La commission est défavorable à tous ces amendements.
Je reviendrai plus particulièrement sur l’amendement du Gouvernement. Mais ce que je dirai à son sujet vaudra bien évidemment pour les autres amendements, que, d’une certaine manière, il résume, à l’exception de l’amendement de Mme Jouve, qui concerne un point bien particulier.
En fait, le Gouvernement veut rétablir le texte que la commission a modifié.
Premièrement, je vous le rappelle, dans le droit en vigueur, qui résulte de la loi du 29 juillet 1881, la notion de « journaliste » n’a pas une définition étroite. Tous ceux qui collaborent à la fonction journalistique, y compris, en vertu d’une jurisprudence constante, les photographes, sont concernés. Votre amendement est donc déjà satisfait, madame Jouve.
Le texte du Gouvernement pose un problème. Vous permettrez que je parle de « texte du Gouvernement ». En effet, le projet de loi de 2013, qui avait disparu dans les profondeurs des tiroirs, nous revient aujourd'hui sous forme d’amendement, dans sa version « enrichie », si je puis dire, par l’Assemblée nationale.
La commission s’en tient à la définition juridique actuelle de la notion de « journaliste ». Nous ne sommes pas favorables à une acception élargie à tous les collaborateurs, y compris ceux dont l’activité n’a pas grand-chose à voir avec le journalisme. Sur ce point, le droit écrit et la jurisprudence sont suffisamment clairs.
J’ajoute que, si l’on étend la notion de « journaliste » à l’infini, les services enquêteurs – je reviendrai sur l’enquête tout à l'heure – n’auront plus les moyens de travailler, puisqu’ils ne pourront plus mener leurs investigations.
J’en viens à la question de l’atteinte indirecte aux sources. Je le rappelle, dans le projet de loi de 2013, qui renaît aujourd'hui de ses cendres, cette notion n’existait pas. Elle a été ajoutée à l’Assemblée nationale. Puisqu’elle ne figurait pas dans le texte du Gouvernement, le Conseil d'État n’a pu exprimer d’avis à son sujet. Le flou artistique est donc double.
Pour notre part, nous nous en tenons à la notion d’« atteinte aux sources ».
Par ailleurs, le dispositif que vous proposez fait référence à la notion d’« enquête ». Or, en droit, l’enquête, c’est celle qui est menée par les enquêteurs, dans le cadre d’une procédure pénale, et non l’enquête que mène le journaliste.
Or la rédaction de l’amendement ne permet pas de déterminer si l’enquête dont il est question est celle du journaliste, celle du juge enquêteur ou celle des forces de police. Il vaut donc mieux ne pas employer ce terme dépourvu de précision juridique.
Je veux également évoquer le juge des libertés et de la détention, le JLD. Vous avez dit tout à l'heure que vous vouliez défendre ce juge contre le parquet, madame la ministre. Cela tombe bien : nous aussi !
En effet, dans le texte adopté en commission, nous proposons que le JLD se prononce dans les cas où l’intervention de parquet était prévue. En revanche, dans les autres hypothèses, c’est le juge d’instruction qui interviendra, parce que celui-ci est un vrai juge instructeur, contrairement au juge des libertés et de la détention. En outre, ses décisions sont susceptibles d’appel devant la chambre d’instruction. Enfin, le juge d’instruction est indépendant – il est nommé par décret –, alors que l’indépendance du JLD, nommé par le président du tribunal de grande instance, est égale à zéro.
Nous faisons confiance au juge d’instruction lorsque c’est lui qui est compétent. Dans les autres cas, nous proposons, tout comme vous, de nous en remettre au JLD. Le texte de la commission nous semble plus protecteur des droits que les dispositifs envisagés par les auteurs de ces amendements.
J’en viens à la question de la hiérarchie entre droit à l’instruction, droit à la liberté d’expression…
Madame la ministre, puisque vous aimez beaucoup la CEDH, je vous signale – vous pourrez le préciser à M. le garde des sceaux – qu’il y a une chambre de trois juges en première instance et que la Cour se constitue en grande chambre pour rendre un arrêt définitif en appel.
La plupart des arrêts sur lesquels vous vous fondez sont des arrêts de chambre, et non des arrêts de grande chambre. Or, le 13 mars dernier, dans l’arrêt de grande chambre Bédat contre Suisse, la Cour a déclaré que le secret de l’instruction primait la liberté d’expression d’un journaliste ayant divulgué des informations couvertes par le secret dans le cadre d’une affaire pénale en cours. Cette interprétation de la hiérarchie des principes fondamentaux nous convient tout à fait. Elle va dans le sens du texte adopté par la commission des lois.
Le Secrétariat général du Gouvernement, c’est-à-dire le conseil juridique du Gouvernement, saisi par le Premier ministre au mois de janvier 2014, avait déclaré que le fait de substituer à la notion d’intérêts fondamentaux de la nation une liste limitative d’infractions pénales encourrait la censure du Conseil constitutionnel.
Il s’agit d’un document envoyé par le directeur de cabinet du Premier ministre le 6 janvier 2014, c’est-à-dire au lendemain du dépôt du projet de loi ayant inspiré le dispositif que vous proposez.