Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 23 octobre 2007 à 16h30
Immigration intégration et asile — Adoption définitive des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si l'article relatif aux hébergements d'urgence a été retiré au cours de la CMP sous la pression des associations, le texte qui nous est aujourd'hui présenté reste purement et simplement inacceptable.

Le maintien de la disposition relative aux tests ADN est bien évidemment emblématique d'une volonté de stigmatiser un peu plus encore tous ceux qui émigrent pour des raisons familiales. Pour autant, cette mesure ne doit pas occulter le reste du projet de loi.

Bien sûr, le Sénat a encadré par de nombreuses garanties le recours aux tests ADN à l'occasion du regroupement familial, et je tiens ici à saluer les efforts de la commission des lois du Sénat, de son rapporteur et de son président. Je remercie également mes collègues de la majorité, qui ont rejeté la version de l'Assemblée nationale.

Après la « racaille », le « nettoyage au Kärcher », le « mouton égorgé dans la baignoire », il restera le « marqueur ADN », disposition scandaleuse s'il en est puisque c'est bien pour faire scandale et flatter un certain électorat qu'elle a été proposée.

Mesure intolérable, d'abord, parce qu'elle viole les principes les plus fondamentaux de notre droit de la filiation. Au détour d'un amendement parlementaire que vous défendez, monsieur le ministre, avec acharnement, vous remettez à l'ordre du jour la loi du sang par le biais des chaînes de la biologie. Au moins sur ce point, vous nous proposez une véritable rupture : rupture avec l'universalisme républicain ; rupture aussi avec nos grandes traditions spirituelles et religieuses.

Non, la famille, pas plus que la société, ne peut se résumer aux liens du sang. Cette philosophie de l'attache biologique, de l'« entre-nous » rassurant, nous ramène bien des siècles en arrière, avant le jugement de Salomon, avant même la civilisation, comme le soulignait récemment l'évêque de Clermont. Il est rare que je cite un évêque, mais son observation m'a frappée.

Cette mesure est dangereuse, ensuite, parce qu'elle porte en germe la « génétisation » de la société française. La polémique actuelle semble porter sur une affaire ponctuelle, un amendement isolé. Il n'en est rien : elle s'inscrit dans une tendance inquiétante à expliquer les comportements humains par la génétique, ce que refusent évidemment tous les généticiens sérieux.

Ainsi, un précédent ministre de l'intérieur proposait il y a peu de dépister les comportements prédélinquants chez les enfants à partir de trois ans.

Plus tard, un candidat à l'élection présidentielle affirmait dans un entretien avec un philosophe connu que la pédophilie et le suicide sont inscrits dans les gènes. Aujourd'hui, c'est normal, nous avons les tests ADN. Je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler le nom de ce ministre candidat...

Ce biologisme est contraire au principe d'égalité qui est le fondement de notre philosophie politique. En imposant aux hommes des déterminants hérités, il est également contraire à l'idée même de la liberté, dont beaucoup se revendiquent pourtant dans cette majorité.

Avec ces tests, vous ternirez durablement l'image de notre pays dans le monde. Nous ne pouvons nous permettre de renvoyer au monde une telle image de la France. À n'en pas douter, la pratique de ces tests ADN pèsera lourdement sur nos relations avec les pays d'origine, notamment en Afrique francophone, où beaucoup de dirigeants et de nombreuses voix dans les sociétés civiles ont déjà exprimé leur vive émotion. Mais je ne sais pas si l'émotion de l'Afrique vous préoccupe réellement.

En revanche, monsieur le ministre, je suis certaine que vous serez intéressé par les réactions que provoque ce texte outre-Atlantique. Un éditorial du New York Times - un journal qui n'est pas spécialement gauchiste - paru le dimanche 21 octobre qualifie le texte dont nous débattons aujourd'hui de « loi hideuse ». Cet éditorial pointe fort justement ce qui rend ces tests insupportables : vous justifiez cette nouvelle humiliation des étrangers par la modernité de la technologie employée. Mais là où vous parlez de modernité, je ne vois - comme le quotidien américain - que « bigoterie pseudo-scientifique ». Votre prétendue modernité vous aveugle. Vous en oubliez les conséquences funestes du biologisme dans notre histoire récente.

Hier, nous avons tous salué la mémoire du jeune militant communiste Guy Môquet. Guy Môquet nous rappelle que l'esprit de résistance doit avant tout se conjuguer au présent. Nous ne pouvons nous gargariser d'une mémoire en reniant tous les idéaux de liberté et d'égalité qu'elle portait.

Alors, pourquoi maintenir cette mesure ? Pourquoi s'entêter malgré les appels de la société civile, des Églises, des intellectuels, malgré les rassemblements populaires ? En adoptant ces tests aujourd'hui, vous pensez agir avec fermeté quand il ne s'agit que de déraison.

Comme je l'ai déjà dit, cette polémique sur les tests ADN est importante, mais elle ne doit pas faire oublier le reste de ce texte. Et ici, le Gouvernement ne pourra se décharger de sa responsabilité en arguant d'une quelconque initiative parlementaire. Non, vous êtes pleinement responsables de cette nouvelle atteinte aux droits fondamentaux des étrangers, de cette nouvelle stigmatisation de l'immigration.

Cette énième loi sur l'immigration n'est pour vous qu'une loi d'affichage, un gage donné aux électeurs d'extrême droite qui ont daigné apporter leurs suffrages au candidat Sarkozy. Mais vous oubliez les conséquences qu'elle aura sur la vie de milliers de personnes. Vous oubliez également combien elle est contraire à notre droit et à nos principes ; le Conseil constitutionnel en sera le garant.

Au gré de vos lois successives, vous avez vidé le droit au regroupement familial de toute substance. Aujourd'hui, vous prétendez encore une fois durcir les conditions du regroupement familial, en imposant aux étrangers des seuils et des conditions que personne n'aurait l'idée d'imposer aux Français.

Vous avez sciemment répandu dans l'opinion l'idée fallacieuse selon laquelle l'immigration familiale serait une immigration subie, à laquelle il faudrait préférer une immigration économique, choisie en fonction des besoins de main-d'oeuvre. Mais votre doctrine est parfaitement mensongère.

L'immigration choisie est non pas une immigration hautement qualifiée comme vous le prétendez, mais une immigration ayant vocation à alimenter les secteurs sous tension, comme aujourd'hui l'hôtellerie, la restauration et le bâtiment. L'amendement Lefebvre, que je soutiens par ailleurs, répond parfaitement à cette logique. Toutefois, pour l'application de cette disposition dans la transparence, il conviendrait de prévoir la création d'une commission d'examen des dossiers de régularisation, où, au côté du préfet, une place serait donnée aux associations telles que France terre d'asile, le groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés, le GISTI, SOS Racisme ou la Cimade.

L'opposition entre immigration familiale et immigration économique que vous entretenez à dessein m'apparaît comme une ineptie : dans leur grande majorité, les bénéficiaires du regroupement familial travaillent. À moins, bien sûr, monsieur le ministre, que vous n'envisagiez l'ère de « l'immigré sans famille » !

Avec ce texte, vous ne clarifiez en rien le droit des étrangers. Au contraire, vous le rendez plus complexe encore, plus illisible, plus arbitraire. Tout cela est volontaire ; c'est une figure imposée de tous les populismes : quand la question sociale devient trop pressante, on agite le spectre de l'immigration.

Il y a d'ailleurs fort à parier que, durant les prochaines années, monsieur le ministre, vous reviendrez tous les ans devant cette assemblée présenter votre nouvelle réforme de la législation sur l'immigration. La prochaine est d'ailleurs en préparation. Il s'agira cette fois de mettre en place des quotas pour l'immigration de travail, fixés annuellement par le Parlement. On imagine déjà notre assemblée transformée en vaste marché pour discuter des mérites comparés de la nounou congolaise, de l'ouvrière chinoise ou du maçon égyptien !

Enfin, votre texte repose aussi sur une autre idée dangereuse, idée selon laquelle la faillite de notre modèle d'intégration serait précisément due à l'immigration familiale. Vous parlez d'intégration à des jeunes qui n'ont pas à être intégrés puisqu'ils sont le plus souvent Français de naissance, et depuis plusieurs générations. Mais vous préférez stigmatiser encore une fois ces jeunes, les renvoyer à des origines qui leur sont étrangères, plutôt que d'engager une réelle politique de lutte contre les discriminations.

Ce texte comporte le terme « intégration » dans son intitulé. Que proposez-vous en la matière ? Absolument rien ! Si, vous proposez d'élargir les possibilités de mener des études statistiques sur « la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration ».

Au détour d'un amendement, cavalier suspect dans ce texte, cela a été dit par Louis Mermaz, vous rendez possible l'introduction de variables ethniques dans les statistiques. N'en doutons pas, ce n'est qu'un premier pas vers une généralisation de ce type d'études. Et, quoi que vous prétendiez, cela n'a pas grand-chose à voir avec la lutte contre les discriminations.

Puisque ces études pourront être menées pour mesurer « l'intégration des personnes », on perçoit immédiatement quels usages politiques pourraient en être faits.

Monsieur le ministre, les statistiques forment notre conception de la société. Inclure des variables ethniques dans la statistique publique reviendrait à oublier que l'identification communautaire, par soi-même ou par les autres, dépend largement de variables sociales.

L'effet principal de ce nouvel appareil statistique serait non pas de contribuer à la lutte contre les inégalités, mais bien d'occulter purement et simplement la question sociale et de substituer une fausse explication raciale aux véritables causes des inégalités : le taux de chômage, la ségrégation spatiale, la pénurie de services publics...

Les statistiques ethniques sont en réalité une diversion. Elles ne doivent pourtant pas cacher votre absence totale de volonté de mettre en place des mesures efficaces pour lutter contre les discriminations. Il est d'ailleurs symptomatique d'inscrire dans un projet de loi sur l'immigration une procédure censée aider à lutter contre les discriminations. En inscrivant ce dispositif dans ce texte-là, vous nous montrez une fois encore que vous les considérez comme des étrangers.

Nous avons besoin non pas de statistiques ethniques pour lutter contre les discriminations, mais d'outils innovants pour assurer l'égalité républicaine. Certains de ces outils sont connus et ont même été adoptés dans cette assemblée à une large majorité. C'est le cas du CV anonyme, qui permet, au moins à l'étape du recrutement, de gommer les différences tant raciales que sociales, ne laissant la place qu'à des données objectives d'expérience et de formation. Mais ce gouvernement, comme le précédent, se refuse toujours à prendre les décrets d'application nécessaires à son instauration. Dès lors, monsieur le ministre de l'intégration, permettez-nous de douter de votre volonté de lutter efficacement pour l'égalité républicaine !

Pour conclure, je crois que ce texte est inutile et dangereux. Il illustre bien la conception que le Gouvernement se fait de l'immigration. Il est temps aujourd'hui d'arrêter de politiser à outrance le débat sur l'immigration. L'immigration doit demeurer une question politique ; mais elle n'est pas un filon électoral qu'il suffirait d'exploiter régulièrement.

Je terminerai en citant une dernière fois le New York Times : « Les questions d'immigration font ressortir les pires instincts des hommes politiques, qui devraient être plus raisonnables. »

Alors, monsieur le ministre, parce que vos mesures visent à criminaliser les immigrés et, de façon subliminale, à en faire des délinquants potentiels, les tests ADN ne sont dans notre droit réservés qu'aux délinquants et pas n'importe lesquels, les délinquants sexuels, ...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion