Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre société persiste dans un paradoxe durable, fatal à ceux qui en sont victimes.
La valeur travail liée à l’emploi reste, comme vient de le souligner Mme Bricq, cardinale : elle est mise en perspective dès l’école ; elle est synonyme d’insertion et de réussite ; elle conditionne l’accès à de nombreuses mesures sociales ; elle permet – ou devrait permettre – un mode de vie correct ; elle assure à la société la transmission du savoir-faire. Vive le travail, vive l’emploi !
Toutefois, dans le même temps, la société ne fournit plus d’emplois pour tous : de bons diplômes ne sont plus une garantie absolue et tout candidat, lors de son entretien d’embauche, se voit jugé autant sur ses dires que sur son aisance et sa mine. Dès lors, pourquoi ne pas réfléchir, comme le propose Jean Desessard, à sortir de l’impasse ?
Nous entendons les critiques contre le revenu de base : la première va du café du commerce aux analyses comportementalistes : « Si l’on verse à chacun une somme suffisante pour vivre, les gens ne voudront plus travailler… »
Cette affirmation est contredite par l’expérience : au Canada, une expérimentation sociale du revenu de base, portant le nom de Programme MINCOME, a été réalisée avec les 7 000 habitants de la ville de Dauphin, au Manitoba. Toutes les familles qui vivaient dans la ville – et pas un simple échantillon – ont participé à l’expérience et ont reçu une allocation garantie si leur revenu était trop bas. L’évaluation a montré que l’effet sur la baisse du temps de travail a été extrêmement limité.
Dans une autre expérience, plus récente, menée avec les 930 habitants du village Otjivero, en Namibie, le revenu de base a permis d’accroître l’activité économique du village : le taux de chômage est passé de 60 à 45 % et les revenus issus d’activités de type auto-entrepreneurial ont bondi de 300 %.
Ainsi, loin d’inciter à l’inactivité, le revenu de base permet aux salariés d’envisager plus sereinement leur activité et aux entrepreneurs d’être sécurisés quant à leur rémunération.
Dans le monde réel, les femmes et les hommes ont besoin de ne pas se trouver dans la précarité pour avoir envie d’agir et de créer. Le revenu de base n’est pas un passeport pour l’oreiller, c’est un tremplin pour l’emploi.
Autre critique, mais formulée cette fois-ci par la gauche : le revenu de base ne serait qu’une roue de secours du capitalisme, permettant aux employeurs de comprimer les salaires.
Cette critique pose la question du montant du revenu : il est clair que, à seulement 200 ou 300 euros, le revenu de base ne permettrait pas aux travailleurs de vivre dignement, mais constituerait un avantage pour les seuls employeurs.
C’est là que se situe la différence entre le projet libéral et le projet soutenu par les écologistes et d’autres forces progressistes : nous considérons que le montant du revenu de base doit être suffisamment élevé pour renforcer le pouvoir de négociation des salariés sur le marché de l’emploi. L’objectif est de leur permettre de refuser des emplois dégradants, sous-payés, polluants, inintéressants, dans l’optique d’amener à la disparition pure et simple de ceux-ci dans les années à venir.
Il s’agit non pas d’une utopie, mais d’un projet politique, auquel sont en train de s’atteler les Suisses, qui mènent une réflexion en ce sens.
Si tout le monde dispose d’un revenu universel, plus personne ne voudra être éboueur ? Dès lors, comment fait-on pour ramasser les déchets ? Il suffira d’installer du matériel un peu plus digne et aux citoyens de gérer un peu mieux ce qu’ils abandonnent sur le trottoir. C’est toute une société qui est mise en mouvement.