Intervention de Cyril Pellevat

Réunion du 17 mai 2016 à 14h30
Usage des drones civils — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi est indirectement la conséquence des premiers survols intentionnels de centrales nucléaires qui ont eu lieu à l’automne 2014. Mais nous pouvons nous réjouir de l’initiative de Xavier Pintat et Jacques Gautier, car ce texte vient en réalité apporter une réponse à un problème plus large, posé par l’expansion rapide des drones de loisir au cours des dernières années. On en dénombrait en effet entre 150 000 et 200 000 à la fin de 2015, situation qui soulève de nouveaux risques.

Le premier risque est le risque d’accident, en cas de collision avec d’autres aéronefs ou de chute du drone par exemple. Plusieurs incidents aériens impliquant des drones ont eu lieu sur des aéroports, provoquant des retards, voire des fermetures de plateformes aéroportuaires, à Paris-Charles-de-Gaulle, Heathrow ou Dubaï.

La Direction générale de l’aviation civile, la DGAC, nous a appris que, récemment, un sharklet avait été arraché par un drone aux États-Unis : il s’agit de la petite partie recourbée au bout de l’aile, que l’on retrouve sur certains modèles d’avions comme l’A320.

Autre exemple dramatique : un drone s’est écrasé en plein centre de Buenos Aires, le 15 août 2015, blessant grièvement deux passantes. La cause était un incident technique, puisque l’une des six hélices s’était brisée en vol.

Au-delà de ces quelques exemples, l’accidentologie liée aux drones reste faible, mais le moindre accident grave entraînera un arrêt complet du développement de la filière.

Le deuxième risque est celui de la captation indue d’informations, qu’il s’agisse de sites sensibles ou d’atteintes à la vie privée. S’agissant de ce dernier point, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, s’est saisie du sujet et propose de faire évoluer les textes relatifs à la vidéoprotection pour mieux prendre en compte la surveillance mobile.

Le troisième risque est celui de l’utilisation du drone comme une arme. Le 26 janvier 2015, un petit drone a survolé la Maison-Blanche à Washington, avant de s’y écraser. Au Japon, en avril 2015, un drone transportant un peu de sable radioactif s’est posé sur le toit de la résidence officielle du Premier ministre japonais à Tokyo. Ces exemples ont été sans grande conséquence, mais on dénombre de plus en plus d’attaques par drones civils en Syrie, en Irak ou au Haut-Karabagh.

Le quatrième risque est celui de l’utilisation du drone à d’autres fins délictuelles ou criminelles. Par exemple, le 29 juillet 2015, un drone a largué un paquet contenant de la drogue dans la cour d’une prison de l’État de l’Ohio.

Enfin, le cinquième risque est celui de l’utilisation de drones dans le cadre d’opérations démonstratives, revendiquées ou non, visant à décrédibiliser l’action de l’État. Le 15 septembre 2013, en Allemagne, un drone téléguidé a survolé la foule lors d’un rassemblement politique présidé par Angela Merkel, avant d’atterrir à quelques mètres de la Chancelière allemande. Le 14 octobre 2014, un match de football entre la Serbie et l’Albanie a été interrompu à la suite du survol du stade de Belgrade par un drone transportant un drapeau proalbanais.

Au final, la répétition des incidents montre qu’il est temps de prendre des mesures. Le caractère anxiogène de la situation, largement relayé par les médias, nécessite de mettre en place une régulation adaptée.

De fait, la France a d’ores et déjà acquis une véritable avance dans le domaine des drones civils, notamment grâce à la mise en œuvre depuis 2012 d’une réglementation pionnière et innovante qui encadre l’usage professionnel des drones, mais il n’en va pas de même pour l’usage de loisir.

Tout l’enjeu consiste à mettre en place cette nécessaire réglementation, sans freiner pour autant le développement d’un secteur économique dynamique, dans lequel plusieurs entreprises françaises sont leaders, comme Parrot, qui est le deuxième constructeur mondial de drones de loisir, derrière le chinois DJI.

Par conséquent, je souhaiterais attirer votre attention sur trois points qu’il convient de garder à l’esprit.

Le premier point concerne le besoin de souplesse. En raison de l’évolution rapide des technologies, il est nécessaire de laisser suffisamment de marges de manœuvre en procédant au maximum par voie réglementaire. Cette souplesse impose d’éviter de segmenter le loisir et le professionnel, qui tendent de plus en plus à se confondre. La plupart des professionnels sont par exemple sous statut d’auto-entrepreneur et utilisent également leur drone pour un usage amateur.

Cette souplesse impose également de ne pas figer de seuils dans la loi. Plusieurs niveaux font office de référence. En particulier, le seuil de 250 grammes, à partir duquel un drone est capable de voler en extérieur, a été retenu par les États-Unis et le Danemark. Le seuil de 1 kilogramme, qui correspond à la capacité d’emport d’un drone équipé d’une grenade légère, a été retenu par l’Agence européenne de la sécurité aérienne, l’AESA, pour distinguer les drones jouets des autres engins.

En tout état de cause, il semble raisonnable de renvoyer la fixation des divers seuils au niveau réglementaire.

Le deuxième point concerne la nécessité de ne pas se contenter de poser des règles, mais également d’éduquer tant les usagers que les forces de l’ordre. Des démarches de communication ont déjà été engagées sur ce point à l’aide d’infographies ou de vidéos YouTube rappelant, par exemple, les Dix commandements pour l’usage d’un drone de loisir.

En parallèle, un tutoriel en ligne permettra de couvrir 90 % des besoins, sans qu’il soit nécessaire de rentrer dans un long processus de formation pratique au télépilotage, dans la mesure où un drone est beaucoup plus facile à faire voler qu’un avion radiocommandé.

Le troisième point consiste à aborder cette réglementation comme une démarche préventive nécessaire, dans la mesure où les moyens de détection, d’identification et de neutralisation des drones malveillants sont limités.

Plusieurs solutions innovantes sont en phase d’expérimentation ou de déploiement. Elles vont des radars à courte portée aux lasers et ondes à forte puissance, en passant par l’optronique, le brouillage et le leurrage du signal radiocommandé ou du GPS. Certains pays, comme les Pays-Bas, expérimentent même le dressage de faucons pour chasser les drones.

Concernant les technologies de brouillage et de leurrage, la DGAC exprime très clairement des craintes quant à leur utilisation aux abords des aéroports, car elle peut perturber l’aviation civile, avec potentiellement de graves conséquences. Il convient donc de ne pas se limiter aux solutions de neutralisation en aval, qui comportent toutes des failles, et de bien mesurer l’importance d’une réglementation préventive en amont.

Au final, je salue cette proposition de loi, qui met en place une véritable stratégie de renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils reposant sur quatre piliers : l’information, la formation, l’enregistrement-immatriculation et le signalement.

À l’article 1er, qui définit le champ d’application de l’immatriculation des drones, la commission a ajouté un régime d’enregistrement en ligne, qui semble avoir été oublié par les auteurs de la proposition de loi, puisqu’il est bien mentionné dans l’exposé des motifs.

À l’article 2, qui vise à imposer une formation aux télépilotes, nous avons proposé une nouvelle définition du télépilote, qui prend en compte l’ensemble des cas de figure : drone piloté, drone automatique et drone autonome dont la trajectoire est programmée par l’intelligence humaine ou l’intelligence artificielle.

Nous avons également généralisé l’obligation de formation, qui pourra consister en un tutoriel sur internet, en lien avec la procédure d’enregistrement.

Enfin, nous avons prévu la possibilité d’exiger la détention d’un titre de télépilote pour certaines activités professionnelles opérées hors vue, par nature plus complexes.

À l’article 3, qui crée une obligation d’information de l’utilisateur par le biais d’une notice rappelant la réglementation et insérée dans l’emballage des drones ou de leurs pièces détachées, nous avons supprimé la référence aux seuls drones de loisir : les professionnels utilisent de façon croissante des drones grand public, comme les DJI Phantom 3 et 4, qui sont utilisés pour des prises de vues, tandis que des amateurs passionnés sont tentés par des drones très performants, dont le prix décroît rapidement.

Nous avons également supprimé le seuil de déclenchement fondé sur la masse du drone, qui n’apparaît pas pertinent.

À l’article 4, qui vise à rendre obligatoire un signalement électronique et lumineux des drones pour éviter tout risque de méprise entre drones coopératifs et drones hostiles, nous avons ajouté un dispositif de limitation de performances afin d’assurer la sécurité des vols habités, à la suite de plusieurs incidents récents au cours desquels des pilotes ont indiqué avoir croisé des drones au-dessus de 150 mètres d’altitude.

Nous avons également prévu un régime d’exemption pour certains usages, notamment expérimentaux, et conservé l’entrée en vigueur différée en 2018, pour permettre aux industriels de s’adapter.

Enfin, à l’article 5, qui met en place un dispositif de sanction, nous avons tenu, sur l’initiative de notre collègue Yves Pozzo di Borgo, à rappeler qu’un drone utilisé pour des atteintes à l’intimité de la vie privée peut être confisqué, car ces infractions sont de plus en plus nombreuses.

Il s’agit globalement d’un travail de réécriture du texte qui en conserve l’esprit, tout en veillant à entraver le moins possible le développement de cette filière prometteuse. Il ne reste qu’à espérer que ces mesures consensuelles puissent être rapidement adoptées par l’Assemblée nationale. La France aura tout à gagner à élaborer cette réglementation promptement, car elle pourra inspirer les réflexions en cours à l’échelon européen.

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