du rapporteur sur ce point.
J’ajoute que la rédaction élaborée par la commission est conforme aux propositions du groupe de travail présidé par le professeur Jégouzo et renvoie à une notion bien connue du droit civil. Elle permet de ne pas limiter excessivement le champ de la responsabilité pour préjudice écologique tout en offrant des garanties de sécurité juridique aux acteurs économiques.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
Je veux simplement ajouter un mot pour rassurer Daniel Dubois : le préjudice écologique doit servir à réparer un dommage qui n’est pas anodin, évidemment. Or, dès lors que l’on s’est interrogé sur la qualification du préjudice écologique, après l’adoption de notre proposition de loi, le garde des sceaux de l’époque avait constitué un groupe de travail sous la présidence d’un professeur de droit, M. Jégouzo. Ce groupe devait étudier les problèmes que nous n’avions pas traités à l’époque : le problème de l’intérêt à agir, sur lequel nous reviendrons, celui de la prescription, celui de l’articulation avec la police administrative et, surtout, cette notion de gravité.
Le rapporteur l’a dit, il s’agit d’une notion qui a émergé à travers la jurisprudence, encore une fois, de la Cour de cassation, en 1844. Depuis cette date, le juge, notamment civil, sait parfaitement manier ce caractère anormal ; il le relie d’ailleurs à la gravité. En réalité, il s’agit de la traduction dans le langage juridique et jurisprudentiel de la notion de gravité.
On peut parfaitement se rassurer sur ce point. Aux professeurs de droit et aux autres participants de ce groupe – il n’y avait pas que des juristes –, c’est cette notion qui avait paru la plus stable et la plus à même de définir le caractère de gravité que l’on souhaitait attacher au dommage causé à l’environnement qui peut faire l’objet d’une réparation.
L’amendement n° 182 rectifié quater est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 200, présenté par M. Bouvard, n'est pas soutenu.
L'amendement n° 79 rectifié, présenté par MM. Vasselle, Cardoux et Doligé, Mme Di Folco et MM. Chaize, Bizet et Houel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 15
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. 1386-… – Le présent titre ne s’applique pas aux dommages causés à l’environnement ou à la menace imminente de tels dommages résultant d’activités entrant dans le champ d’intervention d’une convention internationale visée aux annexes IV et V de la directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux. »
La parole est à M. Alain Vasselle.
Cet amendement de précision est quasiment identique à celui qu’avait déposé M. Bouvard. Il a pour objet d’apporter une sécurité juridique, en rappelant notamment que les dommages environnementaux couverts par des régimes de réparation dédiés résultant de conventions internationales ne relèvent pas, selon l’adage en vertu duquel le droit spécial déroge au droit général, du régime général de la réparation des dommages environnementaux que le projet de loi prévoit de créer aux articles 1386–19 et suivants du code civil.
L’avis est défavorable. Cet amendement vise à préciser que le titre ne s’applique pas aux dommages environnementaux qui font l’objet d’un régime particulier de réparation résultant de conventions internationales. Il est donc, au mieux, satisfait, dans les cas où la réparation du préjudice est déjà prévue, et, au pire, dangereux, dans les cas où un régime spécial ne prévoit qu’une réparation du préjudice personnel subi – par exemple, dans le cas de l’amiante –, là, la réparation du préjudice à l’environnement n’existerait plus ; or notre but est précisément de réparer ce préjudice « pur ».
L'amendement n'est pas adopté.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 69 est présenté par M. Pellevat.
L'amendement n° 77 rectifié est présenté par MM. Vasselle et Doligé, Mme Di Folco, MM. G. Bailly, Chaize, Bizet et Houel et Mme Duchêne.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 1386 -20. – La réparation du préjudice écologique s'effectue en nature.
L’amendement n° 69 n'est pas soutenu.
La parole est à M. Alain Vasselle, pour présenter l’amendement n° 77 rectifié.
Il s’agit de préciser que la réparation du préjudice écologique s’effectue en nature. Je vous fais grâce de l’exposé des motifs, car vous aurez compris quel est l’objet de l’amendement.
Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 163 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau, Capo-Canellas et Marseille.
L'amendement n° 221 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
, dans les conditions prévues à l’article L. 110-1 du code de l’environnement
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l’amendement n° 163 rectifié.
Nous sommes toujours dans le code civil, plus précisément dans les conditions de réparation du préjudice écologique, qui doit s’effectuer en priorité en nature.
Avec cet amendement, nous proposons de faire référence à l’article L. 110–1 du code de l’environnement, dont nous venons de discuter longuement, afin de sécuriser le dispositif, puisque cet article définit justement de manière assez précise les conditions de la réparation en nature.
Il convient de rappeler que l’on cherche d’abord à éviter le dommage ou, à tout le moins, à le réduire, donc à le réparer. Si la réparation s’avère impossible, il faut compenser. Il importe donc de faire le lien avec l’article L. 110–1, dont on a parlé avant, et qui intégrera peut-être un jour un objectif d’absence de perte nette de biodiversité.
Je vais répondre en deux temps, puisque, même si les trois amendements sont en discussion commune, ils méritent des réponses différentes.
Monsieur Vasselle, votre amendement n° 77 rectifié a pour objet de prévoir que la réparation du préjudice ne peut se faire qu’en nature. Le dispositif que vous proposez est à mon sens incomplet, car il n’est pas accompagné d’un plan B pour les cas où la réparation en nature ne serait pas possible.
J’ajoute que cet amendement me semble mal justifié. Nous sommes bien dans un régime visant la réparation du dommage, c’est-à-dire que nous sommes non pas dans le triptyque « éviter-réduire-compenser », mais dans le triptyque supprimer-réduire-compenser, ce qui n’est pas la même chose.
Le volet « prévention » n’est pas compris dans cet article 1386-20, mais plus loin dans le texte, où nous avons prévu une action en cessation de l’illicite.
L’avis est donc défavorable.
Les amendements n° 163 rectifié et 221, présentés respectivement par Mme Jouanno et par M. Dantec, ont pour objet de préciser que la réparation vise à supprimer, réduire ou compenser le dommage dans les conditions prévues à l’article L. 110–1 du code de l’environnement. Cette référence ne me semble pas adaptée à la réparation du préjudice. Nous sommes là dans une logique supprimer-réduire-compenser, et la formulation, telle qu’elle figure dans le code civil, convient amplement. L’adoption de votre amendement conduirait à des incertitudes. L’avis est par conséquent défavorable.
J’ai le même avis défavorable que M. le rapporteur sur l’amendement n° 77 rectifié. Effectivement, la réparation en nature doit être la norme, mais si celle-ci n’est pas possible, il faut des solutions de substitution, notamment le versement de dommages et intérêts. L’adoption de cet amendement pourrait conduire à rendre impossible la réparation écologique dans certains cas.
Les amendements n° 163 rectifié et 221 ont pour objet de renvoyer, en ce qui concerne les modalités de réparation du préjudice écologique, à l’article L. 110–1 du code de l’environnement. Cet article pose les grands principes du droit de l’environnement, dont seulement certains peuvent effectivement s’appliquer à la réparation du préjudice écologique. L’article L. 110–1 constitue donc une référence beaucoup trop large.
Aussi, j’émets un avis défavorable.
Les amendements n° 77 rectifié, 163 rectifié et 221 sont retirés.
L'amendement n° 162 rectifié, présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau, Capo-Canellas et Marseille, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Remplacer les mots :
peut allouer
par le mot :
alloue
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Nous sommes dans la partie du texte de loi concernant les préjudices qu’il est impossible de réparer en nature. Dans ces cas-là, il est prévu que le juge peut allouer des dommages et intérêts.
Dès lors qu’une telle impossibilité est constatée, il ne me semble pas logique de ne pas en tirer les conséquences et de prévoir que le juge puisse ne rien faire. Il est donc plus cohérent de préciser que « le juge alloue des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l’environnement, au demandeur ou […] à l’Agence française pour la biodiversité ».
La commission est favorable à cet amendement, qui vise à préciser qu’en cas d’impossibilité de réparation le juge alloue, et non pas « peut allouer », des dommages et intérêts.
Madame Jouanno, vous contribuez à la rédaction du code civil : je vous en félicite !
Mme Chantal Jouanno rit.
Le Gouvernement ajoute un avis favorable sur cet amendement, qui vient dissiper toute ambiguïté et qui est donc bienvenu.
L'amendement est adopté.
L'amendement n° 138 rectifié, présenté par MM. Collombat, Arnell, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Mézard et Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Après les mots :
réparation de l’environnement,
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
à l’État, à l’Agence française pour la biodiversité, aux collectivités territoriales et à leurs groupements dont le territoire est concerné, aux établissements publics qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
La consécration de la réparation du préjudice écologique pur par l’article 2 bis du projet de loi constitue une grande avancée de notre droit. Elle permettra de sécuriser la jurisprudence en la matière, qui ne se heurtera plus à l’exigence, par le droit commun de la responsabilité civile, du caractère personnel du dommage.
La réparation du préjudice sera nettement améliorée. Si nous saluons l’excellent travail de nos collègues Bruno Retailleau et Alain Anziani sur ce sujet, nous sommes toutefois défavorables à la possibilité d’attribuer des dommages et intérêts aux associations et aux fondations.
Le préjudice écologique touche la collectivité dans son ensemble, alors que les associations et les fondations représentent bien souvent des intérêts particuliers.
Les dommages et intérêts pourront être alloués à l’État, aux collectivités territoriales dont le territoire est concerné, à l’Agence française pour la biodiversité et aux établissements publics dont l’objet est la protection de la nature et la défense de l’environnement, et qui, nous le savons, manquent de ressources.
De ce fait, leur affectation à la réparation de l’environnement sera assurée. Tel est l’objet du présent amendement.
L’avis est défavorable.
Cet amendement ne nous paraît pas fonctionner de façon convenable. En effet, tel qu’il est rédigé, il aboutirait, s’il était adopté, à ce que le juge alloue seulement des dommages et intérêts à l’État, aux établissements publics ou à l’Agence française pour la biodiversité. Il supprime, en outre, le demandeur, qui pourrait d’ailleurs être une collectivité territoriale, afin notamment d’écarter les associations agréées. Je ne vois pas pour quel motif on devrait supprimer la possibilité pour une association agréée de percevoir des dommages et intérêts.
Cet amendement a pour objet de modifier les potentiels bénéficiaires de dommages et intérêts, en fixant une liste de personnes publiques.
La rédaction actuelle me paraît pourtant simple et efficace, l’enjeu résidant dans la capacité du bénéficiaire à réaliser des opérations de réparation de l’environnement avec les dommages et intérêts attribués, qu’il s’agisse du requérant ou de l’Agence française pour la biodiversité.
Aussi, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
L’amendement n° 138 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 161 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau, Roche et Tandonnet.
L'amendement n° 222 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Les deux amendements identiques sont ainsi libellés :
Alinéa 10
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 1386 -21. – L'action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir.
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l’amendement n° 161 rectifié.
Concernant ces dispositions extrêmement importantes, puisqu’il s’agit de savoir qui a un intérêt à agir dans le domaine du préjudice écologique, j’avoue sans rougir que je me suis appuyée sur les travaux d’un juriste, Laurent Neyret, qui a beaucoup travaillé sur ces questions.
Aujourd’hui, le texte, tel qu’il est proposé, liste un certain nombre d’organismes qui ont un intérêt à agir, c’est-à-dire qui seraient légitimes à demander réparation.
Tout le problème d’une liste, c’est qu’elle comporte nécessairement des lacunes.
D’une part, elle a tendance à se périmer relativement vite – peut-être que l’Agence française pour la biodiversité n’existera plus demain ou dans quelques années – et, d’autre part, il peut y avoir des omissions. En l’occurrence, on ne cite pas les entreprises, les agriculteurs ou les populations locales.
Ensuite, il faut bien voir que le code civil, aujourd’hui, est plutôt un droit pur, qu’il ne faudrait pas polluer avec le droit de l’environnement…
Sourires.
Enfin, j’ai bien senti qu’il y avait une crainte d’explosion des contentieux dans ce domaine. Néanmoins, le juge apprécie l’intérêt à agir, et, en cas d’action abusive, il existe des garde-fous, notamment une possibilité de condamnation à ce titre.
Par conséquent, à mon sens, nous serions bien avisés de conserver la pureté du code civil en précisant simplement que l’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir et en laissant le soin au juge d’apprécier ces dispositions.
Mme Jouanno a présenté l’essentiel de l’objet, mais j’insiste quand même sur le fait que, dans le cas des marées noires du type Erika, des communautés, des groupes économiques ont subi des préjudices extrêmement importants. Je pense notamment à l’aquaculture, mais la liste est assez importante.
Tel que le texte est rédigé, il ne fonctionnera pas bien. Il faut aller vers plus de simplicité, en reprenant une notion déjà parfaitement connue en droit : ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, la personne devant démonter en quoi elle a intérêt à agir.
À mon avis, cette solution est plus sécurisante – et M. le rapporteur, qui va souvent dans ce sens, ne me contredira pas – que celle qui consiste à fixer une liste, laquelle sera extrêmement discutable, et, partant, une source de contentieux.
Le sous-amendement n° 315, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 161 rectifié, alinéa 3
Remplacer les mots :
qualité et intérêt à agir
par les mots :
intérêt à agir, telle que l'État, l'Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics, les fondations reconnues d'utilité publique et les associations agréées ou ayant au moins cinq années d'existence à la date d'introduction de l'instance, qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Les amendements présentés par Mme Jouanno et par M. Dantec ont pour objet d’élargir la possibilité d’agir en réparation du préjudice écologique à toute personne ayant qualité et intérêt à agir.
Cette disposition, qui avait été votée à l’Assemblée nationale, en complément d’une liste de personnes morales pouvant porter une action en réparation, a été supprimée par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
Je trouve utile et judicieux de laisser la possibilité au juge, lorsque cela lui paraît justifié, d’ouvrir l’action à des personnes ne figurant pas sur la liste du texte issu des travaux de la commission, mais je suis aussi attentive à la sécurité juridique des futures actions en réparation de préjudices écologiques.
Or il me paraît plus sécurisant juridiquement de conserver une liste explicite de personnes morales pouvant agir a priori, eu égard à leurs responsabilités spécifiques en matière de préservation de l’environnement.
J’ajoute que cette liste permettra de guider l’appréciation du juge quant aux personnes susceptibles de se voir reconnaître un intérêt à agir. Afin d’obtenir un compromis entre les amendements identiques n° 161 rectifié et 222 et la rédaction actuelle, je vous propose donc d’adopter ce sous-amendement.
Madame la ministre, mes chers collègues, je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à minuit trente afin de poursuivre l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
Quel est l’avis de la commission sur les deux amendements identiques et sur le sous-amendement ?
La commission est défavorable à ces deux amendements, qui visent à ouvrir l’intérêt à agir d’une action en réparation du préjudice à « toute personne ayant qualité et intérêt à agir ».
Tout d’abord, ce dispositif est à la fois contraire au texte de l’Assemblée nationale, qui prévoyait une liste limitative et une ouverture, et au texte de notre commission.
Ensuite, avec cette rédaction, on ne se prémunit pas contre le risque de laisser un intérêt à agir à des personnes qui n’en ont pas les moyens, ou qui ont des stratégies individuelles, ce qui pourrait pénaliser, en particulier, le monde économique.
Enfin, j’ajoute que votre rédaction revient en réalité à dire : peuvent agir ceux qui peuvent agir ; dans cette optique, autant ne rien mettre, puisque le juge garde la faculté, comme dans le cas de l’Erika, de dire que telle association est recevable ou que telle autre ne l’est pas. En fait, le juge apprécie souverainement, ce qui est le principe retenu dans le code civil.
De toute façon, dans le texte qu’Alain Anziani et moi-même avons préparé, qui a été voté par la commission des lois et par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, l’idée est précisément d’encadrer par une liste les personnes auxquelles l’action est ouverte.
À ce sujet, le débat en commission a été assez sérieux. Comme c’était le début de nos travaux, tout le monde était encore « chaud-bouillant », mais toujours est-il que les échanges ont été approfondis, et je ne crois pas qu’il y avait, au sein de la commission du développement durable, une majorité pour laisser la liste très ouverte.
Nous devons nous laisser le temps d’avancer sur ces sujets-là. Nous sommes en train de poser des principes très novateurs, très construits, certes, mais qui ne sont pas évidents à mettre en place. Il faut accepter l’idée d’y aller pas à pas.
Madame la secrétaire d’État, votre sous-amendement est-il de nature à changer le point de vue de la commission ? Je ne sais pas, car la commission ne l’a pas examiné, mais, à titre personnel, j’ai le sentiment que vous ouvrez complètement le dispositif, ce que nous ne voulions justement pas faire. Je le répète, autant ne rien mettre et supprimer la liste.
À mon sens, il serait plus pertinent et plus juste de dire que nous restons dans un système fermé, mais que nous pouvons ajouter quelqu’un en particulier dans la liste.
Si nous votons ce sous-amendement, nous entrons dans un système totalement ouvert, ce que nous avons voulu éviter, je le redis.
Nous ne sommes pas mûrs actuellement, compte tenu des nouveautés que nous devons par ailleurs intégrer dans notre droit, pour ouvrir à tout vent ce type d’action. On peut le regretter, et je respecte ceux qui ont un avis différent, mais je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une majorité pour une ouverture large dans cette noble assemblée. C’est ainsi que j’ai compris le message qui m’a été envoyé en commission.
Aussi, j’émets un avis défavorable sur votre sous-amendement, madame la secrétaire d’État.
Le débat en commission avec Alain Anziani a été important et long. Le groupe socialiste et républicain s’en tiendra au vote de la commission et suivra le rapporteur.
J’invite le groupe Les Républicains à faire de même, mais je souhaite présenter quelques remarques.
Tout d’abord, les travaux du professeur Neyret sont excellents et si la consécration de la notion de préjudice écologique dans le code civil intervient ce soir, elle lui devra beaucoup.
Ensuite, avec le préjudice écologique, il s’agit de reconnaître un préjudice qui a un double caractère. D’une part, il est objectif, et non pas subjectif. En termes de droit civil, cela signifie qu’il n’atteint aucun sujet de droit, la nature n’étant pas un sujet de droit en tant que tel.
D’autre part, il est collectif, car nous sommes tous concernés. Les juristes le savent, l’article 714 du code civil précise qu’« il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous ». Par conséquent, il me semble naturel de prévoir que peuvent ester en justice des collectivités, des établissements publics, l’Agence française pour la biodiversité, l’État bien sûr, des associations ayant cinq ans d’existence, des fondations reconnues d’intérêt public, plutôt que de trop ouvrir la liste. Telles étaient également les conclusions du groupe de travail du professeur Jégouzo.
Très franchement, madame la secrétaire d’État, je pense que la proposition que vous faites pour essayer de réconcilier les deux points de vue cumule en fait les désavantages.
Mme la secrétaire d’État s’exclame.
Je retire l’amendement n° 161 rectifié, monsieur le président, et je m’en remets à la sagesse de notre rapporteur et de M. Retailleau !
Les amendements n° 161 rectifié et 222 sont retirés.
En conséquence, le sous-amendement n° 315 n’a plus d’objet.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 68 est présenté par M. Pellevat.
L'amendement n° 76 rectifié est présenté par MM. Vasselle, Cardoux et Doligé, Mme Di Folco et MM. Chaize, Bizet et Houel.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. 1386-… – Si une procédure administrative est déjà en cours tendant à la réparation du même préjudice que celui pour lequel l’action en réparation est engagée, le juge statue sur la recevabilité de cette demande et sursoit à statuer sur le fond jusqu’au terme de la procédure administrative.
L’amendement n° 68 n'est pas soutenu.
La parole est à M. Alain Vasselle, pour présenter l’amendement n° 76 rectifié.
L’avis est défavorable.
À travers cet amendement, il s’agit de rétablir un article que nous avons supprimé en commission et visant à préciser que le juge sursoit à statuer sur le fond jusqu’au terme de la procédure administrative déjà engagée.
Nous avons, de façon pertinente, me semble-t-il, supprimé volontairement cette précision pour deux raisons.
La première est que la notion de procédure administrative est très large – parle-t-on d’un recours seulement ? – et qu’il est à craindre que des procédures administratives, comme les actions gracieuses, qui sont comprises dans la notion de procédure administrative, ne soient engagées qu’en vue de retarder l’action judiciaire.
La seconde est encore plus forte, parce qu’elle est très technique et mécanique : l’article 378 du code de procédure civile prévoit déjà que le juge peut surseoir à statuer, donc il n’a pas besoin d’une autorisation supplémentaire ; c’est la procédure civile classique.
Je suggère le retrait de cet amendement.
Par sagesse, je vais suivre le rapporteur. Je retire donc cet amendement, monsieur le président.
L’amendement n° 76 rectifié est retiré.
L'amendement n° 78 rectifié, présenté par MM. Vasselle, Cardoux et Doligé, Mme Di Folco, MM. Chaize, Bizet et Houel et Mme Duchêne, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 1386 -23. – L’action en réparation intentée sur le fondement du présent titre est irrecevable dès lors que le dommage fait ou a fait l’objet d’une procédure devant l’autorité compétente sur le fondement du code de l’environnement. » ;
La parole est à M. Alain Vasselle.
On voit bien que, derrière cet amendement, il y a la crainte qu’une entreprise soit condamnée deux fois à réparer le même dommage. M. Retailleau a d’ailleurs dit tout à l’heure que cela avait pu arriver, le penser n’est donc pas totalement illégitime.
Néanmoins, en l’occurrence, cette crainte est infondée, car le juge tient compte de la part qui a déjà été éventuellement réparée. Il ne peut condamner deux fois à réparer le même dommage.
J’ajoute que cette rédaction fait courir le risque d’être forclos au moment où on arrive devant le juge judiciaire.
La bonne technique, c’est celle du sursis à statuer, outil à la disposition du juge grâce au code de procédure civile. Il est donc inutile de l’inscrire dans le code civil, qui n’est pas destiné à accueillir des dispositions de procédure civile, contrairement à d’autres codes.
Adopter cet amendement reviendrait à se prémunir d’un risque qui n’existe pas.
Je suggère un retrait… sage.
Sourires.
Les travaux conduits par la commission des lois ont montré l’inutilité des dispositions d’articulation entre les différents régimes. En effet, cela est déjà prévu par le droit actuel.
De plus, cet amendement va trop loin en prévoyant une irrecevabilité systématique de l’action devant le juge civil, dès lors que n’importe quelle mesure aurait été prise par l’autorité administrative.
L’avis est défavorable.
M. le président. Monsieur Vasselle, un retrait de sagesse est-il envisageable ?
Sourires.
Je veux juste dire un mot, monsieur le président, car je vous ai fait gagner du temps sur la présentation de mon amendement.
Pour répondre à M. le rapporteur, tout en faisant un clin d’œil à M. Retailleau, je confirme qu’il a pu arriver par le passé qu’une double pénalité soit infligée, mais il semblerait que les juges deviennent aussi sages que les sénateurs et que de telles choses ne se reproduisent plus. §Cette disposition ne serait donc plus si utile.
Aussi, pour ne pas en rajouter, je vais suivre une nouvelle fois l’appel à la sagesse que m’adresse M. le rapporteur et je retire donc l’amendement.
L’amendement n° 78 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 164 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau, Capo-Canellas et Marseille.
L'amendement n° 223 rectifié est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 14
Remplacer les mots :
dommage éventuellement subi
par les mots :
préjudice écologique
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l’amendement n° 164 rectifié.
Il s’agit d’un amendement rédactionnel. L’article tel qu’il est rédigé parle de réparation des dommages éventuellement subis, or il s’agit plutôt d’un préjudice à réparer.
La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 223 rectifié.
Je veux juste préciser que nous l’avons rectifié à la demande de M. le rapporteur. Il est effectivement plus logique de parler de préjudice écologique que de dommage éventuellement subi.
Nous avons considéré que, sous réserve de la rectification de ces amendements, la commission pourrait émettre un avis favorable.
Il s’agit d’une modification certes rédactionnelle, mais qui prend tout son sens à partir du moment où la rectification est intervenue conformément à ce que j’avais souhaité.
Par conséquent, j’émets un avis favorable sur les deux amendements.
Je n’avais pas vu les rectifications, donc j’étais restée sur un avis défavorable, mais je peux désormais suivre l’avis sage de M. le rapporteur et donner un avis favorable.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 164 rectifié et 223 rectifié.
Les amendements sont adoptés.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 32 rectifié, présenté par MM. Antiste et Cornano, Mme Claireaux, M. Desplan, Mme Jourda et MM. Karam, S. Larcher, J. Gillot et Patient, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 14
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« Art. 1386-… – Lorsque l’auteur du dommage a commis intentionnellement une faute générant un dommage non négligeable, notamment lorsque celle-ci a engendré un gain ou une économie pour son auteur, le juge peut le condamner au paiement d’une amende civile.
« Cette amende est proportionnée à la gravité de la faute commise, aux facultés contributives de l’auteur ou aux profits qu’il en aura retirés.
« L’amende ne peut être supérieure à deux millions d’euros ou au décuple du montant du profit ou de l’économie réalisée.
« Toutefois, si le responsable est une personne morale, elle peut être portée à 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxe le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel la faute a été commise.
La parole est à M. Jacques Cornano.
Nous proposons une sanction dissuasive effective grâce à un système d’amende civile.
Celui-ci est destiné à sanctionner la « faute lucrative » grave, c’est-à-dire les situations dans lesquelles une personne physique ou morale décide sciemment d’infliger un préjudice à l’environnement, parce que le bénéfice financier qui en découle, comparativement aux frais de réparation et aux sanctions éventuellement prononcées, demeure incitatif.
L'amendement n° 224, présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 14
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« Art. 1386-… – Lorsque l’auteur du dommage a commis intentionnellement une faute, le juge peut le condamner au paiement d’une amende civile.
« Cette amende est proportionnée à la gravité de la faute commise, aux facultés contributives de l’auteur ou aux profits qu’il en aura retirés.
« L’amende ne peut être supérieure au décuple du montant du profit ou de l’économie réalisée.
« Toutefois, si le responsable est une personne morale, elle peut être portée à 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxe le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel la faute a été commise.
La parole est à M. Ronan Dantec.
On parle de faute lucrative. Dans ce cadre, l’amende civile représente un compromis entre la voie civile, qui est centrée sur la réparation des dommages, et la voie pénale, pour répondre à un certain nombre de comportements lucratifs dommageables à l’environnement.
La dimension dissuasive du mécanisme réside dans le montant de l’amende encourue, bien que celle-ci soit quand même plafonnée pour les personnes physiques dans l’amendement. Contrairement aux dommages et intérêts, l’amende civile, il n’est pas inintéressant de le rappeler, n’est pas déductible fiscalement.
Il s’agit de répondre à un certain nombre de comportements fautifs qui méritent une amende.
À travers cet amendement, vous proposez une révolution, qui a peut-être échappé à l’objectif réel que vous souhaitez inscrire dans le texte.
Vous voulez réprimer les fautes lucratives qui enrichissent celui qui les commet par une amende civile. Un tel mécanisme est donc totalement étranger à la réparation intégrale du préjudice, puisqu’il revient à faire payer plus que nécessaire pour rétablir le statu quo ante.
En outre, il mord sur la répression pénale des infractions environnementales. Comment appliquera-t-on le principe non bis in idem, qui a agité nos débats au début de l’après-midi, et qui interdit de punir deux fois pour le même fait ?
Paradoxalement, vous risquez d’affaiblir la répression, ce qui ne doit pas être votre intention. Si je vous ai convaincu, je ne doute pas que vous retirerez votre amendement, mon cher collègue.
Cet amendement vise à infliger une amende civile au responsable du dommage en cas de faute intentionnelle grave. Le dispositif proposé a pour objet de rendre plus dissuasive l’intervention du juge civil.
Cependant, il convient de souligner qu’il peut être source de difficultés d’articulation avec la répression pénale, laquelle a toute sa place en cas de faute intentionnelle grave. De plus, il risque de compromettre l’efficacité à laquelle le Gouvernement est très attaché.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
L'amendement n° 32 rectifié est retiré.
Monsieur Dantec, l'amendement n° 224 est-il maintenu ?
Pour nous, cet amendement est un peu un amendement d’appel en ce sens que nous voulions souligner que se pose une vraie question sur la faute lucrative. Nous allons le retirer pour tenir compte des avis qui ont été émis sans pour autant omettre de souligner que cette question demeure posée.
Je retire l’amendement, monsieur le président.
L'amendement n° 224 est retiré.
L'amendement n° 165 rectifié, présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau et Capo-Canellas, est ainsi libellé :
Alinéa 23, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
Cet amendement n’ayant plus d’objet, je le retire, monsieur le président !
L'amendement n° 165 rectifié est retiré.
La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote sur l'article 2 bis.
Nous allons voter cet article. Ce faisant, nous allons voter quelque chose d’important, sur l’initiative du président Retailleau.
À cette heure tardive, je confesse un point d’accord avec lui.
Sourires.
M. Ronan Dantec. Je savais que c’était un terme qui allait lui parler plus directement !
Nouveaux sourires.
Nous partageons lui et moi une histoire commune, celle de l’Erika. Bruno Retailleau, en tant qu’élu vendéen, a subi l’Erika sur les plages de Vendée. Au même moment, j’étais au Centre de soins de l’école vétérinaire où nous récupérions des dizaines de milliers de guillemots et autres oiseaux mazoutés.
Nous avons été marqués par cette expérience. Ce qui nous a le plus marqués, me semble-t-il, c’est que nous avons pris conscience qu’un événement aussi fort appelle une réponse de la loi.
Donc, je trouve que ce soir, sur ce point précis – j’ai été sévère sur les points précédents –, nous faisons avancer la loi. Nous remercions tous la commission des lois pour le travail qu’elle a fait ; j’adresse notamment mes remerciements à Alain Anziani et à Jérôme Bignon.
Cet article contient une avancée. Elle est liée au fait qu’un certain nombre d’entre nous ont été confrontés à une expérience extrêmement forte, qui nous interpelle dans notre responsabilité de législateur.
Cela ne m’empêche pas d’avoir d’autres divergences avec Bruno Retailleau. Je pourrais vous en faire la liste. Ne vous inquiétez pas, elles restent extrêmement nombreuses !
Sourires.
Ce que je voulais dire, c’est que là, il y a une prise de conscience qui découle d’une catastrophe que nous avons pu mesurer quasiment dans notre chair et sur le terrain.
Sur la perte de biodiversité banale, qui est plus insidieuse, qui est encore plus lourde en termes d’impact sur la biodiversité, nous ne réagissons pas de la même manière. Nous nous y habituons ou nous ne la voyons pas. Et nous n’arrivons pas à avoir le même niveau de réaction et de construction d’une réponse législative sur d’autres risques environnementaux parce qu’ils sont plus diffus et qu’ils ne se traduisent pas à travers une catastrophe.
Je voulais à la fois signaler que l’adoption de cet article aujourd'hui constitue une avancée réelle, tout en répétant qu’il y a d’autres risques plus insidieux et d’autres atteintes à l’environnement sur lesquelles il serait bon que nous réagissions de la même manière.
Je vais essayer d’être bref, sans pour autant compromettre notre collègue Dantec ; chacun connaît nos différences d’appréciation.
Il est vrai que cet article est une avancée importante. Je tiens vraiment à remercier le rapporteur, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et la commission des lois. Je voudrais aussi avoir un mot – il n’est pas là, je le regrette, mais je lui dois aussi ces paroles – de remerciement à Alain Anziani pour ce travail très largement partagé.
Je suis heureux que ce soit le Sénat qui ait, pour la première fois, adopté à l’unanimité le principe de l’inscription du préjudice écologique dans le code civil. C’est une consécration importante. Je le disais tout à l’heure, un juriste, Yves Gaudemet, avait indiqué que le code civil, c’est en quelque sorte la Constitution de la société civile. Donc, c’est fondamental.
J’ai envie de faire un peu de patriotisme sénatorial. §La comparaison entre la rédaction de l’Assemblée nationale et celle du Sénat fait apparaître très clairement que nous jouons notre rôle d’améliorateur de la loi.
Conscient que le préjudice écologique a pu susciter des craintes, je voudrais simplement dire que la rédaction actuelle écarte tout risque de banalisation du préjudice écologique : l’article mentionne un dommage « anormal ». Le caractère de gravité est établi, car il est calé sur la notion et la théorie des troubles anormaux de voisinage.
Nous avons aussi – je le redis parce que les débats dans l’hémicycle n’ont malheureusement pas permis de le souligner – veillé à une bonne articulation avec le régime de police administrative. En clair, ce n’est pas parce qu’une entreprise aura été autorisée, sous le régime de l’ICPE, à un certain nombre de choses que l’on pourra rechercher sa responsabilité au titre du préjudice écologique. Il est extrêmement important de le redire.
Le délai de prescription, qui sera de dix ans, est le double du délai de droit commun. En effet, la loi de 2008 avait réduit de trente à cinq ans le délai de prescription applicable.
Bref, je pense que le Sénat a fait son travail de législateur dans une optique de modernité, prenant en compte le fait que, à l’époque où Portalis et Napoléon ont rédigé le code civil, la nature était peu de chose. Aujourd'hui, nous savons tous, par-delà nos appartenances politiques et partisanes, que la nature est un bien commun qu’il nous faut préserver.
Au-delà de cette aventure terrible de la marée noire de l’Erika vécue en direct par nos deux collègues, nous avons en effet consacré une notion de bien commun qui transcende la droite et la gauche, une notion que nous avons tous à défendre. Elle va même au-delà du bien public que nous avons toujours défendu.
J’aimerais bien que nous soyons capables de dépasser ces clivages au-delà des mésaventures que certains d’entre nous ont vécues. Je veux le dire, je souffre quand j’entends certains de mes collègues de ma famille politique remettre en cause les éléments essentiels de notre patrimoine familial que sont la Charte de l’environnement et le Grenelle de l’environnement.
Je me revendique de droite, je me réclame des valeurs de droite, c'est-à-dire de la liberté, qui a pour corollaire la responsabilité. En tant que tel, je veux rappeler que le principe du pollueur-payeur, c’est la mise en œuvre de ce principe de responsabilité, corollaire de la liberté et de la philosophie que nous prétendons défendre en toutes circonstances, mes chers collègues. Et là, nous en avons la parfaite illustration !
Je me revendique comme homme de droite, mais j’assume aussi – pourquoi pas ? – l’étiquette de conservateur, animé par la conscience de devoir léguer à mes enfants au moins ce que j’ai reçu de mes parents, plus si je le peux, mais pas moins. Or la biodiversité et l’environnement font partie de cet héritage à transmettre.
Mes chers collègues, sur ce point, nous aurons fait œuvre utile et avancé dans ce sens.
Mmes Éveline Didier et Nicole Bonnefoy ainsi que M. Joël Labbé applaudissent.
L'article 2 bis est adopté.
Le code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Au septième alinéa de l’article L. 371-3, le mot : « régionaux » est remplacé par le mot : « territoriaux » ;
2°
Supprimé
3° Au début du chapitre Ier du titre Ier du livre IV, est ajoutée une section 1 A ainsi rédigée :
« Section 1 A
« Inventaire du patrimoine naturel
« Art. L. 411 -1 A. – I. – L’inventaire du patrimoine naturel est institué pour l’ensemble du territoire national terrestre, fluvial et marin. On entend par inventaire du patrimoine naturel, l’inventaire des richesses écologiques, faunistiques, floristiques, géologiques, pédologiques, minéralogiques et paléontologiques.
« L’État en assure la conception, l’animation et l’évaluation.
« Les maîtres d’ouvrage, publics ou privés, doivent contribuer à cet inventaire par la saisie ou, à défaut, le versement des données brutes de biodiversité acquises à l’occasion des études d’évaluation préalable ou de suivi des impacts réalisées dans le cadre de l’élaboration des plans, schémas, programmes et autres documents de planification mentionnés à l’article L. 122-4 et des projets d’aménagement soumis à l’approbation de l’autorité administrative.
« On entend par données brutes de biodiversité les données d’observation de taxons, d’habitats d’espèces ou d’habitats naturels, recueillies par observation directe, par bibliographie ou par acquisition de données auprès d’organismes détenant des données existantes.
« Les modalités de collecte des données font l’objet d’une concertation avec les personnes morales concernées et sont fixées par voie réglementaire. La saisie ou le versement de données s’effectue au moyen d’une application informatique mise gratuitement à la disposition des maîtres d’ouvrage par l’État.
« II. – En complément de l’inventaire du patrimoine naturel, les collectivités territoriales et les fédérations de chasseurs et de pêcheurs peuvent contribuer à la connaissance du patrimoine naturel par la réalisation d’inventaires locaux ou territoriaux ou d’atlas de la biodiversité, ayant notamment pour objet de réunir les connaissances nécessaires à l’élaboration du schéma régional de cohérence écologique mentionné à l’article L. 371-3 ou à la mise en œuvre des articles L. 412-5 à L. 412-7 lorsque l’assemblée délibérante concernée a adopté la délibération prévue à l’article L. 412-12-1.
« Le représentant de l’État dans la région ou le département et les autres collectivités territoriales concernées sont informés de ces réalisations.
« II bis. – Il est institué dans chaque région un conseil scientifique régional du patrimoine naturel. Ce conseil est constitué de spécialistes désignés intuitu personae pour leur compétence scientifique, en particulier dans les universités, les organismes de recherche, les sociétés savantes et les muséums régionaux. Il couvre toutes les disciplines des sciences de la vie et de la terre pour les milieux terrestres, fluviaux et marins.
« Ses membres sont nommés par arrêté du représentant de l’État après avis de l’assemblée délibérante.
« Il élit en son sein un président.
« Il peut être saisi pour avis par le représentant de l’État dans la région ou par le président du conseil régional sur toute question relative à l’inventaire et à la conservation du patrimoine naturel.
« Un décret en Conseil d’État définit sa composition et ses domaines d’intervention et précise les conditions dans lesquelles il est saisi.
« III. – Les inventaires mentionnés aux I et II du présent article sont réalisés sous la responsabilité scientifique du Muséum national d’histoire naturelle qui en assure la validation et participe à leur diffusion. Ils sont diffusés conformément aux principes définis aux articles L. 127-4 à L. 127-9.
« Les données brutes contenues dans les inventaires mentionnés au présent article sont diffusées comme des données publiques, gratuites et librement réutilisables, sauf si leur diffusion porte atteinte aux intérêts mentionnés aux 1° à 4° du I de l’article L. 124-4. Les conditions dans lesquelles la diffusion des données prévue au présent alinéa peut être restreinte pour des motifs de protection de l’environnement sont précisées par décret.
« IV. – La loi du 29 décembre 1892 sur les dommages causés à la propriété privée par l’exécution des travaux publics est applicable à l’exécution des opérations nécessaires à la conduite des inventaires mentionnés au présent article. Elle est également applicable à la connaissance du sol, de la végétation et de tout renseignement d’ordre écologique sur les territoires d’inventaires. » ;
3° bis L’article L. 411-5 est abrogé ;
4° Le titre Ier du livre III est abrogé.
L'amendement n° 279 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 11, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Les modalités de saisie ou de versement des données sont fixées par décret, pris après concertation avec les organisations représentatives des maîtres d’ouvrage, des bureaux d’études concernés et des associations contribuant ou susceptibles de contribuer à l’inventaire du patrimoine naturel.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Cet amendement rédactionnel vise à clarifier sur le plan juridique la procédure selon laquelle les modalités de saisie ou de versement des données sont fixées.
En effet, tel qu’il est rédigé, l’alinéa 11 indique que la concertation s’effectuera au cas par cas, pour chacune des études concernées et que pour chacune de ces études, les modalités de saisie ou de versement seraient établies par voie réglementaire.
Or cette disposition ne pourrait pas être mise en œuvre, compte tenu de sa lourdeur et des moyens nécessaires pour ce faire.
L’objectif est bien de consulter l’ensemble des parties prenantes pour fixer les modalités identiques, équitables et applicables à l’ensemble des maîtres d’ouvrage, avant d’établir un décret fixant ces modalités.
Il est également proposé de remplacer le terme « collecte » par les termes « saisie ou versement ». En effet, le terme « collecte » est impropre ici, puisque la collecte désigne les modalités d’acquisition de données sur le terrain, ce qui n’est pas le propos de cet article.
L'amendement n° 282, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Après les mots :
collectivités territoriales
insérer les mots :
, les associations ayant pour objet l’étude ou la protection de la nature et leurs fédérations, les associations naturalistes
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Il est proposé d’ajouter, à l’alinéa 12 de l’article 3 ter, les associations ayant pour objet l’étude ou la protection de la nature et leurs fédérations, les associations naturalistes, aux côtés des collectivités et des fédérations de chasseurs et de pêcheurs.
En effet, les associations conduisant des actions d’études ou de protection de la nature et leurs fédérations, ainsi que les associations naturalistes, mènent des inventaires de biodiversité dans des domaines très divers et parfois très spécialisés du fait de leurs rares compétences naturalistes.
Par ailleurs, ces associations développent également les sciences participatives qui produisent un grand nombre de données sur la biodiversité, très utiles pour augmenter le nombre de données, par exemple de répartition spatiale des espèces sur un territoire.
À ce jour, ces associations ont donc déjà très largement contribué à enrichir la connaissance en biodiversité, en fournissant de très nombreuses données acquises dans le cadre d’inventaires locaux ou territoriaux ou d’atlas de la biodiversité, ou encore dans le cadre d’autres programmes de connaissance ou de protection de la biodiversité, tels que les schémas régionaux de cohérence écologique.
Il est donc légitime de reconnaître la contribution de ces associations et d’encourager ainsi leurs actions en termes de connaissances de la biodiversité.
L'amendement est adopté.
L'amendement est adopté.
L'article 3 ter est adopté.
Mes chers collègues, nous avons examiné 40 amendements au cours de la journée ; il en reste 239 à examiner.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 10 mai 2016, deux décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
- la condition de résidence fiscale pour l’imposition commune des époux en Nouvelle-Calédonie (n° 2016–539 QPC) ;
- la servitude administrative grevant l’usage des chalets d’alpage et des bâtiments d’estive (n° 2016–540 QPC).
Acte est donné de ces communications.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 11 mai 2016, à quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (n° 484, 2015-2016) ;
Rapport de M. Jérôme Bignon, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 577, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 578 rectifié, 2015-2016) ;
Avis de M. Alain Anziani, fait au nom de la commission des lois, (n° 569, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée le mercredi 11 mai 2016, à zéro heure trente.