Intervention de Louis Mermaz

Réunion du 23 octobre 2007 à 16h30
Immigration intégration et asile — Adoption définitive des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Louis MermazLouis Mermaz :

J'en viens à des sujets plus sérieux.

Le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile nous revient de l'Assemblée nationale et de la commission mixte paritaire. Du fait de la procédure d'urgence, il ne peut plus être modifié que par amendements du Gouvernement.

Certains se demanderont donc : à quoi bon s'exprimer puisque tout semble désormais joué. Reste à placer une nouvelle fois le Gouvernement et sa majorité, ici comme à l'Assemblée nationale, devant leurs responsabilités. Nous savons en effet que plusieurs parlementaires de droite et certains ministres s'inquiètent des conséquences d'un tel projet.

D'aucuns nous objecteront que les sénateurs siégeant à la commission mixte paritaire ont obtenu la suppression de quelques dispositions excessives et nuisibles, entre autres l'obligation qui était faite au conjoint étranger d'un citoyen français, conjoint résidant en France, de retourner dans son pays d'origine pour y subir un stage de formation et solliciter un visa de long séjour. Au bout de combien de temps de séparation l'aurait-il obtenu ? Les exemples en ce domaine, hélas, abondent.

Les conditions de ressources mises au regroupement familial ont été ramenées, pour une famille de six personnes et plus, à 1, 2 SMIC - au lieu de 1, 33, comme l'avait voté l'Assemblée nationale -, ce qui, au demeurant, nous semble encore injuste et discriminatoire au regard de la situation que connaissent malheureusement de nombreuses familles françaises.

Le demandeur d'asile auquel on aura refusé l'entrée sur le territoire français disposera désormais, puisque la Cour européenne des droits de l'homme en a ainsi décidé, d'un droit de recours suspensif. Les sénateurs ont obtenu que le délai de vingt-quatre heures consenti par le Gouvernement, voté en première lecture par l'Assemblée nationale et qui aurait rendu cette disposition inopérante, soit porté à quarante-huit heures. La décence nous y obligeait.

Dans le même esprit, les sénateurs siégeant à la commission mixte paritaire ont également obtenu, comme nous l'avions demandé ici, que les personnes déboutées de leur demande d'asile par l'OFPRA disposent, comme par le passé, d'un délai d'un mois - et non de quinze jours - pour introduire un recours devant la Commission des recours des réfugiés, institution dont la majorité vient de décider le changement de dénomination.

Enfin, en la circonstance, c'est le rapporteur pour l'Assemblée nationale qui, après une explication pour le moins embarrassée, a proposé lui-même de supprimer l'article 21 ajouté au texte par l'Assemblée nationale. Cet article nouveau compromettait gravement l'hébergement d'urgence des étrangers en situation irrégulière. Les efforts conjoints du Gouvernement et de la majorité sénatoriale entrepris à l'aube d'un vendredi pour le rapetasser n'avaient en rien clarifié la situation !

Ainsi, sur quelques points, l'étau semble avoir été desserré, mais nous restons loin du compte et le projet de loi, en l'état, nous paraît porter encore de très lourdes atteintes aux droits de l'homme et aux exigences internationales auxquelles la France a souscrit depuis 1950. La situation des immigrés, des candidats au regroupement familial, la situation de ceux qui revendiquent le droit d'asile va empirer comme c'est le cas avec l'avalanche, depuis 2002, de lois de plus en plus contraignantes et répressives.

Le présent projet de loi est suffisamment connu de notre assemblée pour que je ne reprenne pas en détail les démonstrations et argumentations développées par plusieurs d'entre nous, y compris par des membres de la majorité. Nous sommes en fait en présence d'une panoplie de dispositions - dont certaines sont proprement scandaleuses - qui visent à entraver, voire à empêcher le regroupement familial et à restreindre le droit d'asile déjà entamé par la loi du 10 décembre 2003.

Je citerai, sans être exhaustif, l'obligation pour des candidats au regroupement familial et pour des conjoints de Français de se soumettre dans le pays d'origine à un stage de formation linguistique et d'apprentissage dit « des valeurs de la République », ou encore les conditions de ressources exigées dont je viens de parler et les mesures coercitives qui pourront être prises à l'encontre des bénéficiaires des allocations familiales sur l'initiative des préfets.

Par ailleurs, le projet de loi permet le recensement des données sur les origines ethniques de la population française pour réaliser des études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration. L'article 20 constitue à notre sens un cavalier suspect dans le climat qui a entouré la préparation du projet de loi.

J'en viens maintenant à l'article 5 bis, qui a provoqué, comme l'on sait, beaucoup d'émotion dans des secteurs très divers de l'opinion. Qu'on ne vienne pas nous opposer les sondages d'une opinion publique devant laquelle on dresse sans cesse le spectre d'une invasion massive de la France par des immigrés accourant des quatre coins du monde ! Assez de fantasmes et de manipulations !

À propos des tests génétiques, initiative d'un député de la majorité, encouragée, peut-être même suscitée par le Gouvernement, vous avez essuyé une déroute morale à laquelle vous ne vous attendiez pas. L'immigré est un être humain comme chacun d'entre nous et ce que vous proposez de lui faire subir, vous le faites subir à chacun d'entre nous.

Oui, vous avez porté atteinte à notre sens de l'intimité de la vie et à notre conception de la famille, qui ne se réduit pas à la structure biologique, ni pour un Français ni pour un étranger.

Un système tortueux a été inventé ici avec l'entremise du Gouvernement : la recherche - on ne nous dit pas comment et avec quels moyens elle se fera - de l'état de possession ; à défaut, le recours au tribunal de grande instance de Nantes - voici une justice de proximité ! -, avec la présence de l'avocat à des milliers de kilomètres de la requérante ; le remboursement des tests. Ce sont là autant de subterfuges destinés à masquer une procédure qui sera inopérante.

Il n'en reste pas moins que l'atteinte à des principes fondamentaux est perpétrée et que vous prenez le risque de violer les lois de bioéthique de 1994 et de 2004, qui écartent le recours à la génétique à des fins autres que médicales et de recherche scientifique. En matière pénale, nous sommes dans des situations tout à fait différentes, chacun l'aura compris. Et si le code civil permet le recours aux tests ADN, c'est dans des circonstances vraiment exceptionnelles, sous le contrôle du juge.

Alors, monsieur le ministre, vous découvrez le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, le CCNE, que vous inviterez à donner son avis sur le projet de décret concernant les tests génétiques - quand vous nous avez expliqué que son avis n'était pas utile pour préparer l'élaboration et la discussion du projet de loi !

Mais, cet avis, nous le connaissons d'ores et déjà puisque, saisi par un sénateur le 3 octobre dernier, le Comité s'est prononcé très clairement sur les tests ADN en déclarant à propos de l'article 5 bis :

« Malgré toutes les modifications de rédaction, le CCNE craint que l'esprit de ce texte ne mette en cause la représentation par la société d'un certain nombre de principes fondamentaux [...]. L'erreur est de laisser penser qu'en retrouvant le gène, la filiation serait atteinte. La filiation passe par un récit, une parole, pas par la science. L'identité d'une personne et la nature de ses liens familiaux ne peuvent se réduire à leur dimension biologique. [...]

« D'une manière générale le CCNE attire l'attention sur la dimension profondément symbolique dans la société de toute mesure qui demande à la vérité biologique d'être l'ultime arbitre dans des questions qui touchent à l'identité sociale et culturelle. [... Il] redoute les modalités concrètes d'application dans des réalités culturelles très différentes des nôtres. Nos concitoyens comprendraient peut-être mieux l'exacte réalité de tels enjeux s'ils étaient confrontés à des exigences analogues lors de leur propre demande de visa. »

Je vous ai déjà reproché, monsieur le ministre, de ne pas vous être soucié, en l'occurrence, de l'intérêt national et des conséquences désastreuses que cette affaire de tests ADN allait avoir dans beaucoup de pays amis, en particulier en Afrique. Notre collègue Mme Michèle André vient de m'en fournir un témoignage.

Assistant la semaine dernière à un colloque sur « Démocratie et développement en Afrique », au Burkina Faso - elle n'est allée, elle, ni en Espagne ni en Angleterre : elle s'est simplement rendue au Burkina Faso -, colloque organisé pour célébrer le vingtième anniversaire de l'accession au pouvoir du président Blaise Compaoré, elle a constaté le sentiment de réprobation unanime soulevé dans les délégations venues de tous les horizons de l'Afrique par le recours à des tests génétiques en matière de regroupement familial ; car chacun a bien compris que ce sont d'abord les Africains qui sont la cible du Gouvernement ! Ses hôtes faisaient par ailleurs observer que 70 % des étudiants qui s'expatriaient pour leurs études revenaient au pays, où ils fournissent l'encadrement indispensable. On est loin du fantasme de l'invasion, n'est-ce pas ?

Des avertissements sont montés de toutes parts en France, de la Ligue des droits de l'homme, des ONG, de nombreux magistrats et avocats, des Églises. Le Gouvernement s'honorerait à ne pas s'entêter.

vous avez fini, ainsi que votre majorité, par renoncer à cet injuste article 21 sur l'hébergement d'urgence ; vous vous honoreriez en constatant qu'on ne peut improviser dans une matière aussi délicate que celle des tests génétiques, qui touche à l'éthique et, au-delà de nos frontières, à la réputation et aux intérêts supérieurs de notre pays, et en déposant, puisque vous en avez la possibilité, un amendement de suppression de ce funeste article 5 bis.

Cet article a cristallisé à juste titre l'attention de l'opinion publique. Nous le combattons et nous le combattrons vigoureusement, sans oublier de nous élever avec une égale vigueur contre beaucoup d'autres aspects du projet de loi sur lesquels je viens de m'exprimer.

Voyez-vous, monsieur le ministre, beaucoup d'entre nous sont favorables à ce que nous appelons une « immigration partagée », qui s'appuierait sur une réelle politique de développement et de codéveloppement, avec les moyens humains et financiers adéquats. Ne trouvez-vous pas que nous pouvons avoir besoin des immigrés autant que ceux-ci ont besoin de nous ? Ne trouvez-vous pas absurde cette politique de fermeture alors que l'économie française tourne au ralenti dans plusieurs secteurs et que vous pensez faire revenir la croissance à coup d'incantations ? De nombreuses branches d'activité connaissent une pénurie de travailleurs.

D'autres pays, l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, ont su, sous des majorités diverses, procéder aux nécessaires régularisations, car c'est la meilleure façon de combattre l'immigration clandestine et le travail clandestin. §

Ne comprenez-vous pas que l'indispensable recours aux travailleurs immigrés ne sera possible que s'ils sont autorisés à faire venir leur famille ? L'immigration choisie dont vous vous réclamez, avec l'annonce de quotas - deux formules que nous récusons fermement -, signifierait donc que les travailleurs immigrés n'auraient pas le droit à une vie de famille ? L'immigration choisie prendrait ainsi le visage d'un esclavage moderne !

Pourquoi tant de contradictions, et à quel prix, sinon pour conserver et digérer le vote « Front national », sans lequel vous seriez minoritaires ? En fait, vous n'avez pas de politique de l'immigration. La preuve en est votre volonté de faire d'abord du chiffre en matière d'expulsions. Pratique sinistre, qui aboutit à la chasse au faciès, à la traque des sans-papiers dans la rue, parfois devant les écoles, jusqu'à leur domicile. Vous contraignez les préfets et les policiers à se livrer à des tâches auxquelles, vous le savez bien, beaucoup répugnent, alors que, pendant ce temps, les missions de sécurité publique sont compromises.

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