Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tâcherai, au cours des vingt minutes que vous m’attribuez, de répondre à quelques-unes des questions soulevées à la fois au sein de votre commission des finances et ici même aujourd’hui.
S’agissant, tout d’abord, de la situation des personnes handicapées françaises en Belgique, qui n’est pas nouvelle, une première étape, comme le rappelle le rapport spécial de la commission des finances, a été l’entrée en vigueur, en 2014, de l’accord-cadre signé entre la France et la Wallonie.
Cet accord permet de contrôler, par des audits conjoints, la qualité de l’hébergement, de l’accueil et de l’accompagnement dans les établissements belges. Je proposerai prochainement que des règles soient également instituées, afin d’interdire le démarchage publicitaire des familles, des associations et des départements au profit de ces établissements situés en Belgique.
Marisol Touraine et moi-même avons pris l’engagement de donner la priorité aux réponses de proximité sur le territoire français, afin qu’aucune orientation vers la Belgique ne soit plus subie.
Néanmoins, l’accueil des personnes handicapées ne donne pas simplement lieu à un système de vases communicants. Malgré l’ouverture, chaque année, de 4 000 nouvelles places en France, on compte toujours 6 000 personnes hébergées dans des structures belges : 1 500 enfants et 4 500 adultes.
La raison en est simple : il s’agit d’un problème d’organisation. Lorsqu’une maison départementale des personnes handicapées oriente un patient vers ce genre d’établissements, elle se contente d’ouvrir un droit : c’est à la famille de trouver une place dans sa région. Ni les maisons départementales des personnes handicapées ni les agences régionales de santé ne peuvent imposer à un établissement l’accueil d’une personne. Celui-ci est libre d’accepter ou non un candidat, en fonction de son handicap et de son profil.
Vous le savez, certains types de handicaps entraînent des troubles du comportement. Or peu d’établissements sont volontaires pour accueillir les publics concernés. Ce sont donc essentiellement ces personnes – certes, il peut aussi y en avoir d’autres – qui sont orientées vers la Belgique. Notre objectif est d’arrêter ce flux.
L’article 21 bis du projet de loi de modernisation de notre système de santé, dont il a déjà été fait mention, donne aux maisons départementales du handicap le pouvoir de construire des solutions d’accompagnement global pour toutes les personnes sans solution. Nous pourrons ainsi réorienter les crédits « assurance maladie » vers les agences régionales de santé de la région du candidat à partir des demandes de financement adressées en Belgique, avec l’accord de la famille, afin de construire une solution sur mesure, par exemple une extension de places dans un établissement existant.
Les 15 millions d’euros que nous consacrerons dès 2016 correspondent donc bien à un fonds d’amorçage. Le cas échéant, celui-ci pourra être abondé par des moyens complémentaires. Cela permettra de soutenir les établissements qui, ayant une place disponible, auront besoin de recevoir des renforts, compte tenu de la complexité de la situation de la personne, mais également de procéder à des créations ou à des extensions de places sur mesure, en fonction des attentes. La création de places sera nominative, pour la personne qui aurait dû être orientée en Belgique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite de l’initiative du président de votre commission des affaires sociales, M. Alain Milon, de mettre en place un groupe de travail sur le sujet. Cela vous permettra d’évaluer la situation et de formuler des propositions. En effet, je suis preneuse de toutes vos idées.
Le transfert des établissements et services d’aide par le travail, les ESAT, à l’assurance maladie était fortement attendu par les acteurs du secteur. En effet, ces établissements sont aujourd'hui financés par le budget de l’État, alors que le financement de l’ensemble des autres établissements ou services d’accueil et d’accompagnement des personnes handicapées relève de l’assurance maladie.
Un transfert des crédits de l’État vers l’assurance maladie est prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Il s’opérera progressivement, à compter de 2017.
Une telle mesure était réclamée par les gestionnaires et les associations de personnes handicapées. Elle permettra aux différents types d’établissements gérés par un même organisme de bénéficier d’un seul financeur. Cela ouvrira la possibilité de mieux adapter les ressources au sein des établissements en fonction des parcours des personnes handicapées, de favoriser les passerelles entre différents types d’établissements, d’aider à l’accès et au maintien en milieu ordinaire et de soutenir le parcours des personnes handicapées vieillissantes.
En effet, comme cela a été souligné, il faut faciliter le travail à mi-temps ou à temps partiel pour les personnes handicapées vieillissantes qui sont toujours en ESAT, à partir de quarante-cinq ans ou de cinquante ans. Le système global permettra d’adapter les parcours des personnes.
Je le rappelle, l’objectif fixé par le Président de la République est d’ouvrir le milieu ordinaire aux personnes handicapées.
Soyons clairs : on ne résoudra pas le chômage des personnes handicapées – quelque 460 000 personnes sont concernées – par l’ouverture de nouvelles places en ESAT. En effet, chaque année, plusieurs dizaines de milliers de personnes se retrouvent sans travail à la suite d'un licenciement ou du fait de leur invalidité ; elles ne correspondent donc absolument pas au profil des personnes qui travaillent en ESAT. Il y a un contingent important des personnes handicapées sans travail du fait d’un problème de santé, d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail lorsqu’elles avaient un emploi, de troubles musculo-squelettiques…
Il me paraît important d’y réfléchir avec les partenaires sociaux. Nous devons envisager la reconversion de toutes ces personnes vers des métiers qu’elles peuvent exercer malgré les accidents du travail, les maladies professionnelles ou le handicap. C’est tout l’enjeu de la table ronde qui se tiendra au ministère du travail avec ma collègue Myriam El Khomri et les partenaires sociaux. Nous espérons aboutir à des accords de branche. Si nous voulons une société inclusive, nous devons favoriser l’ouverture du milieu ordinaire aux personnes handicapées !
Bien entendu, je suis consciente que les personnes handicapées ne pourront pas toutes travailler en milieu ordinaire. Toutefois, nombre d’entre elles en ont la capacité. Globalement, notre société doit s’ouvrir plus aux personnes handicapées.
C’est le sens de la politique que nous menons. Nous voulons aussi favoriser les ESAT « hors les murs », c'est-à-dire l’accompagnement, par du personnel médico-social, au sein des entreprises, pour que le milieu ordinaire s’ouvre. Il y a bien une compensation du handicap, mais ces personnes travaillent à l’extérieur des ESAT.
Je souhaite ajouter quelques précisions sur les personnes handicapées vieillissantes, qui ont été placées en priorité dans la circulaire budgétaire relative au financement adressée aux agences régionales de santé l’an dernier ; ce sera encore le cas pour 2016. Nous faisons remonter les multiples expériences du terrain.
Comme cela a été rappelé, un certain nombre de personnes handicapées vieillissantes vont en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou EHPAD, c'est-à-dire en maisons de retraite. Néanmoins, il y a aussi énormément de foyers d’accueil médicalisés qui ouvrent des places pour les personnes handicapées vieillissantes, sur des crédits de l’assurance maladie.
Faisons remonter les expériences du terrain ! Je ne suis pas favorable à la création de nouvelles obligations, ce qui réduirait le champ des possibles. En revanche, il faut peut-être donner de nouvelles recommandations pour généraliser les pratiques. Ce sera l’objet du travail qui sera effectué en 2016.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez été nombreux à vous exprimer sur la budgétisation de la prime d’activité. Je vous répondrai plus précisément lors du débat sur les amendements.
Le nouveau dispositif devrait bénéficier dès 2016 à 2 millions de foyers, sur 4 millions de foyers éligibles correspondant à 5, 6 millions de personnes. Parmi celles-ci, un million de jeunes seront éligibles à la prime d’activité. Je vous rappelle que 5 000 jeunes seulement percevaient le RSA activité. C’est donc un progrès énorme pour les jeunes.
Avec cette prime d’activité, nous faisons le pari d’un effet de levier : soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs modestes pour lever les freins à l’emploi. Nos concitoyens nous le disent : prendre ou reprendre une activité salariée, cela coûte de l’argent ! Il faut payer les transports ou la garde de son enfant, on doit payer des transports... En plus, les aides sociales diminuent, ce qui est normal quand le revenu augmente.
La prime d’activité doit y suppléer. Cet effet de levier est rendu possible par les montants élevés de la prime. L’enveloppe consacrée à la réforme permettra de redonner une dynamique à ce soutien aux salariés modestes.
Au SMIC, un travailleur isolé pourra toucher plus de 100 euros par mois, contre seulement quelques euros avec le RSA activité. Or, comme c’était seulement quelques euros, les travailleurs ne faisaient pas l’effort de demander le RSA activité, qui correspondait à une démarche très compliquée pour un bénéfice insuffisant. Avec la prime d’activité, ce sera différent : plus de 100 euros par mois de gain pour un travailleur au SMIC.
Nous faisons le pari d’une amélioration des taux de recours par rapport au RSA activité, grâce aux progrès apportés par la prime.
J’en conviens, c’est un pari ambitieux : le taux de recours est de 32 % pour le RSA activité ; nous parions qu’il sera porté à 50 % en moins d’un an. Cependant, notre analyse est réaliste : une fois qu'il sera allocataire de la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, le demandeur n’aura qu’à indiquer ses revenus du trimestre en ligne ou via une application spéciale pour les smartphones. Ce ne sera plus tous les mois ; ce sera figé pour trois mois. Il y aura donc moins d’indus.
Le salarié pourra connaître en quelques clics le montant de sa prime, figé pour trois mois, et la date du prochain versement. Nous allons mettre en place une communication ambitieuse. Les caisses d’allocations familiales préparent des outils permettant de toucher les bénéficiaires potentiels, c'est-à-dire tous ceux qui étaient au RSA activité, mais elles examinent aussi s’il peut y avoir des bénéficiaires au sein de leurs publics.
Un simulateur dédié sera en ligne dès le mois de décembre prochain sur le site des caisses d'allocations familiales, afin que chacun puisse savoir s’il a droit au dispositif et dans quelle mesure. Il y aura des mails ciblés des caisses d'allocations familiales et des kits de communication de la CNAF à destination des associations, pour leur permettre d’informer les personnes qui viennent les voir.
En outre, il y aura une information générale dans les formulaires de déclaration d’impôts qui seront envoyés au début de l’année 2016. La case « prime pour l’emploi » n’existera évidemment plus. Les publics concernés seront avisés que, la prime pour l’emploi n’existant plus, ils doivent penser à demander leur prime d’activité. L’information s’adressera donc bien à l’ensemble des Français. Ensuite, chacun pourra se rendre sur le site de la caisse d'allocations familiales et utiliser le simulateur, puis le service d’inscription en ligne.
Simplification, dématérialisation, communication très développée, droits figés pour trois mois… Nous ne manquons pas d’instruments pour réussir notre pari ambitieux : arriver à 50 % de recours pour la prime d’activité.
Je le répète, la lutte contre le non-recours est une priorité du Gouvernement. Telle est ma feuille de route. Tel est l’objet du plan d’action en faveur du travail social que j’ai présenté voilà quelques semaines en conseil des ministres avec Marisol Touraine.
Moi aussi, je souhaite supprimer la complexité ! Tout le Gouvernement œuvre en ce sens. Il y a même une secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification.