Intervention de Éliane Houlette

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 18 mai 2016 à 9h46
Lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales — Audition de Mme éliane Houlette avocat général à la cour de cassation procureur de la république financier près le tribunal de grande instance de paris

Éliane Houlette, procureur de la République financier près le tribunal de grande instance de Paris :

Avant d'aborder la question des Panama Papers, un mot des difficultés récurrentes auxquelles nous nous heurtons. Tout d'abord, le déficit d'information sur les affaires de fraude fiscale aggravée. Certaines affaires sont portées à la connaissance des services d'enquête et des parquets locaux tandis que le parquet national financier n'en est pas informé. Les signalements de Tracfin, portées directement à la connaissance des parquets locaux, ne nous sont pas envoyés en copie, ce qui est pour nous dommageable. Sans rien trahir, puisque cela a été dévoilé dans la presse, j'en donnerai deux exemples récents : l'affaire Mulliez, à Lille, et celle qui, dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, concerne une personne qui serait liée à l'affaire des Panama Papers. Dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'affaires d'importance, qui appellent une forte coopération internationale. Or, le parquet national financier n'a pas été informé.

Deuxième difficulté, la coopération internationale reste inégale, lente, chaotique. J'y reviendrai en détails : travaillant avec un grand nombre de pays, notre vision est assez précise.

Troisième difficulté, les obstacles procéduraux que nous rencontrons. Les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) sont une grande avancée, mais elles sont parfois déposées le premier jour de l'audience, après une instruction déjà très longue... Il y a aussi l'absence d'audience de mise en état pour la préparation de nos dossiers en vue de l'audience de jugement. Un exemple, là aussi public : l'affaire Cahuzac. Le dossier, pour le parquet national financier, était bouclé en décembre 2014. Après une enquête menée fin 2012, une information a été ouverte en 2013 ; différentes requêtes en nullité ont été portées devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris ; le juge de l'instruction a fini par rendre son ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, laquelle a été frappée d'appel, et ce n'est que le 17 décembre 2014 que le réquisitoire définitif du parquet a fini par être prononcé. Le dossier a été porté en janvier devant le tribunal correctionnel de Paris et c'est alors qu'une question prioritaire de constitutionnalité a été déposée. Bref, le cas finira par passer en jugement - je l'espère - en décembre 2016, soit presque deux ans après la fin de notre travail.

Autre difficulté récurrente, dont la représentation nationale doit être informée, l'insuffisance criante de ressources humaines dans les services d'enquête. Nous travaillons essentiellement avec trois services. L'office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), créé par le décret du 23 octobre 2013, qui comptait 93 agents en 2013, n'en compte plus que 81 alors que les affaires à traiter sont de plus en plus consistantes. La brigade financière et la brigade de répression de la délinquance économique de la préfecture de Paris sont en sous-effectif - j'ajoute qu'il n'existe plus, là comme à l'OCLCIFF, de filière d'enquêteurs de police judiciaire : les postes restent vacants, preuve qu'il faudrait rendre du lustre à l'enquête en matière économique et financière pour susciter des vocations. Le service national de douane judiciaire (SNDJ), enfin, dirigé par un magistrat de l'ordre judiciaire, compte quelque 200 agents - je n'ai pu obtenir de chiffres exacts -, parmi lesquels des enquêteurs douaniers très bien formés en matière de délits douaniers, de blanchiment et d'escroquerie à la TVA.

Dernière difficulté, enfin : nous sommes confrontés à des personnes qui ont les moyens de s'assurer les services de cabinets d'avocats très compétents, qui savent fort bien user de tous les moyens procéduraux à leur disposition. D'où, parfois, une quasi-paralysie de la procédure. Les recours contre les actes des juges d'instruction sont portés devant la cour d'appel de Paris, qui doit traiter un énorme contentieux ; sans compter que les arrêts qui finissent par être rendus font ensuite l'objet de pourvois en cassation.

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