Je tiens avant toute chose à récuser certains mauvais procès. On a dit que votre rapporteur était hostile à la création d’un statut général du lanceur d’alerte. Qu’il me suffise de rappeler que j’ai proposé la constitution d’une mission commune d’information à la suite des révélations d’Edward Snowden, qui a mis au jour les écoutes massives de la NSA, et que j’ai déposé une proposition de résolution visant à proclamer Edward Snowden Citoyen d’honneur de la République française et à lui accorder l’asile politique. C’est dire combien je suis sensible à la question des lanceurs d’alerte, dans quelque domaine qu’elle se pose.
Seulement, en prenant connaissance des dispositions de la proposition de loi qui étendent la protection existante aux lanceurs d’alerte ayant relaté des faits à un journaliste, nous avons identifié une vraie difficulté, que j’ai signalée au Gouvernement : les journalistes ne sont pas mentionnés à l’article 226-10 du code pénal, relatif aux sanctions applicables en cas de dénonciation calomnieuse. L’amendement n° 73 rectifié réparant cette lacune, la commission invite le Sénat à l’adopter et, comme Mme la ministre, suggère aux auteurs des autres amendements de les retirer au profit de celui du Gouvernement, qui est le plus complet.
Je m’appesantirai un peu plus longuement sur le sous-amendement n° 88, qui vise à étendre la protection des lanceurs d’alerte aux fonctionnaires se confiant à un journaliste. En effet, la proposition de nos collègues du groupe CRC soulève plusieurs difficultés.
D’abord, comme je l’ai déjà fait observer en commission, le régime des fonctionnaires lanceurs d’alerte vient d’être entièrement révisé par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, à laquelle M. Abate a fait référence. Les canaux d’alerte ont été explicités, et à aucun moment il n’a été question d’y inclure les journalistes.
Ensuite, les fonctionnaires ne sont pas des salariés comme les autres, dans la mesure où ils sont déjà astreints à l’article 40 du code de procédure pénale, qui leur fait obligation de transmettre au procureur de la République les informations en leur possession concernant des crimes ou des délits. Par ailleurs, ils ont des devoirs spécifiques, conférés par leur position statutaire et réglementaire : en particulier, ils sont tenus, en vertu de l’article 28 du titre Ier du statut général de la fonction publique, d’obéir aux instructions de leur supérieur hiérarchique, sauf, bien sûr, si elles sont manifestement illégales et de nature à compromettre gravement un intérêt public ; ils sont également soumis, conformément à l’article 26 du même titre, à un devoir de discrétion et au secret professionnel s’agissant des informations dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions.
Si le supérieur hiérarchique n’entend pas l’alerte, le fonctionnaire pourra s’adresser au référent déontologue ; ce nouvel acteur, créé par l’article 28 bis de la loi du 20 avril 2016, est justement chargé, entre autres missions, d’aider les lanceurs d’alerte. Le référent déontologue sera lui-même astreint à l’article 40 du code de procédure pénale, ce qui n’est pas le cas des journalistes.
Enfin, le sous-amendement ne comporte aucune gradation des canaux d’alerte. Pis, si nous adoptions l’amendement n° 73 rectifié modifié par le sous-amendement n° 88, il résulterait de l’article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 que le fonctionnaire préviendrait les journalistes, puis seulement son autorité hiérarchique. Or, comme le Conseil d’État le souligne dans un rapport récent, une gradation des canaux d’alerte est nécessaire, prévenir le public devant être un ultime recours. Le Conseil d’État fonde cette analyse sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, d’ailleurs, pourrait être reprise dans le projet de loi Sapin II.
La commission est donc défavorable au sous-amendement n° 88.