Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 11 mai 2016 à 9h31

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission examine tout d'abord le rapport de Philippe Dominati sur la proposition de loi n° 402 (2015-2016) d'Éric Bocquet et plusieurs de ses collègues tendant à assurer la transparence financière et sociale des entreprises à vocation internationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

La proposition de loi déposée par Éric Bocquet et ses collègues du groupe communiste, républicain et citoyen vise à assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale.

Cette proposition s'inscrit dans le cadre d'une actualité marquée par des révélations et dans un contexte de réflexion internationale autour de la lutte contre les phénomènes d'évasion et d'optimisation fiscales.

Les récentes découvertes ont confirmé l'ampleur du phénomène et de ses coûts, à la fois pour les recettes fiscales, mais aussi pour le fonctionnement économique et démocratique de nos sociétés. À l'échelle de l'Union européenne, l'estimation du manque à gagner est comprise entre 50 et 70 milliards d'euros par an. Les différences d'imposition sur les bénéfices qui en résultent contribuent de surcroit à fausser les conditions d'une égale concurrence entre les entreprises.

Sous l'impulsion du G20, l'OCDE et notamment Pascal Saint-Amans que nous avons entendu le 9 mars dernier, a engagé une vaste réflexion sur la fiscalité. Dans le cadre des quinze mesures soumises par l'OCDE au sein du projet BEPS, l'action 13 traite des montages fiscaux d'optimisation. Elle propose d'introduire une déclaration pays par pays standardisée afin d'améliorer la qualité des informations à disposition des administrations fiscales. Seules les entreprises réalisant un chiffre d'affaires annuel consolidé supérieur ou égal à 750 millions d'euros y seraient soumises. Il est prévu que ces données demeurent confidentielles, mais que les administrations fiscales procèdent à un échange automatique des déclarations.

A l'appui de ce projet, la Commission européenne a proposé le 28 janvier dernier un paquet de mesures contre l'évasion fiscale des entreprises, visant notamment à transcrire les actions du projet BEPS dans le droit de l'Union européenne.

De son côté, la France avait anticipé cette transcription dès le vote de la loi de finances pour 2016, en introduisant un article dans le code général des impôts imposant la déclaration d'activités pays par pays selon les critères de BEPS. Les premières déclarations interviendront donc à partir de fin 2017.

Par ailleurs, en vertu de règles européennes, deux secteurs d'activités sont déjà soumis à une exigence de publicité des déclarations d'activités. Il s'agit des établissements bancaires et des industries extractives. Toutefois, la portée de ces exemples est limitée pour deux raisons. D'une part, le recul fait encore défaut pour en dresser un premier bilan. D'autre part, il s'agit de deux secteurs d'activités très spécifiques, dont il est peu aisé de tirer des conclusions générales.

Lors de la discussion du projet de loi de finances initiale pour 2016 et du projet de loi de finances rectificative pour 2015, des voix s'étaient élevées en faveur de déclarations d'activités publiques étendues aux autres secteurs d'activités. Des amendements en ce sens avaient été adoptés par l'Assemblée nationale, puis supprimés par le Sénat, que l'Assemblée avait finalement suivi.

Dans le cadre de son contrôle sur l'article de la loi de finances initiale pour 2016 introduisant les déclarations d'activités fiscales, le Conseil constitutionnel a écarté le grief invoqué sur le fondement du principe de liberté d'entreprendre. Dans la motivation de sa décision, le Conseil constitutionnel a relevé que les informations fournies ne pouvaient être rendues publiques. Un doute existe donc sur la constitutionnalité d'un dispositif de déclarations publiques.

Par ailleurs, un changement majeur est intervenu depuis le dépôt de la proposition de loi. Le 12 avril dernier, la Commission européenne a rendu publique une proposition visant à introduire des déclarations publiques d'activités pays par pays. L'extension et le contenu de ces déclarations se fondent sur une analyse d'impact conduite au cours du second semestre 2015. Le seuil retenu reprend les propositions de BEPS, à savoir un chiffre d'affaires annuel consolidé supérieur ou égal à 750 millions d'euros.

Dans ce cadre, la proposition de loi se distingue doublement. D'une part, par les conditions retenues pour déterminer les entreprises soumises à l'obligation de déclaration. En particulier, le seuil de 40 millions d'euros de chiffres d'affaires annuel, bien inférieur aux 750 millions d'euros proposés par la Commission européenne, englobe un trop grand nombre d'entreprises. D'autre part, le contenu des informations se rapproche des données retenues dans les déclarations à destination des administrations fiscales. Leurs objectifs différents ne sont donc pas suffisamment pris en considération.

J'estime qu'il convient de ne pas adopter ces deux articles.

Cette proposition est d'abord motivée par des raisons techniques. Comme je l'indiquais, les conditions de seuil prévues par le texte pour assujettir les entreprises à l'obligation déclarative sont trop basses. Elles rompent avec le consensus international élaboré par l'OCDE. Il s'ensuit donc des contraintes supplémentaires pour des entreprises françaises d'envergure plus modeste et une instabilité juridique préjudiciable au climat économique.

En outre, les données dont la publication est prévue peuvent toucher à la stratégie propre des entreprises. Or je crains qu'avant d'être lues par la société civile, ces déclarations ne soient avant tout analysées par les concurrents.

Cette proposition est également motivée par des raisons d'opportunité. Le contexte a évolué depuis le dépôt de la proposition de loi en février dernier, avec l'initiative de la Commission européenne du 12 avril. Compte tenu des risques en termes de compétitivité pour nos entreprises, la réflexion et le débat autour de l'introduction de déclarations d'activités publiques ne peuvent se faire qu'à l'échelle européenne.

Surtout, je tiens à mettre en lumière les enjeux entourant la mise en place des déclarations d'activités, tant fiscales que publiques. En voulant appréhender sur le plan fiscal les activités du secteur numérique d'entreprises souvent étrangères, le risque est de porter atteinte aux secteurs traditionnels qui font notre force économique. En basant l'imposition sur la consommation, le risque est de négliger l'importance de la conception et de la production. Or, les pôles de consommation se trouvent désormais dans les pays émergents, alors que la conception demeure majoritairement localisée dans les pays avancés, dont la France. Cette évolution fondamentale des principes fiscaux internationaux entraîne un risque majeur à moyen et long termes pour nos finances publiques.

De plus, je suis sensible au problème de réciprocité entrainé par l'extension des déclarations d'activités. La France est le quatrième pays au monde en terme de localisation de sièges des grandes entreprises multinationales et le premier en Europe. Dès lors, l'extension des déclarations d'activités pays par pays, fiscales comme publiques, conduirait notre pays à divulguer un nombre d'informations plus important que d'autres pays. C'est un enjeu que le législateur doit prendre en compte et qui mérite, à tout le moins, une étude d'impact précise, française et européenne, avant d'intervenir sur ce point.

En conséquence, je vous propose de ne pas adopter la présente proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Je regrette à nouveau que le rapport sur ce texte n'ait pas été attribué à un membre de notre groupe. Je remercie cependant le rapporteur de m'avoir associé aux auditions qu'il a effectuées. Cette proposition de loi s'inscrit dans une actualité forte, mais aussi dans un mouvement plus général, comme le prouvent les travaux et les réflexions en cours au sein du G20 et de l'OCDE. Le Gouvernement français s'est également saisi de ce sujet, il faut le rappeler, de même que certaines organisations non gouvernementales depuis de nombreuses années. C'est un combat ancien, qui n'est pas symbolique et qui correspond à une aspiration profonde de nos concitoyens.

J'entends les arguments du rapporteur, s'agissant notamment des risques liés à la publicité de certaines informations, qui pourrait exposer nos entreprises à la concurrence. Je note cependant, même si nous manquons encore de recul, que des dispositions similaires s'appliquent aux industries extractives et aux banques depuis deux ou trois ans, et qu'aucun effet particulièrement négatif n'a été constaté. Il n'y a pas eu le « big bang » que certains craignaient.

Cette proposition de loi s'inscrit dans ce mouvement général que nous souhaitions relayer au sein du Sénat. La question est celle du manque à gagner pour les États lié à la mise en oeuvre de systèmes destinés à échapper à l'impôt.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Nous nous retrouvons dans les propos du rapporteur. Nous ne sommes pas opposés au reporting des entreprises, qui va dans le sens d'une plus grande transparence. La France a d'ailleurs été précurseur s'agissant de la transparence des activités bancaires avec la mise en place du reporting pays par pays. Il s'agit plutôt d'une question de calendrier et non pas d'opposition sur le fond. Il faut que ces règles soient établies en coordination, non seulement avec les autres États membres de l'Union européenne - la proposition de la Commission européenne va dans ce sens, même si des débats subsistent sur sa date d'entrée en vigueur -, mais aussi avec les États-Unis et le Japon.

Par ailleurs, le seuil proposé de 40 millions d'euros ne me semble pas raisonnable.

La France est en avance sur ces sujets avec la création d'un parquet financier et la mise en place du reporting pays par pays pour les banques. Je rappelle en outre que nous nous apprêtons à discuter le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dit « Sapin 2 ». Notre pays peut donc marcher la tête haute.

Pour ces raisons nous ne voterons pas la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité des travaux de la commission d'enquête créée en 2013 à la demande du groupe CRC auxquels ont participé nos collègues Éric Bocquet et Nathalie Goulet pour le groupe UDI-UC. Elle témoigne d'une volonté d'avancer. Il convient cependant de prendre en compte les échéances européennes qui ont été rappelées par le rapporteur. Sur ces questions, on ne peut travailler que dans un cadre international. Il faut prendre le temps nécessaire pour mener à bien ces travaux afin que la France ne soit pas dans une situation d'isolement mais au contraire puisse être motrice.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

J'entends que le seuil proposé par Éric Bocquet de 40 millions d'euros est un peu bas, mais je suis gêné par l'éternel argument de la compétitivité de nos entreprises. J'ai participé à une réunion organisée par l'OCDE il y a une dizaine de jours au cours de laquelle il était demandé aux Européens de ne pas prendre trop d'avance sur ces questions par rapport aux États-Unis. En France, on craint d'être trop en avance par rapport au reste de l'Europe. Ces systèmes de bascule des bénéfices des grands groupes ne sont pas historiques, ils se sont développés au cours des quinze dernières années. On ne peut donc pas considérer qu'il y a un état de fait et être dans une réticence permanente en attendant que tout le monde avance. Certes, le reporting pays par pays est extrêmement important pour appréhender ces transferts mais ce n'est pas non plus la « pierre philosophale » : on ne détruit pas la capacité des groupes à bénéficier de fiscalités préférentielles dans certains pays. Il ne faut pas se cacher éternellement derrière cet argument de la compétitivité. L'affaire Luxleaks nous rappelle qu'en vingt ans on a laissé le Luxembourg devenir, et j'assume ces propos, un État « voyou ». La France, qui occupe la quatrième place mondiale en termes d'implantations d'entreprises, doit poser des règles. Si nous souhaitons un accord à vingt-huit, je crains que nous n'ayons à attendre encore longtemps.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

On peut comprendre le fond de cette proposition de loi mais les mesures proposées, notamment concernant le seuil de chiffre d'affaires à partir duquel les entreprises seraient soumises à l'obligation de déclaration, pourraient avoir un impact sur la vie économique. À ce sujet, je souhaiterais que le rapporteur précise quels seraient les effets économiques et en termes d'emploi d'une telle mesure.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Lalande

Je suis assez surpris par cette démarche consistant à demander aux entreprises de taille moyenne de déclarer systématiquement toutes leurs activités à l'étranger, alors même que l'administration fiscale a les moyens de pouvoir investiguer en cas de besoin. L'optimisation fiscale, qui n'est pas de la fraude, consiste à mettre dans les entreprises de l'intelligence afin de payer un niveau d'imposition le moins élevé possible. Cette démarche existe aussi chez les particuliers. Soumettre une banque importante, susceptible de déstabiliser une économie nationale, à des obligations de reporting, comme c'est déjà le cas, semble normal. Il n'en va toutefois pas de même pour une entreprise dont le chiffre d'affaires serait de 40 millions d'euros, à laquelle l'administration fiscale peut très bien adresser une demande d'information complémentaire. La France dispose par ailleurs d'une législation contre le blanchiment d'argent. Tous les professionnels en contact avec les entreprises sont ainsi tenus, s'ils détectent que l'optimisation fiscale va entraîner une fraude, de le dénoncer. Nous disposons d'ores et déjà d'un dispositif important.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Boulard

Je partage l'objectif du texte, mais estime que nous devons plutôt procéder par étapes. Je considère qu'on ne peut pas faire de la transparence tout seul. Nous sommes sur un marché international des capitaux, en Europe ; si nous avançons, nous devons le faire ensemble, sans quoi nous risquons de générer des distorsions.

Ceci me rappelle un vieux débat, selon lequel on ne peut faire de socialisme dans un seul pays. Il en va de même pour la transparence. On ne peut pas faire de la transparence, de la morale, dans un seul pays. L'objectif de la transparence est louable mais il doit être poursuivi à l'échelon international.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Notre projet dans ce domaine, est aussi tourné vers les échelons européen et international. La population ne supporte plus ce qui se passe. On lui demande, d'un côté, de faire des efforts, de réduire la dépense publique, alors que les Panama Papers montrent l'impuissance des services fiscaux. Dans le journal Les Échos d'hier, on apprend qu'une étude du cabinet EY montre qu'elle est dans la moyenne européenne en matière d'impôt sur les sociétés, si on tient compte du taux et de la base taxable. La fiscalité française est donc bien moins défavorable qu'il n'y parait. Il faut donc cesser ce poker menteur. Dire que l'on ne peut pas faire car les autres ne le font pas est un argument qui, je pense, ne porte plus et n'est plus compréhensible. Il serait important qu'on aille plus loin, d'autant plus que les grands cabinets travaillant pour les grandes sociétés, comme le montre cet article, connaissent ces réalités.

En tant que rapporteure spéciale, j'ai été amenée à rencontrer les directions des services fiscaux chargés d'observer la situation des entreprises. La misère dans laquelle est notre outil DGFiP est telle que je les vois mal faire les investigations nécessaires dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Je remercie mes collègues pour les observations et les précisions apportées à ce débat. Effectivement, il y a deux grands sujets : la territorialisation des données pays par pays et leur publicité au-delà de l'administration fiscale. Je m'interroge sur la possibilité de publicité de ces données au nom de la transparence ; ont-elles une utilité avérée pour le grand public ? Je voudrais reprendre l'interrogation d'André Gattolin sur la compétitivité, qui est un sujet important. Lors de nos auditions, nous avons eu l'exemple d'une entreprise industrielle du secteur de l'automobile opérant sur quatre produits. Si elle décidait de s'implanter dans un pays d'Europe centrale avec un seul produit en adoptant une position offensive, l'obligation de déclaration conduirait à dévoiler son taux de marge. De fait, elle serait obligée de l'abaisser dans l'ensemble des pays dans lesquels elle est présente, ce qui aurait un impact fortement négatif sur son équilibre économique. Ceci montre l'attention particulière que nous devons avoir pour avancer au même rythme que les autres.

S'agissant des seuils retenus par la proposition de loi, ils diffèrent largement de ceux retenus par l'OCDE. Le projet de l'OCDE concerne les entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 750 millions d'euros, soit 200 groupes en France. Si nous adoptions la proposition, le seuil serait ramené à 40 millions d'euros de chiffre d'affaires et concernerait 5 000 entreprises supplémentaires, de taille plus modeste, et représenterait 5,2 millions de salariés.

Enfin, je souhaite rappeler que le souci qui semblait apparent pour les responsables des entreprises n'est pas tant l'optimisation fiscale que le souci de ne pas payer deux fois l'impôt. On a eu au moins deux exemples d'entreprises soumises à la double imposition : l'une en Pologne et en France, l'autre en Chine, concernant une grande entreprise industrielle française, qui se fait régulièrement taxer dans des provinces chinoises malgré un certain nombre d'accords. Ce débat est mené sur la scène internationale depuis au moins 2008. Les institutions internationales ont donné une impulsion, Richard Yung l'a souligné. L'Europe est en pointe et la France elle-même l'est dans le débat européen.

La territorialisation de la source de profit est un sujet connexe. On nous a indiqué que l'Europe est une zone de recherche et que certains grands pays contestent parfois qu'un produit français à l'origine, reproduit par exemple en Chine, soit le même que le produit européen et, partant, qu'aucune royaltie ne doive être versée. Lorsqu'il s'agit de biscuits fabriqués en Chine sous un autre nom, l'autorité chinoise dit que l'on n'a pas à reverser les royalties. Lorsqu'il s'agit de sac à main ou de parfum, ça devient encore plus problématique. Cette proposition de loi constitue aussi l'occasion d'évoquer cette réflexion et d'aborder ce sujet d'inquiétude pour nos entreprises.

La commission n'a pas adopté de texte sur la proposition de loi tendant à assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale.

En conséquence, et en application de l'article 42, alinéa premier, de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi.

La commission entend une communication de Mme Michèle André, présidente, sur l'application des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Comme chaque année notre assemblée se livre au très utile exercice d'évaluation de la manière dont sont appliquées les lois que nous votons. Le Bureau du Sénat a confié à Claude Bérit-Débat la coordination de l'action des commissions en ce domaine et, comme l'année dernière, un débat sera organisé en séance publique le 7 juin prochain.

Pour mettre en application les lois que la commission des finances a examinées au fond, 103 mesures étaient attendues, contre 106 l'année dernière. 83 ont été prises, soit 81 %, en nette amélioration par rapport aux 57 % constatés l'année dernière. En revanche, seules 39 % ont été prises dans le délai réglementaire de six mois, contre encore trois quarts il y a deux ans.

Par ailleurs, 101 mesures étaient attendues au titre de lois votées au cours de périodes antérieures. 56 ont été prises. La plus ancienne mesure attendue date de la loi sur les jeux de 2010 et porte sur le fonctionnement du comité consultatif des jeux. Près de trois ans après, il reste encore sept mesures à prendre pour mettre en oeuvre la loi de séparation des activités bancaires de juillet 2013, sur les 79 prévues au départ.

Notre contrôle porte aussi sur la remise des rapports que nous demandons au Gouvernement. Cette année, nous avons reçu 12 des 18 rapports demandés. C'est seulement 66 % du total mais c'est tout de même mieux que l'année dernière, puisque nous n'avions reçu que deux rapports sur onze attendus. Depuis 2001, nous avons reçu 97 des 220 rapports demandés.

Il faut par ailleurs tenir compte des rapports récurrents et qui ne sont pas toujours déposés. Il en va ainsi de l'annexe au projet de loi de finances sur le fonctionnement de l'échange de renseignements en matière fiscale, qui n'a été annexée ni au projet de loi de finances pour 2015, ni à celui pour 2016. Éric Doligé, rapporteur des conventions fiscales, ne manque jamais d'interroger le ministre sur ce point. Nous l'avons évoqué la semaine dernière lors de notre audition de la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Nous avons aussi évoqué lors de cette audition une annexe au projet de loi de finances qui aurait pu être utile pour éclairer notre débat de ce matin sur la proposition de loi d'Éric Bocquet tendant à assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale, puisqu'elle porte sur la mise en oeuvre par l'administration fiscale des divers outils permettant de lutter contre l'évasion fiscale des multinationales.

Notre contrôle ne porte traditionnellement pas sur le suivi des habilitations que nous donnons au Gouvernement pour légiférer par ordonnance. Elles méritent pourtant que nous nous y penchions. La loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne (DADUE) de décembre 2014 comportait 15 articles prévoyant des habilitations à légiférer par ordonnance, notamment pour transposer des directives importantes comme celles relatives à l'Union bancaire ou la réglementation des assurances dite « Solvabilité II ».

Sur le fondement de ces habilitations, dix ordonnances ont été publiées. Huit projets de loi de ratification ont été déposés, à ce jour, mais aucun n'a été inscrit à l'ordre du jour. Par conséquent, ces ordonnances sont donc aujourd'hui en vigueur sans avoir été ratifiées par le Parlement.

Nous avons ratifié par un projet de loi dédié l'ordonnance qui adaptait les dispositions du code général des impôts applicables à la métropole de Lyon.

En revanche, la loi de finances rectificative de décembre 2014 a servi de vecteur à la ratification d'une ordonnance rendant applicables à Mayotte certaines dispositions fiscales et douanières, mais dans des conditions qui n'ont pas permis un examen de son contenu aussi approfondi qu'elle l'aurait nécessité en raison de la procédure retenue par le Gouvernement, qui a été celle du dépôt d'un amendement au cours de la navette - cette procédure présente par ailleurs l'inconvénient de dispenser le Gouvernement de présenter une étude d'impact.

Je voudrais à présent formuler trois remarques que m'inspire le contrôle de l'application des lois cette année.

Première remarque : le pouvoir réglementaire peut freiner la mise en oeuvre de réformes souhaitées par le Parlement. Je voudrais ici évoquer la fiscalité de l'économie numérique, sujet que notre commission suit avec beaucoup d'attention. L'article 67 de la loi de finances pour 2015 a réformé la taxe de séjour, et un décret a précisé les informations qui doivent être tenues à la disposition des logeurs, hôteliers, intermédiaires et propriétaires afin de permettre la collecte de la taxe.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bouvard

Cela fait quinze ans que nous avons demandé à la direction générale des finances publiques qu'elle fournisse aux communes les informations disponibles sur la taxe de séjour !

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

L'article 1er du décret prévoit la publication, le 1er juin et le 31 décembre, d'un fichier informatique sous un format standard reprenant les informations relatives à la taxe de séjour dans toutes les communes l'ayant instaurée. Il s'agit notamment de permettre aux plateformes de type Airbnb, qui peuvent désormais collecter la taxe de séjour pour le compte des logeurs, de mettre en place ce système de manière simple pour chaque commune, sans avoir à se procurer toutes les délibérations une à une - aujourd'hui Airbnb ne collecte la taxe de séjour qu'à Paris et à Chamonix. Les modalités de ce fichier doivent être précisées par un arrêté... qui n'est toujours pas paru. Par conséquent, les communes ne bénéficieront pas autant qu'elles l'auraient pu des recettes liées à l'organisation de l'Euro 2016. Afin de limiter les inconvénients de cette situation, le ministère de l'Intérieur a toutefois mis en ligne les délibérations scannées des communes qui les ont transmises.

Deuxième remarque : une loi n'est pas forcément appliquée parce que les décrets sont publiés. En effet, compte tenu des évolutions du droit international et européen ou des engagements internationaux de la France, un décret peut vite devenir obsolète. Ainsi, le décret du 23 juillet 2015 qui met en application l'article 1649 AC du code général des impôts relatif à l'échange automatique d'informations fiscales a dû être modifié moins d'un an après, par le décret du 27 avril 2016, afin de tenir compte de l'évolution du droit communautaire. J'évoquais l'année dernière la réglementation à durée déterminée : en voici un exemple.

Troisième remarque : même les lois qui ne nécessitent pas de décrets d'application peuvent être insuffisamment appliquées. Je mentionnerai d'abord la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019. Alors que nous examinerons en octobre la prochaine loi de programmation, plusieurs articles de l'actuelle loi de programmation ne sont pas appliqués.

Les constats et préconisations des revues de dépenses devaient nous être transmis avant le 1er mars de chaque année et ne l'ont pas été. Les dépenses fiscales expirant dans l'année devaient faire l'objet d'une évaluation préalable à leur éventuelle reconduction mais l'exercice n'a pas été mené.

Une conférence des finances publiques devait se réunir au moins une fois par an pour élaborer un diagnostic sur la situation des finances publiques et apprécier les conditions requises pour assurer le respect de la trajectoire des finances publiques. Il était prévu qu'elle se réunisse obligatoirement en cas de déclenchement du mécanisme de correction de la trajectoire de solde structurel. Cette conférence ne s'est jamais réunie et le décret qui devait déterminer sa composition et ses modalités de fonctionnement n'a jamais été pris. Heureusement, le Haut Conseil des finances publiques n'a jamais constaté d'écart significatif à la trajectoire qui aurait nécessité de réunir la conférence pour mettre en place le mécanisme de correction !

Pour conclure, je voudrais évoquer une disposition introduite par le Sénat dans la loi de finances rectificative de décembre 2014, et selon laquelle, lorsque la France est candidate à l'organisation d'une compétition sportive internationale susceptible de bénéficier d'un régime fiscal spécifique, le Gouvernement doit transmettre aux commissions parlementaires compétentes en matière de finances et de sport les lettres d'engagement de l'État, et ce au moment du dépôt du dossier de candidature. Paris a déposé sa candidature à l'organisation des jeux olympique le 17 février dernier, mais les lettres d'engagement n'ont toujours pas été transmises, malgré plusieurs sollicitations.

Voici les quelques éléments que je souhaitais vous livrer, en vous renvoyant pour l'exhaustivité à la lecture du document écrit qui vous sera communiqué très prochainement.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

À quoi sert le délai de six mois donné à l'administration pour prendre les décrets, si celui-ci n'est que rarement respecté ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bouvard

Malheureusement, cet état de fait n'est pas nouveau, et témoigne de notre impuissance à agir dans certains domaines. J'évoquais il y a un instant la taxe de séjour : dans un rapport que j'avais signé il y a près de vingt ans, nous demandions déjà à ce que les communes puissent bénéficier des informations détenues par la direction générale des finances publiques (DGFiP), notamment sur les revenus déclarés par les contribuables au titre des locations meublées, afin de vérifier que la taxe de séjour collectée par les communes correspond à ces revenus. Cela n'a jamais été mis en oeuvre, du fait de la réticence de l'administration, qui accorde une priorité aux recettes de l'État sur celle des collectivités territoriales. Je pense qu'il faut interpeler le Gouvernement à ce sujet, soit à l'occasion des questions d'actualité, soit lors des auditions des ministres.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Vous dites que les projets de loi de ratification des ordonnances ont été déposés, mais qu'aucun n'a été inscrit à l'ordre du jour : cela a-t-il des conséquences ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

S'agissant de la fiscalité internationale, il semble que nous ayons quelques difficultés à obtenir certains rapports de la part du Gouvernement, comme vous venez de le rappeler : quelles sont les explications officielles fournies par l'administration pour justifier cet état de fait ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Permettez-moi un instant de me placer de « l'autre côté ». J'ai eu la chance d'être secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, entre 2007 et 2009. Le Président de la République m'avait prévenu des nombreuses interpellations du Parlement sur les retards pris par le Gouvernement pour prendre les décrets d'application. Il faut comprendre que c'est compliqué. Un ministre me disait avoir préparé les décrets d'application en même temps que le projet de loi qu'il défendait, afin que tout puisse entrer en vigueur au plus vite - à cela près que le projet de loi initial contenait sept dispositions nécessitant un décret d'application, et le projet de loi adopté par le Parlement en contenait quarante-et-une... Tout le monde doit donc y mettre du sien : si le Parlement adopte de nombreuses mesures supplémentaires, il complique considérablement la tâche du Gouvernement - qu'il soit de droite ou de gauche - pour l'application des lois. Il y a par ailleurs des contraintes extérieures : Roselyne Bachelot, alors ministre de la santé et des sports, m'expliquait avoir renoncé à prendre certains décrets d'application afin de ne pas mettre la France en porte-à-faux par rapport au droit de l'Union européenne. J'appelle donc à une meilleure coordination entre le Gouvernement et le Parlement pour l'application des lois. Les ministres devraient le dire à l'occasion des débats : rajouter des articles, c'est allonger les délais d'application.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

J'avais l'an dernier entendu cette explication de la part de l'actuel secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, qui les réitérera peut-être en séance publique le 7 juin prochain.

En réponse à Éric Doligé, c'est une circulaire du Premier ministre du 1er juillet 2004 qui a « préconisé » - et pas imposé - le délai de six mois pour que l'administration prenne les mesures d'application. Aucune sanction n'y est donc attachée.

Sur le problème de la taxe de séjour soulevé par Michel Bouvard, c'est peut-être, paradoxalement, par le numérique que les choses vont progresser : la collecte de la taxe par les plateformes pour le compte des loueurs conduit à poser à nouveau la question des informations à transmettre. Plusieurs grandes villes se sont d'ailleurs mobilisées dans la perspective de l'Euro 2016.

En réponse à Vincent Capo-Canellas, l'article 38 de la Constitution dispose que les ordonnances « deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation ». Autrement dit, le dépôt du projet de loi de ratification suffit à ne pas rendre les ordonnances caduques, même si ce projet de loi n'est pas examiné. Les ordonnances sont en vigueur. Une fois le délai expiré, elles ne peuvent toutefois être modifiées que par la loi : nous devons y veiller.

En réponse à Éric Bocquet, nous attendons deux rapports importants de la part du Gouvernement sur le sujet de la lutte contre l'évasion fiscale. Le premier est un « jaune » budgétaire portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d'échanges de renseignements : lors de l'audition du 4 mai dernier, la direction générale des finances publiques (DGFiP) a indiqué que sa publication était imminente... mais cela aurait-il été le cas si notre commission n'avait pas insisté ? Le second rapport concerne la mise en oeuvre des diverses mesures anti-abus prévues par notre droit : nous l'attendons encore, et nous en avons grand besoin !

Je remercie Roger Karoutchi pour sa remarque : les délais excessifs de l'application des lois ne tiennent pas forcément à la mauvaise volonté - ou à la moyennement bonne volonté - de l'administration, mais parfois tout simplement à l'enlisement qui résulte de l'imagination créatrice des parlementaires...

La commission donne acte de sa communication à Mme Michèle André, présidente.

Puis la commission procède à la désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché.

Michèle André, MM. Albéric de Montgolfier, François Pillet, Éric Doligé, Vincent Capo-Canellas, Claude Raynal et Éric Bocquet sont désignés en qualité de membres titulaires et MM. Jean Pierre Vogel, Marc Laménie, Philippe Dominati, Vincent Delahaye, Richard Yung, Maurice Vincent et Yvon Collin sont désignés en qualité de membres suppléants.

La réunion est levée à 10 h 28.