Intervention de Éricka Bareigts

Réunion du 19 mai 2016 à 14h45
Instauration d'un revenu de base — Rejet d'une proposition de résolution

Éricka Bareigts :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis cet après-midi pour discuter d’un sujet au centre de nombreuses réflexions depuis plusieurs mois, alimenté par des expériences internationales, à savoir la création d’un revenu de base, inconditionnel et universel.

Je tiens tout d’abord à remercier les différents orateurs et oratrices qui se sont exprimés à cette tribune. Ce débat a trait à notre vision de notre projet de société, de notre modèle social et de son évolution. Il est donc d’une importance fondamentale.

Le revenu de base n’est pas une idée nouvelle. Comment ne pas rappeler que, sur cette question, la France a été à l’avant-garde, en 1988, sous le gouvernement de Michel Rocard, en instaurant le revenu minimum d’insertion, qui allait constituer, selon les mots mêmes de Michel Rocard, « une innovation d’une portée considérable » ?

Cette aide était motivée par une idée humaniste et simple : permettre aux plus modestes d’être pleinement reconnus par notre société et d’accéder ainsi à un droit essentiel, la dignité, et non pas l’assistanat.

Par ce revenu, il s’agissait d’offrir à ses bénéficiaires une chance de réinsertion dans la société. Cette ambition réformatrice et généreuse n’a jamais été remise en cause. Elle a été poursuivie avec la création du revenu de solidarité active. Plus récemment, nous avons transformé le RSA activité et la prime pour l’emploi qui ne remplissaient pas leur rôle d’encouragement de l’activité en prime d’activité, sur laquelle je reviendrai.

La proposition de résolution soumise à la Haute Assemblée cet après-midi invite le Gouvernement à mettre en place « un revenu de base, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, notamment d’activité, distribué par l’État à toutes les personnes résidant sur le territoire national […], sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie ».

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement partage plusieurs des objectifs de cette proposition de résolution. En effet, il s’agit d’abord de garantir à chaque personne un revenu minimal pour se loger, se soigner et assurer son bien-être élémentaire. Mieux protéger les plus modestes, c’est l’objectif de long terme que le Gouvernement s’est fixé avec le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale 2013-2017.

Aujourd’hui, en France, un ménage sur sept vit au-dessous du seuil de pauvreté et un enfant sur cinq est confronté à la grande précarité. C’est à ce défi considérable que le plan précité entend répondre, en renforçant les mesures de soutien et d’insertion destinées aux personnes qui vivent dans la pauvreté, sans oublier les mesures permettant de prévenir les ruptures sociales propres à faire basculer les personnes dans l’exclusion.

Présentée voilà un an par le Premier ministre, la feuille de route 2015-2017 rassemble quarante-neuf mesures concrètes. Je veux citer le plan d’aide renforcé visant les familles pauvres avec enfants, la garantie des loyers pour les étudiants et les travailleurs précaires, ou encore les mesures pour lutter contre le chômage de longue durée.

Mais surtout, il est essentiel de rappeler que l’engagement du Gouvernement au travers de ce plan est aussi financier. Les efforts sont extrêmement importants. Ainsi, au terme de la montée en charge du plan, c'est-à-dire en 2017, chaque année, 2, 6 milliards d’euros supplémentaires seront redistribués à 2, 7 millions de ménages modestes. Cela représente en moyenne 1 000 euros par an et par ménage.

D’ores et déjà, cette forte mobilisation a eu des effets : la hausse du taux de pauvreté constatée en France entre 2008 et 2012 a été enrayée.

Il est un autre objectif que nous partageons avec les auteurs de la proposition de résolution : simplifier les minima sociaux, pour clarifier ce à quoi chacun peut prétendre et pour lutter contre le non-recours aux droits. En effet, actuellement, la multiplicité des dispositifs entraîne une faible lisibilité pour ceux qui pourraient en bénéficier et, donc, une inégalité en termes d’accès aux droits.

C’est le sens même de la mission que le Premier ministre a confiée, au mois d’octobre dernier, au député Christophe Sirugue, dont les travaux menés en 2013 pour la réforme des dispositifs de soutien aux revenus d’activité modestes ont fait autorité.

Au terme d’une réflexion et d’un dialogue que je sais essentiel avec la société civile, les partenaires sociaux, les collectivités et les associations, Christophe Sirugue a formulé dans son rapport des propositions pour réduire la complexité des dispositifs existants et, surtout, pour accroître l’efficacité et la cohérence des politiques d’insertion. Les mesures proposées nous permettront d’améliorer le système des minima sociaux, pour le rendre plus simple et plus lisible. Il existe aujourd’hui dix minima sociaux différents, avec des règles et des logiques différentes. Les Français peuvent s’y perdre !

C’est pourquoi, comme le Premier ministre l’a annoncé, le Gouvernement souhaite mettre en œuvre dans les mois à venir les premières mesures de simplification. Il travaillera à un chantier de réforme des minima sociaux, afin de définir une couverture socle complétée en fonction des situations individuelles.

Notre objectif, que je sais partagé, est de rendre notre système de solidarité plus simple, plus lisible, plus équitable, plus accessible. Je ne doute pas que nous puissions avancer ensemble dans cette voie.

L’un des enjeux de cette réforme, c’est de garantir aux jeunes en difficulté le droit à la solidarité, dans les mêmes conditions que les autres. Vous le savez, la Garantie jeunes va bientôt devenir un droit pour tous les jeunes âgés moins de vingt-cinq ans en situation de rupture. Le rapport Sirugue nous invite à aller plus loin. Nous entendons conduire cette réflexion.

Vous le constatez, nombre des objectifs de cette proposition de résolution sont au cœur de l’action du Gouvernement.

Toutefois, l’instauration d’un revenu de base soulève de nombreuses questions. §Les auteurs de cette proposition de résolution en conviennent, il existe plusieurs définitions et plusieurs dénominations de l’allocation universelle, sans doute parce que les approches sont souvent différentes, comme le met en lumière le projet que nous examinons cet après-midi. Ainsi, plusieurs propositions ont été faites : revenu d’existence, revenu de base, revenu minimum garanti… Au-delà des différences de termes, il existe d’importantes différences de conceptions qui se traduisent par des approches divergentes sur des points essentiels.

Tout d’abord, j’évoquerai l’articulation avec les prestations sociales existantes.

Le présent texte n’indique pas à quelles prestations se substituera le revenu universel. S’agit-il des allocations de solidarité ? Ces dernières doivent-elles alors s’entendre comme se limitant aux seuls minima sociaux ? Les prestations familiales ou les aides au logement ont-elles également vocation à être remplacées par le revenu universel ? Souhaitez-vous, comme Jacques Marseille, que vous avez cité, monsieur Desessard, y réaffecter toutes les prestations en espèces, y compris les prestations contributives comme les pensions de retraite et les allocations chômage ? Souhaitez-vous mobiliser d’autres ressources que le redéploiement de ces prestations ? Si oui, lesquelles ? L’Alaska verse à ses habitants une partie de la rente pétrolière : dans le cadre français, quelles ressources pensez-vous mobiliser ?

Ces questions en appellent une autre, essentielle, celle du montant. Si vous ne financez le revenu de base qu’à partir des prestations de solidarité, in fine, les montants distribués seront extrêmement faibles, parce que le caractère universel et inconditionnel du revenu de base conduirait à verser à toute la population les sommes aujourd’hui ciblées sur les individus et foyers dont la collectivité a estimé qu’ils en avaient le plus besoin.

Ce n’est qu’en mobilisant les prestations contributives, à savoir les pensions de retraite et les allocations chômage, qu’on peut atteindre des montants proches des 750 euros que vous mentionnez en citant les travaux de Jacques Marseille. Mais si on remplaçait ces prestations par un montant uniforme et assez limité, on pourrait craindre un affaiblissement du consentement des uns et des autres à contribuer au système.

Imaginons que tous les retraités perçoivent, pour toute pension de retraite, 750 euros par mois, soit une somme inférieure au seuil de pauvreté… C’est évidemment inacceptable !

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