Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat est appelé à se prononcer sur la proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d’identité abusifs, déposée par Mme Éliane Assassi, qui vient de s’exprimer, et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
La présente proposition de loi a pour objet de redéfinir le critère justifiant un contrôle d’identité opéré dans un cadre de police judiciaire, applicable notamment pour rechercher les auteurs d’une infraction, de supprimer toutes les autres formes de contrôles d’identité et d’instaurer une expérimentation consistant à ce que les agents des forces de l’ordre délivrent un récépissé aux personnes contrôlées.
Ces dispositions déstabiliseraient massivement le cadre applicable aux contrôles d’identité, pourtant particulièrement nécessaires dans le contexte actuel, et créeraient une forte insécurité juridique pour les agents des forces de l’ordre. Je vous propose en conséquence de rejeter la présente proposition de loi.
J’exposerai d’abord rapidement le cadre juridique des contrôles d’identité, qui est complexe, mais qui est aussi aujourd’hui stabilisé, avant de présenter les dispositions de la proposition de loi proprement dite et justifier ce rejet.
Le cadre des contrôles d’identité est complexe et fait coexister plusieurs types de contrôles d’identité.
Toute personne présente sur le territoire national peut faire l’objet d’un contrôle d’identité, qui est le fait pour un agent des forces de l’ordre de demander à une personne de justifier son identité.
On distingue deux types de contrôles d’identité : ceux qui sont effectués dans le cadre de la police judiciaire, dans le but de rechercher les auteurs d’un délit ou d’un crime ou pour empêcher la commission imminente d’une infraction, et ceux qui sont effectués dans le cadre de la police administrative, qui ont pour objet de prévenir une atteinte à l’ordre public. Dans ces deux cas, les contrôles d’identité doivent être motivés par des éléments concrets, rattachables à la personne faisant l’objet du contrôle et non simplement par des considérations générales ou abstraites.
Deux autres procédures permettent de contrôler l’identité de manière systématique, mais de façon limitée dans le temps et dans l’espace : les contrôles sur réquisitions du procureur de la République, dans des lieux qu’il définit et pour une durée déterminée, pour prévenir la commission de certaines infractions ; les contrôles d’identité dits « Schengen », créés en 1993, qui visent à lutter et à prévenir les infractions relatives à la criminalité transfrontalière, dans une bande géographique de vingt kilomètres à partir de la frontière.
En complément de ces contrôles d’identité, les véhicules et, depuis la loi relative à la sécurité dans les transports collectifs de voyageurs du 22 mars dernier, les bagages peuvent être contrôlés, selon des procédures plus encadrées.
Dans tous les cas, les contrôles d’identité sont effectués par des agents des forces de l’ordre – policiers ou gendarmes – ayant la qualité d’officier de police judiciaire, d’agent de police judiciaire ou d’agent de police judiciaire adjoint.
Toutes les procédures relatives au contrôle d’identité sont placées sous le contrôle du procureur de la République et le contentieux de ces mesures, qu’elles se rattachent à la police judiciaire ou à la police administrative, relève de la compétence du juge judiciaire.
Le régime des contrôles d’identité est aujourd’hui stabilisé.
La Cour de cassation a précisé les circonstances particulières pouvant motiver un contrôle d’identité. Elle impose depuis longtemps des motivations précises et non abstraites : le seul fait de s’éloigner d’un groupe ne permet pas de caractériser un comportement justifiant un contrôle d’identité, par exemple. En revanche, peut faire l’objet d’un contrôle une personne changeant de direction à l’arrivée des policiers ou une personne tentant de se dissimuler à la vue d’un véhicule de police.
J’en arrive à la proposition de loi proprement dite, qui présente de très nombreuses difficultés. Elle prévoit trois séries de mesures problématiques.
En premier lieu, la proposition de loi remplacerait le critère qui justifie actuellement un contrôle d’identité effectué dans le cadre de la police judiciaire. L’agent devrait justifier de raisons « objectives et individualisées » pour effectuer ce contrôle, le rendant en fait inutile en imposant aux policiers de connaître l’identité de la personne avant même d’opérer le contrôle.
En deuxième lieu, la proposition de loi supprimerait surtout les fondements légaux des contrôles sur réquisitions, des contrôles effectués dans un cadre de police administrative et des contrôles « Schengen ». Les conséquences de ces suppressions seraient particulièrement graves et négatives. Elles priveraient les agents des forces de l’ordre d’instruments tout à fait essentiels pour prévenir les atteintes à l’ordre public, en particulier les contrôles sur réquisitions ou les contrôles effectués dans un cadre de police administrative. À titre d’exemple, il ne serait plus possible de procéder à des contrôles d’identité préalablement à une manifestation ou à un rassemblement. En matière de lutte contre l’immigration irrégulière, les conséquences seraient probablement catastrophiques.
En troisième lieu, la proposition d’instaurer un récépissé aurait, quant à elle, des effets pratiques négatifs, au regard du nombre de contrôles d’identité réalisés. Il n’existe aucun chiffre en la matière, mais les évaluations fournies lors des auditions par la gendarmerie ou la police permettent de penser qu’il y en a plusieurs millions par an. Pour la gendarmerie, il y en avait au moins deux millions. On imagine bien qu’il y en a beaucoup plus pour la police. Parler de plusieurs millions est donc réaliste.
En conséquence, instaurer un récépissé alourdirait significativement les tâches des forces de l’ordre, pour un bénéfice nul : ce récépissé n’empêcherait pas un nouveau contrôle par les forces de l’ordre et ne constituerait pas la preuve d’un traitement discriminatoire. D'ailleurs, lors de son audition, le Défenseur des droits a reconnu que des moyens alternatifs de traçabilité des contrôles d’identité devaient être expérimentés, citant par là des exemples étrangers qui n’ont absolument pas fait leurs preuves aujourd'hui.
Il existe de très nombreux mécanismes permettant de lutter effectivement contre les pratiques dénoncées par la proposition de loi : par exemple, l’instauration d’un numéro matricule sur les tenues depuis 2014 ou la mise en place de plates-formes internet de signalement permettant de saisir directement les inspections en cas de dysfonctionnement. À cet égard, je remarque que celles-ci sont sous-utilisées, avec 239 faits signalés à l’inspection de la police nationale pour les deux années 2014 et 2015. Ce chiffre est à mettre en relation avec les millions de contrôles d’identité effectués chaque année. Et ces faits ne concernent pas que les contrôles d’identité !
M’appuyant aussi sur le rapport de l’association Stop le contrôle au faciès, que vous avez cité, chère collègue, j’ai constaté qu’elle ne relevait, par année, que 400 signalements de tous ordres environ, c'est-à-dire des signalements qui concernent aussi bien des contrôles d’identité que d’autres procédures. Au regard des millions de contrôles d’identité effectués, c’est donc un chiffre relativement faible. Je ne dis pas que cela ne justifie pas vos propositions, mais cela aboutit souvent à mettre en exergue des faits qui, au regard des actes de police, sont en nombre minime.