Nous commençons notre cycle d'auditions en recevant Mme Christine Erhel, maître de conférences en économie à l'université Paris I.
Quelles sont les différentes méthodes utilisées pour mesurer le chômage en France, dans le cadre de l'enquête Emploi réalisée chaque trimestre par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et des statistiques mensuelles du nombre de demandeurs d'emploi en fin de mois, établies par Pôle emploi et la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ? Nous souhaiterions connaître votre avis sur leur pertinence, leur degré de fiabilité et leurs limites. Un éclairage sur les méthodes employées pour l'établissement de ces statistiques par nos voisins européens serait également utile.
Cette audition est ouverte à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Christine Erhel prête serment.
Mon intervention consistera en un point de méthodologie sur la définition du chômage et sur les indicateurs permettant d'évaluer la situation du marché du travail. En France coexistent deux définitions du chômage. Tout d'abord celle établie par l'Insee sur la base de l'enquête Emploi réalisée chaque trimestre, conformément à des critères définis par le Bureau international du travail (BIT). Selon cette définition, est considérée comme chômeur toute personne en âge de travailler qui répond simultanément à trois conditions : être sans emploi, c'est à dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant une semaine de référence ; être disponible pour prendre un emploi dans les quinze jours ; avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.
La seconde définition est celle de Pôle emploi. Elle repose sur les données administratives collectées dans le cadre du suivi des chômeurs et publiées chaque mois. Les demandeurs d'emploi sont classés en cinq catégories. La catégorie qui s'approche le plus de la définition du BIT est la catégorie A, qui regroupe les personnes sans emploi ayant fait des démarches de recherche d'emploi le mois précédent. Les autres catégories B, C D et E regroupent des personnes inscrites à Pôle emploi mais qui ont une activité réduite, sont en formation, malades ou qui ne cherchent pas d'emploi.
La définition internationale du BIT a été établie en 1982 et n'a pas varié depuis. Elle est utile pour suivre l'évolution du chômage dans le temps ou pour faire des comparaisons entre pays : tous les pays européens l'utilisent et l'enquête Labour force survey est réalisée sur cette base. Sa limite est d'être fondée sur un échantillon, ce qui rend difficile de désagréger les données à un niveau trop fin où la représentativité de l'échantillon n'est plus garantie - quartier ou petite ville par exemple. Malgré tout, les avantages l'emportent et les économistes se réfèrent à cette définition dans leurs travaux. Les chiffres fournis par Pôle emploi, eux, sont plus exhaustifs ; il est possible de les désagréger à un niveau très fin. L'inconvénient est qu'ils reposent sur des catégories propres à Pôle emploi, ce qui les rend difficiles à utiliser pour établir des comparaisons internationales, faute d'une harmonisation des critères entre pays. De plus ces critères varient dans le temps, ils sont très sensibles aux modalités de calcul et de gestion administratives ainsi qu'aux différentes politiques pour l'emploi : par exemple, à certaines périodes, on a dispensé les chômeurs de plus de 57 ans de toute recherche d'emploi, ce qui a modifié mécaniquement le nombre de chômeurs.
Il y a toujours un écart entre les chiffres donnés par le BIT et ceux de Pôle emploi. Ces écarts dépendent des politiques de l'emploi menées, des modalités de calcul, mais aussi des publics. Ainsi, fait bien connu, le chômage des jeunes de moins de 25 ans défini selon les critères du BIT est structurellement supérieur à celui calculé par Pôle emploi : les jeunes s'inscrivent moins à Pôle emploi car ils sont peu incités à faire cette démarche. Les politiques de l'emploi ont un effet sur le nombre des chômeurs : la suppression des dispositifs de dispense de recherche d'emploi en 2009 a provoqué une hausse du nombre des chômeurs recensés par Pôle emploi, ce qui a creusé l'écart avec le chiffre correspondant à la définition du BIT. De même, en 2009, l'obligation faite aux bénéficiaires du RSA, de s'inscrire à Pôle emploi, a entrainé une hausse du chômage calculé par Pôle emploi.
Le calcul du taux de chômage à partir du nombre de chômeurs dépend de la population retenue comme référence et des comportements d'activité. En France, le taux de chômage des jeunes s'établit, selon la définition du BIT, à près de 25 %, ce qui signifie que 25 % des jeunes actifs sont au chômage. Toutefois si l'on rapporte le nombre de chômeurs de 15 à 24 ans à l'ensemble de la population composant cette classe d'âge, le taux de chômage des jeunes s'établit à 9 %. Les comportements d'activité sont très différents selon les pays. En France, la majorité des jeunes poursuit des études et ne travaille pas pendant sa scolarité. A l'inverse, aux États-Unis, la participation des jeunes au marché de l'emploi est très forte. Pour les comparaisons, il convient donc de prendre en compte les taux d'activité. Ainsi, le taux de chômage des jeunes actifs est de 25 % en France et de 14,6 % au Royaume-Uni, mais la part des jeunes au chômage, rapportée à leur classe d'âge est de 9,1 % en France, de 8,5 % au Royaume-Uni. Les écarts changent ainsi très fortement selon les indicateurs. L'Allemagne est dans une situation remarquable, avec un chômage bas dans les deux cas, respectivement 7,2 % et 3,5 %.
Une autre notion, utilisée par l'Insee, Eurostat ou l'OCDE, est celle de « halo » autour du chômage. Celle-ci recouvre les personnes non comptabilisées comme actives au sens du BIT mais proches, néanmoins, du marché du travail. Il s'agit des personnes en recherche d'emploi mais non immédiatement disponibles, pour des raisons de santé ou familiales, par exemple -elles sont 287 000 en France au quatrième trimestre 2015, selon l'Insee. Il s'agit aussi des personnes disponibles pour travailler mais qui ne recherchent pas un travail activement (personnes découragées ou chômeurs de longue durée) au nombre de 673 000 en France-. Il s'agit enfin des personnes très éloignées du marché du travail, qui ne sont ni disponibles, ni à la recherche d'un emploi, au nombre de 448 000. Ce halo concerne ainsi 1,408 million de personnes en France. Il est calculé selon des méthodes identiques dans tous les pays européens, ce qui permet des comparaisons entre pays par Eurostat.
Enfin, le dernier indicateur à prendre en compte est le sous-emploi qui concerne les personnes qui travaillent mais souhaiteraient travailler davantage. Il s'agit des personnes en temps partiel involontaire. Celles-ci peuvent parfois être inscrites à Pôle emploi si elles recherchent un autre emploi. Dans cette catégorie on range aussi les personnes en chômage technique ou partiel. Le sous-emploi concerne 1,696 million de personnes en France, dont 1,2 million de femmes.
Les définitions du BIT et de Pôle emploi ne relèvent pas des mêmes logiques. Pour avoir une bonne vision de l'état du marché du travail, il faut croiser plusieurs indicateurs. Le système d'information statistique s'est amélioré ces dernières années avec un effort d'harmonisation des indicateurs entre pays.
Merci pour toutes ces précisions. Depuis quand utilise-t-on en France un double système : l'enquête Emploi de l'Insee et les statistiques établies par Pôle emploi ? Pourquoi avoir fait ce choix alors que la définition du BIT existait déjà ? Est-ce une spécificité française ?
Pouvez-vous nous donner des précisions sur le panel du BIT ? Enfin, on a constaté des bugs dans le passé avec les chiffres de Pôle emploi. Les chiffres de l'Insee sont-ils plus fiables ?
Je ne sais pas de quand datent les définitions que l'on utilise en France. La définition du BIT a été élaborée en 1982 et s'est généralisée. Tous les pays collectent des données administratives sur le chômage : celles-ci proviennent du suivi des chômeurs et sont publiées parallèlement aux chiffres élaborés selon la définition du BIT, que les pays européens ont l'obligation de fournir.
L'enquête Emploi se base sur un échantillon de 67 000 ménages qui sont interrogés chaque trimestre pendant 18 mois, de telle sorte que le panel soit continûment renouvelé. Cette méthode correspond aux standards en la matière. Il n'y a pas de doute sur sa fiabilité. On peut juste regretter l'impossibilité de procéder à des études à un niveau trop fin, mais l'Insee ne publie pas des enquêtes en-dessous d'un certain seuil. En 2003, l'enquête Emploi, qui était annuelle, est devenue continue, tous les trimestres. Cela a entraîné un choc provisoire, l'Insee a dû adapter ses méthodes. Les choses sont désormais réglées. Les bugs dans les chiffres de Pôle emploi sont dus à l'utilisation de données administratives, dépendantes, par nature, de critères fixés par l'administration, de leur révision, ou de problèmes techniques à l'occasion de l'actualisation des situations personnelles par les demandeurs d'emploi, comme cela s'est produit récemment. Les bugs concernent les données administratives, non les enquêtes statistiques établies selon une méthode éprouvée et stable.
S'il fallait n'en choisir qu'un, le meilleur indicateur serait celui du BIT...
Le sens que l'on peut donner à des variations mensuelles, en effet, est très limité. Trois mois, c'est un minimum pour déceler une tendance. Les économistes utilisent toujours la définition du BIT pour faire des comparaisons ou établir des séries longues. Il est facile ensuite de l'enrichir en reprenant les données fournies par Pôle emploi pour définir le halo autour du chômage ou le sous-emploi.
Existe-t-il des moyens de manipuler les chiffres du chômage ? On voit bien que la tentation pourrait être grande pour les gouvernements, quels qu'ils soient. Les dispenses d'inscription à Pôle emploi ont fait sortir des chômeurs des statistiques. Un gouvernement vicieux peut-il dissuader les chômeurs de s'inscrire pour faire baisser les chiffres ? À votre connaissance, de telles manipulations ont-elles eu lieu dans le passé ?
Comment sont répertoriés les travailleurs handicapés au chômage ? En outre, au sein du Comité d'orientation des retraites (COR), dont je suis membre, j'ai constaté la difficulté de distinguer, à l'approche de l'âge de la retraite, les personnes inactives, celles en activité réduite, celles au chômage, etc. Avez-vous travaillé sur cette question ?
Qui procède à la répartition des demandeurs d'emploi entre les différentes catégories ? Par exemple, pourquoi les chômeurs de longue durée découragés sont-ils comptabilisés au sein du halo autour de chômage et non comme chômeurs ? Comment est défini ce halo ?
Un document du Conseil d'orientation pour l'emploi qui nous a été transmis énumère les taux de chômage dans différents pays. Sur quelle base sont-ils établis ?
Ils se réfèrent au chômage au sens du BIT.
Une question sur les bénéficiaires du RSA : il me semble qu'il leur est simplement conseillé de s'inscrire à Pôle emploi mais que cela n'est pas obligatoire.
Comment sont prises en compte les ruptures conventionnelles ? L'instauration d'un contrat unique dans certains pays a-t-elle réduit le chômage ? La multiplication des contrats précaires est une marque de précarité.
Je n'ai pas connaissance de politique ayant visé à dissuader les chômeurs de s'inscrire au chômage. En France, on incite plutôt les gens à s'inscrire à Pôle emploi. Le régime d'assurance chômage est plutôt avantageux, l'incitation financière est sensible. De même, les bénéficiaires du RSA, aptes à l'emploi, sont fortement incités à s'inscrire à Pôle emploi, sauf recommandation contraire des services sociaux. Il est vrai toutefois que de multiples facteurs influent sur les comportements. Ainsi, les jeunes s'inscrivent peu à Pôle emploi parce qu'ils ne sont pas ou mal indemnisés, parce qu'ils estiment pouvoir trouver un emploi par eux-mêmes ou parce qu'ils considèrent que c'est stigmatisant. Le chômage, calculé selon la méthode du BIT, n'est, en tout cas, pas influencé par les changements de règles administratives : ainsi, depuis 2009, l'écart entre le chômage selon Pôle emploi et selon la définition du BIT s'est creusé à cause de la suppression de la dispense de recherche d'emploi et de l'incitation pour les bénéficiaires du RSA à s'inscrire. Avoir deux indicateurs permet de mieux comprendre les évolutions. C'est une richesse et non, me semble-t-il, une source de manipulation.
Il est vrai aussi que les pays peuvent gérer différemment l'absence d'emploi. Ainsi, si le chômage est plus faible aux États-Unis, l'inactivité y est beaucoup plus forte. Pour les 25-54 ans, le taux d'emploi est plus élevé en France alors que le taux de chômage est aussi plus élevé : beaucoup de personnes inactives ne sont pas incitées à rentrer sur le marché du travail et à s'inscrire au chômage outre-Atlantique car les aides à la recherche d'emploi et les allocations chômage sont faibles. En France, on préfère maintenir les gens proches du marché du travail et éviter qu'ils ne basculent dans l'inactivité.
Les personnes handicapées ne font pas l'objet d'un traitement statistique à part.
Le halo autour du chômage est une notion reconnue internationalement, établie à partir de la définition du BIT : elle regroupe tous ceux qui ne satisfont pas à l'un des trois critères.
Oui.
1,4 million de personnes sont concernées. Où figurent-elles dans les chiffres de Pôle emploi ?
Certaines peuvent être inscrites dans d'autres catégories que la catégorie A ; elles peuvent être en formation, inactives, etc. Une analyse au cas par cas est nécessaire.
Non.
Cette notion s'applique aussi à beaucoup de personnes proches de la retraite, qu'il est parfois difficile de ranger dans une catégorie.
En effet. Les périodes où il est difficile de distinguer entre l'activité et la non-activité sont le début et la fin de carrière.
Il n'y a pas de lien direct entre le régime des contrats de travail et le niveau du chômage. Il y a toujours une rotation sur le marché du travail. Ainsi, au Royaume-Uni, où n'existe qu'un seul contrat de travail très flexible, on enregistre des destructions régulières d'emplois. Il existe toujours un chômage lié à l'attente entre deux postes. La rupture conventionnelle a eu des conséquences importantes mais son effet est difficile à évaluer car elle se substitue à d'autres formes de ruptures, comme la démission.
Si je comprends bien, tous les chiffres sont bons mais ce ne sont pas les mêmes !
C'est cela !
Nous accueillons à présent M. Dominique Bureau, président de l'Autorité de la statistique publique (ASP). Cette instance, qui s'assure de l'indépendance, de la qualité et de la fiabilité des statistiques publiques, a labellisé les statistiques mensuelles de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi, s'appuyant sur un rapport de l'inspection générale des finances (IGF), de l'Insee et de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) d'avril 2014, tout en assortissant sa décision de six recommandations. Pourriez-vous nous rappeler les raisons ayant conduit à cette labellisation ainsi que le cadre, notamment européen, dans lequel elle s'inscrit ? Comment vos recommandations ont-elles été mises en oeuvre, deux ans après la remise du rapport ? Quelles sont les pistes d'amélioration envisageables ?
Cette audition, ouverte à la presse, sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Dominique Bureau prête serment.
La labellisation des statistiques des demandeurs d'emploi en fin de mois (DEFM) en 2014 a été réalisée par l'ancien collège de l'ASP, présidée par mon prédécesseur, M. Paul Champsaur. L'ASP, instituée en 2009, est une autorité indépendante de l'Insee et du système de la statistique publique. Son collège regroupe neuf membres : le président, nommé par le Président de la République ; un membre nommé par le ministre de l'économie ; trois membres nommés respectivement par l'Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental ; quatre membres nommés par le Conseil d'État, la Cour des comptes, l'IGF et l'Igas. Nous assurons la bonne application des principes d'objectivité, d'impartialité, de pertinence et de qualité des données statistiques, en conformité avec les exigences européennes. Nous donnons un avis consultatif au ministre de l'économie - qui nous a toujours suivis - sur la liste des services statistiques ministériels (SSM).
Le code des bonnes pratiques de la statistique européenne, très structuré, rassemble quinze blocs de principes se subdivisant en cinq à neuf sous-principes ; par exemple, « l'indépendance des instituts nationaux de statistique et d'Eurostat à l'égard des interventions politiques et autres interférences externes dans le développement, la production et la diffusion des statistiques est inscrite dans la législation et garantie pour les autres autorités statistiques ». Ces principes sont regroupés autour de trois axes : l'environnement institutionnel, les procédures et les résultats statistiques.
Une loi de 2008, rénovant celle de 1951, a élargi la notion de statistiques afin d'améliorer la qualité statistique, de diversifier les sources et d'alléger la charge de travail en s'appuyant autant que possible sur des statistiques administratives. Les statistiques rassemblent désormais la production des SSM et l'ensemble des exploitations des données administratives à des fins d'information générale, en dehors des services de statistique publique - Insee et SSM - dans le cadre de missions de service public, comme pour Pôle emploi. L'ASP s'assure que ces services produisent des données de même qualité et selon les mêmes standards, que ce soit dans les services de statistique publique ou les péri-services. Même s'ils font le même travail, ces derniers ne sont pas organisés comme les SSM.
La labellisation s'applique à la production de données dans le cadre des enquêtes prévues par le Conseil national de l'information statistique (Cnis), réalisées par les services ministériels. Par son accréditation, l'ASP vérifie que ceux-ci sont organisés pour produire des statistiques fiables. En dehors du cadre habituel de la statistique publique, l'ASP labellise en vertu du code des bonnes pratiques. L'ASP a ainsi labellisé les données DEFM de Pôle emploi et celles des notaires sur les prix immobiliers. Alors que la labellisation porte habituellement sur la procédure des enquêtes et non sur les organismes, l'ASP examine, pour le péri-SSM, tant le fonctionnement de la structure que les contraintes plus spécifiques qui pèsent sur elle.
C'est pourquoi en 2012, alors que les données statistiques mensuelles des DEFM tenaient une place importante dans le débat public, il a été décidé qu'elles devaient atteindre le meilleur niveau statistique public, et donc être labellisées. Ces statistiques sont coproduites - sans aucune sous-traitance - par Pôle emploi et la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui élabore les règles purement statistiques pour la correction des variables saisonnières, la remontée des fichiers étant gérée par Pôle emploi. Nous devions faire de cette labellisation un exemple d'excellence, conforme au code des bonnes pratiques. Après un travail préalable de 2012 à 2014, la labellisation fut accordée en 2014, sur la base des travaux du comité du label - instance de travail technique interne à l'Insee - et d'un rapport spécifique des inspections générales de l'Insee, des finances et des affaires sociales : globalement, les conditions de production des statistiques et la méthode étaient conformes au code des bonnes pratiques de la statistique européenne.
Cette labellisation a été assortie de six recommandations : publier sur une base annuelle des séries en droits constatés, c'est-à-dire avec recul ; publier systématiquement des séries rétropolées, tenant compte des changements de procédure et des incidents comme le bug SFR ; ajouter à la publication des DEFM un commentaire, ou plutôt une présentation, privilégiant la tendance des derniers mois, une publication mensuelle ne devant comporter que des chiffres pour être la plus neutre possible ; attirer l'attention du lecteur sur la faible signification de la variation d'un mois sur l'autre en-dessous d'un certain seuil ; publier des indicateurs évaluant la variabilité statistique des DEFM en stocks et en flux ; prévenir certaines situations de crise et prévoir une procédure de gestion de crise. Une clause de revoyure était prévue : la Dares et Pôle emploi ont été auditionnés, deux ans après la labellisation, le 23 mars 2016, sur la mise en oeuvre de ces recommandations, dans le contexte que l'on sait. Notre rapport annuel, transmis aux présidents des deux assemblées, a été marqué, l'année dernière, par la revue par les pairs au niveau d'Eurostat. Ce regard extérieur sur l'ensemble du système statistique français a proposé de renforcer certaines exigences en lien avec le futur règlement européen. Ainsi, la labellisation a été examinée au regard des demandes de 2014 et des progrès à anticiper, dans une démarche prospective.
Quelles ont été les réalisations depuis 2014 ? Publier des séries avec recul est la première recommandation. Les phénomènes d'enregistrement ou de radiation posent parfois problème dans les séries : certains se réinscrivent trois jours après la clôture de l'exercice du mois. Il faudrait neutraliser cette volatilité. Au-delà de six mois de recul, les services statistiques, disposant de toute l'information pour élaborer une série satisfaisante, la publient dans le fichier historique statistique.
Par des séries rétropolées, « les erreurs découvertes dans des statistiques déjà publiées sont corrigées dans les meilleurs délais et le public en est informé ». La tentation de minimiser l'importance des petites erreurs peut être forte. Nous exigeons l'application stricte de cet indicateur 6.3 du code des bonnes pratiques. Sur Internet, le public a accès aux documents méthodologiques, à l'information sur les incidents, à leur chiffrage. Selon la fréquence de l'élément atypique et ses enjeux, son traitement diffère, en particulier en matière d'information du public. La transparence garantit la confiance du public dans les séries statistiques.
Les recommandations 3, 4 et 5 sur la publication rappellent que ces séries mensuelles ont, intrinsèquement, une forte volatilité ; la réalité économique est beaucoup plus fluctuante qu'on ne l'imagine, comme en témoigne l'indice de la production industrielle (IPI). Le processus de collecte lui-même peut créer de la volatilité. La Dares et Pôle emploi ont tenté de mesurer cette incertitude. Parfois, une hausse se compense sur le mois suivant. Les modalités de communication au public ont été réformées à la suite du rapport Freyssinet, réalisé sous l'égide du Cnis. Des indicateurs sont régulièrement publiés sur le site pour évaluer la variabilité statistique des DEFM en stock et en flux.
Pour une cartographie et une analyse préventive des risques et des processus de production, la Dares et Pôle emploi ont mis en place des instruments de gestion de crise et réfléchi sur les différentes typologies de risques : remontée des données opérationnelles, risques dans la constitution des fichiers statistiques, traitement informatique des statistiques, protection et confidentialité des données. Ces différents aspects nous ont été présentés le 23 mars et les publications ont été refondues en janvier. Il est important que le système statistique présente son action au public.
Il n'y a pas lieu de remettre en cause la labellisation de l'enquête DEFM. Les demandes faites en 2014 ont été satisfaites. Compte tenu de l'importance politique de ces statistiques, nous avons demandé que la Dares et Pôle emploi poursuivent leurs travaux pour mieux présenter leurs résultats, en tendance. Ils produisent actuellement des avertissements à géométrie variable en fonction des résultats. Ce n'est pas la bonne méthode, ces avertissements doivent être pérennes. Ces informations doivent figurer dans la conception même du document et non comme un simple avertissement. L'ASP demande des cliquets irréversibles, et ces modifications seront faites dans les prochains mois.
Pour une meilleure compréhension, le chiffre labellisé doit être mieux raccordé à d'autres chiffres, et notamment à ceux de l'enquête Emploi de l'Insee, fondée sur les critères du BIT. Nous avons demandé que les écarts entre les chiffres Insee et les données administratives soient expliqués : la diversité des sources ne doit pas être un facteur d'incertitude mais de complémentarité. À la suite de la revue par les pairs, nous leur avons demandé plus de traçabilité, de démarche qualité et d'anticipation, pour plus de transparence. Si on change la manière dont les gens s'enregistrent sur Internet, il faut anticiper et chiffrer ex ante la modification. Ex post, les changements concernent soit la technique statistique, soit le processus d'enregistrement, soit la réalité du fonctionnement du marché du travail. Évitons toute suspicion entachant la crédibilité des chiffres. Cela suppose d'anticiper sur les impacts des changements de procédure, pour savoir si l'élément atypique est dû au mauvais fonctionnement du thermomètre ou à un changement du marché du travail. Donnons le maximum d'information sur les chiffres de l'enquête trimestrielle de l'Insee et les statistiques administratives de Pôle emploi. Dans un an, la clause de revoyure concernera la Dares, Pôle emploi mais aussi l'Insee pour examiner la manière dont le système statistique fournit de l'information pertinente sur le chômage.
C'est sur l'ASP que repose le crédit des statistiques publiques. De quels moyens disposez-vous ? Pouvez-vous nous expliquer exactement ce que fut le bug SFR ? Avez-vous les moyens de réaliser des audits lorsqu'un tel événement se produit ou vous contentez-vous d'envoyer un questionnaire ?
Le Gouvernement peut être tenté de modifier les règles de calcul des chiffres de l'emploi, afin d'arranger un peu leur présentation. Êtes-vous consultés a priori ou formulez-vous a posteriori des recommandations pour relier les nouveaux chiffres aux anciens ?
Je préside l'ASP depuis moins d'un an, mon expérience est donc assez courte. Autorité indépendante, nous avons accès, si besoin, aux services des différentes inspections, qui peuvent être sous notre contrôle si nous le demandons.
Le bug SFR, qui a eu lieu en août 2013, est au coeur du rapport des trois inspections, qui a préparé la labellisation des statistiques des DEFM, qui recommande notamment la création de cellules de crise. Le collège des neuf membres de l'ASP délibère sur la base d'auditions, dans une logique juridictionnelle, à l'instar d'autres autorités indépendantes. Nos propres services d'instruction sont limités à un cadre A de l'Insee. Nos capacités directes sont faibles mais nous pouvons mobiliser des corps existants. Il existe une inspection générale à l'Insee.
Nous sommes souvent écoutés. Ainsi, notre demande de supprimer le statut de SSM au bureau des statistiques de la pêche et de l'aquaculture, qui n'atteignait pas la masse critique, a été suivie d'effet. Nous avions déploré les ruptures d'embargo dans la publication des chiffres d'activité économique via les enquêtes trimestrielles de l'Insee. Dans la statistique publique, chacun doit avoir accès aux informations en même temps. Bien sûr, le ministre de l'économie sait avec quelques heures d'avance quelle sera l'évolution de l'IPI ou du PIB, pour pouvoir répondre aux questions des journalistes et préparer sa communication. C'est une tradition française admise par tous, et non choquante, si elle suit des règles claires. Mais il n'est pas question que ces chiffres alimentent les spéculations ; la statistique doit informer. Ainsi, nous avons supprimé l'accès personnel à ces chiffres au cabinet du Président de la République. Cela évite d'en parler lors des dîners en ville ! À chaque recommandation, nous avons été suivis.
Comme autorité indépendante, nous avons des méthodes de contrôle spécifiques, fondées sur la confrontation, et différentes de celles des inspections générales. Nos sujets sont plus ou moins importants. Nos moyens sont limités mais proportionnés à notre mission, afin qu'elle soit réalisée en toute indépendance. Nous sommes sollicités en cas de problème dans un service : établir un chiffre en toute indépendance, comme dans le cas du bug SFR, était au coeur des préoccupations du rapport des trois inspections. Ce n'est pas une remontée à l'aveugle ! Il faut s'assurer que le chiffre soit pertinent.
Les différentes catégories de demandeurs d'emploi ont changé en 2009 et ont été incluses dans la labellisation. En cas de changement sur une série que nous avions validée, nous devrions redonner un avis, de même que le comité du label sur une autre série. Peut-on jouer d'une catégorie sur l'autre ? Le mensonge serait compliqué à prolonger plus d'un mois. Je n'ai eu aucune remontée de tricherie. En mai 2015, un problème sur le processus de rappel avait été constaté : en raison des nombreux ponts, le taux de réinscription était particulièrement bas. Un rappel supplémentaire a abouti à l'excès inverse, à savoir un taux anormalement haut de réinscription. Les services nous ont immédiatement informés. Le rappel supplémentaire a été un choix discrétionnaire - heureux ou malheureux - mais pas une volonté de tricher dans un sens ou dans l'autre. Il faut donc limiter la part discrétionnaire pour anticiper au maximum les changements. En général, les séries longues les neutralisent. L'examen par les pairs n'a pas révélé de défaillance ; le système français est plutôt en avance.
Le fonctionnement du marché du travail est intrinsèquement compliqué. Longtemps, on a considéré qu'on pouvait établir un bon chiffre du chômage, à partir de l'enquête Insee trimestrielle et de l'enquête DEFM mensuelle qui, recalées, donnaient un chiffre mensuel. Mais la première établit comment les sondés se situent sur le marché de l'emploi, tandis que la seconde ne mesure que les réinscriptions à Pôle emploi. Comment définir une personne sans emploi ? Que signifie chercher un emploi ? Je me suis intéressé au sujet lorsque j'étais chef du bureau de la politique économique à Bercy entre 1986 et 1988 et dans le cadre des rapports Malinvaud et Bourguignon à la fin des années 1990. Désormais, la vision repose sur plusieurs chiffres, obtenus par des mesures différentes.
Lequel des deux chiffres garder ? Les Français, en général, ne retiennent que celui de Pôle emploi... Faudrait-il lui préférer celui du BIT ou en inventer un troisième ?
Nous demandons aux statisticiens de formuler les chiffres les plus pertinents, dans une méthode conforme au code des bonnes pratiques. Le marché du travail est compliqué. Il est normal de disposer d'une nomenclature avec différentes catégories de chômeurs. Certes, on privilégiera souvent les chômeurs de catégorie A, les plus pertinents pour le débat public français. Les chiffres de l'enquête Insee ont d'autres vertus. On n'élabore pas un bon diagnostic avec un seul chiffre. Tout dépend des questions que l'on pose. La statistique ne dira pas quel est le bon chiffre à utiliser. Distinguons l'information, le diagnostic et l'évaluation des politiques : on ne peut télescoper ces trois étapes, sauf à produire de la confusion. Un rappel supplémentaire ne changera pas fondamentalement le diagnostic. On ne peut faire dire aux statistiques ce qu'elles ne peuvent pas dire.
En 2007 et 2008, les rapports Durieux et de Foucauld ont abouti aux changements de nomenclature et à l'arrêt du calage qu'essayait de faire un seul chiffre à partir des deux séries. Pour l'activité économique, nous disposons de l'IPI et des enquêtes auprès des entreprises. Ces différents chiffres sont utiles, notre rôle est de nous assurer que le système statistique public peut les fournir. En 2014, nous avons choisi de ne labelliser que la série des DEFM au niveau national. Nous avons demandé un approfondissement du travail sur de possibles séries régionales et un meilleur suivi du devenir des chômeurs, à l'instar des cohortes établies dans d'autres séries statistiques. Nous voulons qu'à partir des données mobilisables, administratives ou de l'enquête Insee, nous puissions fournir au public tous les éléments pour qu'il puisse faire son propre diagnostic. En tant qu'économiste, je pense qu'un seul chiffre n'est pas pertinent, sauf à biaiser le débat public. En cas de suspicion, l'avertissement sur la qualité des chiffres est d'autant plus important que le chiffre est bon. La confiance doit régner.
Le « taux de chômage » est un mauvais terme au regard du BIT : on devrait dire le « taux de demandeurs d'emploi ». L'oratrice précédente m'a convaincu que le seul chiffre intéressant, non soumis à volatilité, était celui sur trois mois. Un taux de demandeurs d'emplois à trois mois serait-il plus fiable, sur la même durée que le chiffre du BIT ?
Les statistiques du BIT permettent des comparaisons entre différents pays. Existe-t-il une autorité indépendante semblable dans d'autres pays ?
Dans une des recommandations qui seront publiées au Journal officiel cette semaine, nous réitérons notre demande de 2014, issue du rapport des trois inspections, de privilégier les tendances dans les commentaires. La nouvelle forme des publications de janvier ne l'avait pas intégré, nous l'avons signalé à la Dares et à Pôle emploi. Le yo-yo des avertissements nous a confortés. Certes, en tant que statisticien, il faut concilier l'appropriation des chiffres par tous et la neutralité par la publication, autant que possible, de chiffres bruts. Ne publier qu'un chiffre tous les trois mois nous ferait perdre de l'information, et augmenterait la suspicion. Maintenons des chiffres mensuels comme l'IPI mais ne polarisons pas le débat, dans leur présentation, à des écarts mensuels. Il faut lisser les séries brutes en dents de scie. L'idéal serait de donner des chiffres mensuels accompagnés d'un taux de croissance sur trois mois, afin d'avoir une série s'approchant de la tendance calculée historiquement. La Dares et Pôle emploi ont testé des indicateurs glissants sur trois mois, qui sont plus compliqués à comprendre. Nous avions aussi envisagé de donner les points de retournement statistique des données de DEFM, solution trop ciblée : cela relèverait déjà du diagnostic et non de la production de statistique brute, et outrepasserait le rôle des services statistiques.
Lors de son audition, Mme Christine Erhel a distingué les statistiques du BIT de la production de statistiques nationales. Est-ce un modèle français d'avoir une ASP indépendante ou existe-t-il des autorités similaires dans d'autres pays ? Les comparaisons entre pays permettent d'analyser les politiques de l'emploi et leurs conséquences.
Oui. Ces pratiques sont énoncées dans des termes neutres par rapport aux problèmes organisationnels, mais s'appliquent à l'ensemble du territoire européen. Les moyens d'organiser l'indépendance ne sont pas explicites. Les systèmes statistiques sont plus ou moins intégrés à l'administration. Eurostat, organisme européen indépendant, collecte les données au niveau européen. L'Insee lui transmet les données françaises dans un format harmonisé pour qu'Eurostat puisse faire des comparaisons entre pays. La définition retenue par le BIT est minimale. Elle a l'avantage de permettre les comparaisons internationales, même si elle n'est sans doute pas suffisante pour appréhender l'état réel du marché du travail. L'Insee s'efforce de produire des données et de mener des travaux comparatifs. Toutefois il est vrai que nous utilisons peu les comparaisons internationales. C'est pourquoi le Cnis organise le 26 mai un colloque sur la portée et les limites des comparaisons internationales en matière statistique.
Le panel de l'enquête Emploi de l'Insee comporte 68 000 ménages. C'est bien, mais pas considérable... Notre pays est reconnu pour la variété des instruments statistiques dont il dispose. L'enquête Emploi et les données de Pôle emploi ne sont pas redondantes mais complémentaires. C'est une richesse par rapport à des pays utilisant seulement des enquêtes, comme les États-Unis, ou que des statistiques administratives. Cela a certes un coût mais quand un patient est malade, mieux vaut faire trop d'examens que pas assez pour établir le meilleur diagnostic ! Ce que nous devons faire, c'est améliorer les comparaisons.
Enfin, le chômage et ses effets peuvent aussi s'appréhender en croisant les sources, comme les données relatives au marché du logement et au marché du travail. L'accès des chercheurs aux fichiers des données des politiques publiques a été facilité au sein du Centre d'accès sécurisé aux données (CASD). Chaque trimestre, le comité du secret reçoit entre vingt et trente demandes de chercheurs désireux de faire des recherches structurelles. Jusque-là, seul l'Insee pouvait mener ces recherches.
Je vous remercie.
Nos prochaines auditions se tiendront les 17 et 19 mai. Le 25 mai, nous recevrons à 14 h M. François Rebsamen et à 15 h M. Xavier Bertrand, anciens ministres du travail. Jeudi 26 mai, nous nous réunirons entre 13 h 30 et 15 h ; mardi 31 mai entre 17 h et 19 h ; jeudi 2 juin entre 15 h et 17 h ; mardi 7 juin entre 17h et 19h ; jeudi 9 juin entre 14 h et 15 h, avec une éventuelle reprise entre 16 h et 17 h. Lundi 30 mai, nous nous rendrons au siège de Pôle emploi, à la Porte des lilas.
La réunion est levée à 16 h 50.
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Nos prochaines auditions se tiendront les 17 et 19 mai. Le 25 mai, nous recevrons à 14 h M. François Rebsamen et à 15 h M. Xavier Bertrand, anciens ministres du travail. Jeudi 26 mai, nous nous réunirons entre 13 h 30 et 15 h ; mardi 31 mai entre 17 h et 19 h ; jeudi 2 juin entre 15 h et 17 h ; mardi 7 juin entre 17h et 19h ; jeudi 9 juin entre 14 h et 15 h, avec une éventuelle reprise entre 16 h et 17 h. Lundi 30 mai, nous nous rendrons au siège de Pôle emploi, à la Porte des lilas.
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