Intervention de Christine Erhel

Commission d'enquête Chiffres du chômage — Réunion du 11 mai 2016 à 14h35
Audition de Mme Christine Erhel maître de conférences en économie à l'université paris i

Christine Erhel, maître de conférences en économie à l'université Paris I :

Mon intervention consistera en un point de méthodologie sur la définition du chômage et sur les indicateurs permettant d'évaluer la situation du marché du travail. En France coexistent deux définitions du chômage. Tout d'abord celle établie par l'Insee sur la base de l'enquête Emploi réalisée chaque trimestre, conformément à des critères définis par le Bureau international du travail (BIT). Selon cette définition, est considérée comme chômeur toute personne en âge de travailler qui répond simultanément à trois conditions : être sans emploi, c'est à dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant une semaine de référence ; être disponible pour prendre un emploi dans les quinze jours ; avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

La seconde définition est celle de Pôle emploi. Elle repose sur les données administratives collectées dans le cadre du suivi des chômeurs et publiées chaque mois. Les demandeurs d'emploi sont classés en cinq catégories. La catégorie qui s'approche le plus de la définition du BIT est la catégorie A, qui regroupe les personnes sans emploi ayant fait des démarches de recherche d'emploi le mois précédent. Les autres catégories B, C D et E regroupent des personnes inscrites à Pôle emploi mais qui ont une activité réduite, sont en formation, malades ou qui ne cherchent pas d'emploi.

La définition internationale du BIT a été établie en 1982 et n'a pas varié depuis. Elle est utile pour suivre l'évolution du chômage dans le temps ou pour faire des comparaisons entre pays : tous les pays européens l'utilisent et l'enquête Labour force survey est réalisée sur cette base. Sa limite est d'être fondée sur un échantillon, ce qui rend difficile de désagréger les données à un niveau trop fin où la représentativité de l'échantillon n'est plus garantie - quartier ou petite ville par exemple. Malgré tout, les avantages l'emportent et les économistes se réfèrent à cette définition dans leurs travaux. Les chiffres fournis par Pôle emploi, eux, sont plus exhaustifs ; il est possible de les désagréger à un niveau très fin. L'inconvénient est qu'ils reposent sur des catégories propres à Pôle emploi, ce qui les rend difficiles à utiliser pour établir des comparaisons internationales, faute d'une harmonisation des critères entre pays. De plus ces critères varient dans le temps, ils sont très sensibles aux modalités de calcul et de gestion administratives ainsi qu'aux différentes politiques pour l'emploi : par exemple, à certaines périodes, on a dispensé les chômeurs de plus de 57 ans de toute recherche d'emploi, ce qui a modifié mécaniquement le nombre de chômeurs.

Il y a toujours un écart entre les chiffres donnés par le BIT et ceux de Pôle emploi. Ces écarts dépendent des politiques de l'emploi menées, des modalités de calcul, mais aussi des publics. Ainsi, fait bien connu, le chômage des jeunes de moins de 25 ans défini selon les critères du BIT est structurellement supérieur à celui calculé par Pôle emploi : les jeunes s'inscrivent moins à Pôle emploi car ils sont peu incités à faire cette démarche. Les politiques de l'emploi ont un effet sur le nombre des chômeurs : la suppression des dispositifs de dispense de recherche d'emploi en 2009 a provoqué une hausse du nombre des chômeurs recensés par Pôle emploi, ce qui a creusé l'écart avec le chiffre correspondant à la définition du BIT. De même, en 2009, l'obligation faite aux bénéficiaires du RSA, de s'inscrire à Pôle emploi, a entrainé une hausse du chômage calculé par Pôle emploi.

Le calcul du taux de chômage à partir du nombre de chômeurs dépend de la population retenue comme référence et des comportements d'activité. En France, le taux de chômage des jeunes s'établit, selon la définition du BIT, à près de 25 %, ce qui signifie que 25 % des jeunes actifs sont au chômage. Toutefois si l'on rapporte le nombre de chômeurs de 15 à 24 ans à l'ensemble de la population composant cette classe d'âge, le taux de chômage des jeunes s'établit à 9 %. Les comportements d'activité sont très différents selon les pays. En France, la majorité des jeunes poursuit des études et ne travaille pas pendant sa scolarité. A l'inverse, aux États-Unis, la participation des jeunes au marché de l'emploi est très forte. Pour les comparaisons, il convient donc de prendre en compte les taux d'activité. Ainsi, le taux de chômage des jeunes actifs est de 25 % en France et de 14,6 % au Royaume-Uni, mais la part des jeunes au chômage, rapportée à leur classe d'âge est de 9,1 % en France, de 8,5 % au Royaume-Uni. Les écarts changent ainsi très fortement selon les indicateurs. L'Allemagne est dans une situation remarquable, avec un chômage bas dans les deux cas, respectivement 7,2 % et 3,5 %.

Une autre notion, utilisée par l'Insee, Eurostat ou l'OCDE, est celle de « halo » autour du chômage. Celle-ci recouvre les personnes non comptabilisées comme actives au sens du BIT mais proches, néanmoins, du marché du travail. Il s'agit des personnes en recherche d'emploi mais non immédiatement disponibles, pour des raisons de santé ou familiales, par exemple -elles sont 287 000 en France au quatrième trimestre 2015, selon l'Insee. Il s'agit aussi des personnes disponibles pour travailler mais qui ne recherchent pas un travail activement (personnes découragées ou chômeurs de longue durée) au nombre de 673 000 en France-. Il s'agit enfin des personnes très éloignées du marché du travail, qui ne sont ni disponibles, ni à la recherche d'un emploi, au nombre de 448 000. Ce halo concerne ainsi 1,408 million de personnes en France. Il est calculé selon des méthodes identiques dans tous les pays européens, ce qui permet des comparaisons entre pays par Eurostat.

Enfin, le dernier indicateur à prendre en compte est le sous-emploi qui concerne les personnes qui travaillent mais souhaiteraient travailler davantage. Il s'agit des personnes en temps partiel involontaire. Celles-ci peuvent parfois être inscrites à Pôle emploi si elles recherchent un autre emploi. Dans cette catégorie on range aussi les personnes en chômage technique ou partiel. Le sous-emploi concerne 1,696 million de personnes en France, dont 1,2 million de femmes.

Les définitions du BIT et de Pôle emploi ne relèvent pas des mêmes logiques. Pour avoir une bonne vision de l'état du marché du travail, il faut croiser plusieurs indicateurs. Le système d'information statistique s'est amélioré ces dernières années avec un effort d'harmonisation des indicateurs entre pays.

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