Mon avis va peut-être surprendre. En première lecture, j’avais voté l’amendement, sur la recommandation de Mme Royal d’ailleurs ; aujourd'hui, j’ai changé d’avis et je vais vous expliquer pourquoi. Il n’y a que les sots qui ne changent pas d’avis !
Je suis donc défavorable à ces quatre amendements, car ils soulèvent des problèmes juridiques.
Comme Ronan Dantec, j’ai reçu des visiteurs qui m’ont expliqué leur point de vue. J’ai entendu leurs réflexions, pris en compte leurs inquiétudes et leurs suggestions. Mais je suis allé plus loin et j’ai examiné la question au regard des règles de l’Organisation mondiale du commerce : une telle taxation ne risque-t-elle pas de nous mettre en difficulté ?
Le GATT – ou Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce – interdit à ses membres d’appliquer un traitement différent aux produits importés par rapport aux produits nationaux similaires. En l’espèce, la taxe ne concernerait que des produits exclusivement importés ; elle pourrait être considérée comme une mesure de protection des produits similaires, comme l’huile d’olive française.
Une telle mesure est autorisée par l’OMC pour préserver « la santé, la vie des personnes et des animaux ou les végétaux » ou « des ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales ».
Toutefois, les conditions d’application de ces exceptions sont strictes : l’auteur doit montrer que la mesure ne constitue pas une discrimination arbitraire ou une restriction déguisée au commerce international ; il doit être démontré qu’elle vise à protéger des ressources naturelles épuisables ; il convient de prouver que la mesure est nécessaire pour atteindre l’objectif et qu’il n’existe pas de solutions alternatives disponibles, moins restrictives pour le commerce.
La taxe adoptée en première lecture pourrait dès lors apparaître comme une discrimination arbitraire au regard de l’objectif affiché de lutte contre la déforestation, d’autant que deux pays – l’Indonésie et la Malaisie – représentent près de 90 % de la production mondiale concernée.
Par ailleurs – l’incidence sur l’OMC n’est pas la seule question –, la présente taxe va à l’encontre de plusieurs engagements récents de la France. J’ai la faiblesse de penser que, quand la France s’engage, elle doit respecter sa parole ! En l’occurrence, la personne qui s’est engagée au nom de la France est l’actuel ministre des affaires étrangères, alors Premier ministre : lors d’un déplacement officiel en Malaisie, il s’était dit défavorable à une telle contribution additionnelle et cette position a été dûment prise en compte par les gouvernements des pays producteurs.
En outre, cette taxe entre en contradiction – excusez du peu ! – avec la déclaration d’Amsterdam sur le développement d’une filière durable de protection d’huile de palme, signée en 2015 par la France. Cette déclaration vise à soutenir l’engagement du secteur privé de s’approvisionner à 100 % en huile de palme durable en Europe d’ici à 2020. Elle a été signée par la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et le Danemark.
La présidence néerlandaise de l’Union européenne, qui a fait du développement durable l’un de ses axes prioritaires, a appelé la France à justifier cette disposition, qu’elle considère comme contraire aux engagements de la déclaration d’Amsterdam. Ni le Royaume-Uni ni l’Allemagne n’ont mis en place de taxe dissuasive sur l’huile de palme. Il est peu probable que cette taxe soit considérée comme nécessaire pour atteindre l’objectif de lutte contre la déforestation dans la mesure où d’autres mesures moins restrictives pour le commerce sont possibles, comme des mécanismes de certification.
J’ajoute que cette disposition a été intégrée sans étude d’impact préalable ; les gains environnementaux, sanitaires et financiers de cette taxation comportementale sont donc mal identifiés.
Compte tenu de ces difficultés diplomatiques, commerciales et juridiques, l’introduction d’une taxe spécifique aux huiles de palme, de palmiste et de coprah ne nous paraît pas souhaitable.
En ce qui concerne l’harmonisation plus globale et non discriminante des taxes sur les différentes huiles, je veux préciser deux choses. D’une part, une mission d’information sur la taxation des produits alimentaires, menée par nos collègues députés Véronique Louwagie et Razzy Hammadi, est en cours ; d’ailleurs ces deux députés n’ont pas voté pour la taxation de l’huile de palme parce qu’il leur semble cohérent d’attendre les conclusions de leur rapport avant de légiférer. D’autre part, les résultats de ces travaux devraient trouver leur traduction non pas dans une loi sur la préservation de la biodiversité, mais dans une loi de finances, puisqu’il s’agit de procéder au rééquilibrage de tout un ensemble fiscal.
J’ai donc réfléchi et travaillé pour étayer mon changement d’avis, motivé par l’ensemble de ces raisons. J’avais certes voté pour cette disposition en première lecture, j’étais assez enthousiaste à l’idée de lutter contre cette déforestation inquiétante, mais il ne faut pas exagérer les effets de cette culture. De plus, cela a été dit, d’ailleurs très loyalement, par Mme la secrétaire d’État, l’huile de palme a permis à de petits paysans de ces pays de sortir de l’extrême pauvreté dans laquelle ils vivaient et d’accéder à une vie « moins pire ».
Toutefois, ce ne sont pas ces raisons qui me guident aujourd’hui et peut-être faudra-t-il instaurer cette taxe un jour ; simplement, il n’est pas opportun de le faire sans avoir étudié davantage les risques encourus et l’harmonisation éventuelle des taxes sur les huiles, dans le cadre d’un processus législatif s’appuyant sur les conclusions d’un rapport et sur les réflexions du ministère des finances.