Intervention de Philippe Dominati

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 mai 2016 à 9h31
Assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe DominatiPhilippe Dominati, rapporteur :

La proposition de loi déposée par Éric Bocquet et ses collègues du groupe communiste, républicain et citoyen vise à assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale.

Cette proposition s'inscrit dans le cadre d'une actualité marquée par des révélations et dans un contexte de réflexion internationale autour de la lutte contre les phénomènes d'évasion et d'optimisation fiscales.

Les récentes découvertes ont confirmé l'ampleur du phénomène et de ses coûts, à la fois pour les recettes fiscales, mais aussi pour le fonctionnement économique et démocratique de nos sociétés. À l'échelle de l'Union européenne, l'estimation du manque à gagner est comprise entre 50 et 70 milliards d'euros par an. Les différences d'imposition sur les bénéfices qui en résultent contribuent de surcroit à fausser les conditions d'une égale concurrence entre les entreprises.

Sous l'impulsion du G20, l'OCDE et notamment Pascal Saint-Amans que nous avons entendu le 9 mars dernier, a engagé une vaste réflexion sur la fiscalité. Dans le cadre des quinze mesures soumises par l'OCDE au sein du projet BEPS, l'action 13 traite des montages fiscaux d'optimisation. Elle propose d'introduire une déclaration pays par pays standardisée afin d'améliorer la qualité des informations à disposition des administrations fiscales. Seules les entreprises réalisant un chiffre d'affaires annuel consolidé supérieur ou égal à 750 millions d'euros y seraient soumises. Il est prévu que ces données demeurent confidentielles, mais que les administrations fiscales procèdent à un échange automatique des déclarations.

A l'appui de ce projet, la Commission européenne a proposé le 28 janvier dernier un paquet de mesures contre l'évasion fiscale des entreprises, visant notamment à transcrire les actions du projet BEPS dans le droit de l'Union européenne.

De son côté, la France avait anticipé cette transcription dès le vote de la loi de finances pour 2016, en introduisant un article dans le code général des impôts imposant la déclaration d'activités pays par pays selon les critères de BEPS. Les premières déclarations interviendront donc à partir de fin 2017.

Par ailleurs, en vertu de règles européennes, deux secteurs d'activités sont déjà soumis à une exigence de publicité des déclarations d'activités. Il s'agit des établissements bancaires et des industries extractives. Toutefois, la portée de ces exemples est limitée pour deux raisons. D'une part, le recul fait encore défaut pour en dresser un premier bilan. D'autre part, il s'agit de deux secteurs d'activités très spécifiques, dont il est peu aisé de tirer des conclusions générales.

Lors de la discussion du projet de loi de finances initiale pour 2016 et du projet de loi de finances rectificative pour 2015, des voix s'étaient élevées en faveur de déclarations d'activités publiques étendues aux autres secteurs d'activités. Des amendements en ce sens avaient été adoptés par l'Assemblée nationale, puis supprimés par le Sénat, que l'Assemblée avait finalement suivi.

Dans le cadre de son contrôle sur l'article de la loi de finances initiale pour 2016 introduisant les déclarations d'activités fiscales, le Conseil constitutionnel a écarté le grief invoqué sur le fondement du principe de liberté d'entreprendre. Dans la motivation de sa décision, le Conseil constitutionnel a relevé que les informations fournies ne pouvaient être rendues publiques. Un doute existe donc sur la constitutionnalité d'un dispositif de déclarations publiques.

Par ailleurs, un changement majeur est intervenu depuis le dépôt de la proposition de loi. Le 12 avril dernier, la Commission européenne a rendu publique une proposition visant à introduire des déclarations publiques d'activités pays par pays. L'extension et le contenu de ces déclarations se fondent sur une analyse d'impact conduite au cours du second semestre 2015. Le seuil retenu reprend les propositions de BEPS, à savoir un chiffre d'affaires annuel consolidé supérieur ou égal à 750 millions d'euros.

Dans ce cadre, la proposition de loi se distingue doublement. D'une part, par les conditions retenues pour déterminer les entreprises soumises à l'obligation de déclaration. En particulier, le seuil de 40 millions d'euros de chiffres d'affaires annuel, bien inférieur aux 750 millions d'euros proposés par la Commission européenne, englobe un trop grand nombre d'entreprises. D'autre part, le contenu des informations se rapproche des données retenues dans les déclarations à destination des administrations fiscales. Leurs objectifs différents ne sont donc pas suffisamment pris en considération.

J'estime qu'il convient de ne pas adopter ces deux articles.

Cette proposition est d'abord motivée par des raisons techniques. Comme je l'indiquais, les conditions de seuil prévues par le texte pour assujettir les entreprises à l'obligation déclarative sont trop basses. Elles rompent avec le consensus international élaboré par l'OCDE. Il s'ensuit donc des contraintes supplémentaires pour des entreprises françaises d'envergure plus modeste et une instabilité juridique préjudiciable au climat économique.

En outre, les données dont la publication est prévue peuvent toucher à la stratégie propre des entreprises. Or je crains qu'avant d'être lues par la société civile, ces déclarations ne soient avant tout analysées par les concurrents.

Cette proposition est également motivée par des raisons d'opportunité. Le contexte a évolué depuis le dépôt de la proposition de loi en février dernier, avec l'initiative de la Commission européenne du 12 avril. Compte tenu des risques en termes de compétitivité pour nos entreprises, la réflexion et le débat autour de l'introduction de déclarations d'activités publiques ne peuvent se faire qu'à l'échelle européenne.

Surtout, je tiens à mettre en lumière les enjeux entourant la mise en place des déclarations d'activités, tant fiscales que publiques. En voulant appréhender sur le plan fiscal les activités du secteur numérique d'entreprises souvent étrangères, le risque est de porter atteinte aux secteurs traditionnels qui font notre force économique. En basant l'imposition sur la consommation, le risque est de négliger l'importance de la conception et de la production. Or, les pôles de consommation se trouvent désormais dans les pays émergents, alors que la conception demeure majoritairement localisée dans les pays avancés, dont la France. Cette évolution fondamentale des principes fiscaux internationaux entraîne un risque majeur à moyen et long termes pour nos finances publiques.

De plus, je suis sensible au problème de réciprocité entrainé par l'extension des déclarations d'activités. La France est le quatrième pays au monde en terme de localisation de sièges des grandes entreprises multinationales et le premier en Europe. Dès lors, l'extension des déclarations d'activités pays par pays, fiscales comme publiques, conduirait notre pays à divulguer un nombre d'informations plus important que d'autres pays. C'est un enjeu que le législateur doit prendre en compte et qui mérite, à tout le moins, une étude d'impact précise, française et européenne, avant d'intervenir sur ce point.

En conséquence, je vous propose de ne pas adopter la présente proposition de loi.

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