Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est aujourd’hui confrontée à une situation d’une gravité exceptionnelle. Avant toute chose, je souhaite saluer l’efficacité et le courage de nos forces de l’ordre. Leur mobilisation exceptionnelle a permis non seulement de secourir les Parisiens le soir du 13 novembre dernier et de multiplier les interpellations et les perquisitions, mais aussi de sécuriser de nombreux lieux sensibles sur tout le territoire.
Ces attaques terroristes bouleversent la hiérarchie des préoccupations de nos concitoyens. Il ne fait aucun doute que les attentats du 13 novembre vont placer le terrorisme en première place. Toutefois, ces attaques bouleversent également l’examen budgétaire de la mission « Sécurités », qui a déjà connu plusieurs rebondissements.
Il faut le rappeler, avant même le 13 novembre dernier, l’année 2015 était déjà exceptionnelle à double titre pour nos forces. D’une part, elle l’était du fait de la hausse de la menace terroriste ; de nombreux commentateurs l’ont souligné après les attaques de janvier dernier, la France est l’un des pays d’Europe les plus touchés par le phénomène des « combattants étrangers » partis pour la Syrie et pour l’Irak – au passage, je vous rappelle que le pays qui en compte le plus en proportion de sa population est la Belgique.
D’autre part, parallèlement à cela, les forces de sécurité intérieure sont également confrontées à une crise migratoire de grande ampleur. Si la situation de la France n’a rien de comparable avec celle que connaissent les pays de première entrée, la sécurisation de certains points de passage et le démantèlement des filières nécessitent une mobilisation exceptionnelle. Pour ne donner qu’un chiffre, 1 125 agents mobiles supplémentaires ont été déployés à Calais, en complément des forces locales. Cette situation a d’ailleurs donné lieu à un premier amendement du Gouvernement adopté à l’Assemblée nationale et visant à financer la création de 900 postes dans le cadre du « plan migrants ».
Pourtant, force est de constater que, avant les récents attentats, le Gouvernement n’avait pas tiré toutes les conséquences de cette crise exceptionnelle. Je souhaite ainsi revenir quelques instants sur le budget « Sécurités » tel qu’il nous a été transmis par l’Assemblée nationale.
Ce budget prévoyait une hausse de seulement 0, 9 % des crédits de cette mission. À titre de comparaison, ils ont augmenté, en exécution, de 3, 5 % en 2009, de 2, 6 % en 2011 et de 2 % en 2013. Par ailleurs, dans le projet de budget pour 2016, le Gouvernement propose une progression de 4, 4 % du budget de la culture.
En ce qui concerne les effectifs, la hausse prévue pour 2016 était de 1 632 postes, que l’on pourrait comparer aux 10 850 postes qui seront créés dans l’enseignement scolaire.
Toutefois, ma principale critique est relative à l’équilibre entre les dépenses de personnel et les crédits d’investissement et de fonctionnement. Disons-le simplement : ce que Bercy a donné en dépenses de personnel, il l’a repris en fonctionnement et en investissement.
Une comparaison entre l’exécution budgétaire de 2009 – avec 244 304 équivalents temps pleins travaillé, ou ETPT – et les crédits demandés pour 2016 – avec 244 420 ETPT, soit 116 de plus – montre ainsi que, avec des effectifs comparables, les moyens de fonctionnement et d’investissement sont inférieurs, en 2016, de plus de 330 millions d’euros. La part des dépenses de personnel au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » atteint ainsi un niveau critique de 88 % qui ne permet pas de garantir la capacité opérationnelle des policiers et des gendarmes.
Prenons un exemple concret : le parc automobile. De l’aveu même des directions, un simple maintien en l’état du parc nécessiterait l’achat de plus de 6 000 véhicules par an entre 2015 et 2017. Pourtant, le montant prévu dans le budget adopté à l’Assemblée nationale pour l’achat de véhicules ne permettrait d’acquérir que 4 000 véhicules en 2016.
Aussi, afin de dégager des marges de manœuvre sur le plan budgétaire, il faut favoriser une stratégie fondée sur la rationalisation des tâches et la mutualisation des moyens. En la matière, la dynamique engagée en 2009 avec le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur semble s’affaiblir.
À titre d’illustration, le traitement des procurations a mobilisé 737 équivalents temps plein travaillé de policiers et de gendarmes sur l’année 2012. La dématérialisation permettrait de soulager les forces de sécurité de cette tâche. Pourtant, dans un rapport d’octobre 2014, l’Inspection générale de l’administration indique que le projet de dématérialisation totale lancé en 2013 « paraît enlisé » et même « à l’arrêt ».
Il serait utile qu’il puisse s’appliquer pour une année d’élections, comme celle de 2017.
Certaines décisions prises depuis 2012 ont même aggravé la situation. L’abandon du jour de carence a conduit, en 2014, à une multiplication par 2, 5 des congés maladie d’une journée.
La marque de fabrique du Sénat est toutefois de ne jamais céder à la polémique.
En matière de rationalisation et de mutualisation, les décisions annoncées après la manifestation de policiers, place Vendôme, semblent témoigner d’une prise de conscience de ces enjeux, avec notamment un plan interne de simplification des tâches.
Après les attentats du 13 novembre, des mesures significatives ont été annoncées par le Président de la République, avec la création de 5 000 postes dans la police et la gendarmerie et la promesse de moyens d’équipement et d’investissement supplémentaires.
C’est pour cette raison que la commission des finances a d’abord décidé de réserver son examen des crédits de la mission.
L’amendement du Gouvernement visant à mettre en œuvre ces annonces, déposé le 26 novembre, prévoit finalement une hausse des crédits de 340 millions d’euros en 2016. Je vais bien évidemment laisser le soin au ministre de nous le présenter. J’aurai d’ailleurs quelques questions à lui poser, en particulier sur la répartition des crédits.
Toutefois, je voudrais vous donner deux chiffres, qui me semblent témoigner d’un changement de rythme. Avec cet amendement, la hausse du budget « Sécurités » sera de 2, 8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2015, contre 0, 9 % il y a encore deux semaines.