Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un constat : l’agriculture souffre de difficultés structurelles, non par déficit de compétitivité, mais parce qu’on veut faire d’elle et des produits agricoles des marchandises comme les autres. Malheureusement, les gouvernements successifs ont abdiqué face à la loi implacable du marché, aux grandes centrales d’achat et au vaste mouvement de dérégulation à la fois européen et international. À cet égard, le rapporteur souligne très justement que « la volatilité accrue des marchés liée au démantèlement des outils de régulation de la politique agricole commune nécessite de compter sur ses propres performances pour tirer son épingle du jeu dans la compétition mondiale ».
Au fil des années, les outils de gestion des marchés ont été supprimés. L’Europe n’est plus en mesure de compenser avec justesse la volatilité des prix et des revenus. Le libéralisme effréné engendre ainsi la course sans fin à l’agrandissement, à la compétitivité exacerbée entre États membres, qui ouvre la voie au dumping social, à la main-d’œuvre bon marché et aux prix tirés vers le bas.
L’Europe de l’harmonisation reste à construire, et c’est urgent et indispensable. Dans un contexte de crise et de désarroi, qui s’est largement exprimé il n’y a pas si longtemps, la lecture des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » suscite des interrogations. Les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux et ne permettent pas de mener une grande politique pouvant assurer une réorientation vers l’agro-écologie, une production de qualité sur tous les territoires et un revenu digne aux agriculteurs, objectifs prioritaires de la politique agricole.
L’agriculture, l’alimentation et la forêt sont des composantes économiques, sociales et territoriales essentielles à l’équilibre de la France. Le manque de stabilité, de garanties et de régulation fragilise ces secteurs fondamentaux.
Les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2016 connaissent une baisse sensible, de 9 % pour les autorisations d’engagement et de 6, 5 % pour les crédits de paiement. Comme le souligne le rapporteur, l’agriculture est mise à contribution pour le redressement des finances publiques et non pour le renouveau de l’agriculture française avec l’ensemble des professionnels et pour eux.
De plus, les crédits de la mission représentent moins de 20 % de l’ensemble des contributions publiques en faveur du secteur agricole au sens large. Les moyens alloués à la gestion des crises et des aléas disparaissent quasiment, passant de 28 millions d’euros à moins de 4 millions d’euros en crédits de paiement.
Certes, il y a un transfert du financement de la gestion des risques au second pilier de la PAC, mais comment vérifier la sincérité de ces éléments ? De même, les crédits d’intervention ne sont pas prépondérants. Ainsi, le programme 154, particulièrement structurant, fond de 108 millions d’euros, alors qu’il comporte les principales actions de soutien aux exploitations.
L’action n° 12, Gestion des crises et des aléas de la production, est sérieusement amputée, alors même que les enjeux sont en l’espèce importants et que nous venons de vivre une sécheresse et une crise sanitaire, celle de la fièvre catarrhale ovine, qui se sont surajoutées à la baisse des prix d’achat. Comment comprendre que l’on abandonne les derniers outils d’action et d’intervention dont nous disposons à l’échelon national, alors qu’il faudrait au contraire les conforter ?
Vous avez affirmé, monsieur le ministre, que, en associant les crédits de l’État et ceux de la PAC, les moyens mobilisés au profit de l’agriculture seraient globalement en hausse pour 2016 et 2017. C’est vrai, puisque ceux-ci s’élèvent à 19, 7 milliards d’euros en 2015 et atteindront 19, 9 milliards d’euros en 2016, mais de peu !
Enfin, si une part importante de la baisse des crédits nationaux est compensée par l’évolution des crédits communautaires, il convient de rappeler qu’ils sont structurellement en diminution. La nouvelle PAC sera excluante et dépourvue de mécanismes efficaces de régulation. Ses effets seront variables selon les productions et les territoires, mais seront-ils à la hauteur des enjeux sociaux, alimentaires et environnementaux ? À cet égard, la Confédération paysanne a déposé des recours auprès du Conseil d’État pour remettre en cause les planchers sous lesquels le Gouvernement ne soutient pas les éleveurs dans l’application française de la PAC.
L’agriculture doit conserver son rôle d’aménagement et de développement du territoire en tant qu’acteur intégré de l’activité économique au plan local. Ses externalités positives doivent être reconnues et valorisées.
Le budget pour 2016 ne renforce pas vraiment l’investissement dans le domaine de l’agriculture, ne met pas à disposition du monde agricole les instruments de sa progression ni les outils de sa survie.
S’il est vrai que les aides à l’installation sont maintenues, la part des crédits du ministère de l’agriculture tend à devenir insuffisante, ce qui n’en facilite pas la lisibilité et le contrôle. La réduction de 3, 5 % de la subvention de FranceAgriMer est regrettable.
Concernant le programme 149, nous constatons une légère baisse des crédits dédiés à la forêt, ce qui est en contradiction avec tous les rapports publiés depuis plusieurs années. Il faut en la matière un véritable réengagement de l’État et l’arrêt de la privatisation rampante de l’Office national des forêts, l’ONF, ainsi que des restructurations et des baisses d’effectifs qui s’ensuivent.
Or l’on constate une diminution de 7, 3 % des crédits dédiés à la gestion des forêts publiques. Le financement du régime forestier est régulièrement remis en cause, l’État cherchant à se désengager en faisant supporter les coûts par d’autres acteurs. Cette gestion financière issue des choix politiques nationaux a d’ores et déjà provoqué une perte de confiance entre l’État et les communes forestières. Alors même que l’ONF se livre à une véritable course de survie, ce service public est asphyxié financièrement et subit encore une fois une baisse significative de ses crédits.
Enfin, le Fonds stratégique de la forêt et du bois connaît un abondement insuffisant malgré le besoin d’investissements en forêt privée et en aval de la filière.
Monsieur le ministre, à l’heure de la COP 21, la France devrait montrer l’exemple en accordant à sa forêt les moyens qu’elle mérite. La forêt, dont le rôle protecteur contre le réchauffement climatique tout comme le potentiel économique sont établis, devra en effet s’adapter, dans les prochaines décennies, à une modification sans précédent de son environnement. Cette transition ne pourra se faire qu’avec le soutien des pouvoirs publics. Or nous n’en prenons pas encore le chemin.
Pour toutes ses raisons, et à regret, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
Pour conclure sur une bonne nouvelle, j’ai entendu dire que l’Éthiopie plantait de nouveau des millions d’arbres. Sauvons nos forêts, plantons des arbres et ce sera bon pour l’avenir !