Intervention de Audrey Azoulay

Réunion du 24 mai 2016 à 14h30
Liberté de la création architecture et patrimoine — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture dans le texte de la commission

Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour l’examen en deuxième lecture du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

Je rappelle les grands enjeux de ce texte : affirmer la liberté de création et, de façon corollaire, la liberté de diffusion et de programmation ; promouvoir la transparence et la concertation dans les filières culturelles ; favoriser la qualité architecturale et encourager l’amélioration de notre cadre de vie ; clarifier les dispositifs et affirmer la responsabilité scientifique de l’État dans le domaine du patrimoine.

Cependant, l’ambition de cette loi dans les domaines de la création, de l’architecture et du patrimoine est bien plus vaste. Il s’agit de réaffirmer la nécessité d’une politique publique partagée entre l’État et les collectivités, d’accompagner le développement de l’accès à la culture et le renforcement de la formation artistique en direction de la jeunesse, de consolider le soutien aux professions de la culture et la protection des artistes.

Nous avons engagé ensemble ce travail législatif au mois de février dernier, travail au terme duquel le Sénat a déjà largement amendé et renforcé le texte.

C’est ainsi que trente-sept nouveaux articles sont venus enrichir le projet de loi initial, avec pas moins de 850 amendements déposés, entre les travaux en commission et les travaux en séance publique.

L’apport du Sénat est incontestable. Il a permis de nourrir le texte sur plusieurs sujets relatifs notamment à la musique, au livre, à la propriété intellectuelle, au soutien à la création, à la réforme des espaces protégés au titre du patrimoine.

Parallèlement, vous aviez adopté sans modification près de trente articles, dont l’article 1er, relatif à la liberté de la création artistique, qui est la pierre angulaire du texte.

L’Assemblée nationale a, elle aussi, su travailler à un rapprochement en rejoignant les positions exprimées par la Haute Assemblée sur pas moins de vingt-quatre articles, relatifs notamment au livre, au cinéma, à la musique, à la propriété intellectuelle, à l’emploi et à la formation des professionnels de l’art et de la culture, au patrimoine et à l’architecture.

Bien sûr, il reste encore du chemin à parcourir avant que ne se dégage un consensus sur chacun des sujets. Je n’ignore pas que les points de vue des deux assemblées doivent se rapprocher encore davantage, notamment pour conforter la place de la création et l’indépendance des artistes et auteurs. Je n’ignore pas non plus que des équilibres doivent être trouvés s’agissant de l’archéologie préventive ou du patrimoine par ailleurs. C’est pourquoi je présenterai un certain nombre d’amendements qui, je l’espère, participeront à faire naître ce consensus entre les deux assemblées.

À l’article 2, votre commission a souhaité rétablir une partie de la rédaction adoptée en première lecture en supprimant la qualification de « service public », au bénéfice d’une « construction en concertation » avec les acteurs de la création artistique.

Pour ma part, je n’exclus pas l’un de l’autre. Je suis bien sûr attachée à la diversité des acteurs du secteur associatif ou du secteur privé. Pour autant, l’affirmation du caractère de service public de la politique menée par l’État en faveur de la création artistique me semble essentielle pour guider l’action des pouvoirs publics, les artistes, les professionnels et les citoyens. C’est un choix qui renforcera le modèle français, reconnu dans le monde entier. C’est l’honneur de la France que de porter haut cette conception.

De la même manière, à l’article 3, relatif à la labellisation des lieux de spectacles, votre commission a souhaité limiter l’agrément du ministère de la culture aux salles majoritairement financées par l’État. Je pense que le maintien de l’agrément ne doit pas être vu au travers du seul prisme financier : il témoigne de la reconnaissance, par l’État, d’un projet artistique et culturel défendu par son directeur ou sa directrice.

Par ailleurs, votre commission a souhaité supprimer la référence au renouvellement des générations et à la diversité, deux principes qu’il est à mon avis essentiel de maintenir dans le texte. Ils sont en effet nécessaires pour que la création soit réellement le reflet de la diversité de notre société. Sur ce sujet, nous avons encore beaucoup de progrès à accomplir collectivement.

J’en viens au volet du projet de loi portant sur la propriété intellectuelle, en particulier dans le domaine de la musique enregistrée. En matière de rémunération des artistes-interprètes, le Gouvernement est attaché à la dynamique engagée en vue d’une garantie de rémunération minimale négociée en contrepartie de l’exploitation numérique des enregistrements. Cette garantie de rémunération est subordonnée à une négociation collective, qui a déjà commencé ses travaux. À défaut d’un accord dans un délai de douze mois après la promulgation de la présente loi, le texte prévoit que cette rémunération sera fixée par une commission administrative paritaire.

Dans la même logique, pour le secteur de la musique, le Gouvernement souhaite maintenir l’interdiction des cessions de créances de l’artiste-interprète à un producteur incluant les sommes issues de la rémunération équitable et de la rémunération pour copie privée, et ce dans l’intérêt même de nos artistes.

Sur l’article 7 bis AA relatif aux enregistreurs personnels dans le « nuage », il s’agit d’assurer le développement de ce service innovant qu’est l’enregistrement dans le nuage dans des conditions qui garantissent un haut niveau de protection des programmes et une coexistence harmonieuse des différents types de services. Il ne faut pas entraver le développement de ces services lorsqu’ils sont substituables aux modalités actuelles de copies effectuées par les consommateurs sur le disque dur de leur appareil.

En revanche, il nous faut prendre des précautions et avancer de façon mesurée compte tenu des capacités de stockage digitales dans le nuage et de leur impact éventuel sur la consommation à la demande, qui pourrait se faire au détriment des services des éditeurs de télévision. C’est pourquoi des garanties sur les modalités d’assujettissement des services d’enregistrement dans le nuage à la copie privée doivent être précisées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, votre commission a exprimé cette préoccupation. Nous discuterons les modalités de détermination des garanties à apporter aux éditeurs et distributeurs de télévision, sur lesquelles je formulerai une proposition.

L’article 11 ter a trait aux quotas de chansons francophones à la radio. Comme je m’y étais engagée, une concertation a été menée pour concilier l’objectif de quotas effectifs et réellement appliqués, alors qu’ils étaient jusqu’à présent parfois détournés, avec la diversité éditoriale des radios. Le résultat de ce travail me permet de vous présenter un amendement dont l’adoption répondra, je l’espère, aux interrogations exprimées par la filière, notamment par les artistes. Je proposerai de mieux définir les cas où des engagements au titre de la diversité peuvent justifier des modulations limitées aux quotas, qui seront désormais pleinement effectifs. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion de cet article.

Je souhaite évoquer un sujet qui, je le sais, tient à cœur à la présidente de la commission de la culture, celui des conservatoires. Je n’ignore pas que la commission n’a pas été convaincue par la rédaction de l’Assemblée nationale, alors même que celle-ci a recherché un consensus et que l’État a envoyé un signal fort de réengagement financier en faveur de l’enseignement artistique dans les conservatoires.

Aujourd’hui, nous devons porter une attention particulière à la diversité du recrutement, aussi bien pour l’enseignement spécialisé que pour l’enseignement professionnel initial artistique.

Un des axes du réengagement de l’État dans le financement des conservatoires fait justement de la diversité du recrutement une priorité. Dans la logique des lois de décentralisation, qui ont confié aux régions la compétence en matière de formation professionnelle, un engagement plus volontaire de celles-ci dans l’organisation et le financement des classes préparatoires qui donnent accès à l’enseignement artistique supérieur me semblerait un signal positif en même temps qu’un équilibre acceptable.

Sur le volet relatif au patrimoine et à la promotion de l’architecture, le bilan des deux lectures reste plus contrasté, même si je me réjouis des rapprochements opérés entre vos deux assemblées sur la réforme des espaces protégés et sur les conditions d’élaboration des « plans de sauvegarde et de mise en valeur » et des « plans de valorisation de l’architecture et du patrimoine ». De la même manière, les dispositions relatives à l’architecture correspondent, dans leur globalité, à des positions médianes.

Restent néanmoins des divergences sur la place de l’architecte dans le permis d’aménager. Il n’est pas ici question d’exclure la compétence des autres professionnels qui concourent à l’aménagement du cadre de vie ; il s’agit de veiller à ce que les architectes puissent œuvrer à l’aménagement de l’espace, tant celui-ci est lié à la qualité architecturale, et ce avec l’apport nécessaire des compétences d’autres professionnels de l’urbanisme et du paysage.

Dans le domaine du patrimoine, en première lecture, nous avons réfléchi ensemble à une appellation plus pertinente que celle de « cités historiques » qui était alors proposée. Au terme des débats à l’Assemblée nationale, l’appellation de « sites patrimoniaux remarquables » a fait consensus. Votre commission l’a conservée et je m’en réjouis. Je pense que nous avons trouvé la bonne expression.

Bien sûr, ces rapprochements ne me font pas oublier qu’il reste du chemin à faire, notamment en matière d’archéologie préventive, sur les missions de la Commission nationale et des commissions régionales du patrimoine et de l’architecture, et sur la commission locale du site patrimonial remarquable, que votre commission souhaite rendre obligatoire, alors que l’Assemblée nationale et le Gouvernement préfèrent qu’elle soit facultative, ce qui paraît plus souple.

Dans le même temps, nous avons vu se dénouer des solutions sur un certain nombre de sujets, ce dont nous pouvons collectivement nous satisfaire tant nous avons, chacun à notre place, œuvrer à les faire aboutir.

Je pense à la question des accords sur les obligations des chaînes de télévision en matière d’investissements dans la production d’œuvres audiovisuelles. Une adaptation est nécessaire.

La volonté de votre rapporteur, M. Leleux, de voir modifié l’équilibre entre production audiovisuelle indépendante et production intégrée s’est exprimée fortement lors des débats. Comme je l’ai alors souligné, je reste convaincue que le soutien à la production audiovisuelle indépendante, par l’investissement des chaînes de télévision, est une garantie fondamentale du dynamisme et de la créativité de notre production audiovisuelle. Cela n’exclut pas des modifications pour accompagner les évolutions du marché, des usages et des stratégies des acteurs économiques du secteur.

Dès lors que l’État fixe ces principes, souvent par la loi, les acteurs me semblent en revanche les mieux placés pour déterminer les nouveaux équilibres par la voie d’accords négociés sur des points parfois très techniques. Ils en sont capables et l’ont démontré ce matin même en signant au ministère de la culture et de la communication, en présence de nombreux sénateurs, un accord, qui me semble historique, entre le groupe TF1 et l’ensemble des représentants des producteurs indépendants.

Huit ans après le précédent accord, cet accord marque une nouvelle étape dans les relations entre les parties, confirmant l’engagement dans la production d’œuvres audiovisuelles françaises et européennes du groupe TF1, tout en donnant un cadre plus souple à ses investissements. Il préserve, en l’adaptant, l’encadrement des droits acquis par le groupe et favorise la diversité et la vitalité de la production audiovisuelle.

Cet accord fait suite aux deux accords qui ont d’ores et déjà été signés respectivement par France Télévisions et par Arte. Ensemble, ils permettent de couvrir plus de 70 % des investissements dans les œuvres audiovisuelles en France. J’espère que d’autres groupes privés participeront à cette dynamique collective qui va dans le sens de l’intérêt général.

Des accords sur la transparence et sur les mandats de distribution des œuvres ont également été trouvés. Là encore, nous pouvons tous nous en réjouir.

Ces accords démontrent la capacité des organisations professionnelles à dialoguer sous l’égide des pouvoirs publics au service des grands objectifs que le législateur a fixés. Je forme le vœu que cette démarche puisse s’étendre à d’autres secteurs. Elle a trouvé, comme vous le savez, une application récente dans le secteur du dialogue social, sur le régime spécifique d’assurance chômage des artistes et techniciens du spectacle, grâce à l’accord du 23 avril dernier, qui viendra pérenniser un modèle dont notre pays peut s’enorgueillir et qui permet aux professionnels du spectacle de vivre de leur métier et de travailler à la vitalité de la création artistique française. Toutes les organisations professionnelles compétentes l’ont signé.

Pour la première fois, les organisations représentatives du spectacle ont eu les clés de la négociation. Elles ont su trouver un équilibre entre des droits qu’il a fallu créer, car ils étaient en déshérence depuis plus de dix ans, tout en contribuant à l’équilibre économique global de l’assurance chômage.

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