Intervention de André Trillard

Réunion du 30 novembre 2015 à 14h10
Loi de finances pour 2016 — Immigration asile et intégration

Photo de André TrillardAndré Trillard :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » s’inscrivait déjà, avant les événements tragiques du 13 novembre dernier, dans un contexte tout à fait particulier, en raison d’une crise migratoire d’une ampleur totalement inédite, puisque l’on évalue à plus de 600 000 le nombre de personnes ayant tenté de rejoindre l’Europe depuis le début de l’année.

De cet afflux découle l’engagement pris par la France en septembre dernier d’accueillir un peu plus de 30 000 demandeurs d’asile. L’examen de ce budget s’inscrit donc dans un cadre exceptionnel.

De fait, nos rapporteurs n’ont pas manqué de saluer l’augmentation sensible des crédits de cette mission, dont il faut souligner qu’elle contraste avec la sous-évaluation chronique qui caractérisait ces crédits les années précédentes.

Cependant, ce projet de budget pour 2016, déjà lourdement hypothéqué par les conséquences difficiles à évaluer aujourd'hui des programmes de relocalisation dans le cadre desquels la France accueille des demandeurs d’asile supplémentaires, repose désormais sur des hypothèses que les conséquences de la guerre que nous livrons à l’État islamique rendent, à mon sens, obsolètes, s’agissant des déplacements de population à venir et de l’arrivée prévisible en Europe de nouvelles vagues de migrants.

Ainsi, l’augmentation, certes importante, des crédits consacrés à la nouvelle allocation pour demandeur d’asile, en hausse de 25 %, me semble bien insuffisante, étant donné l’afflux des nouveaux demandeurs, quand bien même le traitement de leur demande serait considérablement accéléré.

De même, les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence subissent une baisse de presque 12 % par rapport à 2015, qui serait justifiée par la création de places en CADA. Or l’augmentation de places ne permettra pas de couvrir tous les besoins en termes d’hébergement. Il sera donc nécessaire d’orienter les demandeurs d’asile vers l’hébergement d’urgence, qui se révélera insuffisamment doté.

Une véritable dérive budgétaire en cours d’exécution me semble inévitable. Aussi, je voudrais savoir, madame la secrétaire d’État, comment le Gouvernement entend gérer cette évolution imprévisible, qui risque de remettre fondamentalement en question les hypothèses de départ.

Pourtant, en dépit de ces incertitudes et des difficultés, nous devons tout faire pour que le respect du droit d’asile puisse continuer à s’exercer en France, même si le réalisme nous commande de l’appliquer de façon drastique, en recourant, chaque fois que cela est possible, au régime plus léger de la protection subsidiaire. Ce régime est néanmoins tout à fait légal dans le cadre européen.

Mais alors, madame la secrétaire d’État, ne pensez-vous pas que cette rigueur et cette générosité avec laquelle les Français et leurs élus observent leur devoir d’accueil vis-à-vis des demandeurs d’asile appellent simultanément de votre part un combat plus cohérent et plus énergique dans la lutte contre l’immigration irrégulière ?

Si l’augmentation des crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière est indéniable, ne craignez-vous pas que l’impact de cet effort financier ne se trouve réduit à néant par l’application des dispositions que vous proposez au travers d’un texte relatif aux droits des étrangers en France, qui constitue au minimum un encouragement au maintien en France des immigrés clandestins, voire un de ces fameux appels d’air dont les filières criminelles savent si bien tirer parti ?

Il y a deux ans, un rapport de la Cour des comptes estimait qu’il fallait compter un peu plus de 13 000 euros par réfugié jusqu’à ce que ce dernier obtienne l’asile. Quant à ceux qui sont déboutés, il en coûterait au budget français un peu plus de 5 500 euros par personne. La dépense totale pour la France s’est élevée il y a deux ans à près de 2 milliards d’euros, une somme vouée à une croissance rapide, voire exponentielle. L’effort sans précédent et durable – ne nous leurrons pas, il ne s’agira pas de quelques années, mais ce sera un long processus ! – que consentent les Français n’implique-t-il pas que, face à l’immigration irrégulière, le Gouvernement renonce définitivement à une politique laxiste, dont les Français ne veulent ni ne peuvent assumer le financement et les conséquences dans leur quotidien ?

Plus précisément, dans ce contexte nouveau, entendez-vous revenir, madame la secrétaire d’État, sur le refus que vous avez opposé aux mesures que la majorité sénatoriale proposait dans le cadre de l’examen du texte susmentionné pour améliorer l’exécution des mesures d’éloignement et lutter efficacement contre l’immigration irrégulière ? Nous avions souhaité, notamment, le renforcement de l’assignation à résidence, l’allongement de la durée d’interdiction de territoire, l’abaissement du délai de départ volontaire, le maintien du principe de titre de séjour annuel jusqu’à la cinquième année de résidence régulière pour garantir le contrôle de la régularité du séjour et la restriction des conditions du regroupement familial.

Nous avons également demandé, sans être entendus, que le Parlement définisse annuellement notre capacité d’accueil sur des critères économiques et sociaux. Pourquoi ? Parce que c’est l’un des moyens de définir les bases d’une politique migratoire qu’il est désormais urgent de construire au niveau de l’Europe, laquelle doit impérativement s’organiser face à cette crise majeure et durable, tant structurelle qu’événementielle.

En refusant de développer depuis vingt ans une véritable politique commune en matière de contrôle de l’immigration et de droit d’asile, l’Europe a perdu le leadership et s’est mise sous la coupe des trafiquants, qui détiennent aujourd’hui le pouvoir de décider à sa place de l’origine, du nombre et des lieux d’entrée des migrants.

Pour mesurer le défi qui nous attend, je rappelle simplement que le trafic des migrants représente en chiffre d’affaires le troisième trafic criminel mondial, après ceux de la drogue et des armes.

Pour l’heure, l’Europe n’a ni politique migratoire commune, ni droit d’asile unifié, ni même de budget pour l’accueil. Sa seule intervention consiste à financer la lutte contre l’immigration clandestine via FRONTEX et l’opération Triton, avec l’impuissance que l’on connaît, voire l’aveuglement que l’on découvre, quand on reconstitue les allers-retours effectués par certains auteurs des attentats du 13 novembre...

En quinze ans, 13 milliards d’euros ont été consacrés à cette politique par Bruxelles, soit moins de 1 milliard d’euros par an sur un budget européen annuel de 142 milliards d’euros. Moins de 1 %, c’est peu !

L’Europe a Schengen, dont les accords ne sont plus du tout adaptés et qu’il faut revoir, sans regretter le passé. En effet, n’eût-elle pas institué la libre circulation entre la plupart de ses membres que l’Union européenne n’en serait pas moins la destination privilégiée de ces migrants pour d’élémentaires raisons géographiques et matérielles. Il est donc urgent de renforcer la coordination et les outils de sécurisation de nos frontières maritimes et terrestres, ainsi que de responsabiliser les États où se trouvent nos frontières communes. Faute de quoi, chacun fermera ses frontières, et nous régresserons.

À terme, c’est dans les régions dites « de départ » – Grand Moyen-Orient et Afrique – que l’Europe devra se donner les moyens d’une politique migratoire commune. Cela suppose de s’entendre sur une liste de pays dits « sûrs », dont les ressortissants n’ont pas vocation à bénéficier du statut de réfugié politique, ni même à le solliciter. Cela suppose aussi d’unifier les législations sur le droit d’asile. Devons-nous, en ce qui nous concerne, maintenir à dix ans la durée de l’asile politique, alors que les règles européennes fixent le délai maximum à cinq ans, renouvelable aussi longtemps que dure le danger encouru ? Il faudra, enfin, accepter une clé de répartition des migrants décidée en commun.

Madame la secrétaire d’État, le Premier ministre a dit la semaine dernière : « Nous ne pouvons pas accueillir encore plus de réfugiés en Europe. » Sur les intentions de la France, sur les initiatives qu’elle compte prendre au niveau européen pour mettre en place les mesures urgentes de cette politique, je souhaiterais que vous puissiez nous informer.

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