Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Réunion du 30 novembre 2015 à 14h10
Loi de finances pour 2016 — Immigration asile et intégration

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un entretien publié le 25 novembre dernier par un grand quotidien allemand, le Premier ministre a réclamé que l’Europe cesse d’accueillir des réfugiés en raison de la menace djihadiste.

Il a expliqué sa fermeté concernant l’accueil des migrants en se référant à certaines indications des enquêteurs français : deux des tueurs du 13 novembre à Paris avaient profité du flux de migrants pour traverser l’Europe et rejoindre la France.

Il semblerait que l’amendement déposé par le Gouvernement visant à augmenter le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » confirme cet état de fait.

Passant de 652 millions d’euros en 2015 à 703 millions d’euros pour 2016, le Gouvernement a décidé d’abonder davantage ce budget, en y ajoutant près de 14 millions d’euros, dans le cadre de l’effort déjà engagé au titre du renforcement des moyens de lutte contre le terrorisme et de sécurisation des frontières.

Si nous ne pouvons que soutenir la décision du Gouvernement d’augmenter les budgets des missions « Justice » et « Sécurités » avec des sommes autrement plus conséquentes – les dotations supplémentaires s’élèvent respectivement à 266 millions et à 340 millions d’euros –, permettez-nous néanmoins de douter de l’objectif qui sous-tend l’augmentation du budget de la mission « Immigration, asile et intégration », à savoir abonder, notamment, les moyens nécessaires à l’armement des hotspots en Italie et en Grèce.

Certes, un renforcement des outils de contrôle aux frontières est plus que jamais nécessaire, mais nous vous mettons en garde contre les amalgames, renforcés par les tragiques événements que nous venons de vivre.

Le thème du terrorisme et celui des migrants se télescopent. Cependant, ne cédons pas à l’instrumentalisation de ces deux sujets, trop souvent pratiquée par la droite au pouvoir !

Nous ne pouvons nier que quelques terroristes passent entre les mailles des flux de migrants. Mais faut-il pour autant renoncer à trouver une solution d’accueil pour l’immense majorité des autres ? Rappelons que la quasi-totalité des réfugiés fuient des zones de conflits et de massacres dans le monde, notamment au Proche-Orient : victimes des persécutions que nous connaissons, ils nous demandent l’asile.

D’ailleurs, si les crédits de l’action n° 2, Garantie de l’exercice du droit d’asile, sont en nette progression par rapport à 2015, avec une augmentation de 7, 4 %, il faut noter que cette action est sous-dotée depuis plusieurs années et nécessite, à chaque exercice, d’importantes rallonges budgétaires.

Les dotations prévues pour 2016 sont hypothéquées, en raison précisément des conséquences, difficiles à prévoir, de la crise migratoire et de la mise en œuvre des programmes de relocalisation, dans le cadre desquels la France accueillera des demandeurs d’asile supplémentaires ; c’est du moins ce que nous osons espérer.

Concernant l’hébergement, on peut se féliciter de la poursuite de la progression du nombre de places en centres d’accueil de demandeurs d’asile : 3 500 nouvelles places seront créées en 2016 et 2 000 en 2017.

En définitive, avec 33 000 places en CADA prévues en 2016, un nombre de demandeurs d’asile estimé à 70 000 et une durée moyenne de traitement des demandes par l’OFPRA de 200 jours, le dispositif national d’accueil restera insuffisant pour garantir un hébergement à tous ceux qui en ont besoin.

Les crédits de l’action n° 3, Lutte contre l’immigration irrégulière, globalement en augmentation, se caractérisent par une hausse significative des crédits dédiés aux frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière.

De manière générale, nous regrettons que la politique menée en la matière s’inscrive dans la continuité de la politique conduite par la précédente majorité.

Dans le cadre du projet de loi relatif au droit des étrangers en France, nous déplorons en particulier la volonté d’accélérer le traitement des mesures d’éloignement au mépris du droit à un recours effectif pour les personnes en situation irrégulière.

S’agissant de la rétention, on peut, certes, se réjouir que le projet de loi susmentionné prévoie d’accorder la priorité à l’assignation à résidence plutôt qu’au placement en rétention. Mais on peut s’inquiéter de la volonté du Gouvernement, annoncée en juin 2015 dans le cadre du plan « Migrants », de renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière, en optimisant l’utilisation des places existantes dans les centres de rétention administrative.

La banalisation des restrictions à la liberté individuelle par l’interchangeabilité de l’assignation à résidence et de la rétention administrative n’est pas, à nos yeux, acceptable.

Plus spécifiquement, concernant le principe de l’interdiction de la rétention des enfants, rappelons que l’engagement du candidat François Hollande en 2012 était non pas de limiter la rétention des enfants et de familles, mais bien d’y « mettre un terme ». Nous déplorons que cette promesse ne soit pas honorée.

Le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » représente, avec 70, 2 millions d’euros prévus pour 2016, moins de 10 % des crédits de paiement de la mission. On peut se féliciter que ce programme connaisse, pour la première fois depuis plusieurs années, une hausse de ses crédits de 20 %. Mais là encore, sur le fond, nous regrettons que les procédures d’accès à la nationalité française n’aient pas rompu avec le dispositif mis en place par la majorité précédente.

Le projet de loi relatif au droit des étrangers en France ne prévoit pas de modifier fondamentalement la logique du contrat d’accueil et d’intégration. Rebaptisé « contrat d’intégration républicaine », celui-ci demeure avant tout, malheureusement, destiné à la maîtrise des flux migratoires. Nous réfutons cette logique d’« insertion-stabilisation » selon laquelle la signature du contrat d’intégration républicaine est nécessaire à l’obtention d’un titre de séjour. Au contraire, nous considérons que c’est d’abord la garantie de stabilité du séjour qui permet de faciliter l’insertion des étrangers.

En définitive, au regard de l’insuffisance des moyens déployés pour faire face à la crise migratoire et du tournant idéologique qui semble être pris par le Gouvernement en matière d’immigration – en témoigne le projet de réforme sur le droit des étrangers en France –, les sénateurs du groupe CRC, vous l’aurez compris, mes chers collègues, ne voteront pas les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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