Intervention de Audrey Azoulay

Réunion du 26 mai 2016 à 15h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Article 1er ter précédemment réservé, amendement 78

Audrey Azoulay, ministre :

Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de vous présenter cet amendement, j’aimerais vous apporter quelques éléments d’information sur le texte.

Votre commission a supprimé certaines dispositions particulièrement importantes que l’Assemblée nationale avait adoptées, la plupart sur proposition du Gouvernement, s’agissant notamment de la protection du secret des sources des journalistes.

Ces modifications ont pour effet de maintenir la loi actuelle en vigueur. Or celle-ci est pourtant notoirement insuffisante. Dans certains cas, il s’agit même d’un recul par rapport au droit actuel, qui date de 2010.

Premièrement, la commission a supprimé la protection du secret des sources pour les collaborateurs de la rédaction, qui était prévue dans le texte issu de l’Assemblée nationale.

Deuxièmement, pour ce qui concerne la définition des atteintes au secret des sources, elle a supprimé les atteintes indirectes, pourtant déjà prévues par le droit actuel. Ainsi, le texte de la commission ne permet plus de restreindre les mesures d’enquête portant sur les proches du journaliste, et non sur le journaliste lui-même.

Troisièmement, alors que le projet vise à remplacer la notion, que l’on sait floue, et qui est fortement critiquée depuis 2010, d’« impératif prépondérant d’intérêt public », pour la levée du secret des sources, par une liste précise de motifs définis par la gravité des infractions en cause, votre commission retient l’une et l’autre. Un tel cumul laisse penser que le texte élargit les cas d’atteinte au secret des sources. Ce n’était pas vraiment l’objectif initial…

Quatrièmement, la commission a supprimé l’avancée importante du texte que constituait la protection du journaliste contre les poursuites pour recel de la violation du secret de l’instruction ou d’un secret professionnel. Sur ce point, elle revient au droit actuel. Or c’était là, me semble-t-il, une des avancées majeures du texte issu de l’Assemblée nationale.

Je vous propose de revenir sur ces modifications en adoptant l’amendement n° 78, que je vais à présent vous présenter.

Comme vous le savez, depuis le dépôt, à l’Assemblée nationale, d’un projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes, en 2013, le Gouvernement a travaillé et mené la concertation sur cette réforme, ambitieuse pour la liberté de la presse et garante du bon fonctionnement de notre démocratie.

Cependant, comme je viens de le rappeler, votre commission a singulièrement restreint le dispositif adopté en première lecture, d’où cet amendement du Gouvernement.

Sur la forme, celui-ci porte sur les dispositions modifiant la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et le code de procédure pénale. Il ne revient pas sur les dispositions du texte modifiant le code pénal lui-même, que votre commission n’a pas changées.

Sur le fond, le Gouvernement vous propose d’inscrire dans notre droit des règles plus protectrices du secret des sources des journalistes, afin de permettre à ceux-ci d’assurer pleinement leur mission d’information au public. Vous le savez, le droit actuel est insuffisant à cet égard.

Bien entendu, la volonté du Gouvernement est de le faire en responsabilité. C’est la raison pour laquelle ces garanties nouvelles assurées aux journalistes ne doivent pas faire obstacle, dans des cas qui seront désormais précisément définis et circonscrits, à certaines exigences fondamentales pour la sécurité de la Nation.

Vous le savez, la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, actuellement en vigueur, est critiquée par de nombreux professionnels et observateurs, pour un certain nombre de raisons.

Cette loi comporte des lacunes, que nous avions identifiées : le fait de ne pas couvrir suffisamment le recel de violation du secret de l’instruction, le fait de n’accorder la garantie du secret qu’aux seuls journalistes, et non à toute l’équipe rédactionnelle concernée, ou encore l’imprécision de la notion d’« impératif prépondérant d’intérêt public », qui n’est pas suffisamment définie et qui laisse une possibilité de porter atteinte au secret des sources des journalistes, avec comme seul garde-fou l’éventualité d’une annulation a posteriori de la procédure par le juge judiciaire, à l’issue d’un procès qui peut être long.

Depuis le début de la présente mandature, l’ensemble du Gouvernement a continué de travailler pour faire des propositions d’amélioration du texte. La Chancellerie et le ministère de la culture, notamment, ont beaucoup travaillé pour trouver un juste point d’équilibre.

L’amendement que je vous présente est le fruit de ce travail commun et de nombreux échanges avec la profession, que je veux remercier de son implication.

Son premier objet est d’étendre le bénéfice de la protection à tous les collaborateurs de la rédaction. La volonté du Gouvernement est d’élargir le bénéfice de la protection du secret des sources à tous ceux qui concourent à la recherche de l’information. Pour ce faire, l’amendement tend à rétablir les dispositions écartées à ce stade par votre commission.

Son deuxième objet est de bien distinguer les cas d’atteinte directe et indirecte au secret des sources. Il est essentiel de s’attacher aux atteintes portées directement au secret des sources, par des mesures d’enquête visant le journaliste, ses biens, son logement, son bureau, ses factures téléphoniques, ses dossiers, mais il faut bien évidemment tenir compte également des atteintes indirectes, par des enquêtes portant sur les proches du journaliste et, plus largement, sur toute personne en relation avec lui. Il faut le souligner, cette distinction existant déjà dans le droit actuel ; la supprimer constituerait un recul.

Le troisième objet de l’amendement est d’interdire qu’un journaliste soit condamné pour délit de recel. C’est un point majeur. La rédaction que nous vous proposons empêche qu’un journaliste ne soit condamné pour le délit de recel d’une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction, d’une violation du secret professionnel ou d’une atteinte à la vie privée lorsque les documents qu’il détient contiennent des informations dont la diffusion au public constitue un but légitime, en raison de leur intérêt général. C’est une garantie absolument fondamentale pour le journaliste, et cela constitue un engagement fort du Gouvernement.

Le quatrième objet de l’amendement est de garantir que les éventuelles atteintes à la protection des sources, quand elles sont justifiées au regard de la loi, sont soumises à l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention. Dans le cas d’une enquête judiciaire ou d’une instruction, la loi du 29 juillet 1881 préciserait ainsi qu’aucune mesure portant atteinte au secret des sources ne pourra être prise sans la décision préalable de ce juge. C’est une avancée déterminante.

Enfin, l’amendement définit de manière plus précise et limitative les cas exceptionnels dans lesquels il pourra être porté atteinte au secret des sources. Ces atteintes ne seront possibles que s’il s’agit de prévenir ou de réprimer la commission soit d’un crime, soit d’un délit limitativement défini parmi les plus graves de notre code pénal.

Le choix que nous avons fait est strictement conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, qui invoque les « impératifs prépondérants d’intérêt public », ainsi qu’aux recommandations formulées par le Conseil d'État lorsque celui-ci a été consulté sur un projet de loi au mois de juin 2013.

Le Gouvernement a retenu comme mesure de la gravité une peine homogène de sept ans de prison.

Aucune atteinte au secret des sources ne pourra être effectuée sans qu’en soient préalablement appréciées la stricte nécessité et la proportionnalité en fonction de la gravité des faits, des circonstances de préparation ou de commission de l’infraction, du nombre et de la qualité des victimes et des personnes mises en cause.

C’est pour garantir toutes ces avancées et trouver un point d’équilibre qui nous semble à la fois responsable et porteur de plus de démocratie, entre exigence de liberté et nécessité de sécurité publique, que je vous propose d’adopter l’amendement du Gouvernement.

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