Le principe constant du droit civil est que le droit au respect de la vie privée cesse à la mort de l’intéressé, dont les héritiers ont alors le devoir de veiller à protéger la mémoire, ce qui est tout à fait différent.
Le dispositif proposé remet totalement en cause cette construction et crée une césure complète entre la succession numérique et la succession physique. Alors que, dans le monde physique, il appartient à chacun de protéger, par anticipation, ses secrets, dans le monde numérique, le principe serait celui du secret.
Les difficultés pratiques posées par ce dispositif sont nombreuses : par exemple, si le défunt a stocké ses photos de famille sur le nuage – le cloud –, les héritiers n’y auront plus accès, alors que, dans une succession physique, le partage des albums de famille est, bien entendu, possible. De la même manière, le courrier électronique sera inaccessible, alors que les courriers papier sont remis sans problème aux héritiers.
Finalement, à qui profitera cette disposition ? Tout simplement aux opérateurs numériques, qui n’auront plus personne pour surveiller l’usage qu’ils continueront à faire des données personnelles de celui qui n’aura pas pris la précaution de rédiger des directives précises.
Les dérogations prévues en faveur des héritiers seront largement ineffectives : pour demander à accéder à une donnée personnelle susceptible d’être nécessaire pour la liquidation de la succession, encore faut-il savoir que cette donnée existe, ce qui nécessite de pouvoir consulter plus largement le traitement, afin d’identifier ce qui peut être utile. Or les héritiers n’auront pas le droit de procéder à cette consultation plus large…
Le dispositif proposé par les députés débouche sur une impasse, et je regrette que certains veuillent le reprendre ici.
J’ajoute, enfin, que se pose aussi la question du devenir des biens numériques : faut-il estimer que la propriété cesse à la mort de l’intéressé et que rien ne passe alors aux héritiers ?
Réfléchissons bien ici et, surtout, maintenant aux conséquences de ce que nous risquons de voter : rien ne justifie de traiter différemment la mort physique de la mort numérique.